Cloches – Prez-vers-Noréaz (CH-FR) église Saint-Jean-Baptiste

Le bourdon pesait 4’500 kg, il pèse aujourd’hui plus de 5’000 kg

-Cloche 1 « Le bourdon de la paroisse » note lab2, poids 5’087 kg, coulée en 1925 par Ruetschi à Aarau.
-Cloche 2 « Espérance » note do3, poids 2’374 kg, coulée en 1873 par Gustave Treboux à Vevey.

-Cloche 3 « saint Laurent » note mib3, poids environ 1’100 kg, coulée en 1815 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey.
-Cloche 4 « Union » note lab3, poids 738 kg (avant accordage), coulée en 1873 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 5 « Concorde » note do4, poids 250kg, coulée en 1873 par Gustave Treboux à Vevey.
[Cloche de l’Agonie, note lab4, poids environ 75 kg, coulée en 1961 par Ruetschi à Aarau.]

Mes premiers souvenirs de l’église de Prez-vers-Noréaz remontent à l’enfance. J’étais en voiture avec mes parents et – distinguant la Cloche de l’Agonie dans son lanternon – je me disais naïvement « bizarre d’avoir construit un si grand clocher pour y mettre une cloche aussi minuscule ». Ah les enfants ! Tantôt ils voient tout en grand, tantôt leur vision du monde ne dépasse pas le bout de leur petit nez. Quelques décennies plus tard – cette fois au volant de ma voiture – je repasse devant l’église de Prez et j’entends sonner la messe. Saisi dans un premier temps par cette magnificence sonore, je  repense avec amusement à mes délires enfantins. Je viens de comprendre que le massif clocher a été édifié pour cacher autre chose qu’une clochette de quelques dizaines de kilos…

Comme à chaque fois qu’il s’agit de clochers fribourgeois, vous me verrez citer l’excellent Dictionnaire historique et statistique du Père Apollinaire Deillon, dont la rédaction a été lancée en 1884 et qui s’est achevée en 1903 sous la plume de l’abbé François Porchel. Je vais avoir aussi l’immense plaisir de citer pour cet article M. Jean-Marie Barras, ancien directeur de l’Ecole normale de Fribourg. Ce passionné d’histoire locale a créé un remarquable site internet regorgeant de documents d’archives et truffé d’anecdotes plus passionnantes les unes que les autres.

La paroisse de Prez-vers-Noréaz était autrefois bien plus étendue, puisqu’elle englobait les villages de Corserey, Noréaz, Seedorf, Ponthaux et Nierlet-les-Bois. Attestée officiellement depuis le XIe siècle, son origine pourrait être plus ancienne. On peut lire chez Deillon : Lorsque les évêques résidaient à Avenches, dans les Ve et VIe siècles, il n’y avait pas apparemment de prêtre à domicile fixe; des missionnaires se rendaient d’une localité à l’autre pour annoncer l’Evangile, la bonne nouvelle : c’est alors, et à mesure que le christianisme se développait, que des églises furent construites et des paroisses érigées (…) La paroisse de Prez (…) doit trouver son origine dans cette époque reculée.

La première église de Prez-vers-Noréaz ne possédait pas de clocher. C’est seulement en 1591 qu’un beffroi fut édifié. Des fouilles sommaires menées en 1988 à l’occasion du renouvellement du chauffage ont permis de comprendre que l’édifice précédent se situait pour sa plus grande partie à l’emplacement du chœur actuel. Ces fouilles ont mis au jour trois phases de construction : une première au XIIIe ou XIVe siècle, une seconde au XVIe ou XVIIe siècle, une troisième au XVIIe. Cette église fut abattue en 1831 pour laisser la place au magnifique sanctuaire néoclassique dédié à saint Jean-Baptiste que nous connaissons.

