Cloches – Estavayer-le-Lac (CH-FR) collégiale Saint-Laurent

Une des plus grandes, une des plus belles sonneries de Suisse romande

NomNoteKgØ (cm)FondeurAnnéeMode de sonnerie
Cloche 1Laurentla24’200193Bournez 1872volée+carillon
Cloche 2Sts. Pierre-et-Pauldo#32’028145Paccard1997volée+carillon
Cloche 3Annonciationmi31’200 126Bournez 1873volée+carillon
Cloche 4Estavayerfa#3780105Paccard1997volée+carillon
Cloche 5St. Nicolasla3 490 92Bournez 1873volée+carillon
Cloche 6Archangessi335079Paccard1997volée+carillon
Cloche 7St. Josephdo#4200 69Bournez 1873volée+carillon
Cloche 8Baptêmesmi47052Bournez 1872volée
Cloche 9Cloche des Heures ?sol48050Watterin ?1505 ?volée
Cloche 10St. Christophela46046Livremont1762volée
Cloche 11NCmi4~12060.5Paccard1998carillon
Cloche 12Agoniedo#53036Klely1737glas tinté

12 cloches, dont 10 à la volée ! Peu de clochers peuvent se targuer de disposer d’un ensemble campanaire aussi vaste. Le tonnage de bronze est impressionnant, la qualité et la diversité sont  également au rendez-vous. A la sonorité caractéristique des cloches coulées par Bournez à la fin du XIXe siècle (prime haute, octave inférieure basse) s’ajoute le timbre beaucoup plus classique des cloches Paccard réalisées un siècle plus tard. Cerise sur le gâteau, deux cloches historiques du XVIe (cl. 9) et du XVIIIe siècle (cl. 10) qui ont échappé à la grande refonte de 1872. Habituellement, le plénum est composé des cloches nos 1 à 7. J’ai choisi, pour l’enregistrement audio-vidéo accompagnant cette présentation, d’ajouter également les trois plus petites cloches de volée, celles qui sonnent habituellement en trio à la sortie de la messe. Même si ce « classicum » présente quelques dissonances, il est à l’image des murs de la la collégiale Saint-Laurent d’Estavayer-le-Lac : imposant, rustique et plein de charme.

La collégiale d'Estavayer au fil des siècles (cliquer oour agrandir). Source : La ville d'Estavayer-le-Lac par Daniel de Raemy (coll. Les monuments d'Art et d'Histoire de la Suisse)

Dans cette présentation, vous allez découvrir comment la Collégiale est sortie de terre, comment sa silhouette a évolué et comment sa sonnerie s’est constituée entre le XVe et le XXe siècle. Vous vous rendrez compte une nouvelle fois des liens étroits que le canton de Fribourg entretenait avec les fondeurs franc-comtois. Vous constaterez que certaines coulées de cloches ne se sont pas réalisées sans d’âpres discussions… et qu’à un moment, il a même été question de sabotage ! Vous serez touchés – enfin – de lire l’histoire de « Nana », la dernière sonneuse qui habitait encore la tour il y a moins d’un siècle, dans un confort… très spartiate !


Une situation exceptionnelle

Estavayer-le-Lac attire de nombreux touristes. Sa proximité avec le lac de Neuchâtel – qui jusqu’à la correction des eaux du Jura, battait le pied de la falaise – séduit de nombreux estivants. Mais c’est surtout le centre historique de cette cité fribourgeoise qui attire des visiteurs en toutes saisons. Le patrimoine bâti est exceptionnel : des rues au tracé irrégulier, des immeubles aux façades pleines de charme, une enceinte médiévale remarquablement bien conservée, sans compter des édifices emblématiques tels que le château de Chenaux, le couvent des Dominicaines, et bien sûr la collégiale Saint-Laurent, dont les origines – vous allez le lire – nous ramènent avant l’an mille de notre ère.

