Cloches – La Ferrière (CH-BE) temple

Trois belles petites cloches d’un fondeur trop rare

-Cloche 1, note fa#3 +9/16, diamètre 104 cm, coulée en 1862 par Louis-Constant Perrenoud de La Chaux-de Fonds.
-Cloche 2, note la3 +4/16, diamètre 85 cm, coulée en 1862 par Louis-Constant Perrenoud de La Chaux-de Fonds.
-Cloche 3, note si3 +3/16, diamètre 75 cm, coulée en 1855 par Louis-Constant Perrenoud de La Chaux-de Fonds.

Je vous emmène aujourd’hui dans la belle région des Franches-Montagnes, plus précisément à l’extrême sud-ouest de ce plateau jurassien. Au carrefour de trois cantons – Neuchâtel, Jura et Berne –  et sise sur le territoire de ce dernier se trouve La Ferrière. Cette commune à l’habitat dispersé voit officiellement le jour le 26 juillet 1590 avec l’arrivée de quelques colons en provenance de la seigneurie de Valangin. A partir de 1614, des fermes sont édifiées sur ces sols ingrats où le climat est rude – on est à 1’000m d’altitude – et la vie difficile pour ses habitants soumis par la seigneurie de l’Erguël à de lourds impôts. Les villageois sont aussi les victimes collatérales de plusieurs conflits : en 1639, en pleine Guerre de Trente Ans, la Ferrière est incendiée par les troupes suédoises. Le village subit de plein fouet les guerres napoléoniennes. Son territoire est diminué au profit des communes voisines. En 1815, le traité de Vienne attribue La Ferrière à Berne, canton auquel la commune appartient toujours.

Annonce de la dédicace du temple de La Ferrière dans le Journal du Jura

Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour voir La Ferrière connaître un semblant de prospérité grâce à la naissance de l’industrie horlogère. Une nouvelle école est bâtie en 1859. Deux ans plus tard débute l’édification du temple, condition sine qua non pour s’affranchir de Renan et créer une nouvelle paroisse. La dédicace a lieu le 15 novembre 1864. Les dimensions respectables de l’édifice nous montrent que le village tablait alors sur un net accroissement de sa population. Si imposant soit-il par sa taille, le temple de la Ferrière n’en est pas moins austère. De simples carreaux colorés font office de vitraux. Et mis à part les ornements de la chaire et le buffet d’orgue, le style néogothique, souvent exubérant, ne se caractérise ici que par la silhouette élancée du clocher et la forme ogivale des baies.

« de 6 »

L’orgue de La Ferrière est un instrument remarquable, souligne avec enthousiasme le site Orgues et Vitraux. Cet instrument du facteur Goll date de 1918, dix ans seulement avant la faillite de l’entreprise et sa transformation en une société anonyme. Malgré le nombre réduit de jeux (6), la console comporte deux claviers et un pédalier. La traction est pneumatique. L’orgue de La Ferrière est à rapprocher de celui de Travers dans le canton de Neuchâtel, un instrument construit par Goll en 1897, démonté et réinstallé en 1914, puis transformé par petites touches jusqu’en 1926. Dans les deux cas, il s’agit d’instruments exceptionnels, reliques d’une facture dont de rares exemples nous sont parvenus.


De l’airain empreint de poésie

La plus petite des trois cloches de La Ferrière est coulée en 1855 déjà, très certainement pour l’école. Elle est ensuite déplacée dans le clocher du temple, où deux nouvelles compagnes de 1862 viennent la rejoindre. Les cloches ne sont pas très richement ornées. Les deux plus petites arborent sur le col une frise florale surmontée à intervalles réguliers de palmettes. Mêmes décors sur grande cloche qui possède en plus des festons de style néoclassique. Sur la faussure figure sur une face la date de coulée et la signature du fondeur FONDUE PAR LOUIS-CONSTANT PERRENOUD. Sur l’autre face s’affichent les belles inscriptions que voici :

Cloche 1
Je suis le chant de la souffrance
Dans vos regrets et vos douleurs
Je suis le chant de l’espérance
Pour essuyer vos yeux en pleurs.

