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Cloches – Belfaux (CH-FR) église Saint-Etienne

Grande rénovation pour l’église au crucifix miraculeux

-Cloche 1, note ré3 +2/16, diamètre 135cm, poids environ 1’500kg, coulée en 1616, signée CF, attribuée à un collaborateur d’Abraham Zender de Berne
-Cloche 2, note mi3 +-0/16, diamètre 117cm, poids 902kg, coulée en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève à Fribourg
-Cloche 3, note fa#3 +1/16, diamètre 101cm, poids 558kg, coulée en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève à Fribourg
-Cloche 4, note la#3 +2/16, diamètre 81cm, poids 328kg, coulée en 1846 par Roelly et fils à Fribourg
-Cloche 5 (Agonie) note mi4 +2/16, diamètre 63.5cm, poids 165kg, coulée vers 1483

Un crucifix objet de toutes les dévotions – C’est un profond sentiment de grandeur passée qui envahit le visiteur de l’église Saint-Etienne de Belfaux.  Si le lieu de pélerinage numéro un du canton de Fribourg est aujourd’hui Siviriez, suite à la canonisation récente de Marguerite Bays, Belfaux a été un temps le lieu vers lequel les pèlerins affluaient en nombre. On les voyait venir de la région, mais aussi des cantons voisins de Neuchâtel et de Vaud, et même de Franche-Comté, de Savoie et de la Forêt-Noire. Tous étaient animés du même  désir fervent : se recueillir devant le saint Crucifix. Vraisemblablement daté de la fin du XIIIe siècle, cet étonnant objet liturgique est sorti miraculeusement intact de l’incendie qui détruisit complètement l’église de Belfaux entre 1470 et 1474 (la date n’est pas mentionnée avec exactitude). Le crucifix du XIIIe siècle, qui jusqu’alors n’avait jamais vraiment attiré l’attention, est devenu un objet d’intense vénération. La nouvelle du miracle s’est répandue comme une traînée de poudre et les pèlerins ont commencé à affluer. Ils furent à tel point nombreux aux XVIIe et XVIIIe siècles que deux hôtels furent édifiés dans le village afin de les héberger. Parallèlement, il fallut mettre sur pied un service d’ordre, l’église et le cimetière étant souvent encombrés. La vente d’objets de piété par ce qu’on appellerait aujourd’hui des « vendeurs à la sauvette » se vit sévèrement encadrée. Au XVIIe siècle, Mgr de Montenach en arriva même à interdire un temps les processions dites « foraines ». Mgr Marilley supprima définitivement cette pratique au XIXe siècle.

L’église devait recevoir deux clochers – La paroisse de Belfaux est l’une des plus anciennes du canton. Plus ancienne même que la fondation de Fribourg en 1157. Les fouilles  menées vers 1980 dans l’actuel cimetière (lieu dit Pré-Saint-Maurice) démontrent que le village fut habité dès la plus haute antiquité. Ce site archéologique d’importance nationale a révélé des objets du Mésolithique (-8000 à -5000), un puits du premier Age de fer (-750 à -450) et une nécropole du second Age de fer (-450 à 0). L’ère chrétienne est également représentée par deux églises construites successivement entre le Ve et le XIe siècle. Le riche Dictionnaire Historique de Deillon nous offre le premier document écrit au sujet d’une église à Belfaux : le rapport de Georges de Saluces, dressé après la visite épiscopale de 1453. Le compte-rendu de l’évêque de Lausanne est sensiblement le même que pour toutes les églises de la région  : un édifice vétuste, obscur et peu soigné. Mgr de Saluces ordonna par exemple (…) de réparer les chandeliers de l’autel et les fenêtres de la nef et d’y placer des vitres, de peindre le crucifix (le fameux crucifix qui deviendra source de vénération, ndlr) de blanchir les murs intérieurs de l’église (…). C’est cette même église au confort plus que spartiate qui est la proie des flammes entre 1470 et 1474. Une nouvelle église, dédiée à saint Etienne, est consacrée en 1491. Le chœur sera remanié à deux reprises. Devenue vétuste, cette église est remplacée par l’actuel sanctuaire néoclassique, dont la construction débute en 1842. Si imposante que puisse être la façade, elle laisse un goût d’inachevé. Les plans de l’architecte Joseph-Fidel Leimbacher prévoyaient en effet – non pas un – mais deux clochers de part et d’autre de l’entrée. Le coût faramineux, de même que les événements de l’époque (Guerre du Sonderbund, arrivée au pouvoir des Radicaux) ont raison de ce projet trop ambitieux. L’architecte essaiera bien de donner un peu de grandeur à son église en la couronnant d’une flèche de 45 mètres. Mais le 5 décembre 1879, un ouragan décoiffe abruptement ce qui était alors l’un des plus hauts clochers du canton de Fribourg. Adolphe Fraisse reconstruit alors la nouvelle flèche moins haute de moitié. L’architecte cantonal dote également la tour d’un balcon-terrasse qui sera supprimé en 1952

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Une cloche remisée au placard – Si riche que puisse être la documentation relative à l’église Saint-Etienne de Belfaux, les cloches ne sont hélas que peu mentionnées. Deillon signale la coulée le 25 juin 1431 d’une cloche de quatre quintaux par un certain Georges Thiebaul. Il s’agit de la refonte d’une cloche plus petite. Cette date de 1431 semble trop ancienne pour correspondre à la petite cloche gothique qui serait plutôt de 1483. La cloche du chœur est refaite en 1749. Dans l’ouvrage « Le saint Crucifx de Belfaux » (édité par la paroisse en 1986) il est mentionné qu’en 1952, une ancienne cloche inemployée (…) est offerte à la nouvelle église de Courtepin à la condition qu’elle soit sonnée et que Courtepin la garde. Il s’agit certainement de la même petite cloche baroque qui se trouve toujours à Courtepin, mais qui est tristement remisée dans un placard. Belfaux pourrait donc tout aussi bien la récupérer ! Deillon mentionne encore la coulée en 1788 de deux cloches (nos 2 et 3). Une grande travée vide au premier niveau de la chambre des cloches tend à faire croire qu’un bourdon était prévu. Il n’est malheureusement jamais arrivé. Si riche que puisse être la sonnerie de Belfaux sur le plan historique, elle est clairement sous-dimensionnée par rapport à l’importance de l’église et de son clocher.

Cloche no 1 – Elle porte comme seule signature les initiales CF entourant un petit cartouche où apparaissent une cloche et un canon. Matthias Walter, expert campanologue à Berne, remarque des similitudes (profil, décors) entre cette cloche de 1616 et les réalisations d’Abraham Zender, fondeur bernois actif à la même époque. Il faut savoir que du temps des saintiers, il pouvait arriver que plusieurs collaborateurs d’une même fonderie soient appelées en même temps pour différentes missions. Quand le maître n’était pas présent, ses subalternes apposaient parfois leur propre nom, comme ce fut le cas au XIXe siècle avec le franc-comtois Constant Arnoux envoyé en Suisse par son patron Généreux-Constant Bournez. Dans d’autres cas, l’employé ne gravait que ses initiales. Exemple avec la cloche no 3 de Châtel-Saint-Denis (1588) signée FB mais qui a toutes les caractéristiques d’une cloche de Franz Sermund, le fondeur bernois à qui on doit les bourdons de Romont et de la cathédrale de Lausanne. Il peut encore arriver que des cloches ne portent aucune signature. C’est le cas de l’ancienne cloche no 7 de Bulle (Pierre Dreffet, 1809 ou 1813) déposée sur le parvis.

Cloches nos 2 et 3 – Elles ont été coulées en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève, originaire de Sallanches (F) et reçu bourgeois de Fribourg en 1737 en même temps que son père. Avec ses fils Jacques et Joseph-Jacques, Delesève n’a eu l’occasion de couler que peu de cloches. La concurrence féroce des fondeurs franc-comtois (Livremont, Bournez) et vaudois (Dreffet) a en effet mis à mal les affaires du fondeur officiel de Fribourg.  Malgré son monopole confirmé par l’Etat, Delesève ne bénéficie plus de l’aura de ses prédécesseurs. Pour subsister, il doit se contenter de fabriquer des pompes à incendie, des mortiers et autres chandeliers. Le Petit Conseil tranche en effet régulièrement en faveur des fondeurs étrangers quand leurs prix sont plus avantageux. Pour contourner le monopole, Dreffet de Vevey met au point un subterfuge diabolique : ses cloches pour Fribourg, il les signe Jean-Georges Paris de Bulle et son ouvrier Pierre Dreffet (cloches à Châtel-saint-Denis, Corbières et Charmey). On sait aujourd’hui que ce Jean-Gorges Paris n’a jamais été fondeur ! La stratégie des hommes de paille et des adresses fantômes ne date visiblement pas d’hier…

Cloche no 4 – Faite par Roelly père et fils (Louis et Louis-Alexis) en 1840, c’est la plus récente de la sonnerie, mais c’est aussi la moins réussie. Sans doute est-ce l’effet de la concurrence acharnée que j’évoquais à l’instant, mais on sent que les fondeurs fribourgeois sont à bout en cette moitié de XIXe siècle. Les décors des cloches que livrent les deux dernières générations sont maladroits, voire parfois complètement ratés. Dans certains cas, le timbre des cloches sorties de la fonderie de l’Oelberg est également bien en deçà des attentes. La cloche no4 de Belfaux aurait clairement dû donner le la pour s’accorder avec ses grandes soeurs. Son si bémol forme avec le mi de la cloche no 2 un triton déconcertant qui rend l’élaboration de mélodies carillonnées ardue.

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Cloche no5 – De réalisation très soignée, cette petite cloche présente un remarquable ensemble de médaillons, mais ne porte ni date, ni signature. Toujours selon Matthias Walter, elle pourrait avoir été coulée en 1483 par le même fondeur que la petite cloche d’Arconciel et la grande cloche de la basilique Notre-Dame de Fribourg. Cloche de l’Agonie, elle sonne en solo pour annoncer les décès dans le village et elle joint sa voix à celle de ses sœurs pour le glas.

Des jougs en chêne préservés et rénovés – Lors de la motorisation de la sonnerie, les jougs des cloches nos 4 et 5 furent remplacés par des montures en acier. Ces vieux moutons de chêne n’ont heureusement pas été jetés, comme ce fut trop souvent le cas. Récupérés dans le clocher, ils ont été rénovés par l’entreprise Mecatal campaniste sous la supervision des Biens Culturels fribourgeois. Les moutons déposés ont également servi de modèle pour reconstituer les têtes de jougs des cloches 1, 2 et 3 qui avaient été « scalpés ». Ces grands travaux de réfection ont permis à la vénérable sonnerie de recevoir en 2019 de nouveaux battants et moteurs de volée. Il est intéressant de noter que durant ce chantier, les Belfagiens n’ont jamais cessé d’entendre leurs cloches : des haut-parleurs ont en effet diffusé des séquences enregistrées pendant les longs mois qu’ont duré les travaux. A l’heure du bouclage de cet article, l’église de Belfaux Saint-Etienne de Belfaux est toujours en réfection.