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Estavayer-le-Lac, une cité médiévale dans un cadre unique (crédit photo : usl-esta.ch)


Une première église au Xe siècle

C’est en 1228 qu’est citée la toute première église paroissiale d’Estavayer. Toutefois, des fouilles conduites sous le chœur de l’édifice actuel ont mis au jour une abside du Xe siècle. L’église actuelle voit sa construction débuter en 1379, englobant l’ancienne nef romane, qui disparaîtra au profit d’une construction gothique en 1441. A l’initiative d’un petit collège de prêtres soutenu par les couches aisées de la seigneurie, plusieurs agrandissements successifs menés jusqu’en 1521. Ils ont contribué a bâtir la collégiale que nous connaissons aujourd’hui. Ce prestigieux édifice religieux est considéré, au même titre que la cathédrale de Fribourg et la collégiale de Romont, comme un monument majeur de l’architecture gothique du canton de Fribourg.

Si la construction des murs s’est arrêtée durant la première moitié du XVIe siècle, le décor intérieur de la Collégiale a continué de s’enrichir au fil des ans. A part les stalles réalisées par Mattelin Vuarser vers 1525, le mobilier liturgique est postérieur. De 1638 à 1641 est élevé le grand retable sculpté par Jean-François Reyff de Fribourg. Le tableau représentant le martyr de Saint-Laurent est peint par Pierre Crolot de Pontarlier. Les temps sont difficiles, la ville est ravagée par la peste… les moyens sont toutefois donnés aux artistes de réaliser un véritable chef-d’œuvre. Un siècle plus tard sont construits l’autel Saint-Georges et Saint-Etienne, de même que l’autel Sainte-Catherine. Egalement édifiée au XVIIIe siècle, la nouvelle chaire ornée de fines dorures remplace une ancienne installation en pierre datée de 1485. Le grand orgue est réalisé par Aloys Mooser en 1811 après des contacts infructueux avec son père vingt ans plus tôt. L’orgue de chœur, réalisé en 1636 pour l’église (elle n’était pas encore cathédrale) Saint-Nicolas de Fribourg, est racheté par la ville d’Estavayer en 1659. Le partie supérieure du buffet est l’œuvre de Nicolas Schönenbühl.


Des cloches à partir du XVe siècle

C’est en 1425 qu’est achevé le premier clocher de la collégiale Saint-Laurent. Un clocher-choeur qui ne possède alors qu’un niveau et qui n’est coiffé que d’une modeste toiture peu pentue à quatre pans, dans le style de ce qu’on peut voir encore aujourd’hui à l’abbaye de Bonmont. Un second niveau en maçonnerie est ajouté en 1525. La flèche viendra couronner l’édifice en 1565.

Dans son « Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg » (volume 5, publié en 1886) le Père Apollinaire Deillon nous offre de précieux renseignements sur l’évolution de la sonnerie de la collégiale Saint-Laurent.

En 1431, on fit fondre une cloche, qui paraît avoir été la plus grande de celles qu’on possédait ; elle fut de
nouveau coulée par un fondeur de Genève en 1437 mais elle n’eût qu’une courte existence, car on la refit en 1457 en y ajoutant 1572 quintaux de métal; elle sortit des ateliers de Jean Vaqueron, avec un poids de 54 quintaux. Après avoir réjouit la population par son son harmonieux pendant 23 ans, elle fut fêlée. Coulée à nouveau en 1481, l’évêque vint la bénir le dimanche après la fête de St-Barnabé 1481. On dirait qu’elle était frappée d’une malédiction : elle était encore fêlée en 1490 avec la seconde. Benoît de Montferrand fit don à la ville de 13 muids de froment et de 15 muids d’autres graines pour l’aider dans la dépense de la fonte de ces deux cloches. La seconde eût une existence de 12 ans, elle fut refaite en 1502. En 1504, la ville fit couler une nouvelle cloche du poids de 521 livres. La deuxième cloche, coulée en 1502, fut encore refaite en 1512; on acheta pour 700 florins de métal à Berne; on lui donna le nom de Madeleine. Elle eut deux parrains et quatre marraines. Elle dura jusqu’en 1752 ou 1754 ; à cette date, elle fut refaite par Antoine Livremont de Pontarlier, au poids de 3’082 livres.

