Cloches – Courtavon (F-68) église Saint-Jacques et Saint-Christophe

Les Allemands emportent trois cloches et n’en restituent qu’une seule

-Cloche 1, dédiée à saint Jean et saint Pierre, note do3, diamètre 145 cm, poids environ 1’850 kg, coulée en 1878 par Jannel et Cie à Martinvelle.
-Cloche 2, dédiée à saint Jacques-le-Majeur et à saint Christophe, note fa3, diamètre 109 cm, poids environ 750 kg, coulée en 1878 par Jannel et Cie à Martinvelle.
-Cloche 3, note sol3, diamètre 104 cm, coulée en 1925 par Causard à Colmar.
-Cloche 4, note la3, diamètre 92 cm, coulée en 1925 par Causard à Colmar.


Bienvenue en Alsace !

Les plus belles découvertes sont souvent dues au hasard – C’est à la faveur d’une balade improvisée dans le Jura suisse que je me suis retrouvé par hasard en territoire alsacien… sans même m’en rendre compte, tant la frontière qui traverse la splendide forêt domaniale de Montingaut est discrète. Mon arrivée dans le charmant village de Courtavon coïncidait avec la célébration d’un mariage. C’est comme si les quatre cloches de l’église Saint-Jacques et Saint-Christophe s’étaient mises en branle pour me souhaiter la bienvenue ! Impressionné par la taille de la sonnerie pour un clocher d’apparence si fluette, je me suis promis que j’y monterais un jour après avoir obtenu les autorisations du Conseil de Fabrique et de l’expert campanaire du diocèse. Remerciées soient ces bienveillantes personnes pour leur soutien !

Courtavon vu d’en haut (crédit photo www.mairie-courtavon.fr)

Orage ô désespoir – Courtavon est situé sur un des chemins empruntés par les pèlerins pour sa rendre à Saint Jacques de Compostelle sous la protection de saint Christophe, patron des voyageurs. Il était donc tout naturel que l’église paroissiale soit dédiée à ces deux saints. Un premier sanctuaire est mentionné en 1302. L’élégant édifice néogothique actuel, bâti de 1864 à 1865 sur des plans de l’architecte Aristide Poisat, remplace une église reconstruite en 1648 qui a subi bien des malheurs ! D’abord pillée à la Révolution, elle est ravagée le 17 août 1805 par un orage d’une rare violence. Le procès-verbal de l’époque mentionne la flèche arrachée, le coq emporté à cinquante pas, le manteau de la grande cloche brisé, les fenêtres de la nef emportées. Deux adolescents qui couraient vers l’église pour s’y abriter sont frappés par la foudre et tués net. Huit fidèles qui ont eu le temps de pénétrer dans la nef sont blessées plus ou moins grièvement. De cette ancienne église, il ne reste aujourd’hui que le chœur. Il s’agit de l’actuelle chapelle du cimetière.

L’église actuelle Saint-Jacques et Saint-Christophe est consacrée le 17 décembre 1865. Elle renferme un mobilier néogothique très soigné. Mention à l’orgue Wetzel, installé en 1867, dont le buffet est dessiné par l’architecte lui-même. Cet instrument subit de profondes modifications en 1933. Schwenkedel supprime le positif de dos, augmente le nombre de jeux de 24 à 28, construit une boîte expressive et remplace la transmission mécanique par une transmission pneumatique. De menues réparations sont ensuite menées en 1955 et en 1970.


Cloches : de Paris à Francfort

Des cloches à l’Exposition universelle de Paris 1878 – En plus d’être faciles d’accès, les deux plus grandes cloches de Courtavon sont particulièrement bavardes au sujet de leur histoire. En parcourant leurs nombreuses inscriptions latines (sur cinq lignes) on apprend que :
– Quatre cloches sont coulées par les frères Jannel le 22 avril 1878. Elles sont exhibées la même année à l’Exposition universelle de Paris avant d’être bénites à Courtavon en juin 1879. Martin Beck est alors le recteur de la paroisse, Mgr André Raess est évêque du diocèse sous le pontificat du Pape Léon XIII.
– La grande cloche est dédiée à saint Jean et saint Pierre. Son parrain est François Schoueller, sa marraine est Rosalie Humbert.
– La cloche no 2 est dédiée à saint Jacques-le-Majeur et à saint Christophe. Son parrain est Justin Humbert, sa marraine est Ursule Bonnefoy.