Quasimodo remercie chaleureusement :
La paroisse de Belfaux – Jean-Luc Mooser président, Eugénie Mantel vice-présidente
Antoine Vianin, architecte
Le Service des Biens culturels fribourgeois – Anne-Catherine Page
Mécatal campaniste – Jean-Paul Schorderet et Christelle Ruffieux
Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice – Allan Picelli sacristain à Maîche – Dominique Fatton responsable des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que mentionnées)
« Le patrimoine campanaire fribourgeois » éditions Pro Fribourg 2012

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Cloches – Treytorrens (CH-VD) église réformée

Les cloches ont 500 ans en 2020 !

-Cloche 1, note do#5 +8/100, diamètre 49 cm, poids 69 kg, coulée vraisemblablement en 1520.
-Cloche 2, note ré#5 +38/100, diamètre 45 cm, poids 52 kg, porte la date de 1520.

Un village entre traditions et modernité – Le 23 mars 2019, je me rendais avec quelques amis dans le charmant petit village vaudois de Treytorrens, à quelques encâblures du canton de Fribourg. Nous y étions chaleureusement accueillis par une sympathique délégation composée d’un Municipal, d’une historienne et du sonneur officiel. Nos savoureux échanges se sont poursuivis bien au-delà de la visite de l’église, puisque nous nous sommes retrouvés ensuite à deviser autour d’un apéro improvisé (eh oui, nous sommes dans le canton de Vaud!) chez un de nos hôtes dans un magnifique cadre de verdure avec vue sur les Alpes. Troterens (en 1194), évolue au fil des siècles en Troiterens, Trouotereins et Tretorens. L’étymologie serait burgonde et signifierait le clan des guerriers fatigués. Les seigneurs de Treytorrens sont d’abord les vassaux de l’évêque de Lausanne avant de reconnaître la suzeraineté de Pierre II de Savoie au XIIIe siècle. La seigneurie est possédée par Pierre Morel de Fribourg en 1543, puis par les Molin d’Estavayer et les DuGué, réfugiés huguenots. De 1536 à 1798 (époque bernoise) Treytorrens fait partie du bailliage de Moudon. Après la Révolution vaudoise, la commune appartient au district de Payerne, avant de rejoindre le district de la Broye-Vully en 2008. Aujourd’hui, Treytorrens compte une centaine habitants (ce nombre fluctue depuis quelques années) contre plus de 200 lors du recensement de 1860. La population, longtemps tournée vers l’agriculture et l’élevage, compte aujourd’hui un nombre croissant de travailleurs dans les villes aux alentours, sans pour autant effacer le cachet du lieu. C’est avec un immense plaisir que nous avons pu savourer toutes les richesses de Treytorrens : son patrimoine bâti (église, château…) mais aussi l’accueil à la fois simple et chaleureux de ses habitants.

Un joyau de l’art gothique – Qui peut bien avoir construit cette magnifique petite église ? Est-ce  Jean de Treytorrens, mécène et homme de goût, dont le château se dresse à deux pas ? Edifiée au XVe siècle, l’église de Treytorrens – dédiée tour à tour à saint Nicolas, puis à saint Jean-L’Evangéliste, avant de devenir temple réformé en 1536 – est remarquable à plus d’un titre. Il faut rappeler pour commencer que le style gothique est plutôt absent de nos campagnes. De plus, le soin avec lequel cet édifice a été réalisé en fait un véritable petit bijou dans son écrin rural. Ce n’est pas pour rien qu’Albert Naef, restaurateur du château de Chillon à la Belle-Epoque, s’est penché avec attention sur l’église de Treytorrens lors de son recensement de 1898. Le célèbre architecte cantonal a tenu à en diriger lui-même les travaux de rénovation qui se sont étalés sur une dizaine d’années. Particulièrement remarquable est le portail de style gothique flamboyant, dont la construction – vers 1520 – pourrait avoir été liée à la fondation d’un autel des Dix Mille Martyrs. De cette époque datent également les deux cloches toujours en place. A noter aussi les très belles chapelles à baldaquin qui occupent les angles de la nef à proximité du chœur. De tels aménagements n’ont été observés ailleurs dans la région qu’à Granges-près-Marnand (chapelle de Loys) et Payerne (église paroissiale). Le clocher-mur, qui rappelle certaines églises du sud-ouest de la France, n’est pas rare dans cette région de la Broye, à cheval sur les cantons de Vaud et Fribourg. De telles réalisations, toutes historiques, existent en effet à Chavannes-le-Chêne, Curtilles, Donatyre, Sévaz, Treytorrens et Villarzel. Le plafond cintré lambrissé a été reconstitué en 1907 sur la base de vestiges conservés. Lors de la Réforme de 1536, des statuettes représentant le Christ et les douze apôtres furent cédées à la commune fribourgeoise de Franex, ce qui permit de les sauver. Outre la restauration d’envergure menée par Naef au tout début du XXe siècle, signalons le rafraîchissement des peintures intérieures en 1985. L’histoire de l’orgue est à la fois insolite et touchante. L’instrument est né d’une volonté commune de Jean Stoos, pasteur et organiste virtuose, et de Pierre Golaz, enseignant et bricoleur de génie. Soucieux de doter d’un orgue digne d’elle la jolie petite église de Treytorrens, les deux amis comprennent vite qu’ils ne disposeront jamais des fonds nécessaires pour passer une commande auprès d’un professionnel. Peu importe : leur orgue, ils le construiront eux-mêmes ! MM. Stoos et Golaz vont bénéficier  de l’aide de quelques villageois enthousiastes ainsi que des conseils avisés d’Emile et Jean-Marc Dumas, facteurs d’orgue à Romont. L’instrument est terminé en 1960, il a droit à son relevage en 2004.

La grande cloche porte ces mots latins mentem sanctam, spontaneam, honorem Deo et patriae liberationem. Cette inscription, courante sur les cloches médiévales, peut se traduire par donne à notre âme la sainteté, à Dieu la gloire, à la Patrie la liberté. La connotation est autant religieuse que politique. Un théologien vous expliquera que la cloche fait référence à sainte Agathe. Une tablette apposée près de la dépouille de cette  jeune vierge ayant vécu à Catane en Sicile vers 250 portait en effet ces quelques mots, comme expliqué dans l’étude menée par les Monuments Historiques vaudois en 2014. Un historien vous dira que ces mots peuvent faire allusion à la suprématie du duc de Savoie.

La petite cloche porte la date de 1520 et une inscription en l’honneur de saint Agace (ou Acace ou Achatius…). Ce centurion romain converti au christianisme fut crucifié vers l’an 140 avec ses 10’000 compagnons sur le Mont Ararat en Arménie. La vénération des Dix Mille Martyrs s’est développée au XVe siècle et au début du XVIe siècle. Dans nos régions, elle faisait écho au culte de saint Maurice et sa légion thébaine, ou encore à la vénération de sainte Ursule et ses onze mille vierges.

Je ne saurais trop vous conseiller de faire un crochet par Treytorrens lors de votre prochain passage par le Nord-Vaudois ou la Broye. Nul doute que vous serez vous aussi en état de grâce devant cette petite église toute de beauté et de simplicité. Sans doute lèverez-vous la tête quand du haut du clocher-mur seront égrenées les heures. Vous aurez alors une pensée pour ces cloches ancestrales qui – paradoxe – nous donnent le repère du temps, alors que le temps n’a aucune prise sur elles.

Quasimodo remercie chaleureusement
-La commune de Treytorrens : Daniel Miauton, Municipal ; Madeleine Stanescu, Municipale et historienne ; Christian Bütikofer, sonneur depuis un quart de siècle
Mecatal campaniste, Jean-Paul Schoderet et Christelle Ruffieux
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, Allan Picelli sacristain à Maîche et Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Sources (autres que mentionnées)
http://www.treytorrens.ch/commune.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Treytorrens_(Payerne)
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_de_Treytorrens
https://wp.unil.ch/monumentsvaudois/2017/09/gilles-brodard-la-restauration-de-leglise-de-treytorrens-par-albert-naef-1898-1907/
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/000816/2017-04-06/
https://www.nervo.ch/wp-content/uploads/2017/03/4_Eglises_et_oeuvres_d_art.pdf
L’Orgue, revue indépendante, no3 (septembre 2011)

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Boulens, Dietlikon, ces cloches coulées à huis clos

Coulée de cloches à la fonderie Ruetschi

La coulée d’une cloche… D’une dimension hautement symbolique, l’événement draine habituellement son nombre de spectateurs, du simple curieux au dignitaire religieux en passant par les officiels civils. L’émotion est toujours palpable, elle est la même qu’il s’agisse d’une clochette d’école ou d’un bourdon de cathédrale. Or, en cette période de crise sanitaire, accéder à une fonderie tient du parcours du combattant. C’est donc devant un comité restreint que sont actuellement coulées chez Ruetschi les quatre cloches de Saint-Michel de Dietlikon (CH-ZH). Bâtie il y a 50 ans, cette église vient de se voir ajouter un clocher haut de 18 mètres, ce qui n’a pas manqué de susciter l’ire de certains voisins inquiets pour leur douillettes petites oreilles. D’âpres négociations ont conduit à des accords au sujet des horaires de sonnerie (pas d’angélus à 7h du matin, par exemple) et sur la durée des séquences. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, président de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues de Suisse (GCCS) a été chargé de superviser le projet. La décoration des quatre cloches a été confiée à l’artiste local Ernesto Ghenzi. Voici les données techniques de la sonnerie réalisée en profil léger.

-Cloche 1, mi bémol 3, 121 cm, 900 kg « Weltkirche » (Eglise universelle)
-Cloche 2, sol 3, 96.5 cm, 530 kg, « Schöpfung » (Création)
-Cloche 3, si bémol 3, 80.5 cm, 290 kg, «Glaubwürdigkeit» (Crédibilité)
-Cloche 4, do 4, 71.5 cm, 210 kg, «Friede» (Paix)

Les cloches no4 et 3 de Dietlikon ont été coulées le 7 mai 2020, la cloche no2 a été réalisée le 14 mai, la grande cloche doit sortir du creuset le 28 mai. Les quatre cloches devraient être bénies le 4 juillet, il est prévu qu’elles se fassent entendre la première fois le 12 septembre 2020.

Modélisation du clocher de l’église Saint-Michel de Dietlikon (source www.zuonline.ch)

Egalement coulée en cette période très spéciale : la cloche du « Casino » de Boulens. Pour rappel, le clocheton communal de ce village vaudois a pris la foudre le 7 août 2019. L’incendie qui s’en est suivi a causé la destruction de la cloche historique de 1771. Passée la tristesse des premiers instants, la commune a vite pris la décision de reconstruire son « Casino » et d’y placer une nouvelle pièce d’airain. J’ai eu l’honneur de participer de loin au projet en donnant quelques conseils, d’abord au sujet de la note musicale de cette nouvelle cloche (do4) afin qu’elle s’accorde avec le temple voisin (cloche en ré#4). J’ai aussi fourni des pistes concernant les inscriptions de la nouvelle venue et  les festivités entourant son arrivée. Le passage où je conseillais l’envoi d’une délégation communale à la fonderie Cornille Havard n’a malheureusement pas pu être suivi, la frontière franco-suisse étant toujours bouclée. C’est donc – là aussi – en petit comité que la cloche a été coulée vendredi 15 mai 2020. Son installation sera effectuée par l’entreprise Mecatal et fera l’objet d’un reportage. A défaut d’avoir pu assister à sa naissance, gageons que les citoyens et les officiels de Boulens auront à cœur de célébrer l’arrivée de leur cloche, qui sera hissée par les enfants du village.