Cloche 2
Nous chantons à Dieu l’hymne de la prière
Qui pieusement monte vers le ciel
Et nos voix d’airain parlant pour la Terre
Sont comme l’écho d’un chœur solennel.

Cloche 3
J’appelle le travail
J’invite à la prière
J’accompagne les morts au champ de leur repos:
Je parle d’avenir au milieu de vos maux.

« de 7 »

On peut s’étonner que les cloches ne mentionnent pas leur appartenance et qu’elles n’arborent aucune armoirie (commune, canton, Suisse) contrairement à la plupart cloches réformées de cette époque. Sans doute que la composition des textes a été confiée au seul pasteur et que les autorités civiles n’ont pas eu leur mot à dire !

Les trois cloches sont équipées de battants piriformes vraisemblablement contemporains à la motorisation effectuée par l’entreprise Muff en 1953. La grande cloche possède encore son joug et ses ferrures d’origine. C’est aussi la seule des quatre cloches à ne pas avoir été tournée d’un quart de tour. Sur la cloche 2, la tête de joug a été raccourcie, deux des quatre ferrures plates ont été remplacées par des ferrures rondes. La petite cloche est accrochée à un rail en acier. L’angle de volée de cette dernière cloche est nettement plus bas que chez ses grandes compagnes.

Nouveau marguillier à La Ferrière dans « L’Impartial » du 1er février 1977


Fondeur, tailleur et taxidermiste

Louis-Constant Perrenoud (1806-1881), le fondeur des trois cloches de La Ferrière, fait un apprentissage d’armurier à Zurich . Il s’établit ensuite à La Chaux-de-Fonds où il apprend en autodidacte à fondre des cloches. Son atelier se trouve tout d’abord à Cornes-Morel avant de déménager dans une annexe de sa propriété sise Place des Victoires dans le centre-ville. Perrenoud coule des cloches pour des temples, pour des édifices laïcs, il réalise aussi des sonnailles. Parallèlement à ses activités de fondeur, l’artisan chaux-de-fonnier possède aussi un talent de facteur d’instruments : il fabrique des flûtes, il répare des violons. Parvenu à la retraite dans les années 1870, Louis-Constant Perrenoud ne reste pas inactif. Fort de sa dextérité, il dessine, il fabrique de délicats objets en carton de bristol, en bois et en os. Il se lance aussi dans des travaux d’aiguille d’une grande finesse qui lui valent l’admiration des dames de son entourage. Plus insolite : il concocte une collection de 250 oiseaux naturalisés.

Petite cloche Perrenoud coulée en 1851 pour la Société Industrielle de Moutier, exposée au Musée du Tour de Moutier. Remarquez le cartouche, qu’on ne trouve pas sur les cloches religieuses du fondeur.

Dans « Les fondeurs de nos cloches » paru en 1915, Alfred Chapuis et Léon Montandon rendaient un touchant hommage au vieux fondeur  : Perrenoud a laissé le souvenir d’un vieillard calme, serein et toujours de bonne humeur. Ses bons mots et ses réparties sont aujourd’hui encore répétés dans sa famille; par exemple, il était assez négligé dans sa mise, et lorsque sa femme le lui reprochait, il répondait: « Tu n’as qu’à aller dans la rue, tu en trouveras toujours de plus laids que moi. »

« Je n’ai jamais rien inventé, mais j’essaie de faire ce que les autres ont fait » se plaisait à dire Perrenoud. On peut dès lors se demander quelles ont été ses sources d’inspiration. Contemporain et ami de François III Humbert de Morteau, Perrenoud orne lui aussi ses cloches de motifs néoclassiques. Leur timbre est par contre bien différent : alors qu’Humbert coule des cloches avec une prime haute (leurs détracteurs les qualifient d' »aigres », les cloches de Perrenoud ont souvent une prime relativement basse et paraissent plus solennelles.