1560 : Une cloche fut coulée à Yverdon, pour la ville d’Estavayer; elle fut bénite le mercredi avant la St-Martin et on lui donna le nom de Sébastienne; c’était la cinquième du beffroi avant 1870.

1575 : Une cloche de 9 quintaux étant fêlée, le Sénat proposa de l’échanger contre des armes ; on ne sait pas si le marché eut lieu.

1667 : Le fondeur Klely, de Fribourg, refond une cloche au poids de 1’685 livres; l’ancienne pesait 2’741 livres.

1698 : Les frères Damey, de Morteau, coulèrent sur la place de Moudon une cloche du poids de 2’889 livres ; c’était la troisième avant 1870, et les mêmes firent encore, en 1699, la grande cloche au poids de 6,542 livres, l’ancienne pesait 7,266 livres.

L’historique de la grande cloche de la Collégiale diffère passablement entre le « Dictionnaire » de Deillon (ci-dessus) et ce qu’on peut lire dans l’ouvrage « Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse – La ville d’Estavayer-le-Lac » (Société d’Histoire de l’Art en Suisse, 2020) par Daniel de Raemy. Ce dernier, qui s’appuie sur les comptes détaillés du gouverneur d’Estavayer, nous indique que cette cloche est citée pour la première fois en 1425. Elle est ensuite refondue en 1444 par Jean de Villars et Pierre Follare de Fribourg ; en 1458 par Jean Vacquerons de Champlitte (France, Haute-Saône) ; en 1481 et 1491 par Guillaume Fribor-dit-Mercier de Genève ; et en 1699 par les frères Jean et Blaise Damey de Morteau. Fort de ces archives, Daniel de Raemy suggère que la cloche en sol4, coulée entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, se trouve être la cloche dite « des Heures » que maître Vauterin de Fribourg a coulée en 1505. Ce Vauterin ne serait autre que Nicolas Watterin, à qui le campanologue bernois Matthias Walter attribue la magnifique « Clémence » de la cathédrale de Lausanne (cloche 2, note do3, année 1518).

De 1871 à 1873, François-Joseph Bournez cadet de Morteau réalise une nouvelle sonnerie sur un accord majeur de LA2. Seules les trois plus petites cloches de l’ancien ensemble sont conservées. Installation par Basile Renevey, horloger local, d’une horloge mécanique de chez Prêtre à Rosureux. Il est à signaler que ce Renevey a été le représentant de la maison Bournez dans le canton de Fribourg avant de collaborer étroitement avec Charles Arnoux quand ce dernier est venu s’établir comme fondeur indépendant à Estavayer-le-Lac.

La confection de cette nouvelle sonnerie ne fut pas aisée. Mal accordées, les cloches 3, 4 et 5 doivent être refaites. Quelques mois après son installation, le tourillon du bourdon cède, la cloche chute et doit être coulée à nouveau. Plus grande que la précédente, elle nécessite l’agrandissement de l’oculus dans la voûte. Au moment de sa montée dans la tour, on constate qu’une main criminelle a cisaillé la corde ! Le drame est évité de justesse. Ces multiples manquements irritent autorités staviacoises : « Il importe nécessairement à notre administration communale d’en finir une bonne fois avec un ouvrage qui nous a donné ainsi qu’à vous tant de déboires et de mécomptes » peut-on lire dans une lettre au fondeur. Il faudra attendre 1875 pour que la sonnerie et son équipement reçoivent l’aval du commanditaire.

1945 : La sonnerie à la volée est motorisée. Jusque là, le bourdon avait besoin de cinq sonneurs pour sa mise en branle !

1997 : Fêlée, la cloche no2 (do#3) est refaite chez Paccard à Sévrier. Trois cloches neuves sont ajoutées : fa#3 et si3 à la volée et au carillon, mi4 au carillon (le mi4 à la volée de 1872 est en effet plus proche du fa4). Un automate est installé pour gérer les volées et le carillon électrique. Le projet est orchestré par Philippe Martin, expert local, membre de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues suisses. Les nouvelles cloches et le mécanisme du carillon électrique sont installés par la maison Mecatal de Broc. L’ensemble est officiellement inauguré à la Toussaint.