Sources
https://www.kath-dietlikon.ch/kirchen-glocken/
https://www.zuonline.ch/front/umstrittener-glockenturm-koennte-nun-doch-das-jubilaeum-einlaeuten/story/20396525
https://www.zuonline.ch/front/glocke-bleibt-fruehmorgens-stumm/story/13442218
Echanges avec René Spielmann, directeur de la fonderie Ruetschi
Echanges avec Jean-Paul Schorderet, directeur de Mecatal campaniste

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Cloches – Gruyères (CH-FR) église Saint-Théodule

Gruyères, son fromage, son chocolat… et son carillon

-Cloche 1, dédiée à sainte Marie Immaculée, note sib2, diamètre 170 cm, poids environ 2’900 kg, coulée en 1888 par Charles Arnoux établi à Estavayer-le-Lac.
-Cloche 2, dédiée à saint Théodule, note do3, diamètre 147 cm, poids environ 1’900kg, coulée en 1861 par Constant Arnoux de Morteau et son fils Charles.
-Cloche 3, dédiée à saint Jean-Baptiste, note ré3, diamètre 131 cm, poids environ 1’300 kg, coulée en 1859 par Constant Arnoux de Morteau et son fils Charles.
-Cloche 4, dédiée à sainte Catherine, note mib3, diamètre 120 cm, poids environ 1’050 kg, coulée en 1858 par Constant Arnoux de Morteau.
-Cloche 5, dédiée à saint Nicolas, note fa3, diamètre 109 cm, poids environ 750 kg, coulée en 1858 par Constant Arnoux de Morteau.
-Cloche 6, dédiée à sainte Marie-Madeleine, note sol3, diamètre 97 cm, poids environ 520 kg, coulée en 1862 par Constant Arnoux de Morteau et son fils Charles.
-Cloche 7, dédiée à saint Maximilien Kolbe, note lab3, diamètre 95 cm, poids environ 525 kg, coulée en 2004 par Paccard à Sévrier
-Cloche 8, dédiée à Mère Theresa de Calcutta, note la3, diamètre 90 cm, poids environ 460 kg, coulée en 2004 par Paccard à Sévrier
[Dans le lanternon : cloche de l’Agonie dite la danye, note sib3, diamètre 81 cm, poids environ 305 kg, coulée en 1804 par Pierre Dreffet de Vevey ]

Gruyères ! Pour le touriste friand d’images d’Epinal, ce nom évoque les blanches montagnes où s’élancent à corps perdu les amateurs de glisse. Gruyères, ce sont aussi les verts pâturages où paissent de paisibles vaches qui donnent naissance à notre célèbre fromage et à notre fameux chocolat. Mais la cité de Gruyères, c’est avant tout l’Histoire avec un grand H. On y trouve un magnifique patrimoine bâti : des maisons aux façades richement ornées, une église à l’imposant clocher fortifié et un château médiéval où se sont joué de terribles luttes de pouvoir. Bienvenue au XIIIe siècle, au temps où les comtes de Gruyères régnaient sans partage sur le sud de l’actuel canton de Fribourg. C’est en 1254 que Rodolphe III obtient de l’évêque de Lausanne le droit d’ériger la cité comtale au rang de paroisse. Le comte dote la nouvelle église Saint-Théodule de biens considérables. De grandes familles lui emboîtent le pas au fil des ans. Le Dictionnaire Historique de Deillon rapporte par exemple qu’en 1373, Briseta, fille de feu Johannod de Broch (Broc), de Gruyères, donzel et veuve de Perret de Pringy, légua par testament à l’autel de Sainte-Catherine, dans l’église de Gruyères, toute sa dot, que lui avoit asseuré feu son mari, soit d’abord une rente de 16 sols et trois coupes de froment, mesure de Gruyères, estimée 8 sols et un chapon, plus 10 sols 2 deniers. Après 1528, Gruyères prend position contre la Réforme, causant ainsi des tensions avec son puissant voisin bernois. En 1554, la Diète fédérale déclare le comté en faillite. Fribourg et Berne se partagent ses biens, ravivant ainsi les querelles religieuses. Deillon raconte qu’en 1556, un prêtre fut accusé auprès de Messieurs de Fribourg d’avoir prêché contre la messe. Ils donnèrent immédiatement l’ordre au bailli de l’incarcérer et de le tenir enfermé jusqu’à sa rétractation. L’Etat de Berne intervint en sa faveur, il fut relâché le 24 octobre 1556. L’intervention de Berne prouverait que ce prêtre venait du Pays de Vaud.

L’édification de la première église de Gruyères date de l’érection de la paroisse : 1254. Même si – comme nous l’avons vu plus haut – une réelle ferveur est mise dans l’édification d’autels par de riches familles, les murs commencent à donner des signes de délabrement. Lors de leur visite de 1453, les délégués de Mgr Georges de Saluces, évêque de Lausanne, soulignent l’état de caducité, de pauvreté, de saleté et de négligence, si souvent constaté à cette époque dans notre diocèse, rapporte le père Deillon. De menues améliorations sont alors effectuées, mais il faudra attendre 1735 pour qu’une nouvelle église soit consacrée. L’édifice actuel date de 1860, seul le chœur et les murs du clocher, ancienne tour d’observation, ont en effet résisté au terrible incendie de 1856. Le XXe siècle est le théâtre de nombreuses restaurations. En 1921, Fernand Dumas, alors jeune architecte, supprime les décors en stuc et repeint les murs en jaune tout en soulignant l’importance des pilastres. 1963 voit la pose des beaux vitraux de Yoki, mais aussi une transformation moins heureuse : les murs se retrouvent entièrement blanchis. Les pilastres étaient effacés et la relation entre le chœur et la nef était perdue, relevait Ivan Andrey, historien d’art auprès du Service des biens culturels lors de la restauration de 2004. Ce sont justement ces derniers travaux qui ont permis à l’église Saint-Théodule de retrouver son harmonie et son caractère historique.

L’histoire de la sonnerie de Gruyères est documentée à partir de 1562. Une magnifique cloche de 30 quintaux (environ 1’500 kg) est coulée et bénie en grande pompe. Catherine – c’était son nom – doit être refaite en 1642 car fêlée. Son poids est alors augmenté de 20 quintaux, ce qui nous amène à 2’500 kg environ. Le 28 août 1679, la foudre frappe le clocher. Trois des cloches sont détruites, la quatrième tombe sans se briser.  L’ambition des bourgeois de Gruyères de couler un bourdon digne de la capitale du comté donne lieu à un procès avec les communes d’Enney, Villars-sous-Mont et du Pâquier. L’Etat intervient et condamne les récalcitrants à participer aux frais. Quatre nouvelles cloches – la plus grande pesant environ 2’800 kg – sont réalisées en 1680 par le fribourgeois Hans Wilhelm Klely, maintes fois mentionné sur cette page, assisté du fondeur local Simon de la Fosse. De ce dernier, les seules cloches mentionnées à Gruyères et à Estavannens ne nous sont malheureusement pas parvenues. La foudre frappe encore le clocher à deux reprises en 1750, mais c’est un coup de mortier le jour de la Fête-Dieu qui réduit en cendres la nef  et qui anéantit une nouvelle fois les cloches en 1856. Les larmes du curé Loffing font heureusement vite place à la farouche détermination de rebâtir au plus vite. C’est ainsi que Mgr Marilley peut consacrer la nouvelle église le 17 juin 1860. On commence par récupérer une cloche de l’ancienne chartreuse de la Part-Dieu dont les biens viennent d’être dispersés. Puis on fait appel au franc-comtois Généreux-Constant Bournez qui envoie son contremaître Constant Arnoux assisté de son fils Charles, âgé tout juste de 15 ans. Arnoux père et fils s’établissent à Gruyères et coulent cinq cloches pour la nouvelle église entre 1858 et 1862 (Charles apparaît dans la signature à partir de 1859). Les fondeurs profitent également de leur présence dans la région pour honorer des commandes  à Hauteville, Vuippens, Marsens et au Châtelard. Trente ans après être arrivé en Suisse avec son paternel, Charles Arnoux, qui s’est depuis établi à Estavayer-le-Lac, coule le bourdon de Gruyères, une de ses plus importantes réalisations. Pour célébrer dignement les 750 ans de la fondation de la paroisse, deux petites cloches sont réalisées en 2004 par la maison Paccard. Vers 2010, la foudre tombe à nouveau sur clocher, endommageant la gestion électronique des sonneries. La cloche no3 part alors en volée tournante et son battant frappe les cloches nos 4 et 5 accrochées au dessus d’elle, heureusement sans les fêler. Ces profondes ébréchures sont vite réparées. La sonnerie de Gruyères s’apprête à recevoir une nouvelle cloche dédiée à sainte Marguerite Bays. L’arrivée de ce petit sib3,  prévue pour la Pentecôte, a été reportée au 11 octobre 2020 en raison de la crise du Covid19. La coulée de cette cloche a été confiée cette fois à Cornille Havard. Evidemment que sa bénédiction et son installation feront l’objet d’un reportage.

Les neuf cloches (bientôt dix) de Gruyères peuvent toutes être mises en volée. Les huit plus grandes peuvent être  carillonnées via un clavier de type manche de brouette ou clavier coup de poing. André Pauchard et Laurent Rime font chanter leur carillon à chaque solennité (voir le mini-récital de carillon dans la présentation vidéo en tête d’article) Les six cloches Arnoux père et fils sont ornées de festons néoclassiques typiques. Leurs inscriptions sont pour la plupart latines. A noter que chez Constant Arnoux, les N sont inversés, comme à l’accoutumée chez ce fondeur franc-comtois. Les cloches de 2004 arborent des rinceaux typiques de chez Paccard. La cloche de l’Agonie (Pierre Dreffet 1804) coulée à l’origine pour l’abbaye de la Part-Dieu, est surnommée la danye. Ce mot issu du patois gruérien – on prononce dagne – peut signifier le beffroi, le clocher, la flèche du clocher, et par extension la cloche qui se trouve tout en haut du clocher.