La construction de l’église de Prez-vers-Noréaz débute en 1831. Mgr Yenni procède à sa consécration le 2 août 1835. Le nom de l’architecte ne nous est malheureusement pas parvenu. On aurait volontiers attribué les plans à Charles de Castella, cet autodidacte de génie  à qui on doit la reconstruction de plusieurs édifices de Bulle (dont l’église) après l’incendie de 1805. Or Castella est décédé en 1823. L’église Prez ne possède au départ que peu d’ornements. Il faudra attendre 1870 et la nomination du curé-doyen Louis Genoud pour voir arriver vitraux, peintures, statues, orgue, cloches et horloge. Si la restauration de 1958 est considérée comme plutôt réussie, on ne peut que déplorer la disparition de la peinture de la voûte, œuvre de Carlo Cocchi.

On ne sait pas grand chose de l’ancienne sonnerie de Prez-vers-Noréaz.  Toujours chez Deillon, on peut lire : « Le jour de la Saint-Georges 1591, l’abbé d’Hauterive, D. Gribolet, a béni la grande cloche de Prez. M. le chevalier Josse Fégely et dame Luzos, femme de Nicolas Reyff, seigneur de Cottens et coseigneur de Prez, furent parrain et marraine ; ils donnèrent à la cloche le nom Isabelle. Elle fut coulée à Fribourg et elle a coûté 400 florins et 10 écus. Le poids ne devait pas dépasser 600 livres, vu le prix. « 

Jean-Marie Barras raconte : « La décision de changer les cloches a été prise par l’assemblée paroissiale du 6 juillet 1873, sur proposition du curé Genoud, les cloches actuelles n’étant pas assez grandes vu la grandeur de la paroisse et de l’église. La délégation qui s’est rendue auprès du fondeur de cloches Tréboux, à Vevey, était formée du curé, du Capitaine Isidore Berger et de Pierre Sauterel, président de paroisse. Le paiement des cloches ne s’est pas réalisé sans difficultés, vu l’état précaire des finances paroissiales : levée d’un impôt, souscription, emprunt, autant de sujets qui ont rendu très animées certaines assemblées. » Ceci est confirmé par cet entrefilet dans le Journal de Vevey du 8 novembre 1873.

La sonnerie que nous connaissons aujourd’hui n’est pas tout à fait la même que celle qui fut installée par la maison Treboux en 1873. En parcourant les mémoires d’Auguste Thybaud, on apprend que l’infatigable accordeur de cloches vaudois fut appelé pour donner son avis sur l’harmonie de  l’ensemble monumental de Prez-vers-Noréaz. Il est intéressant de savoir que la paroisse avait signé une convention avec la fonderie pour recevoir quatre cloches donnant les notes la2, do#3, la3 et do#4. Le but étant que ces  cloches neuves s’accordent avec la cloche en mi3 coulée en 1815. Or les cloches sorties du creuset sonnaient en lab2, do3, sol3 et do4.

Thybaud raconte dans La Tribune de Genève du 19 mars 1899 : « J’eus l’idée, pendant l’expertise, de faire sonner toutes les cloches sauf le bourdon en la bémol. Ces quatre cloches, do, mi, sol et do,  produisaient un ensemble musical fort beau (…) mais lorsqu’à ces 4 cloches (…) je faisais ajouter le bourdon la bémol, la sonnerie devenait affreuse. » Plutôt que de redescendre du clocher et d’accorder le bourdon, ce qui aurait compliqué et surtout coûteux, ce sont les cloches nos 3 (mi3) et 4 (sol3) qui prirent le chemin des Ateliers mécaniques de Vevey. La cloche 3 revint avec sa note abaissée d’un demi-ton après avoir subi un alésage. A l’inverse, la voix de la cloche 4 monta du sol3 au lab3 après avoir été raccourcie au niveau de sa pince.

Nouvelle déconvenue cinq décennies plus tard, comme le relate Jean-Marie Barras : « En séance de Conseil paroissial du 19 octobre 1924, Gaston Huguet attire l’attention de ses collègues sur le son de la grosse cloche, qui s’est détérioré. La cause est rapidement décelée: elle est fêlée. On se renseigne jusqu’à la direction du Technicum sur les possibilités de réparation sur place. C’est impossible. En mars 1925, l’assemblée paroissiale décide de la remplacer. Une souscription est lancée. L’ancienne cloche est refondue à Aarau. La nouvelle, avec ses 5087 kg, est encore plus lourde. » Le nouveau bourdon est béni le 14 mars 1926 à 14h30 par Mgr Gumy, en remplacement de Mgr Besson, en déplacement à Rome.