Rescapées de la Révolution – Les inscriptions de la cloche no 2 mentionnent encore la réutilisation du bronze d’une ancienne cloche de 1753 qui avait miraculeusement survécu à la Révolution. Jusqu’en 1793, le clocher renferme quatre cloches. Les deux cloches moyennes sont confisquées par les Révolutionnaires, les deux autres restent en place. La petite cloche – cloche du Rosaire – était dédiée à Marie. La grande cloche avait pour parrain Etienne de Vignacourt, seigneur de Courtavon, et pour marraine la comtesse de Loewenbourg.

Confisquées par l’occupant – En 1917, trois des quatre cloches sont réquisitionnées par les Allemands, la cloche no 2 est la seule à rester en place. On peut lire dans La Tribune de Genève du 26 avril 1917 : Les Allemands dépouillent le pays de tout ce qui a quoique valeur. Les forêts tombent sous la hache et même le jour de Pâques l’abatage et le charroi ne furent pas interrompus. Les cloches de toute la contrée ont été descendues de leur beffroi. Une seule est restée par village et il est question de la saisir également. A Courtavon les gens pleuraient la disparition de leur belle sonnerie que leur enviaient tous leurs voisins. (…) Comme fiche de consolation les soldats expliquent que les cloches ne seront pas fondues mais qu’on les met à l’abri d’une avance possible de l’ennemi. La population n’est pas dupe de ce subterfuge : si on avait l’intention d’éviter aux cloches tout prétexte à dommage on ne les précipiterait pas du haut des clochers au risque de les briser. En 1919, la grande cloche revient seule de Francfort où elle avait été entreposée. Il faudra attendre 1925 et la coulée de deux nouvelles cloches pour que la sonnerie retrouve son éclat d’avant la Première Guerre.

Horloger alsacien ou lorrain ? Le clocher renferme une horloge monumentale désaffectée. Ce mouvement – non signé – peut aussi bien avoir été fabriqué par Ungerer de Strasbourg que par Gugumus de Nancy. Les frères Gugumus (Modeste-Ignace et Louis) ont d’abord travaillé chez Ungerer avant de fonder leur entreprise en 1860, en reprenant presque entièrement l’apparence des Ungerer. Nous sommes ici en présence d’une horloge à remontage toutes les 30 heures, modifiée ultérieurement pour remontage électrique. Le système de déclenchement de l’angélus signé Ungerer a été développé dans les années 1970. On trouve fréquemment ce dispositif sur les horloges électromécaniques fabriquées dans ces années par la manufacture strasbourgeoise.


Des fondeurs au destin particulier

Le fondeur de cloches fabriquait aussi des machines agricoles – Les deux plus grandes cloches de Courtavon sont signées Jannel à Martinvelle (F-88). Les frères Jannel avaient la particularité de ne pas être que fondeurs. La coulée de cloches, lancée en 1871 après un apprentissage auprès de la fonderie Perrin-Martin, n’était même qu’une petite partie des activités de la maison créée dans les années 1830. Jannel, c’est avant tout la fabrication de machines agricoles. La mention des cloches disparait d’ailleurs des papiers à en-tête au début du XXe siècle. A cette époque, l’entreprise est en plein essor et compte pas moins de 60 collaborateurs. En 1900, son écrémeuse centrifuge remporte la médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris. En 1920, le dernier descendant Jannel vend l’usine en difficulté à un ingénieur des Arts et métiers. La Manufacture française d’instruments d’agriculture Jannel Frères, l’une des plus importantes de France, aura contribué à faire entrer l’agriculture des Vosges dans l’ère moderne.