Aurait-il fallu tenter de réparer la cloche no2, fêlée, plutôt que de la refondre ? Des défenseurs du patrimoine, dont le campanologue Claude Graber, ont tenté de sauver la blessée, sans succès. C’est vrai que nous étions jusque là en présence de la plus grosse sonnerie complète réalisée par un fondeur franc-comtois en terre suisse. Le 12 mai 1997, le Conseil paroissial décide à l’unanimité que le métal de l’ancienne cloche sera utilisé pour donner vie à la nouvelle cloche, comme le plaidait Philippe Paccard, directeur de la fonderie chargée de ce travail. La cloche sera refondue à l’identique, à savoir que ses ornements et inscriptions seront reproduits par moulage. Seul sera ajouté le nom du nouveau fondeur. La cloche fêlée est descendue l’après-midi du 24 juin sous un ciel déchiré par les éclairs. La foudre s’abat même sur le clocher, heureusement muni d’un bon paratonnerre. C’est un peu comme si la vénérable trépassée avait choisi de faire ses adieux avec fracas ! Le 25 septembre, sous un soleil radieux, une délégation staviacoise prend la route de Sévrier pour assister à la coulée d’une nouvelle cloche dédiée à saints-Pierre-et-Paul. La sérénité est revenue.

L'horloge mécanique, en service de 1872 à 1945. Son cadran de contrôle porte la signature du fabricant, la maison Prête à Rosureux, et aussi de son installateur, l'horloger local Basile Renevey.

Nana, la dernière sonneuse

Dans la publication « Les Cloches de Saint-Laurent » datée 1997, Gérard Périsset, secrétaire de paroisse, rendait hommage à Anna Bovet, dite « Nana », la dernière sonneuse de cloches de la Collégiale.

Quel gamin staviacois des années antérieures à l’électrification de la sonnerie, en 1945, n’a-t-il pas gravi un jour ou l’autre les rudes escaliers de la tour St-Laurent aux côtés d’Anna Bovet, la dernière «sonneuse» de la collégiale? Une figure légendaire que cette brave «Nana» partageant son existence toute de modestie, de courage et de labeur entre sa blanchisserie située au No 5 de la place St-Claude et les étages du clocher qu’elle n’en finissait pas de grimper quotidiennement, jour et nuit, été comme hiver, le béret sur l’oreille, la lèvre pendante et l’écharpe autour du cou. Fille unique de Louis, dit «Nounou», décédé en octobre 1939, «Nana» avait une cousine, Fonzine Krähenbühl, qui la relevait parfois pour quelques angélus. Les gosses appréciaient moins Fonzine» que Nana. « Touche rien à rien » leur criait-elle d’une voix perçante. Originaire d’Estavayer-le-Lac, la famille Bovet rassemblait de nombreux membres liés par une parenté plus ou moins proche. Les Staviacois connaissaient certains d’entre eux par leur sobriquet. « Nana », « Nounou », « Tintin », « Toto », « Cuèta » et « Danda » composaient en effet la litanie des surnoms que le carillonneur de service les jours de fête, raconte M. André Bovet, dit Sidi, débitait au rythme avec lequel il actionnait un système de corde et de ressort reliant les battants des deux cloches. Un spectacle!