Voici un aperçu des mots et des effigies qu’on peut trouver sur les huit plus grandes cloches, selon le relevé scrupuleusement effectué par André Pauchard, carillonneur.
-Cloche 1 (traduction du latin) M’ont élevée FJ Laurent Castella curé de Gruyères et Eléonore Rime épouse de Tobie syndic de Gruyères. Sainte Marie Immaculée, reine du Ciel, patronne de toute l’Eglise et la mienne, je loue Dieu. Louez le Seigneur, toutes les nations, jouez-le tous les peuples, car il est bon et sa miséricorde est éternelle. (La suite est en français dans le texte) J’ai été bénite par sa grandeur Mgr Mermillod évêque de Lausanne et de Genève. J’ai été fondue en 1888 sous l’administration paroissiale suivante : Tobie Rime syndic à Gruyères président, Auguste Murith au Clos-Muré, Narcisse Bussard à Epagny, Sylvère Vallélian syndic au Pâquier, Jean Geinoz conseiller à Enney, Nicolas Murith député secrétaire, Benoît Rime à Gruyères huissier. Outre la Vierge, la cloche arbore aussi les effigies de saint Joseph, saint Maurice, saint Pierre et saint Paul.
-Cloche 2 (traduction du latin) M’ont élevée Pierre Joseph Castella syndic de Gruyères, Henriette Moret de Vuadens, Folly curé-doyen. St Théodule patron de l’église j’appelle les gens, venez adorer le Seigneur. La cloche arbore les effigies du saint Crucifix et de la vierge Marie.
-Cloche 3 (traduction du latin) M’ont élevée Michel Gleyvoz d’Enney, Julie Murith, Folly curé-doyen. Saint Jean-Baptiste mon patron et celui de la place forte de Gruyères, je pleure les défunts. Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. De tordus ils seront redressés et de chaotiques ils seront aplanis. La cloche arbore les effigies du saint Crucifix et de la vierge Marie.
-Cloche 4 (traduction du latin) M’ont élevée François Morand, Marcel Murith maître tanneur de Gruyères, Catherine fille de François Morand du Clochatrossin, Folly doyen de la paroisse. Ste Catherine patronne du diocèse et la mienne, je fais fuir la peste. Fuyez les partis adverses. Le lion sorti de Judas est le vainqueur.
-Cloche 5 (traduction du latin) M’ont élevée Joseph Gremion d’Enney, Léonie Murith de Gruyères, Folly curé-doyen, St Nicolas, patron du canton et mon patron, j’embellis les fêtes. Que chacun vienne à la fête ! La cloche arbore les effigies du saint Crucifix et – semblerait-il – de la vierge Marie.
-Cloche 6 Elle arbore simplement les effigies du saint Crucifix et de sainte Marie-Madeleine.
-Cloche 7 1254-2004. Saint Maximilien Kolbe. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Je fus baptisée le 7 novembre de l’an de grâce 2004 sous le pontificat de Sa Sainteté Jean-Paul II par Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse, et l’abbé Pascal Burri, curé. On trouve aussi une effigie représentant une rose (motif de 1660).
-Cloche 8 1254-2004. Bienheureuse mère Thérésa de Calcutta. Ubi caritas et amor Deus ibi est (traduction : Dieu est où la charité et l’amour se trouvent). Je fus baptisée le 7 novembre de l’an de grâce 2004 sous le pontificat de Sa Sainteté Jean-Paul II par Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse, et l’abbé Pascal Burri, curé. On trouve aussi une effigie représentant un moule à beurre (motif du début du XIXe siècle).

Les N inversés sur les cloches, ou le romantisme du XIXe siècle
Selon Felix Tuscher, latiniste et collaborateur au Musée du Fer et du chemin de fer de Vallorbe, la lettre N inversée apparaît déjà dans certaines inscriptions latines de l’Antiquité. A l’époque, il s’agissait sans doute d’erreurs de calligraphie. On retrouve également le caractère И dans l’alphabet cyrillique. Il provient de la lettre grecque êta qui se prononce i en grec médiéval. L’usage du N inversé au XIXe siècle peut s’expliquer par le goût de l’exotisme et du mystère, fort répandu à l’époque. Certains vont même jusqu’à prétendre aujourd’hui que le N inversé signifie amour…

Quasimodo remercie chaleureusement
La paroisse de Gruyères, son président Christian Bussard, son curé Claude Deschenaux, son carillonneur André Pauchard
L’entreprise Mecatal campaniste, Jean-Paul Schorderet et Christelle Ruffieux
-Matthias Walter, expert-campanologue à Berne
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, Allan Picelli sacristain à Maîche, Dominique Fatton responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Sources (autres que mentionnées)
Le patrimoine campanaire fribourgeois, divers auteurs, éditions Pro Fribourg, 2012
https://www.gruyeres.ch/histoire/3793
https://www.gruyeres.ch/_docn/183197/Restauration_glise.pdf
https://www.gruyeres.ch/_docn/2417894/Journal-IntcheNo_1-2020.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gruy%C3%A8res_(Fribourg)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Comt%C3%A9_de_Gruy%C3%A8re
http://swissisland.ch/2019/07/02/n-inverse-%d0%b8-sur-des-cloches-de-vaches-ou-quand-le-romantisme-du-19e-siecle-transforme-la-haine-en-amour/

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Les Livremont, une famille de fondeurs

Petite cloche de Vers-l’Eglise (CH-VD) signée I C Livremont (Jean-Claude) en 1760

Les Livremont (variantes : Lievremont, Livremond) sont une famille originaire de Franche-Comté recensant dans ses rangs un grand nombre de fondeurs. Tous ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire aux XVIIe et XVIIIe siècles, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté. Le degré de parenté exact entre les différents membres de cette dynastie qui portent parfois le même prénom n’est pas toujours clair.

Pascal Krafft, expert campanologue à Ferrette (F-68) a attiré mon attention sur les travaux de Louis Boiteux. Dans son étude réalisée vers 1920 au sujet des cloches historiques du Doubs, le chanoine Boiteux mentionne au XVIIe siècle Guillaume fondeur à Pontarlier et son frère Jean-Baptiste actif à Dole. Ce même Jean-Baptiste est également cité par A. Cahorn (Les cloches du canton de Genève, 1925) dans des travaux de réparation à l’une des cloches de la cathédrale Saint-Pierre de Genève en 1668. La Revue Savoisienne de 1896 nous apprend que Guillaume et Antoine originaires de Pontarlier et qualifiés de bourgeois d’Evian ont coulé en 1687 deux cloches pour Evian et une pour l’ancienne paroisse voisine de La Thouvière. La grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 porte la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon, comme le fait remarquer sur son site internet Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice.

Les frères Livremont semblent avoir ensuite repris la direction de la Franche-Comté non sans avoir fait halte dans le Nord-Vaudois, comme l’indique la griffe apposée sur le bourdon d’Orbe (CH-VD) GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688. Au XVIIIe siècle, Antoine le jeune – le plus prolifique de la famille – a coulé un grand nombre de cloches pour les cantons de Fribourg et de Neuchâtel (comme ici à Treyvaux). Il semble avoir eu au moins deux fils, eux aussi fondeurs. Le patrimoine campanaire fribourgeois mentionne les prénoms de Jean et surtout de Claude pour des cloches à Onnens (1786) et aux Sciernes d’Albeuve (1780). Le musée neuchâtelois évoque un certain Joseph pour deux cloches à Buttes en 1772.

Claude et Joseph pourraient n’avoir été qu’une seule et même personne : Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, signale que la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel coulée en 1786 est signée C I LIVREMON. Les archives de la commune d’Amagney (F-25) nous apprennent qu’il a été passé commande en 1775 d’une cloche à un fondeur du nom de Claude-Joseph Lièvremont. Toujours au XVIIIe siècle, les prénoms de Jean-François puis de Jean-Claude apparaissent dans certains clochers de la région du Léman. Une cloche à Saint-Jean-d’Aulps (F-74) datée de 1747 porte la signature de ces deux frères, tout en mentionnant leur bourgeoisie de Pontarlier. Selon la Revue Savoisienne de 1896, Jean-François natif de Pontarlier fut appelé pour remplacer les cloches de Pers (F-74) en 1754. Il serait décédé à Annecy le 27 mai 1764 à l’âge de 52 ans laissant plusieurs enfants dont aucun ne paraît avoir exercé l’industrie paternelle. Sur la petite cloche de Vers-l’Eglise (CH-VD) coulée en 1760, Jean-Claude – vraisemblablement le plus jeune de la fratrie – apparaît seul et Thonon remplace alors Pontarlier comme lieu de résidence du fondeur.

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Cloches – Vers-l’Eglise (CH-VD) temple et ancienne église Saint-Théodule

Rencontre de fondeurs bernois et franc-comtois dans les Préalpes vaudoises

-Cloche no1, note MI3 – 51/100, diamètre 127 cm, coulée en 1564, attribuée à Franz Sermund de Berne.
-Cloche no2, note SOL3 – 52/100, diamètre 108 cm, coulée en 1736 par Abraham Gerber de Berne.
-Cloche no3, note DO4 – 3/100, diamètre 76 cm, coulée en 1760 par Jean-Claude Livremont de Pontarlier.

Un emplacement choisi avec soin – Il y a un peu moins de trois ans, je vous invitais à une première escapade dans la vallée des Ormonts à l’occasion d’une présentation du temple de Cergnat. Vous y découvriez avec émerveillement un ensemble historique de trois cloches gothiques dans leur fier clocher à la flèche de pierre. Vous vous extasiiez aussi devant le paysage des Préalpes vaudoises, ces montagnes à la fois imposantes et rassurantes, au pied desquelles des villages bucoliques semblent chercher protection. C’est justement dans un but protecteur que le temple de Vers-l’Eglise a été édifié à cet endroit précis. La légende raconte en effet qu’avant la mauvaise saison, de sages paysans auraient planté en terre trois piquets. Deux dans des endroits exposés aux soleil, le troisième dans ce coin plutôt ombragé. Seul le dernier de ces trois piquets ayant résisté à l’hiver, il fut choisi de construire l’église là où elle serait épargnée des avalanches et des éboulements. La première mention d’un lieu de culte à Vers-l’Eglise remonte à 1396. Il ne s’agit toutefois que d’une chapelle, et les habitants du lieu sont contraints de se rendre à l’église-mère de Cergnat, distante d’une dizaine de kilomètres. Vers 1480, quelques paroissiens de Vers-l’Eglise mettent en avant les difficultés pour eux de se déplacer, surtout à la mauvaise saison, dans cette région accidentée. Ils demandent à disposer de leur propre église paroissiale et à pouvoir enterrer leurs morts dans leur cimetière. Ces exigences seront partiellement remplies en 1482 moyennant finance. Mais ce n’est qu’en 1536, avec l’arrivée de de la Réforme au Pays de Vaud, que le village de Vers-l’Eglise se voit enfin érigé en paroisse.

