Cloches – Belfaux (CH-FR) église Saint-Etienne

Grande rénovation pour l’église au crucifix miraculeux

-Cloche 1, note ré3 +2/16, diamètre 135cm, poids environ 1’500kg, coulée en 1616, signée CF, attribuée à un collaborateur d’Abraham Zender de Berne
-Cloche 2, note mi3 +-0/16, diamètre 117cm, poids 902kg, coulée en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève à Fribourg
-Cloche 3, note fa#3 +1/16, diamètre 101cm, poids 558kg, coulée en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève à Fribourg
-Cloche 4, note la#3 +2/16, diamètre 81cm, poids 328kg, coulée en 1846 par Roelly et fils à Fribourg
-Cloche 5 (Agonie) note mi4 +2/16, diamètre 63.5cm, poids 165kg, coulée vers 1483

Un crucifix objet de toutes les dévotions – C’est un profond sentiment de grandeur passée qui envahit le visiteur de l’église Saint-Etienne de Belfaux.  Si le lieu de pélerinage numéro un du canton de Fribourg est aujourd’hui Siviriez, suite à la canonisation récente de Marguerite Bays, Belfaux a été un temps le lieu vers lequel les pèlerins affluaient en nombre. On les voyait venir de la région, mais aussi des cantons voisins de Neuchâtel et de Vaud, et même de Franche-Comté, de Savoie et de la Forêt-Noire. Tous étaient animés du même  désir fervent : se recueillir devant le saint Crucifix. Vraisemblablement daté de la fin du XIIIe siècle, cet étonnant objet liturgique est sorti miraculeusement intact de l’incendie qui détruisit complètement l’église de Belfaux entre 1470 et 1474 (la date n’est pas mentionnée avec exactitude). Le crucifix du XIIIe siècle, qui jusqu’alors n’avait jamais vraiment attiré l’attention, est devenu un objet d’intense vénération. La nouvelle du miracle s’est répandue comme une traînée de poudre et les pèlerins ont commencé à affluer. Ils furent à tel point nombreux aux XVIIe et XVIIIe siècles que deux hôtels furent édifiés dans le village afin de les héberger. Parallèlement, il fallut mettre sur pied un service d’ordre, l’église et le cimetière étant souvent encombrés. La vente d’objets de piété par ce qu’on appellerait aujourd’hui des « vendeurs à la sauvette » se vit sévèrement encadrée. Au XVIIe siècle, Mgr de Montenach en arriva même à interdire un temps les processions dites « foraines ». Mgr Marilley supprima définitivement cette pratique au XIXe siècle.

L’église devait recevoir deux clochers – La paroisse de Belfaux est l’une des plus anciennes du canton. Plus ancienne même que la fondation de Fribourg en 1157. Les fouilles  menées vers 1980 dans l’actuel cimetière (lieu dit Pré-Saint-Maurice) démontrent que le village fut habité dès la plus haute antiquité. Ce site archéologique d’importance nationale a révélé des objets du Mésolithique (-8000 à -5000), un puits du premier Age de fer (-750 à -450) et une nécropole du second Age de fer (-450 à 0). L’ère chrétienne est également représentée par deux églises construites successivement entre le Ve et le XIe siècle. Le riche Dictionnaire Historique de Deillon nous offre le premier document écrit au sujet d’une église à Belfaux : le rapport de Georges de Saluces, dressé après la visite épiscopale de 1453. Le compte-rendu de l’évêque de Lausanne est sensiblement le même que pour toutes les églises de la région  : un édifice vétuste, obscur et peu soigné. Mgr de Saluces ordonna par exemple (…) de réparer les chandeliers de l’autel et les fenêtres de la nef et d’y placer des vitres, de peindre le crucifix (le fameux crucifix qui deviendra source de vénération, ndlr) de blanchir les murs intérieurs de l’église (…). C’est cette même église au confort plus que spartiate qui est la proie des flammes entre 1470 et 1474. Une nouvelle église, dédiée à saint Etienne, est consacrée en 1491. Le chœur sera remanié à deux reprises. Devenue vétuste, cette église est remplacée par l’actuel sanctuaire néoclassique, dont la construction débute en 1842. Si imposante que puisse être la façade, elle laisse un goût d’inachevé. Les plans de l’architecte Joseph-Fidel Leimbacher prévoyaient en effet – non pas un – mais deux clochers de part et d’autre de l’entrée. Le coût faramineux, de même que les événements de l’époque (Guerre du Sonderbund, arrivée au pouvoir des Radicaux) ont raison de ce projet trop ambitieux. L’architecte essaiera bien de donner un peu de grandeur à son église en la couronnant d’une flèche de 45 mètres. Mais le 5 décembre 1879, un ouragan décoiffe abruptement ce qui était alors l’un des plus hauts clochers du canton de Fribourg. Adolphe Fraisse reconstruit alors la nouvelle flèche moins haute de moitié. L’architecte cantonal dote également la tour d’un balcon-terrasse qui sera supprimé en 1952