Près de 140 ans d’activité campanaire dans trois pays – Les deux plus petites cloches de Courtavon sont signées Causard, une importante dynastie de fondeurs dont les activités ont débuté durant la première moitié du XIXe siècle pour se poursuivre durant 139 ans sur plusieurs sites dans trois pays : Belgique, France et Luxembourg. Tout commence au pied du clocher de Tellin où Charles Causard coule sa première cloche en 1832. Très vite, le fondeur choisit d’installer dans cette ville belge un atelier fixe, profitant notamment de l’arrivée du chemin de fer. Pour éviter les droits de douane, Charles installe aussi une fonderie à Diekirch (L) et s’associe avec la famille Perrin, installée à Robécourt (F).

Parmi les cinq enfants de Charles, trois fils deviendront fondeurs. Hippolyte succède à son père aux commandes de la fonderie de Tellin. Firmin, lui, va reprendre l’atelier de son associé Perrin-Martin à Colmar. Il rachète aussi la fonderie Edel de Strasbourg. L’activité sur ce dernier site ne perdurera toutefois pas. Et puis à la mort de Firmin en 1897, Adrien, génie des affaires et bourreau de travail, se retrouve à propriétaire de quatre fonderies sur quatre sites.

Il est important de mentionner le rôle des femmes dans la dynastie Causard. A la mort d’Adrien en 1900, ce sont ses nièces qui héritent de l’affaire familiale. Marie épouse Georges I Slégers qui va devenir officiellement le directeur de la fonderie de Tellin. La présence d’une femme à ce poste est effectivement inconcevable à l’époque. Mais c’est bel et bien Madame qui possède le savoir-faire, son mari gère avant tout l’administratif et les relations publiques. La fonderie de Tellin restera active jusqu’en 1970, grâce à Georges II Slegers, un des fils de Marie et Georges I.

Sidonie, elle, hérite de la fonderie de Colmar avec son mari Odon Dury à qui elle enseigne le métier. Des six enfants qui naîtront de cette union, c’est Emile,le quatrième de la fratrie, qui reprendra le flambeau de 1919 à 1971 avec un tonnage au moins aussi important et un savoir-faire aussi considérable qu’à Tellin. En témoigne la qualité des deux petites cloches de Courtavon.

Publicité pour la fonderie Causard, réalisée à partir d’un calcaire lithographique. Source : https://tchorski.fr

On trouve sur X (ex-Twitter) une archive vidéo de 1965 nous montrant une coulée de cloches à Colmar sous la direction d’Emile Dury. Et si vous êtes désireux d’en savoir plus sur Causard, cette page internet vous offrira une foule de renseignements sur cette passionnante dynastie de fondeurs de cloches.

Quasimodo remercie
-La mairie et le Conseil de Fabrique de Courtavon – Guillaume Ueberschlag, organiste et conseiller municipal pour son accueil et sa disponibilité.
-Pascal Krafft, expert diocésain, pour son aimable autorisation, sa relecture et son soutien.
-Matthias Walter, expert campanaire à Berne.
-Paul-Elie Rose, passionné de cloches, d’histoire et de généalogie, https://lesclochesiseroise.wordpress.com/
-Le groupe Facebook Passionnés d’horlogerie d’édifice – John Nicolas, Jean-Marc Monserrat-Marfin, Daniel Fonlupt, Loïc Tercier

Sources (autres que déjà mentionnées)
https://www.mairie-courtavon.fr
https://www.alsace.catholique.fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gugumus
https://gw.geneanet.org/
« La manufacture Jannel Frères de Martinvelle » par Michel Sylvestre, professeur de lycée. Consulté sur le site de Jonvelle le 16.12.2023

La visite du clocher de l’église Saint-Jacques et Saint-Christophe a été effectuée le 6 août 2022.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.