Le temple de Vers-l’Eglise semble avoir été construit en 1456, donc 80 ans avant la Réforme. Ce qui était encore un lieu de culte catholique a été béni par l’évêque de Sion Henri Asperlin. De la fin du Moyen-Age nous sont parvenus le chœur avec sa voûte à cinq nervures et son abside à trois pans, la nef unique et le massif clocher-porche. Parmi les travaux qui ont peu à peu donné à l’édifice l’aspect que nous lui connaissons, citons les trois galeries ouest, sud et nord construites respectivement en 1581, 1709 et 1830 afin de gagner de la place. Le magnifique plafond en berceau lambrissé, la chaire, le banc du gouverneur et le tronc datent du XVIIIe siècle. Ces transformations font souvent  appel à des artisans étrangers au village et dont la renommée dépasse de loin les limites de la vallée des Ormonts. On peut citer les Guignard père et fils, menuisiers, dont les activités ont été recensées jusque dans la Vallée de Joux. Au milieu du XIXe siècle, l’état de  délabrement avancé du temple nécessite d’urgents travaux de maçonnerie et de terrassement. La rénovation de 1960 permet de mettre au jour les fonts baptismaux qui avaient été enterrés, de même que deux fenêtres en arc brisé dans le chœur qui avaient été murées. 2015 voit la pose par un artisan de la région de nouveaux tavillons  dont le bois provient entièrement de la vallée des Ormonts.

Une cloche attribuée à l’un des meilleurs fondeurs de sa génération – C’est une sonnerie historique de grande valeur qui se cache derrière les baies gothiques du massif clocher-porche. La grande cloche, datée de 1564, porte porte l’inscription suivante : Peuple, venez écouter la parole du Seigneur, entendez grâce à vos oreilles la loi de votre Dieu. Il s’agit là de la traduction française d’une inscription latine figurant sur le col de la cloche. Cela peut paraître curieux pour une cloche réformée, mais il faut savoir que l’usage de la langue latine a perduré durant de longues années pour les inscriptions religieuses (exemple sur le bourdon de Vevey daté de 1603) et pour des textes officiels. La cloche arbore des visages grimaçants sur ses anses et des empreintes de feuilles de sauge sur sa robe, ornements qui seront ensuite repris sur de nombreuses cloches baroques. La qualité visuelle et sonore de cette cloche de la Renaissance, sa technique de fonte novatrice pour l’époque, tout ceci indique que nous avons affaire à un fondeur en pleine possession de son art. Matthias Walter, expert campanologue à Berne, attribue cette beauté de bronze à Franz Sermund, ce fondeur originaire de Bormio (I) reçu bourgeois de Berne en 1567. Pour rappel, Sermund, en tant que fondeur officiel de Leurs Excellences de Berne, a coulé des cloches remarquables dans tout le canton de Vaud, dont le magnifique bourdon de la cathédrale de Lausanne (1583) l’une de ses plus importantes réalisations.

La cloche no2 est intéressante par ses enseignements historiques. Elle symbolise pour commencer l’écrasant pouvoir de Berne sur le Pays de Vaud : la signature d’un artisan bernois, mais aussi et surtout le grand écusson représentant l’ours bernois. Les armoiries communales apparaissent toutes petites sur la face opposée de la cloche ! On remarque également la place prépondérante du pouvoir civil dans les inscriptions et les motifs apparaissant sur les cloches réformées de cette époque. Cette tendance connaîtra son apogée au XIXe siècle sous le gouvernement radical vaudois avant de décroitre. Sur la cloche de Vers l’Eglise, on découvre tout de même cette inscription à caractère religieux PAR MON SON MELODIEUX IAPPELLE DANS CE SAINT LIEU LES HUMAINS POUR LETERNEL SERVIR DUN VOEU SOLENNEL. L’inscription FONDEV A BERNE PAR ABRAM GERBER LE 26 MAI 1736 souligne les armoiries du fondeur représentant une cloche et un canon. Ce blason confirme que les successeurs de Franz Sermund et d’Abraham Zender – comme nombre de leurs contemporains – coulaient également des pièces d’artillerie. Pour être complet avec le descriptif de cette cloche délicatement ornée, il faut signaler encore les armoiries de la famille Wurstemberger représentée par Johann Rudolf commandant d’artillerie et directeur de la fonderie, et François seigneur gouverneur.

La cloche no3 est la seule à ne pas être l’œuvre d’un fondeur bernois. On peut lire sur son col les noms de quelques notables de la commune : le châtelain Jean Favre, l’ancien châtelain Moyse Nicollier, les syndics Jean Favre et Moyse Culand ainsi que l’égrège Jean Favre. On trouve encore ces quelques lignes en latin et en français VOX CLAMANTIS / IINDIQVE LE TEMS ET LE LIEV OV VOVS DEVEZ ADORER DIEV. Coulée en 1760, cette petite cloche porte la signature de JC Livremont fondeur de Thonon.

De nombreux fondeurs dans la famille – Cette présentation de la sonnerie de Vers-l’Eglise est une occasion rêvée de vous toucher quelques mots des Livremont (variantes : Lievremont, Livremond) cette famille originaire de Franche-Comté recensant dans ses rangs un grand nombre de fondeurs. Tous ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire aux XVIIe et XVIIIe siècles, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté. Le degré de parenté exact entre les différents membres de cette dynastie qui portent parfois le même prénom n’est pas toujours clair. Pascal Krafft, expert campanologue à Ferrette (F-68) a attiré mon attention sur les travaux de Louis Boiteux. Dans son étude réalisée vers 1920 au sujet des  cloches historiques du Doubs, le chanoine Boiteux mentionne au XVIIe siècle Guillaume fondeur à Pontarlier et son frère Jean-Baptiste actif à Dole. Ce même Jean-Baptiste est également cité par A. Cahorn (Les cloches du canton de Genève, 1925) dans des travaux de réparation à l’une des cloches de la cathédrale Saint-Pierre de Genève en 1668. La Revue Savoisienne de 1896 nous apprend que Guillaume et Antoine originaires de Pontarlier et qualifiés de bourgeois d’Evian ont coulé en 1687 deux cloches pour Evian et une pour l’ancienne paroisse voisine de La Thouvière. La grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 porte la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon. Les frères Livremont semblent avoir ensuite repris la direction de la Franche-Comté non sans avoir fait halte dans le Nord-Vaudois, comme l’indique la griffe apposée sur le bourdon d’Orbe (CH-VD) GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688. Au XVIIIe siècle, Antoine le jeune – fils, petit-fils ou neveu d’Antoine l’Ancien, la filiation n’est pas claire – a coulé un grand nombre de cloches pour les cantons de Fribourg et de Neuchâtel. Il semble avoir eu au moins deux fils, eux aussi fondeurs. Le patrimoine campanaire fribourgeois mentionne le prénom de Jean pour une cloche à Morteau et le prénom de Claude pour des cloches à Onnens (1786) et aux Sciernes d’Albeuve (1780). Le musée neuchâtelois évoque un certain Joseph pour deux cloches à Buttes en 1772. Claude et Joseph pourraient n’avoir été qu’une seule et même personne : Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, signale que la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel coulée en 1786 est signée C I LIVREMON. Les archives de la commune d’Amagney (F-25) nous apprennent qu’il a été passé commande en 1775 d’une cloche à un fondeur du nom de Claude-Joseph Lièvremont. Ce Claude-Joseph pourrait avoir été un frère ou un cousin d’Antoine le jeune. Toujours au XVIIIe siècle, les prénoms de Jean-François puis de Jean-Claude apparaissent dans certains clochers de la région du Léman. Une cloche à Saint-Jean-d’Aulps (F-74) datée de 1747 porte la signature de ces deux frères, tout en mentionnant leur bourgeoisie de Pontarlier. Selon la Revue Savoisienne de 1896, Jean-François natif de Pontarlier fut appelé pour remplacer les cloches de Pers (F-74) en 1754. Il serait décédé à Annecy le 27 mai 1764 à l’âge de 52 ans laissant plusieurs enfants dont aucun ne paraît avoir exercé l’industrie paternelle. Sur la petite cloche de Vers-l’Eglise coulée en 1760, Jean-Claude – vraisemblablement le plus jeune de la fratrie – apparaît seul et Thonon remplace alors Pontarlier comme lieu de résidence du fondeur.

Pas de beffroi – Sous la chambre des cloches du temple de Vers-l’Eglise se trouve une horloge mécanique datée de 1899 et signée Louis Crot à Granges VD. Cette horloge a été profondément modifiée : remplacement du mécanisme horaire par un moteur électrique relié à une horloge-mère, remontage électrique des poids. La sonnerie a été motorisée en 1966. De cette époque date certainement l’équipement actuel : battants piriformes, jougs en acier et rails métalliques scellés dans le mur en lieu et place d’un beffroi. Lors de l’enregistrement audio-vidéo de la sonnerie, mes camarades et moi-même avons remarqué que les vibrations induites par la volée des trois cloches se transmettaient aux murs pourtant épais du vénérable clocher gothique. Les trépieds de nos caméras placées sur le plancher et dans l’embrasure des baies sont entrés en résonance avec la sonnerie ! Je ne saurais trop recommander – sinon d’opter pour un vrai beffroi en bois – de placer au moins des plaques isolantes sous les paliers des cloches afin d’atténuer ces vibrations qui pourraient à long terme fragiliser la maçonnerie.

Sources (autres que mentionnées)
Ormont-Dessous, Ormont-Dessus, divers auteurs sous la direction d’Henri-Louis Guignard.
https://www.villars-diablerets.ch/fr/P5493/le-temple-de-vers-l-eglise
https://www.ormont-dessus.ch/
https://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/temple-versl-eglise-soffre-coup-jeune/story/18234871
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ormont-Dessus
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amagney
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vall%C3%A9e_des_Ormonts
https://cloches74.com/2014/07/08/saint-jean-daulps-eglise-saint-jean-baptiste-plan-davoz/

Quasimodo remercie chaleureusement
-La commune d’Ormont-Dessus, le musée des Ormonts et sa convervatrice Mary-Claude Busset,  la paroisse des Ormonts-Leysin et son pasteur Frédéric Keller.
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et Allan Picelli, sacristain à Maîche (F-25).