Une cloche remisée au placard – Si riche que puisse être la documentation relative à l’église Saint-Etienne de Belfaux, les cloches ne sont hélas que peu mentionnées. Deillon signale la coulée le 25 juin 1431 d’une cloche de quatre quintaux par un certain Georges Thiebaul. Il s’agit de la refonte d’une cloche plus petite. Cette date de 1431 semble trop ancienne pour correspondre à la petite cloche gothique qui serait plutôt de 1483. La cloche du chœur est refaite en 1749. Dans l’ouvrage « Le saint Crucifx de Belfaux » (édité par la paroisse en 1986) il est mentionné qu’en 1952, une ancienne cloche inemployée (…) est offerte à la nouvelle église de Courtepin à la condition qu’elle soit sonnée et que Courtepin la garde. Il s’agit certainement de la même petite cloche baroque qui se trouve toujours à Courtepin, mais qui est tristement remisée dans un placard. Belfaux pourrait donc tout aussi bien la récupérer ! Deillon mentionne encore la coulée en 1788 de deux cloches (nos 2 et 3). Une grande travée vide au premier niveau de la chambre des cloches tend à faire croire qu’un bourdon était prévu. Il n’est malheureusement jamais arrivé. Si riche que puisse être la sonnerie de Belfaux sur le plan historique, elle est clairement sous-dimensionnée par rapport à l’importance de l’église et de son clocher.

Cloche no 1 – Elle porte comme seule signature les initiales CF entourant un petit cartouche où apparaissent une cloche et un canon. Matthias Walter, expert campanologue à Berne, remarque des similitudes (profil, décors) entre cette cloche de 1616 et les réalisations d’Abraham Zender, fondeur bernois actif à la même époque. Il faut savoir que du temps des saintiers, il pouvait arriver que plusieurs collaborateurs d’une même fonderie soient appelées en même temps pour différentes missions. Quand le maître n’était pas présent, ses subalternes apposaient parfois leur propre nom, comme ce fut le cas au XIXe siècle avec le franc-comtois Constant Arnoux envoyé en Suisse par son patron Généreux-Constant Bournez. Dans d’autres cas, l’employé ne gravait que ses initiales. Exemple avec la cloche no 3 de Châtel-Saint-Denis (1588) signée FB mais qui a toutes les caractéristiques d’une cloche de Franz Sermund, le fondeur bernois à qui on doit les bourdons de Romont et de la cathédrale de Lausanne. Il peut encore arriver que des cloches ne portent aucune signature. C’est le cas de l’ancienne cloche no 7 de Bulle (Pierre Dreffet, 1809 ou 1813) déposée sur le parvis.