Une affaire de famille – La sonnerie de la collégiale représenta en effet, pour la famille Bovet, la chasse gardée de plusieurs générations. Ainsi en fut-il du père de « Nana », Louis, dit « Nounou », qui avait repris la fonction de son père en 1899. Lui-même avait succédé à sa mère. «Nounou», expliquait en 1959 « Nana » dans une interview parue dans « Le Républicain », ne descendait quasiment jamais du clocher, du moins les dernières années de sa vie… C’est donc elle qui, chaque jour, lui apportait repas et bidon d’eau. Le personnage dormit durant quarante ans dans une chambre au mobilier plutôt rustique qui, malheureusement, finit par disparaître: un lit, une étagère, une table et une chaise, le jeu du char qui se repliait contre le mur, sans oublier un fourneau que la commune et la paroisse réunies alimentaient chaque hiver de 200 fagots. Les sanitaires n’existaient pas. Les tuiles de la collégiale, du côté de l’ancien Crédit agricole et industriel de la Broye, en savaient quelque chose… On imagine, durant les mois d’hiver, la fraîcheur de la chambre sise à mi-hauteur de la tour battue par les vents. « Nounou » vécut du reste sur le déclin de son existence un véritable martyre. Perclu de rhumatismes, il demeura fidèle à son poste jusqu’au bout. « Nana » se souvenait l’avoir vu, quelques jours avant sa mort, escalader à genoux les dernières marches du clocher. Elle évoquait aussi le pénible travail de sa mère qui, avant l’installation d’une horloge plus évoluée que la précédente, avait pour mission de « rabattre » les heures, autrement dit les signaler en les frappant à la main. La brave femme refusa toujours de « taper » 1h. en prétextant qu’un si petit geste ne valait pas l’effort. «Mais ce que j’ai fait n’est rien par rapport à ce que ma maman a souffert» disait-elle avec émotion en rappelant qu’à la responsabilité des cloches attribuée autrefois au sonneur s’ajoutait celle de guet. C’est à lui, ou à elle, qu’on faisait appel pour sonner le tocsin. Une cordelette munie d’une poignée, accrochée à un mur d’angle de la collégiale et reliée à une clochette installée dans la chambre du sonneur, avait tôt fait d’extraire le veilleur de sa couette et de le placer en face de ses responsabilités.

Des journées bien remplies – « Nana » assuma donc son mandat jusqu’à l’électrification des cloches, à la sortie de la guerre. Son programme journalier ne variait guère. Le matin, la première cloche tintait à 6 h., puis 6 h. 15, 6 h. 30, 7 h. 30, 7 h. 45 et 8 h. Le répit s’étendait jusqu’à l’angélus de midi puis à celui du soir. Le repos n’était permis qu’après le couvre-feu, sur le coup de 22 h. Aux sonneries habituelles s’ajoutaient, le dimanche, celles des vêpres, voire des complies. « Nana » s’assurait parfois les services de quelques jeunes, ne fût-ce que pour mettre en branle la grande cloche qui exigeait pas moins de quatre hommes aux pédales et d’un cinquième à la corde enserrant le joug. Les cloches No 2 et 3 étaient actionnées par deux pédales chacune alors que les plus petites n’avaient besoin que d’une corde au bout de laquelle les gosses s’assuraient de prodigieuses envolées. Des gosses que l’on retrouvait sur la place de l’Eglise, à l’aube du Samedi-Saint, pour se ruer sur les caramels que les cloches, de retour de Rome, lançaient à la volée. Les initiés devinaient, à l’abri de la balustrade du chemin de ronde, la brave «Nana» jetant à pleines poignées les friandises signifiant la fin du carême. L’électrification sonna le glas d’une activité séculaire. Le 21 décembre 1961, la cloche de l’agonie annonçait le départ de la dernière « sonneuse » de la collégiale pour un monde qui ne connaît ni la pauvreté ni la solitude, ni le froid ni l’indifférence. Nul doute que les cloches du Paradis auront accueilli leur servante terrestre par le plus beau des carillons. « Nana » le méritait bien.


Un franc-comtois aux commandes de la dernière fonderie de Suisse romande

Depuis des siècles, des liens étroits unissent le canton de Fribourg aux fondeurs de cloches franc-comtois. Nous l’avons vu dans de la chronologie de la sonnerie de la Collégiale, parmi les multiples refontes du bourdon, il y a celle effectuée par les frères Jean et Blaise Damey vers 1697. Ces fondeurs originaires de Montlebon reçoivent la bourgeoisie d’Estavayer en 1698. On retrouve également leur signature sur deux des quatre cloches de l’église paroissiale de Saint-Aubin, datées de 1698. Les descendants de Jean et Blaise continuent de s’illustrer dans le canton de Fribourg : Jean-Claude réalise la petite cloche de l’église paroissiale de La Roche en 1722, Jean-Antoine et Alexis coulent la cloche no4 de l’église paroissiale de Remaufens en 1768. Ces cloches sont toujours existantes.