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Cloches – Le Pâquier (CH-FR) église Saint-Théodule

La première cloche normande coulée pour la Suisse

-Cloche 1, dédiée au Sacré-Coeur de Jésus, note fa#3 -32/100, coulée en 1910 par Jules Robert à Porrentruy.
-Cloche 2, dédiée à Marie-Immaculée, note la#3 +6/100, coulée en 1910 par Jules Robert à Porrentruy
-Cloche 3, dédiée à saint Joseph et saint Théodule , note do#4 -27/100, coulée en 1910 par Jules Robert à Porrentruy
-Cloche 4, dédiée à sainte Marguerite Bays, note ré#4 -27/100, coulée en 2018 par Cornille Havard à Villedieu-les-Poêles

[ancienne cloche 4 actuellement déposée, note fa4 +9/100, coulée en 1805 par Pierre Dreffet de Vevey]

Le diable peinant sous le fardeau de la cloche de Saint Théodule, détail de l’ancien retable du maître-autel de l’église de Gruyères, musée d’art et d’histoire de Fribourg. Extrait de « Le patrimoine campanaire fribourgeois »

La légende raconte que Saint Théodule a berné le diable pour que celui-ci accepte de transporter jusqu’à Valère une cloche offerte par le pape à Rome. C’est ainsi que le premier évêque de Sion est souvent représenté avec comme portefaix un diablotin croulant sous le poids d’une lourde cloche. Cette cloche aurait tant sonné en la basilique sédunoise qu’elle se serait fendue. Ses fragments furent alors conservés au même titre que des saintes reliques, puis distribués à la demande de certaines paroisses. Dans le canton de Fribourg, Sâles, Estavayer-le-Gibloux et Villarimboud ont coulé des sonneries avec des reliques de la fameuse cloche de Saint Théodule. Ironie du sort, aucune de ces  cloches ne nous sont parvenues. Le saint patron n’a pas non plus réussi à protéger l’église de Gruyères de la colère divine. Le clocher fut foudroyé à trois reprises entre 1679 et 1750. Il s’embrasa même complètement en 1856, victime des mortiers de la Fête-Dieu. Ce dernier sinistre causa la destruction de la sonnerie de Gruyères. L’église du Pâquier est elle aussi dédiée à Saint Théodule. D’abord chapelle de la Sainte-Trinité, l’édifice bâti au début du XVIIe siècle est reconstruit en 1843. Il devient église paroissiale en 1919.  Les archives font mention d’une ancienne cloche bénie en 1613 et prénommée Etiennette, du nom de sa marraine Etiennette Dupaquier. Cette cloche ne nous est pas parvenue. L’église subit des transformations tout au long du XXe siècle : adjonction en 1954 d’un escalier pour accéder à la tribune et d’un baptistère devenu chapelle de la Vierge ; pose de deux séries de vitraux de Yoki Aebischer en 1955 et 1975. L’orgue Kuhn de 1917 est remplacé en 1972 par la manufacture Armani Mingot. Mgr Genoud consacre le nouveau mobilier liturgique le 16 août 2009, jour de la fête patronale.

La première cloche normande pour la Suisse – La petite cloche du Pâquier est sortie de la fonderie Cornille Havard à l’automne 2018. Elle a été bénie le 16 mars 2019 par l’Abbé Claude Deschenaux, curé modérateur de l’Unité pastorale de Notre-Dame de l’Evi. S’en est suivie la montée festive par les enfants de la paroisse. Ces moments empreints d’émotion sont à retrouver dans la présentation audio-vidéo en tête d’article. Si la cloche arbore un Christ en croix avec l’inscription PAROISSE LE PAQUIER MMXVIII, elle a été consacrée lors de sa bénédiction à sainte Marguerite Bays, quelque mois avant la canonisation  de la couturière fribourgeoise. Il s’agit de la première cloche de Villedieu-les-Poêles à rejoindre la Suisse. Deux autres cloches de la fonderie normande vont prochainement arriver au pays, elles feront l’objet de publications ici-même ainsi que sur les réseaux sociaux. La commande de cette nouvelle cloche a été décidée par une partie du Conseil de paroisse du Pâquier dans le but d’obtenir une sonnerie plus conforme aux règles harmoniques. Mais si on tend l’oreille, on se rend compte que la cloche no2 est clairement trop haute, ce que confirme une analyse sonore. Le Salve Regina recherché (fa#3 la#3 do#4 ré#4) a donc tendance à lorgner vers le Westminster. Je ne saurais trop recommander à la paroisse de remettre en service la petite cloche historique en fa4, actuellement déposée. Non, cette cloche n’est pas fêlée, contrairement à ce qui a été avancé… non cette cloche n’est pas laide non plus. Coulée par Pierre Dreffet de Vevey en 1805, elle possède tout simplement les caractéristiques sonores de son époque : une octave inférieure basse et une prime haute comme nombre de cloches d’influence baroque française présentes dans la région. Mention aux Biens culturels fribourgeois qui ont exigé que cette pièce historique demeure dans le clocher. Mention aussi à l’entreprise Mecatal qui a eu la clairvoyance de doter la nouvelle cloche d’un joug décentré, ce qui offre la possibilité de rapatrier par la suite la cloche historique dans la même travée. Munie d’un bon battant – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent – cette petite cloche saura ajouter encore un peu plus de caractère à cette sonnerie déjà très particulière. Démonstration avec cette simulation de plénum à cinq cloches.

 

Ci-dessous quelques photos de la sonnerie du Pâquier telle qu’elle se présentait avec la cloche de 1805.

Dans la galerie ci-dessous , vous trouverez des clichés de la nouvelle cloche fraîchement démoulée, puis à l’atelier Mecatal, et enfin à l’église du Pâquier pour sa bénédiction.

Toujours en ligne, la présentation audio-vidéo de l’ancienne sonnerie

Quasimodo adresse ses remerciements les plus sincères à :
-Paul Ottoz, président de la paroisse du Pâquier
-Lucien Pharisa, ancien organiste, carillonneur et secrétaire
-Jean-Paul Schorderet, campaniste, directeur de Mecatal
Fonderie Cornille Havard
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice
Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Sources :
Le patrimoine campanaire fribourgeois, éditions Pro Fribourg, 2012
Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg volume 7, Père Apollinaire Deillon, 1893

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Cloches – Crésuz (CH-FR) église Saint-François d’Assise

Le fondeur signait IAM

-Cloche 1 « Marguerite », note do4 +9/100, diamètre 75 cm, poids environ 250 kg, coulée en 1749, signée IAM GM.
-Cloche 2 « Françoise », note mi4 +19/100, diamètre 62 cm, poids environ 140 kg, coulée en 1668 par Jean Richenet de Vevey.

Entre lac et montagnes – L’étymologie du nom Crésuz est latine, de Cressa, Crista, élévation ou colline, ce qui cadre parfaitement avec la topographie de ce pittoresque village de montagne. Dans son Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg (volume 4, 1885) la prose du père Deillon revêt des accents de poésie : Crésuz est situé sur un monticule et dans une situation charmante : à l’est on aperçoit le beau village de Charmey, mollement assis dans une plaine, aux pieds des montagnes élevées qui l’enserrent presque de tous les côtés. Le regard plonge dans les vallées de Bellegarde et de Motélon. Au midi s’élève la masse imposante du Moléson et la verte vallée de la Gruyère. L’œil est sans cesse ébloui par le beau spectacle d’une riche nature, qui redit chaque jour la puissance, la bonté et la beauté du Créateur. Depuis 1921, Crésuz baigne dans le lac de Monstalvens. La retenue hydroélectrique qui forme ce réservoir est le premier barrage voûte européen à double courbure horizontale et verticale à avoir été édifié.

Une église incendiée après vingt ans – Les formalités pour se séparer de Broc et pour former la paroisse de Crésuz  sont accomplies de 1643 à 1645 par un enfant du village : Mgr François Beaufrère, prieur de Broc, qui offre aussi de financer la construction de l’église. Le contrat passé avec Jacques Ruffieux, maître charpentier à Fribourg, mentionne la nef, le clocher, le confessionnal, la chaire avec sa couverture, la sacristie avec sa garde-robe et les marchepieds des autels. C’est à Ruffieux qu’incombe également la démolition de la chapelle utilisée jusque là. Mgr Beaufrère décède en 1645, deux ans avant la consécration de ce nouveau lieu de culte. Il échappe ainsi au chagrin de voir « son » église ravagée par le terrible incendie de 1667. Un nouvel édifice est consacré trois ans plus tard par Mgr de Watteville. On le dote de trois magnifiques retables. Celui du chœur est consacré à saint François d’Assise, patron de la paroisse. Le retable de gauche est dédié à sainte Anne et à saint Pierre, celui de droite au Saint Nom de Jésus. Les débris de l’unique cloche sont réutilisés par le fondeur Jean Richenet. Une seconde cloche est coulée en 1749. L’église est agrandie à l’ouest en 1909.

Un fondeur qui signe IAM – Deux cloches seulement ornent le clocher et jettent leurs joyeuses mais faibles notes dans la vallée, écrit le père Deillon dans son descriptif de la sonnerie de Crésuz. C’est vrai que nous sommes à cent lieues des ensembles monumentaux qu’on rencontre habituellement dans le canton de Fribourg. Mais le contenu du clocheton ne manque pas d’intérêt. Si Pierre Dreffet et les trois générations Treboux ont coulé pour la région des dizaines de quintaux de bronze dans leur atelier de Vevey, la petite cloche de Crésuz est la seule officiellement recensée dans le canton à porter la signature de Jean Richenet, le premier fondeur mentionné dans la cité veveysanne. Deillon indique que la cloche a été réalisée en partie avec les débris de sa prédécesseure anéantie dans l’incendie de 1667. La grande cloche est encore plus spéciale… de par  son timbre, mais aussi et surtout en raison du mystérieux monogramme qui tient lieu de signature : IAM GM. GM pourrait signifier goss mich, traduction de l’allemand : m’a coulée. Ce type d’abréviation a été vu sur d’autres cloches de la région, comme la petite cloche de Marly (1741) attribuée à Joseph Klely : JK GM. Les Biens Culturels fribourgeois ont recensé la même signature sur trois autres cloches contemporaines à celle de Crésuz : deux se trouvent à la chapelle de Dürrenberg à Cormondes (1750 et 1757) la troisième est à l’église de Châtel-sur-Montsalvens (1746) village voisin de Crésuz. Pour Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, ces cloches présentent des similitudes avec la production de la dernière génération Klely. Il est à noter que Joseph Klely, le dernier fondeur de cloches issu de la famille fribourgeoise, est décédé en 1744. Nous pourrions donc avoir affaire à un disciple ou à un successeur anonyme. Ceci reste évidemment à confirmer…

Inscriptions de la grande cloche (dite « Marguerite »)
-Sur le col, le parrain et la marraine : MONSIEVR JOSEPH LE CAPITEINE NEOVILE MADAME MARGVERITE REPOND NE CHOLLET 1749
-Sur la faussure, la signature du fondeur : IAM GM.

Inscriptions de la petite cloche (dite « Françoise »)
-Sur le col : EXURGAT DEVS ET DISSIPENTVR INIMICI EJVS ET FVGIANT QUI ODERVNT EVM A FACIE INIMICI EJVS (Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dispersés ; et qu’ils fuient devant sa face, ceux qui le haïssent, Psaume 68:1)
-Sur la pince : FRANC BEAVFRERE SS. THEOLOG PROFESSOR PROTONOT APOST QVONDAM ECCLESIAE VILLAE S REMIGII DECANVS NVPER ALMAE DOMVS LOCI BROC PRIOR 1668. Cette inscription rend hommage à Mgr François Beaufrère en rappelant les différentes fonctions que ce bienfaiteur de la paroisse a exercées : professeur de théologie, protonotaire apostolique, doyen de l’église de Saint-Rémi et prieur de Broc.
-Sur la faussure, la signature du fondeur : HORS DU FEV JE SVIS SORTIE JEAN RICHENET DE VEVAY MA REFONDVE 1668. Cette inscription confirme les dires de Deillon dans son historique : la petite cloche est une refonte de sa prédécesseure.