Cloches nos 2 et 3 – Elles ont été coulées en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève, originaire de Sallanches (F) et reçu bourgeois de Fribourg en 1737 en même temps que son père. Avec ses fils Jacques et Joseph-Jacques, Delesève n’a eu l’occasion de couler que peu de cloches. La concurrence féroce des fondeurs franc-comtois (Livremont, Bournez) et vaudois (Dreffet) a en effet mis à mal les affaires du fondeur officiel de Fribourg.  Malgré son monopole confirmé par l’Etat, Delesève ne bénéficie plus de l’aura de ses prédécesseurs. Pour subsister, il doit se contenter de fabriquer des pompes à incendie, des mortiers et autres chandeliers. Le Petit Conseil tranche en effet régulièrement en faveur des fondeurs étrangers quand leurs prix sont plus avantageux. Pour contourner le monopole, Dreffet de Vevey met au point un subterfuge diabolique : ses cloches pour Fribourg, il les signe Jean-Georges Paris de Bulle et son ouvrier Pierre Dreffet (cloches à Châtel-saint-Denis, Corbières et Charmey). On sait aujourd’hui que ce Jean-Gorges Paris n’a jamais été fondeur ! La stratégie des hommes de paille et des adresses fantômes ne date visiblement pas d’hier…

Cloche no 4 – Faite par Roelly père et fils (Louis et Louis-Alexis) en 1840, c’est la plus récente de la sonnerie, mais c’est aussi la moins réussie. Sans doute est-ce l’effet de la concurrence acharnée que j’évoquais à l’instant, mais on sent que les fondeurs fribourgeois sont à bout en cette moitié de XIXe siècle. Les décors des cloches que livrent les deux dernières générations sont maladroits, voire parfois complètement ratés. Dans certains cas, le timbre des cloches sorties de la fonderie de l’Oelberg est également bien en deçà des attentes. La cloche no4 de Belfaux aurait clairement dû donner le la pour s’accorder avec ses grandes soeurs. Son si bémol forme avec le mi de la cloche no 2 un triton déconcertant qui rend l’élaboration de mélodies carillonnées ardue.

Cloche no5 – De réalisation très soignée, cette petite cloche présente un remarquable ensemble de médaillons, mais ne porte ni date, ni signature. Toujours selon Matthias Walter, elle pourrait avoir été coulée en 1483 par le même fondeur que la petite cloche d’Arconciel et la grande cloche de la basilique Notre-Dame de Fribourg. Cloche de l’Agonie, elle sonne en solo pour annoncer les décès dans le village et elle joint sa voix à celle de ses sœurs pour le glas.

Des jougs en chêne préservés et rénovés – Lors de la motorisation de la sonnerie, les jougs des cloches nos 4 et 5 furent remplacés par des montures en acier. Ces vieux moutons de chêne n’ont heureusement pas été jetés, comme ce fut trop souvent le cas. Récupérés dans le clocher, ils ont été rénovés par l’entreprise Mecatal campaniste sous la supervision des Biens Culturels fribourgeois. Les moutons déposés ont également servi de modèle pour reconstituer les têtes de jougs des cloches 1, 2 et 3 qui avaient été « scalpés ». Ces grands travaux de réfection ont permis à la vénérable sonnerie de recevoir en 2019 de nouveaux battants et moteurs de volée. Il est intéressant de noter que durant ce chantier, les Belfagiens n’ont jamais cessé d’entendre leurs cloches : des haut-parleurs ont en effet diffusé des séquences enregistrées pendant les longs mois qu’ont duré les travaux. A l’heure du bouclage de cet article, l’église de Belfaux Saint-Etienne de Belfaux est toujours en réfection.

Quasimodo remercie chaleureusement :
La paroisse de Belfaux – Jean-Luc Mooser président, Eugénie Mantel vice-présidente
Antoine Vianin, architecte
Le Service des Biens culturels fribourgeois – Anne-Catherine Page
Mécatal campaniste – Jean-Paul Schorderet et Christelle Ruffieux
Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice – Allan Picelli sacristain à Maîche – Dominique Fatton responsable des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que mentionnées)
« Le patrimoine campanaire fribourgeois » éditions Pro Fribourg 2012

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