Cloches – Gruyères (CH-FR) église Saint-Théodule

Gruyères, son fromage, son chocolat… et son carillon

-Cloche 1, dédiée à sainte Marie Immaculée, note sib2, diamètre 170 cm, poids environ 2’900 kg, coulée en 1888 par Charles Arnoux établi à Estavayer-le-Lac.
-Cloche 2, dédiée à saint Théodule, note do3, diamètre 147 cm, poids environ 1’900kg, coulée en 1861 par Constant Arnoux de Morteau et son fils Charles.
-Cloche 3, dédiée à saint Jean-Baptiste, note ré3, diamètre 131 cm, poids environ 1’300 kg, coulée en 1859 par Constant Arnoux de Morteau et son fils Charles.
-Cloche 4, dédiée à sainte Catherine, note mib3, diamètre 120 cm, poids environ 1’050 kg, coulée en 1858 par Constant Arnoux de Morteau.
-Cloche 5, dédiée à saint Nicolas, note fa3, diamètre 109 cm, poids environ 750 kg, coulée en 1858 par Constant Arnoux de Morteau.
-Cloche 6, dédiée à sainte Marie-Madeleine, note sol3, diamètre 97 cm, poids environ 520 kg, coulée en 1862 par Constant Arnoux de Morteau et son fils Charles.
-Cloche 7, dédiée à saint Maximilien Kolbe, note lab3, diamètre 95 cm, poids environ 525 kg, coulée en 2004 par Paccard à Sévrier
-Cloche 8, dédiée à Mère Theresa de Calcutta, note la3, diamètre 90 cm, poids environ 460 kg, coulée en 2004 par Paccard à Sévrier
[Dans le lanternon : cloche de l’Agonie dite la danye, note sib3, diamètre 81 cm, poids environ 305 kg, coulée en 1804 par Pierre Dreffet de Vevey ]

Gruyères ! Pour le touriste friand d’images d’Epinal, ce nom évoque les blanches montagnes où s’élancent à corps perdu les amateurs de glisse. Gruyères, ce sont aussi les verts pâturages où paissent de paisibles vaches qui donnent naissance à notre célèbre fromage et à notre fameux chocolat. Mais la cité de Gruyères, c’est avant tout l’Histoire avec un grand H. On y trouve un magnifique patrimoine bâti : des maisons aux façades richement ornées, une église à l’imposant clocher fortifié et un château médiéval où se sont joué de terribles luttes de pouvoir. Bienvenue au XIIIe siècle, au temps où les comtes de Gruyères régnaient sans partage sur le sud de l’actuel canton de Fribourg. C’est en 1254 que Rodolphe III obtient de l’évêque de Lausanne le droit d’ériger la cité comtale au rang de paroisse. Le comte dote la nouvelle église Saint-Théodule de biens considérables. De grandes familles lui emboîtent le pas au fil des ans. Le Dictionnaire Historique de Deillon rapporte par exemple qu’en 1373, Briseta, fille de feu Johannod de Broch (Broc), de Gruyères, donzel et veuve de Perret de Pringy, légua par testament à l’autel de Sainte-Catherine, dans l’église de Gruyères, toute sa dot, que lui avoit asseuré feu son mari, soit d’abord une rente de 16 sols et trois coupes de froment, mesure de Gruyères, estimée 8 sols et un chapon, plus 10 sols 2 deniers. Après 1528, Gruyères prend position contre la Réforme, causant ainsi des tensions avec son puissant voisin bernois. En 1554, la Diète fédérale déclare le comté en faillite. Fribourg et Berne se partagent ses biens, ravivant ainsi les querelles religieuses. Deillon raconte qu’en 1556, un prêtre fut accusé auprès de Messieurs de Fribourg d’avoir prêché contre la messe. Ils donnèrent immédiatement l’ordre au bailli de l’incarcérer et de le tenir enfermé jusqu’à sa rétractation. L’Etat de Berne intervint en sa faveur, il fut relâché le 24 octobre 1556. L’intervention de Berne prouverait que ce prêtre venait du Pays de Vaud.