A noter que les noms mentionnés dans la documentation de la paroisse ne figurent pas comme noms de baptême sur les cloches. On peut imaginer que la grande cloche a été surnommée « Marguerite » en raison du prénom de sa marraine. Pour ce qui est de la petite cloche, « Françoise » vient sans doute du prénom de son donateur, Mgr François Beaufrère. A moins qu’il ne fasse tout simplement allusion à saint François d’Assise, le patron de la paroisse.

Le clocher tremblait – Une importante rénovation a été menée fin 2018. Il s’agissait tout d’abord de remédier aux problèmes de statique dus au fait que le beffroi était solidaire du clocheton. Ce dernier oscillait si fort lors des volées qu’il suscitait l’inquiétude des paroissiens. Aujourd’hui, la structure qui soutient les cloches prend ses assises dans les combles et se trouve ainsi indépendante de la coquille. Les cloches ont également hérité d’un nouvel équipement : jougs, ferrures, paliers, battants et moteurs de volée. On peut constater dans la galerie ci-dessous les défauts des anciens battants.

Quasimodo remercie chaleureusement
Mecatal campaniste et son directeur Jean-Paul Schorderet.
La paroisse de Crésuz et son président Jean-Claude Papaux.
-Matthias Walter, expert-campanologue à Berne.
-Erika St Peters, historienne amateure à Pully.

Sources (autres que mentionnées)
https://www.cresuz.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9suz
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lac_de_Montsalvens
https://www.lagruyere.ch/2018/04/cr%C3%A9suz-va-retaper-son-clocher.html

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Cloches – Arconciel (CH-FR) église Saint-Jacques

Les huit cloches n’avaient plus sonné ensemble depuis deux générations !

Cloche 1 Myriam 1989 134 cm 1500 kg ré 3 Paccard
Cloche 2 Jacques 1804 115 cm 1050 kg mi 3 Pierre Dreffet
Cloche 3 Maurice 1804 104 cm 760 kg fa dièse 3 Pierre Dreffet
Cloche 4 Maria 1880 101 cm 650 kg sol 3 Charles Arnoux
Cloche 5 Antonia 1880 89 cm 460 kg la 3 Charles Arnoux
Cloche 6 Carolina 1880 81 cm 330 kg si bémol 3 Charles Arnoux
Cloche 7 Johanna 1880 67 cm 190 kg ré 4 Charles Arnoux
Cloche 8 (Agonie) 1455 ? 52 cm 80 kg sol 4 Hensli Follare ?
Anc. cl.1
Josepha 1880 135 cm 1500 kg ré 3 Charles Arnoux

Le clocher a failli s’écrouler – Rarement il m’est arrivé de bénéficier d’une documentation aussi complète pour rédiger une de mes présentations. Mention au professeur Francis Python, historien, ancien président de paroisse, auteur de cette page sur le site internet paroissial. C’est suffisamment rare dans nos contrées pour être signalé (ce sont plutôt les régions germaniques qui offrent une pléthore de détails sur leur patrimoine). On apprend pour commencer que la première mention du village d’Arconciel (Arkonhyi en patois) remonte à 1082, qu’un premier curé est attesté en 1148 et qu’une église paroissiale dédiée à saint Jacques figure dans la liste établie par le Canon d’Estavayer en 1228. Ce bâtiment est endommagé par la foudre en 1558, comme l’indique l’ex-voto en molasse fixé au mur extérieur Est de la nef. Une reconstruction est menée en 1567, selon un document trouvé dans la boule du sommet du clocher. Devenue trop petite et surtout vétuste, cette église et son clocher de bois sont remplacés – après moult tergiversations relatées par le curé Astheimer – par un nouveau sanctuaire flanqué d’un clocher latéral en dur. La consécration a lieu en 1789. Le bâtiment subit des transformations et des embellissements au fil des ans : réalisation du grand autel et des tabernacles latéraux entre 1864 et 1867 ; puis, de 1879 à 1881, allongement de la nef et construction du clocher. L’édification de ce dernier ne se fait pas sans peine. On choisit d’abord de réutiliser une partie des matériaux de l’ancienne tour. Mauvais choix : le nouveau clocher menace de s’écrouler. Intervention du curé-doyen Python qui modifie les plans initiaux d’Ambroise Villard, son homologue de Farvagny. C’est ainsi que fut réalisé le massif clocher-porche néoclassique que nous connaissons aujourd’hui. Les deux colonnes du fronton furent extraites de la carrière sous forme brute. Les archives relatent que le char tiré par une quinzaine de chevaux et de bœufs fut victime d’un accident. Jusque dans les années 1980, le clocher était surmonté d’une galerie aujourd’hui disparue.

Une cloche à la date mystérieuse – MCDIV (1404) telle est la date qu’on peut déchiffrer sans peine sur le col de la petite cloche. Or cette date semble précoce à plus d’un titre. Le profil et la la calligraphie tendent plutôt à nous indiquer que nous avons affaire à une cloche de la seconde moitié du XVIe siècle. Le « I » a-t-il remplacé par erreur un « L » ? Il est vrai que 1455 paraît déjà plus réaliste. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, souligne que la petite cloche d’Arconciel présente de grandes similitudes avec la grande cloche de la basilique Notre-Dame de Fribourg, coulée par Hensli Follare en 1456. On remarque aussi une ressemblance avec la petite cloche de Belfaux, non datée, mais dont on dit qu’elle a été coulée en 1483. Matthias Walter s’est également efforcé de déchiffrer le reste des inscriptions de la petite cloche d’Arconciel : IHS AUTEM TRANCIENS PER MEDIU ILLORUM IBAT … [fugit?] (mais Jésus, passant au milieu d’eux, s’en alla). Cette inscription se réfère au cri de bataille des troupes chrétiennes de Philippe Ier lors de leur victoire sur les Sarrasins. On trouve la même phrase sur quelques autres cloches de la région : le petit bourdon de la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg et la petite cloche de Plasselb, toutes deux œuvres des fondeurs Pierre de Montureux et Robert de Besançon en 1505.

Quatre cloches trop longtemps immobiles – Si mes visites dans les clochers fribourgeois m’ont habitué à trouver des ensembles plutôt bien fournis (en général 4 ou 5 cloches) le nombre de huit cloches est hors du commun pour un village comme Arconciel. Hormis la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg, il n’y a que Bulle, Gruyères et Romont qui disposent de sonneries plus étoffées. On peut donc imaginer que les paroissiens d’Arconciel disposaient de moyens financiers conséquents et – surtout – qu’ils étaient animés d’une grande ferveur. Ce ne sont pas moins de 2’400 francs de l’époque qui furent récoltés en 1880 ! Mgr Cosandey procéda à la bénédiction de la sonnerie le 18 octobre 1881. Une plongée dans les archives du journal La Liberté du 31 octobre 1880 nous apprend que le travail du fondeur Charles Arnoux fut grandement apprécié par l’abbé Gauthier, chapelain à Belfaux, mandaté par la paroisse d’Arconciel pour son avis d’expert (voir galerie ci-dessous). Mais n’en déplaise à notre brave abbé, si les huit cloches sont toutes d’excellente qualité, on se doit de relever la justesse toute relative de l’ensemble. On est très loin de l’harmonie des sonneries diatoniques réalisés à la même époque par Gulliet pour Riaz et pour Saint-Martin en 1862, et par Paccard pour Bulle en 1905. Il n’empêche que la sonnerie d’Arconciel ne manque pas de charme avec son côté rugueux. Il est même profondément regrettable qu’une fêlure ait conduit au remplacement par Paccard (qui a certes coulé une pièce d’excellente facture) de la grande cloche Arnoux, heureusement conservée et exposée. Quand il a été question de motoriser la sonnerie il y a quelques décennies, la décision fut prise de n’utiliser plus que quatre cloches à la volée (1-3-5-7) sans doute par souci d’économie, mais peut-être aussi pour des raisons d’harmonie. Les cloches 2-4-6-8 sont donc restées longtemps immobiles, se contentant de tinter les jours de fêtes par le biais de ritournelles programmées. Le clocher contient encore l’ancienne horloge monumentale (désaffectée) signée Prêtre à Rosureux, vraisemblablement livrée en 1880. Les cloches tintaient jadis tous les quarts d’heures, mais suite aux exigences d’un certain voisinage, seules les heures et la demie sont aujourd’hui sonnées de 7h à 19h.

Une restauration soucieuse de l’Histoire – Les abonnés à ma page Facebook et à mon profil Instagram ont eu l’occasion de suivre étape par étape les longs travaux de restauration de la sonnerie d’Arconciel par l’entreprise Mecatal campaniste. Vous pouvez en retrouver certaines dans l’album ci-dessous. Ces travaux se sont déroulés sous la supervision du Service des Biens Culturels du canton de Fribourg. Certaines des cloches avaient conservé leurs jougs d’origine qui ont été restaurés. Ont surtout été remis superbement en valeur les belles têtes de jougs néo-baroques des cloches nos 2 et 3. D’autres cloches avaient hérité lors de leur motorisation de montures en acier qui ont été remplacées par du chêne. La grande cloche de 1989, qui n’a jamais connu de suspension autre que le métal, se balance maintenant elle aussi sous un joug de chêne. Les battants installés il y a une cinquantaine d’années ont été remplacés, mais par souci de conservation, les Biens Culturels ont exigé que les cloches de 1880 disposant encore de leurs battants d’origine les conservent. Le beffroi, en mauvais état, a été consolidé. Pour des raisons de statique, certaines des cloches ont vu leurs emplacements permutés. La motorisation de la volée, les électro-tinteurs, les paliers, la centrale de commande et l’automate de gestion des sonneries sont neufs. La remise en service des cloches le 8 septembre 2019 a coïncidé avec celle du four à pain historique et fut l’occasion de belles festivités (messe, apéritif, banquet, conférence de presse, visites commentées).