Comparatif de partiels Perrenoud / Humbert

  octave inf. prime tierce min. quinte octave sup.
Fa#3 0 -2 +6 -4 +9
La3 -3 +1 +5 -5 +4
Si3 -5 +1 +3 -9 +3

Ci-dessus, l’analyse des partiels des trois cloches de La Ferrière, coulées par Louis-Constant Perrenoud. Ci-dessous, les partiels du bourdon de Moudon, coulé par François III Humbert. La3 = 435Hz, dérivation en 1/16 de demi-ton

  octave inf. prime tierce min. quinte octave sup.
Lab2 -2 +10 +7 0 +3

Louis-Constant Perrenoud forme son fils au métier de fondeur, mais le garçon décède malheureusement vers l’âge de 20 ans. On peut regretter que le Chaux-de-Fonnier n’ait pas laissé plus d’exemplaires de sa production, toujours d’une grande qualité. Seule une petite dizaine de cloches Perrenoud sont officiellement recensées. Sans surprise, c’est dans le canton de Neuchâtel qu’on en trouve le plus grand nombre : Buttes (la grande cloche en mi3, sa plus importante réalisation), Boveresse (2 cloches), Les Eplatures (2 cloches) et Noiraigue (2 cloches). On peut aussi admirer au Musée du Tour de Moutiers une petite cloche Perrenoud coulée en 1852 pour une entreprise horlogère aujourd’hui disparue : la Société Industrielle de Moutier. Plus étonnant, on retrouve la trace du discret fondeur neuchâtelois dans l’Ouest lausannois avec une cloche à Bussigny et deux cloches à Crissier. Le clocher de La Ferrière est le seul à contenir une sonnerie complète de trois cloches signées Louis-Constant Perrenoud.

Ancienne vue de La Ferrière. A gauche, l’école et son clocher où se trouvait à l’origine la petite cloche du temple. Crédit photo https://www.laferriere.ch/


Une horloge mécanique transformée puis désaffectée

On trouve, juste en dessous de la chambre des cloches, une horloge de la maison Prêtre alors établie à Rosureux. Ce mouvement à trois corps de rouages, aujourd’hui hors service, permettait de tinter les heures (sur la cl 1) mais aussi les quarts (cl 2 et 3). La mécanique a été modifiée lors de la motorisation de la sonnerie à la volée avec l’adjonction d’un module électro-mécanique à cames destiné à faire démarrer automatiquement des séquences de sonnerie à des heures définies. On constate la présence d’une seule goupille sur 12h, preuve que le dispositif était « programmé » seulement pour la volée de midi. Le fait qu’il y ait deux ergots de contact indique que ce module électro-mécanique était capable de gérer deux séquences de sonnerie différentes.

« de 4 »

Le pilotage des cadrans de même que les tintements et les volées sont gérés aujourd’hui par une horloge électronique LAT8 développé par la maison Muri (aujourd’hui Muribaer) à la fin des années 1980. Ce boîtier est installé… dans les toilettes publiques du temple.


Bonus : 1864, dédicace du temple de La Ferrière

Le journal « Le Jura » du 18 novembre 1864 relate la dédicace du temple de La Ferrière


Quasimodo remercie
La paroisse de La Ferrière – Pierrette Wäfler présidente, Aurore Oppliger secrétaire
La Collaboration des paroisses réformées de l’Erguël – Florence Ramoni catéchète
-Mes amis Allan Picelli membre de la GCCS et Dominique Fatton responsable technique du clocher de Buttes
-Matthias Walter, expert-campanologue, président de la GCCS.
-Lionel Glassier, campaniste chez Muff

Sources (autres que mentionnées)
https://www.laferriere.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=37&Itemid=156
https://visitedeglise.ch/eglise/139-la-ferriere-temple
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Ferri%C3%A8re_(Berne)

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