L’édification de la première église de Gruyères date de l’érection de la paroisse : 1254. Même si – comme nous l’avons vu plus haut – une réelle ferveur est mise dans l’édification d’autels par de riches familles, les murs commencent à donner des signes de délabrement. Lors de leur visite de 1453, les délégués de Mgr Georges de Saluces, évêque de Lausanne, soulignent l’état de caducité, de pauvreté, de saleté et de négligence, si souvent constaté à cette époque dans notre diocèse, rapporte le père Deillon. De menues améliorations sont alors effectuées, mais il faudra attendre 1735 pour qu’une nouvelle église soit consacrée. L’édifice actuel date de 1860, seul le chœur et les murs du clocher, ancienne tour d’observation, ont en effet résisté au terrible incendie de 1856. Le XXe siècle est le théâtre de nombreuses restaurations. En 1921, Fernand Dumas, alors jeune architecte, supprime les décors en stuc et repeint les murs en jaune tout en soulignant l’importance des pilastres. 1963 voit la pose des beaux vitraux de Yoki, mais aussi une transformation moins heureuse : les murs se retrouvent entièrement blanchis. Les pilastres étaient effacés et la relation entre le chœur et la nef était perdue, relevait Ivan Andrey, historien d’art auprès du Service des biens culturels lors de la restauration de 2004. Ce sont justement ces derniers travaux qui ont permis à l’église Saint-Théodule de retrouver son harmonie et son caractère historique.

L’histoire de la sonnerie de Gruyères est documentée à partir de 1562. Une magnifique cloche de 30 quintaux (environ 1’500 kg) est coulée et bénie en grande pompe. Catherine – c’était son nom – doit être refaite en 1642 car fêlée. Son poids est alors augmenté de 20 quintaux, ce qui nous amène à 2’500 kg environ. Le 28 août 1679, la foudre frappe le clocher. Trois des cloches sont détruites, la quatrième tombe sans se briser.  L’ambition des bourgeois de Gruyères de couler un bourdon digne de la capitale du comté donne lieu à un procès avec les communes d’Enney, Villars-sous-Mont et du Pâquier. L’Etat intervient et condamne les récalcitrants à participer aux frais. Quatre nouvelles cloches – la plus grande pesant environ 2’800 kg – sont réalisées en 1680 par le fribourgeois Hans Wilhelm Klely, maintes fois mentionné sur cette page, assisté du fondeur local Simon de la Fosse. De ce dernier, les seules cloches mentionnées à Gruyères et à Estavannens ne nous sont malheureusement pas parvenues. La foudre frappe encore le clocher à deux reprises en 1750, mais c’est un coup de mortier le jour de la Fête-Dieu qui réduit en cendres la nef  et qui anéantit une nouvelle fois les cloches en 1856. Les larmes du curé Loffing font heureusement vite place à la farouche détermination de rebâtir au plus vite. C’est ainsi que Mgr Marilley peut consacrer la nouvelle église le 17 juin 1860. On commence par récupérer une cloche de l’ancienne chartreuse de la Part-Dieu dont les biens viennent d’être dispersés. Puis on fait appel au franc-comtois Généreux-Constant Bournez qui envoie son contremaître Constant Arnoux assisté de son fils Charles, âgé tout juste de 15 ans. Arnoux père et fils s’établissent à Gruyères et coulent cinq cloches pour la nouvelle église entre 1858 et 1862 (Charles apparaît dans la signature à partir de 1859). Les fondeurs profitent également de leur présence dans la région pour honorer des commandes  à Hauteville, Vuippens, Marsens et au Châtelard. Trente ans après être arrivé en Suisse avec son paternel, Charles Arnoux, qui s’est depuis établi à Estavayer-le-Lac, coule le bourdon de Gruyères, une de ses plus importantes réalisations. Pour célébrer dignement les 750 ans de la fondation de la paroisse, deux petites cloches sont réalisées en 2004 par la maison Paccard. Vers 2010, la foudre tombe à nouveau sur clocher, endommageant la gestion électronique des sonneries. La cloche no3 part alors en volée tournante et son battant frappe les cloches nos 4 et 5 accrochées au dessus d’elle, heureusement sans les fêler. Ces profondes ébréchures sont vite réparées. La sonnerie de Gruyères s’apprête à recevoir une nouvelle cloche dédiée à sainte Marguerite Bays. L’arrivée de ce petit sib3,  prévue pour la Pentecôte, a été reportée au 11 octobre 2020 en raison de la crise du Covid19. La coulée de cette cloche a été confiée cette fois à Cornille Havard. Evidemment que sa bénédiction et son installation feront l’objet d’un reportage.

