Cloches – Villars-sur-Glâne (CH-FR) chapelle des Martinets

La chapelle de la maison de retraite n’est plus muette


C’est un très beau cadeau de Noël qu’ont reçu les résidents des Martinets, cette maison pour personnes âgées sise à Villars-sur-Glâne. Leur chapelle, consacrée le 30 septembre 1990, ne disposait jusqu’à présent d’aucune cloche. Dorénavant, les vaillants ainés ne risquent plus d’oublier de se rendre à la messe : la cloche « Nicolas de Flüe » sonnera par deux fois pour la leur rappeler. D’abord vingt minutes avant, puis une seconde fois cinq minutes avant la messe. Si elle a tout juste été bénite, cette cloche ne vient pas pour autant de sortir du creuset. Coulée en 1891 par un fondeur lyonnais, elle a connu bien des aventures. Une partie de son histoire demeure mystérieuse, comme vous allez vous en rendre compte.

Notre cloche quelques jours avant sa bénédiction (photo Xavier Buchmann)


L’histoire de notre cloche

Il était une chapelle – L’augmentation de la population dans le quartier des Daillettes oblige les autorités paroissiales à envisager la construction d’une chapelle. Le 16 septembre 1945, les plans et les devis d’une chapelle en bois, pouvant contenir 144 places assises, à construire au Moléson, à la croisée des routes cantonales Fribourg-Bulle et communale Moléson-Cormanon, sont soumis à l’assemblée paroissiale. Le 2 décembre 1945, toute la construction étant terminée, la chapelle dédiée à saint Nicolas de Flüe est solennellement consacrée et inaugurée. La chapelle des Daillettes sera détruite par un incendie en 1979.

La chapelle des Daillettes avant et après l’incendie de 1979 (crédit https://www.villars-sur-glane.ch/)

Deux objets sortent intacts des flammes : la croix de métal qui se trouvait sur l’autel… et notre cloche . Cette cloche à la sonorité dépeinte comme argentine lors de la cérémonie de consécration est récupérée et soigneusement remisée dans le clocher de l’église paroissiale. Elle y restera jusqu’en 2023, oubliée de tous. Et puis vient le jour où on la redécouvre, où on décide de lui redonner la voix dans un lieu nouveau. Ce lieu, c’est la chapelle de la Résidence des Martinets. Le projet, initié par Xavier Buchmann, directeur de la Résidence et grand passionné de cloches, a été rendu possible grâce au soutien de la paroisse et de la commune de Villars-sur-Glâne.

Evidemment que notre cloche se devait de faire toilette avant de se présenter à tous ! Les campanistes de la maison Mecatal à Broc commencent par la décrocher de son joug calciné, témoin du drame qui s’est joué il y a plus de 40 ans. La cloche est soigneusement nettoyée. Le plus important : on lui applique un traitement thermique, afin de neutraliser les contraintes que son airain a pu subir lors de l’incendie. On lui confectionne un beau joug neuf en acier, le bois aurait été malvenu pour une cloche accrochée en plein air. On lui remet son battant, lui aussi rescapé du feu. On lui réalise un support en acier destiné à être appliqué contre la façade de la chapelle. Car notre cloche ne veut pas seulement se faire entendre après 40 ans de silence. Elle désire aussi être vue, admirée… elle qui est restée si longtemps cachée !

Notre cloche avant et après avoir fait toilette


Les données techniques de notre cloche

Son poids : 33kg.
Son diamètre : 367mm.
Sa matière : bronze de cloches, dit « airain » composé généralement de 78% de cuivre et de 22% d’étain.
Son mode de sonnerie : volée motorisée en rétro-grade. La cloche se balance, mue par un moteur électrique. Le battant frappe la lèvre inférieure de la cloche.
Son joug : neuf, en acier arrondi et ajouré, réalisé dans le style Belle-Epoque par Mecatal Campaniste à Broc.
Son fondeur : Burdin aîné à Lyon.
Sa date de coulée : 1891.
Sa note musicale : do5 -7/16 de demi-ton (la3 = 435 Hz)


Les décors et les inscriptions de notre cloche

La plupart des cloches affichent fièrement leur histoire. Une visite du clocher de l’église Saints-Pierre-et-Paul de Villars-sur-Glâne permet de lire, sur la robe de ces demoiselles de bronze, les noms de leurs parrains et marraines, mais aussi du curé et même de l’évêque. Ces cloches portent en outre de nombreux ornements, blasons et images saintes, de même que des versets bibliques.