Ils ont donné de leurs deniers – Cette présentation ne serait pas complète sans la mention des parrains et marraines des cloches. Après tout, c’est grâce à eux si cette impressionnante sonnerie a pu se constituer au fil des ans ! Peut-être que certains paroissiens d’Arconciel identifieront, non sans une certaine émotion, le nom d’un ancêtre ou d’une aïeule.
-Cloche 1 (1989) l’ensemble des paroissiens d’Arconciel
-Cloche 2 (1804) Jacques Dousse et Anne Python née Biolley (d’Avaux)
-Cloche 3 (1804) Jean et Barbe Kolly
-Cloche 4 (1880) Jacques Dousse et Anne Biolley-Kolly
-Cloche 5 (1880) Antoine Dousse et Anne Python (de la Dey)
-Cloche 6 (1880) Pierre Dousse et Caroline Python-Clerc, épouse du Dr Python
-Cloche 7 (1880) Jean et Anne Python (d’Avaux)
-Ancienne cloche 1 (1880) déposée : Joseph Bulliard et Marie Python-Kolly

Qu’est-ce qui sonne à quel moment ?  La remise en service des huit cloches a été l’occasion d’un travail de réflexion sur quelles cloches sonner à quelles occasions. L’élaboration d’une nouvelle ordonnance de sonnerie a été confiée à Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, qui s’est déjà maintes fois illustré dans ce domaine en concoctant – par exemple – l’ordonnance de la cathédrale de Verdun (16 cloches). Voici quelques extraits du programme d’Arconciel
-Messe dominicale, premier appel (30 minutes avant) : cloche 2, (2 minutes)
-Messe dominicale, second appel : cloches 7-5-4-2, (5 minutes)
-Messe solennelle, premier appel : cloche 1 (2 minutes)
-Messe solennelle, second appel : 7-6-5-3-2-1 (5 minutes)
-Messe en semaine : 6-4 (2 minutes)
-Baptême : 7-6 (3 minutes)
-Mariage : 7-5-3 (3 minutes)
-Agonie (annonce décès) : cloche 8 (1 minute) puis 1-4-7-8 pour un homme, 8-7-4-1 pour une femme (3 minutes)
-Glas entrée : 1-4-7-8 (5 minutes)
-Glas sortie : 1-2 (5 minutes)
-Angélus 7h-12h-19h : cloche 7 (1 minute)
-Grandes occasions (Fête Nationale 1er août 20h, Nouvel-An 0h…) 8-7-6-5-4-3-2-1
Toutes les séquences sont programmées pour êtres appelées au moyen d’un automate ECAT Punto SP1.VENTI installé par la maison Ecoffey. Des commandes manuelles sont également disponibles.

Quasimodo remercie chaleureusement
-La paroisse d’Arconciel, et tout spécialement sa présidente Evelyne Charrière-Corthésy et son responsable des bâtiments Dominique Currat.
-Francis Python, historien, ancien président de paroisse.
-Mecatal campaniste à Broc : Jean-Paul Schorderet, Olivier Chammartin, François Rime, Christelle Ruffieux.
-Ecoffey campaniste à Broc : Daniel et Chantal Ecoffey.
-Matthias Walter, expert-campanologue à Berne.
Antoine Cordoba, carillonneur à Saint-Maurice.
-Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que déjà mentionnées)
-Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg volume 1, Père Apollinaire Deillon, Imprimeur du Chroniqueur Suisse, 1884
https://www.arconciel.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arconciel
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-2935-11-6-1/

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Cloches – Vevey (CH-VD) église réformée Saint-Martin

Un clocher semblable à un donjon et son bourdon de 1603

-Cloche 1, note si bémol 2 -3/100, coulé en 1603 par Abraham Zender de Berne.
-Cloche 2, note ré bémol 3 +31/100, coulée en 1887 par Hermann Ruetschi d’Aarau.
-Cloche 3, note fa 3 -24/100, coulée en 1888 par Hermann Ruetschi d’Aarau.
-Cloche 4, note si bémol 3 +58/100, coulée en 1888 par Hermann Ruetschi d’Aarau.
(la 3 = 435 Hz)

Du roman au gothique – Edifiée sur les fondations d’un édifice roman du XIe siècle flanqué de deux absidioles, l’église Saint-Martin est une œuvre majeure de l’architecture gothique tardive en Pays de Vaud. Elle est attribuée au culte réformé depuis 1536. Des fouilles archéologiques ont mis au jour des tombes du VIIe siècle, voire même antérieures. Le chœur de style gothique rayonnant est la partie la plus ancienne de l’édifice qui nous soit parvenue. La nef à trois vaisseaux et chapelles latérales a été reconstruite de 1522-1533 par le maçon architecte François de Curtine. Elle est considérée comme l’une des œuvres majeures du gothique flamboyant dans la région. Le porche néogothique sud et la sacristie nord, tous deux de style néogothique, ont été ajoutés en 1896-1897. Parmi le riche mobilier, on peut citer la chaire monumentale datée de 1787, œuvre de l’ébéniste David Schade d’après un projet de l’artiste peintre Michel-Vincent Brandouin ; les remarquables vitraux art nouveau dessinées par Ernest Biéler et réalisées en 1900 par le peintre verrier Edouard Hosch ; le magnifique buffet d’orgue Samson Scherrer et son instrument reconstruit par Kuhn en 1954.

Le clocher de l’église Saint-Martin domine la ville de Vevey et le lac Léman de sa fière silhouette aux quatre clochetons d’angle. Semblable à un donjon médiéval, il fut élevé en deux étapes entre 1497 et 1511 par les maîtres maçons Jean Vaulet-Dunoyer et Antoine Dupuis. On retrouve ce style d’architecture paramilitaire dans d’autres clochers vaudois tels que Cossonay ou Saint-François de Lausanne. La flèche édifiée au XVIe ayant été emportée par le vent, il fut décidé de ne pas la reconstruire.

Une sonnerie profondément métamorphosée vers 1880 – Une seule cloche véritablement historique est encore présente dans le clocher de l’église Saint-Martin : le bourdon en si bémol coulé en 1603 par Abraham Zender. Le fondeur bernois est avant tout réputé pour le bourdon de la cathédrale-collégiale de Berne, la plus grosse cloche de Suisse, d’un poids de près de 10 tonnes. Une plongée dans les archives de la ville de Vevey nous apprend que la plus petite cloche, décrite comme contemporaine du clocher, fêla le 14 juillet 1885. La refonte d’une cloche d’environ 350kg fut alors confiée au fondeur local Gustave Treboux. Les inscriptions étaient les suivantes : QUE TOUT CE QUI RESPIRE LOUE LE SEIGNEUR // JE SUIS LE CHANT DE LA SOUFFRANCE – DANS NOS REGRETS ET NOUS SOUVENIRS – JE SUIS LE CHANT DE L’ESPERANCE – POUR ESSUYER VOS YEUX EN PLEURS // REFONDUE PAR GUSTAVE TREBOUX 1886. Le 7 avril 1887, la cloche no2 (cloche de midi) coulée en 1602 par Pierre Guillet de Romont, fêla à son tour, après avoir été tournée d’un quart de tour par Treboux. Sa refonte fut confiée – non pas à Treboux – mais à Ruetschi d’Aarau, suite vraisemblablement à un devis plus avantageux. L’arrivée de cette cloche en ré bémol le 2 septembre 1887 remit en question l’harmonie de l’ensemble tout entier. C’est ainsi qu’il fut décidé de refaire à Aarau – sur une base de si bémol mineur – la cloche pourtant neuve de 1886 et d’ajouter une quatrième cloche en fa. Ces deux nouvelles cloches arrivèrent le 24 février 1888. A noter que la petite cloche a repris le joug en chêne Treboux de sa prédécesseure de 1886, et qu’elle ne possède pas d’anses en étoile, contrairement aux deux autres cloches argoviennes. Les trois plus grandes cloches sont accrochées à des jougs en fonte typiques de la Belle-Epoque chez Ruetschi.

Un vibrant hommage à une cloche disparue – Dans son ouvrage intitulé « Voix et souvenirs » paru en 1901, le pasteur et poète Alfred Cérésole rendait hommage à la vénérable cloche de midi (coulée en 1602, fêlée en 1887) en ces termes : Pauvre cloche fêlée ! Chère cloche de midi ! Nous aimions ta voix ! Que tu avais un beau son, quand, par un gai soleil, tu sonnais l’heure de la délivrance, l’heure du revoir au logis ! Comme tes sons planaient plus haut que nos horizons mesquins ! Comme ta voix libératrice était saluée avec joie par l’écolier dans sa classe, par l’ouvrier dans son atelier, par le commis dans son bureau ! Quel branle-bas joyeux tu savais mettre dans nos rues silencieuses ou aux portes de nos fabriques ! Et puis, avec quel bonheur tu savais unir ta voix de basse aux harmonieuses volées de tes compagnes, alors que tu saluais l’aube de nos dimanches ou que tu annonçais – beau clairon pacifique – la bonne fête et nos souvenirs sacrés ! Et maintenant, chère cloche au battant silencieux, ta carrière est finie. Bientôt de ton haut clocher, des mains robustes vont te faire descendre. Le marteau du fondeur va te mettre en pièces. Tu seras jetée dans la fournaise c’est vrai, mais pour en ressortir plus belle et plus sonore que jadis. Ne crains pas ! Si le Vendredi-Saint a entendu tes derniers accents, tu verras ton jour de Pâques. Replacée à-haut, tu nous parleras à ta manière de résurrection et de vie éternelle. En attendant, fidèle amie, respect à ta mémoire et merci pour tes services !

Inscriptions des quatre cloches
-Cloche 1 : SIT DOMINI UNIUS BENEDICTUM IN SECULA NOMEN VIVIACUM ET TURRIS PELIA VIVAT AMEN  // MANUS DOMINI MANET IN ETERNUM // 1603 ZVO GOTTES EHR HAT MICH GOSSEN ABRAHAM ZENDER VON BERN VNVERDROSSEN (béni sois-tu Seigneur aux siècles des siècles, que vive le nom de Vevey et de la Tour-de-Peilz, ainsi soit-il // La main de Dieu demeure pour toujours // l’infatigable Abraham Zender de Berne m’a coulée à la gloire de Dieu en 1603)
-Cloche 2 : LA CLOCHE QUE J’AI REMPLACEE AVAIT ETE FONDUE PAR PIERRE GUILLET DE ROMONT EN L’AN 1602 ET A ETE MISE HORS D’USAGE LE 7 AVRIL 1887 // AU SEIN DE L’ETHER BALANCEE TU DOIS HABITANTE DES CIEUX EN HAUT ELEVER LA PENSEE DES MORTELS AU COEUR OUBLIEUX.
-Cloche 3 : VOLEZ NOBLE ACCORD D’UNE SAINTE HARMONIE POUR PROCLAMER AU LOIN LA GLOIRE DU SEIGNEUR CELEBREZ HAUTEMENT SA BONTE INFINIE ET PORTEZ VERS LES CIEUX UN HYMNE A SON HONNEUR.
-Cloche 4 : HEUREUX LE PEUPLE DONT L’ETERNEL EST LE DIEU // QUE TOUS CEUX QUI RESPIRENT LOUENT LE SEIGNEUR // JE SUIS LE CHANT DE LA SOUFFRANCE DANS NOS REGRETS ET NOS DOULEURS JE SUIS LE CHANT DE L’ESPERANCE POUR ESSUYER VOS YEUX EN PLEURS (reprise – dans un ordre sensiblement différent – des inscriptions de la cloche de 1886)

Un moule à cloches – Une visite des soubassements de l’église Saint-Martin nous offre l’occasion d’apercevoir les fondations de l’ancienne église romane, mais aussi un moule à cloches, témoin du travail des saintiers de jadis

Sources (autres que mentionnées)
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_Saint-Martin_de_Vevey#cite_note-GAS-2
https://www.montreuxriviera.com/fr/P28188/eglise-reformee-de-saint-martin
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1952-11-6-1/

Quasimodo remercie
-La ville de Vevey : Marie Neumann, cheffe du service de la culture ; Marjolaine Guisan, archiviste ; Georges Cardis, préposé aux temples.
-Mes amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et Allan Picelli, sacristain à Maîche. Merci pour votre aide indispendable et les savoureux échanges !

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