Les neuf cloches (bientôt dix) de Gruyères peuvent toutes être mises en volée. Les huit plus grandes peuvent être  carillonnées via un clavier de type manche de brouette ou clavier coup de poing. André Pauchard et Laurent Rime font chanter leur carillon à chaque solennité (voir le mini-récital de carillon dans la présentation vidéo en tête d’article) Les six cloches Arnoux père et fils sont ornées de festons néoclassiques typiques. Leurs inscriptions sont pour la plupart latines. A noter que chez Constant Arnoux, les N sont inversés, comme à l’accoutumée chez ce fondeur franc-comtois. Les cloches de 2004 arborent des rinceaux typiques de chez Paccard. La cloche de l’Agonie (Pierre Dreffet 1804) coulée à l’origine pour l’abbaye de la Part-Dieu, est surnommée la danye. Ce mot issu du patois gruérien – on prononce dagne – peut signifier le beffroi, le clocher, la flèche du clocher, et par extension la cloche qui se trouve tout en haut du clocher.

Voici un aperçu des mots et des effigies qu’on peut trouver sur les huit plus grandes cloches, selon le relevé scrupuleusement effectué par André Pauchard, carillonneur.
-Cloche 1 (traduction du latin) M’ont élevée FJ Laurent Castella curé de Gruyères et Eléonore Rime épouse de Tobie syndic de Gruyères. Sainte Marie Immaculée, reine du Ciel, patronne de toute l’Eglise et la mienne, je loue Dieu. Louez le Seigneur, toutes les nations, jouez-le tous les peuples, car il est bon et sa miséricorde est éternelle. (La suite est en français dans le texte) J’ai été bénite par sa grandeur Mgr Mermillod évêque de Lausanne et de Genève. J’ai été fondue en 1888 sous l’administration paroissiale suivante : Tobie Rime syndic à Gruyères président, Auguste Murith au Clos-Muré, Narcisse Bussard à Epagny, Sylvère Vallélian syndic au Pâquier, Jean Geinoz conseiller à Enney, Nicolas Murith député secrétaire, Benoît Rime à Gruyères huissier. Outre la Vierge, la cloche arbore aussi les effigies de saint Joseph, saint Maurice, saint Pierre et saint Paul.
-Cloche 2 (traduction du latin) M’ont élevée Pierre Joseph Castella syndic de Gruyères, Henriette Moret de Vuadens, Folly curé-doyen. St Théodule patron de l’église j’appelle les gens, venez adorer le Seigneur. La cloche arbore les effigies du saint Crucifix et de la vierge Marie.
-Cloche 3 (traduction du latin) M’ont élevée Michel Gleyvoz d’Enney, Julie Murith, Folly curé-doyen. Saint Jean-Baptiste mon patron et celui de la place forte de Gruyères, je pleure les défunts. Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. De tordus ils seront redressés et de chaotiques ils seront aplanis. La cloche arbore les effigies du saint Crucifix et de la vierge Marie.
-Cloche 4 (traduction du latin) M’ont élevée François Morand, Marcel Murith maître tanneur de Gruyères, Catherine fille de François Morand du Clochatrossin, Folly doyen de la paroisse. Ste Catherine patronne du diocèse et la mienne, je fais fuir la peste. Fuyez les partis adverses. Le lion sorti de Judas est le vainqueur.
-Cloche 5 (traduction du latin) M’ont élevée Joseph Gremion d’Enney, Léonie Murith de Gruyères, Folly curé-doyen, St Nicolas, patron du canton et mon patron, j’embellis les fêtes. Que chacun vienne à la fête ! La cloche arbore les effigies du saint Crucifix et – semblerait-il – de la vierge Marie.
-Cloche 6 Elle arbore simplement les effigies du saint Crucifix et de sainte Marie-Madeleine.
-Cloche 7 1254-2004. Saint Maximilien Kolbe. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Je fus baptisée le 7 novembre de l’an de grâce 2004 sous le pontificat de Sa Sainteté Jean-Paul II par Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse, et l’abbé Pascal Burri, curé. On trouve aussi une effigie représentant une rose (motif de 1660).
-Cloche 8 1254-2004. Bienheureuse mère Thérésa de Calcutta. Ubi caritas et amor Deus ibi est (traduction : Dieu est où la charité et l’amour se trouvent). Je fus baptisée le 7 novembre de l’an de grâce 2004 sous le pontificat de Sa Sainteté Jean-Paul II par Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse, et l’abbé Pascal Burri, curé. On trouve aussi une effigie représentant un moule à beurre (motif du début du XIXe siècle).