De 1738 à 1786, c’est un autre franc-comtois qui travaille d’arrache-pied pour le canton de Fribourg : Antoine Livremont. Près d’une trentaine cloches ornées de son cartouche sont recensées aujourd’hui dans la région. Parmi ces rescapées se trouve la plus petite des cloches à la volée de la collégiale d’Estavayer. Au cours de ses recherches effectuées dans les années 1980, Philippe Martin apprend qu’Antoine Livremont a compté comme beau-frère un certain Pierre Berset, d’Estavayer, à qui il a enseigné l’art de la fonte de cloches. Ce Berset a réalisé par la suite un certain nombre de petites cloches dans le canton de Fribourg (couvent des Dominicaines d’Estavayer, chapelle de Morrens) mais aussi dans le canton de Vaud (temples de Correvon, Cuarny et Chapelle-s/Moudon, toujours existantes ; clocheton communal de Boulens, cloche détruite dans un incendie en 2019).

Au XIXe siècle, c’est au tour de la dynastie Bournez de partir à l’assaut des clochers fribourgeois. François-Joseph aîné, obligé de quitter Morteau suite à une sombre affaire de meurtre, s’établit un temps à Domdidier. C’est durant cette période qu’il coule sa plus grande cloche pour la région : le do#3 de l’église réformée alémanique de Morat, daté de 1803. A sa mort en 1825, c’est son fils Généreux-Constant, qui lui succède. Ce dernier ne se contente pas de couler des cloches en son nom. Il exporte aussi son savoir-faire et son équipe, comme nous l’apprend la revue « Le patrimoine campanaire fribourgeois » (éd. Pro Fribourg, 2012). C’est ainsi que Bournez envoie son contremaître Constant Arnoux couler trois cloches pour Lentigny en 1840. En 1858, il dépêche son bras droit à Gruyères pour refondre la sonnerie de l’église Saint-Théodule, tout juste détruite par un incendie.

Constant Arnoux s’établit à Gruyères durant quatre ans avec son fils Charles, âgé tout juste de 15 ans, et lui apprend le métier. Les cloches coulées à partir de 1861 portent d’ailleurs la signature du père et du fils. Une fois sa formation achevée (il travaillera un temps pour un autre franc-comtois, François Humbert) Charles Arnoux devient à son tour contremaître pour la maison Bournez. C’est tout naturellement lui qui est envoyé à Estavayer-le-Lac par François-Joseph Bournez cadet pour couler la sonnerie de la Collégiale au nom de son patron. Le travail effectué, Charles choisit de rester dans la cité staviacoise. Il y travaillera jusqu’à sa mort survenue en 1925 (il avait 82 ans). Charles Arnoux fut ainsi le dernier fondeur de cloches monumentales établi en Suisse romande.


"La Liberté" du 4 janvier 1985 relatait le minutieux travail de recherche de Philippe Martin au sujet du patrimoine campanaire d'Estavayer-le-Lac (cliquer pour agrandir)

Quasimodo remercie

Le Conseil de la paroisse Saint-Laurent d’Estavayer-le-Lac : Marie-Christine Mota, secrétaire, et son gendre Damien Perez. Merci pour le chaleureux accueil !

Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et conseiller campanaire ; Allan Picelli, membre de la GCCS et blogueur. Merci pour votre aide indispensable et pour les moments d’amitié !

Matthias Walter, expert-campanologue à Berne. Merci pour les précieuses indications !

A toi, Maman, qui aimais tant te recueillir en cette belle Collégiale et qui m’as toujours soutenu dans ma passion pour les cloches.

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