Le bourdon de Prez se classe au troisième rang du canton de Fribourg par ordre de poids après le grand bourdon de la cathédrale Saint-Nicolas (note sol2, environ 7’000 kg) et celui de la collégiale Notre-Dame de l’Assomption de Romont (note sib2, environ 5’800 kg).

Si Ruetschi a réalisé pour Prez-vers-Noréaz un bourdon magnifique, tant sur le plan sonore que visuel, on peut regretter la disparition de son prédécesseur. Il s’agissait en effet de la plus grosse cloche jamais sortie de la fonderie de Vevey, toutes générations confondues. Les archives deci delà le mentionnaient à 91 quintaux (Deillon) 4’533 kg (Thybaud) et 4’650 kg (Feuille d’Avis de Vevey du 18 juin 1888). La plus grosse cloche Treboux encore existante est le bourdon de Promasens, donné à 3’645 kg.

La sonnerie monumentale de Prez-vers-Noréaz fut motorisée un beau jour de 1953 par la maison Bochud de Bulle. La Liberté du 30 septembre a tenu à rendre hommage aux vaillants sonneurs.

La cloche de l’Agonie actuelle (toujours manuelle) n’est arrivée qu’en 1961, la cloche précédente ayant été mise hors d’état par la foudre. Ironie du sort : cette cloche était aussi employée jadis pour éloigner les orages ! Coulée par Ruetschi d’Aarau, la nouvelle cloche porte les effigies de saint Joseph, saint Jean-Baptiste et sainte Agathe. Sa marraine est Jeanne Rosset de Prez, son parrain Hubert Berger de Noréaz (La Liberté du 3 août 1961). Sa prédécesseure était-elle la fameuse cloche de 1591 mentionnée par Deillon ? Le poids évoqué de 600 livres serait dans ce cas quelque peu exagéré, même si la cloche actuelle, avec ses 75 kg, parait quelque peu sous-dimensionnée dans son lanternon.

Quelques informations bonus

Le bourdon arbore les inscriptions suivantes : PAR DECISION UNANIME DE L’ASSEMBLEE DE PAROISSE DE PREZ-VERS-NOREAZ, CETTE CLOCHE A ETE FONDUE POUR REMPLACER CELLE QUE TREBOUX A VEVEY A FAITE EN 1873 ET QUI A ETE FELEE EN 1924 // JE SUIS LE BOURDON DE LA PAROISSE, JE DONNE LE LA BEMOL  GRAVE ET JE PESE 5087 KG // PLEBEM VOCO, LAUDO DEUM VERUM, DEFUNCTOS PLORO, FESTA DECORO. VOX MEA CUNSTORUM TERROR SIT DAEMONIORUM. Le parrain est Jules Guisolan, la marraine est Justine Gerret. Les effigies saintes sont celles de saint Jacques (orthographié « Jaques ») saint Jean-Baptiste, saint Laurent, saint Joseph et la Crucifixion. On trouve aussi les armoiries des communes de Prez et de Noréaz. Le col arbore une très belle frise d’angelots de style art déco.

Sur la cloche no2, nommée Espérance, on trouve les effigies de saint Nicolas de Flüe et saint Pierre Canisius. Son parrain est Jean-Nicolas Rothey et sa marraine Marie Berger née Cosandey.

Sur la cloche no3 apparaissent les noms du seigneur de Seedorf, de Monsieur Joye de Prez et de Madame Marguerite Dafflon.

Sur la cloche 4 : son parrain est Jacques, fils de Jean-Joseph Berger ; sa marraine est Marie Monney née Python.


Quasimodo remercie
La paroisse de Prez-vers-Noréaz : Michèle et Michel Menoud.
Mes amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que mentionnées)
Le patrimoine campanaire fribourgeois, éditions Pro Fribourg, 2012

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