Les N inversés sur les cloches, ou le romantisme du XIXe siècle
Selon Felix Tuscher, latiniste et collaborateur au Musée du Fer et du chemin de fer de Vallorbe, la lettre N inversée apparaît déjà dans certaines inscriptions latines de l’Antiquité. A l’époque, il s’agissait sans doute d’erreurs de calligraphie. On retrouve également le caractère И dans l’alphabet cyrillique. Il provient de la lettre grecque êta qui se prononce i en grec médiéval. L’usage du N inversé au XIXe siècle peut s’expliquer par le goût de l’exotisme et du mystère, fort répandu à l’époque. Certains vont même jusqu’à prétendre aujourd’hui que le N inversé signifie amour…

Quasimodo remercie chaleureusement
La paroisse de Gruyères, son président Christian Bussard, son curé Claude Deschenaux, son carillonneur André Pauchard
L’entreprise Mecatal campaniste, Jean-Paul Schorderet et Christelle Ruffieux
-Matthias Walter, expert-campanologue à Berne
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, Allan Picelli sacristain à Maîche, Dominique Fatton responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Sources (autres que mentionnées)
Le patrimoine campanaire fribourgeois, divers auteurs, éditions Pro Fribourg, 2012
https://www.gruyeres.ch/histoire/3793
https://www.gruyeres.ch/_docn/183197/Restauration_glise.pdf
https://www.gruyeres.ch/_docn/2417894/Journal-IntcheNo_1-2020.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gruy%C3%A8res_(Fribourg)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Comt%C3%A9_de_Gruy%C3%A8re
http://swissisland.ch/2019/07/02/n-inverse-%d0%b8-sur-des-cloches-de-vaches-ou-quand-le-romantisme-du-19e-siecle-transforme-la-haine-en-amour/

2 réflexions au sujet de « Cloches – Gruyères (CH-FR) église Saint-Théodule »

  1. Bugnard

    Bonjour,
    un ami normand voisin de la fonderie Cornille Havard de Villedieu-les-Poêles où a été fondue la cloche “Marguerite Bays” qui sera bénie le 11 octobre m’a envoyé un article de La Manche Libre du 1er août dernier où l’on voit une modeleuse en train de poser les décors de la nouvelle cloche.
    J’avais visité il y a deux ou trois ans cette fonderie sans savoir qu’elle préparerait une cloche pour Saint-Théodule. Est-ce que la bénédiction est toujours prévue pour le 11 octobre ? J’aimerais inviter mon ami normand à cette occasion à venir en Gruyère. Je peux vous faire parvenir l’article de La Manche Libre si vous n’indiquez une adresse e-mail par exemple. Mes amitiés à André Pauchard, carillonneur, par la même occasion.
    Bien cordialement,
    Pierre-Philippe Bugnard, historien, Bulle

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    1. Quasimodo Auteur de l’article

      Bonjour, cher Monsieur,
      Merci pour votre aimable message ! Pour le moment, La bénédiction de la nouvelle cloche de Gruyères est toujours prévue pour le 11 octobre, en espérant que la date puisse être maintenue malgré la situation sanitaire toujours changeante. Je ne manquerai pas de faire connaître les éventuels changements sur les réseaux sociaux.

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