Cloches – Carrouge (CH-VD) chapelle réformée

La chapelle, sa cloche et son horloge sont du XVIIIe siècle

Cloche unique, note fa4 + 7/16, coulée en 1724 par Jean-Henry Guillebert de Neuchâtel

Carrouge ! Notez bien l’orthographe de ce village – avec 2 R – afin d’éviter toute confusion avec son grand homophone de la banlieue genevoise. Nous sommes ici en pleine campagne vaudoise, à mi-chemin entre Vevey et Moudon. Cette situation géographique idéale a transformé, en à peine quatre décennies, une commune essentiellement agricole en village résidentiel à forte poussée démographique. La naissance de plusieurs quartiers de villas a été accompagnée par la création d’une nouvelle zone commerciale début des années 2000. En 2008, les citoyens de Carrouge  acceptent par les urnes de rejoindre leurs voisins de Mézières et de Ferlens au sein de la commune fusionnée de Jorat-Mérières.

Au Moyen-Age, Carrogium fait partie de la seigneurie de Vulliens, tout comme sa voisine Ropraz. Un siècle après la conquête du Pays de Vaud par les Bernois, ce sont les Graffenried qui deviennent propriétaires de la seigneurie de Carrouge. C’est cette riche famille patricienne d’ascendance germanique, bernoise et bâloise qui fera construire la  modeste mais ravissante chapelle en 1709.

Avec son plafond de bois et son chevet à trois pans, la chapelle de Carrouge rappelle nombre d’autres lieux de culte du voisinage : Vulliens, Montpreveyres, Vucherens, Ropraz, Syens… Nous sommes toutefois ici en présence d’un édifice de dimensions nettement plus modestes. Le maître d’ouvrage est un certain Samuel Nicolas. Ce bourgeois de Carrouge, charpentier de son état, a laissé ses initiales sur la chaire où apparaît aussi cette inscription «au nom de Dieu, sois mon commencement», 1709.

La chapelle subit deux importantes restaurations au XXe siècle.  En 1927, on la dote d’un vitrail de René Martin, peintre vaudois décédé  aux Etats-Unis en 1986. En 1972, on s’efforce de lui redonner son cachet historique. On choisit notamment de reconstruire à l’identique le petit clocher de 1709 qui menace de tomber. Si elle se retrouve désormais motorisée, la cloche est demeurée la même. Offerte par le gouverneur Michel Jordan, elle porte la date de 1724 et l’inscription latine « Colatur Deus fiat justitia floreat pagus » (Que Dieu soit adoré, la justice pratiquée et le village prospère). Cette jolie petite cloche est signée Jean-Henry Guillebert, bourgeois de la ville de Neuchâtel.

Les Guillebert sont des fondeurs suffisamment intéressants pour qu’on leur consacre quelques lignes. Il faut déjà savoir que cette famille – comme nombre de fondeurs de cloches de la même époque – est originaire du Bassigny, dans l’ancienne province française de Champagne (aujourd’hui région Grand-Est). Les Guillebert semblent s’être établis à Neuchâtel vers 1680. L’un de ses membres, Gédéon, fut reçu dans la compagnie des Favres, Maçons et Chappuis en 1686.  Dans le cahier du Musée Neuchâtelois de 1915, on peut lire que « Gédéon offrit en 1709, année de sa réception comme bourgeois de Neuchâtel, une cloche pour sonner le tocsin, mais il fut éconduit ».

Ce sont surtout les fils de Gédéon qui se sont illustrés par leur rayon d’action. On trouve effectivement la signature de Jean-Jacques et de Jean-Henry Guillebert par deux fois dans le canton de Fribourg:  à La Joux (cloche de l’Agonie, 1729) et sur la petite cloche du Châtelard (1734). Mais la plus importante réalisation des frères Guillebert se trouve à Lausanne : la grande cloche de l’église Saint-François, coulée avec en collaboration avec un autre Neuchâtelois : Pierre-Isaac Meuron. Cette cloche ayant été réalisée à l’origine pour la cathédrale (elle a été déplacée en 1898) on peut en déduire que ces fondeurs devaient jouir d’une certaine aura ou disposer de solides références.

Les combles de la chapelle de Carrouge abritent un véritable trésor : une horloge à cage du XVIII siècle ! Cette belle mécanique, apparemment complète et en bon état, porte la signature de Samuel Chappuis de Carrouge et la date de 1795. Elle dispose encore de son balancier et de ses poids de pierre. Ces derniers sont d’ailleurs visible de tous, puisqu’ils pendent au bout de leurs cordes dans l’entrée de la chapelle. Cette belle horloge est hélas hors service. Les aiguilles de l’unique cadran en façade sont mues par une minuterie électrique. Le marteau de tintement, de type frappe lâchée, est actionné par dispositif électrique à came.

Mon modeste avis : nous avons ici une jolie chapelle du XVIIIe siècle avec sa cloche et son horloge d’époque. C’est savoureux ! On pourrait souhaiter un meilleur équipement de la cloche : son battant l’a méchamment creusée et la volée n’est pas régulière. Pour ce qui est de l’horloge, on pourrait envisager une remise en service après une bonne révision, ou alors une mise en valeur dans la chapelle ou dans tout autre lieu public à définir.

Sources (autres que mentionnées)
«La contrée d’Oron» éditions Cabédita
http://www.jorat-mezieres.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Carrouge
https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_von_Graffenried

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