On lit par exemple sur la grande cloche de l’église paroissiale de Villars-sur-Glâne : JE CHANTE LES LOUANGES DE MARIE DE L’ANGELUS DE L’AUBE A L’ANGELUS DU SOIR / FRANCOIS CHARRIERE, EVEQUE / DON DES PAROISSIENS / PARRAIN JOSEPH DREYER BLASER, PRESIDENT DE PAROISSE / MARRAINE MARIE ROUBATY-PYTHON. La cloche porte l’effigie de la Vierge de l’Immaculée Conception sur un croissant de lune et les armoiries de Villars-sur-Glâne.

Signature du fondeur Burdin aîné sur notre cloche

Rien de tel sur notre petite cloche ! Ses seules inscriptions se limitent à la signature de son fondeur et à sa date de coulée : BURDIN AINE FONDEUR A LYON 1891. Pour ce qui est de ses décors, on trouve deux images saintes particulièrement répandues : un Christ en croix et une Vierge à l’enfant. Une réalisation certes soignée, mais dont le minimalisme nous empêche hélas de connaître la traçabilité de notre jolie petite cloche.

Les effigies de notre cloche : le Christ en croix et la Vierge à l’enfant


Le nom de notre cloche

Les cloches ne sont pas que des instruments destinés à faire du bruit : de tous temps, il y a toujours eu une personnification autour de cet objet sacré. Cela se remarque tout d’abord par les noms donnés aux différentes parties de la cloche. Oreilles, cerveau, épaule, panse, lèvre… ces mots nous renvoient irrésistiblement vers le corps humain. Cette personnification de la cloche ne s’arrête pas à cette simple notion de vocabulaire : avant d’être hissée dans son clocher, une cloche est bénite. On parle même souvent de baptême, même s’il s’agit d’un abus de langage (le baptême est en principe réservé aux humains). Mais il est vrai que lors de la cérémonie de bénédiction, une cloche reçoit un nom. Et ce sont le parrain et la marraine de la cloche qui vont clamer ce nom à l’assemblée présente.

Notre cloche en atelier avec – de g. à d. Quasimodo consultant campanaire, Xavier Buchmann directeur de la Résidence des Martinets, Charles Ridoré ancien président de paroisse, Jean-Daniel Savoy conseiller paroissial, Marco Andina conseiller communal et président du Conseil de fondation des Martinets, Jean-Paul Schorderet directeur de Mecatal Campaniste.

Le nom de la cloche peut être choisi de différentes manières : il peut s’agir d’une figure liturgique qu’on désire honorer (très souvent la Vierge Marie) Il arrive aussi que la cloche reçoive les prénoms de ses parrain et marraine. On n’hésite pas dans ce cas à user de prénoms composés et même à féminiser des prénoms masculins. Dans la liturgie réformée – où les cloches sont simplement inaugurées – on a tendance à mettre en valeur les vertus théologales avec des noms comme Espérance, Foi ou Charité. Dans une grande majorité des cas, le nom de la cloche, de même que celui de ses parrain et marraine, sont gravées sur sa robe.

Coulée en 1891, notre cloche n’arbore aucune mention de ce genre. C’est donc sur le tard qu’il été choisi de lui donner un nom. A l’occasion de sa venue à la Résidence des Martinets, la cloche a été présentée aux résidents au travers d’un exposé agrémenté d’un diaporama. S’en est suivie une discussion où cours de laquelle certains résidents ont fait part de leur émotion de voir ressurgir cette cloche. Alors que certains habitants du quartier se rappellent avoir été appelés à la messe par elle, d’autres se souviennent que la cloche a sonné pour leur mariage, le baptême de leurs enfants ou le départ d’un proche.

Une délégation des résidents de Martinets pour choisir le nom de la cloche après la conférence de présentation

Notre cloche sera avant tout la cloche des résidents des Martinets. Voilà pourquoi ce sont les résidents qui se sont vu confier le soin de lui donner un nom. Après une discussion relativement brève, il a été choisi d’appeler notre cloche Nicolas de Flüe.

Pourquoi Nicolas de Flüe ? Notre chapelle est justement dédiée au saint Patron de la Suisse. C’est aussi une manière de se souvenir de feu la chapelle des Daillettes, porteuse à l’époque de la même dédicace. Un lieu de culte toujours bien présent dans la mémoire et le cœur de nos aînés.


Le fondeur de notre cloche : Burdin aîné

La dynastie lyonnaise des Burdin, fondeurs de cloches, débute avec Jean-Claude I BURDIN (1771-1825), qui tient la fonderie depuis les débuts jusqu’en 1825. Lui succède Jean-Claude II BURDIN (1794-1865), directeur de 1825 à 1849. Vient ensuite Jean-Claude III BURDIN (1823-1889), qui dirige la fonderie de 1849 à 1880. Le dernier représentant de la dynastie, Ferdinand BURDIN, coule des cloches jusqu’à la fermeture après la Première Guerre de son atelier lyonnais sis 22 rue de Condé. La dernière œuvre marquante de la fonderie Burdin est le carillon de l’Hôtel-de-Ville de Lyon, pour lequel 25 cloches sont réalisées en 1914.

Encart publicitaire de la maison Burdin (crédit https://recherches.archives-lyon.fr/)

Bon à savoir
-La plus grosse cloche réalisée par la maison Burdin se trouve à la cathédrale de Marseille. Il s’agit d’un bourdon de 6 tonnes coulé en 1901
-La Suisse ne recense peu de cloches signées Burdin. Citons la basilique Notre-Dame de Genève avec sa cloche (unique) nommée « Marie Augustine » d’un poids estimé à 1’500 kg. Le clocher de l’église Saint-Urbain de Chippis (VS) renferme 4 cloches Burdin coulées en 1865.


La bénédiction et l’installation de notre cloche

Notre cloche a été bénite le 16 décembre 2023 par M. l’abbé Vincent Marville en présence de nombreux résidents et fidèles de la paroisse. Sa marraine est Caroline Dénervaud, vice-syndique de Villars-sur-Glâne ; son parrain est Benoit Sansonnens, membre du Conseil de Paroisse. La cérémonie de la bénédiction de notre cloche s’est déroulée au cours de la dernière messe non sonnée de la chapelle des Martinets. La cloche a été installée sur son support accroché à la façade de la chapelle. Sa première volée officielle coïncidait avec la messe anticipée du quatrième dimanche de l’Avent.

De gauche à droite et de haut en bas : l’abbé Marville bénit la cloche ; Xavier Buchmann, directeur de la Résidence et Quasimodo, consultant campanaire ; le parrain Benoît Sansonnens et la marraine Caroline Dénervaud.

Notre cloche est aujourd’hui installée sur un support en acier accroché contre la façade en béton de la chapelle, à côté de l’entrée principale de la Résidence des Martinets. En plus d’appeler les fidèles pour la messe du samedi, elle retentit tous les jours à midi durant deux minutes.

La cloche a été installée le 18 décembre 2023 par François et Olivier de l’entreprise Mecatal Campaniste

Quasimodo remercie
La direction, le personnel et les pensionnaires de la Résidence des Martinets – Xavier Buchmann, directeur
La commune et la paroisse de Villars-sur-Glâne
La direction et les collaborateurs de Mecatal Campaniste

Sources
La Liberté du 28 septembre 1990
« Villars-sur-Glâne, La Paroisse et la Commune » par Victor Buchs, ancien Conseiller d’Etat
Site internet de la commune
Geneanet
Notices compilées par Arthur Auger passionné de cloches à Lyon
Archives municipales de Lyon
Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice
Matthias Walter, président de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues suisses

2 réflexions au sujet de « Cloches – Villars-sur-Glâne (CH-FR) chapelle des Martinets »

  1. Roger Perriard

    Bonjour Madame, Monsieur.
    Magnifique reportage et histoire de cette cloche. Bravo à vous de la remettre à sa place. Ce qui m’interpelle, c’est le nom Nicolas de Flüe. En effet, ce Saint a été le sauveur de la Suisse et le médiateur à la Diète de Stans pour l’entrée de Fribourg et Soleure dans la Confédération Suisse en 1481. Il y a peu de reconnaissance pour ce personnage historique sur le canton de Fribourg. Beaucoup d’églises et de chapelles voire cathédrale portent que le nom de Saint Nicolas de Mire.
    En réitérant mes félicitations, je vous présente, Madame, Monsieur, mes meilleures salutations.

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