Cloches – Le Landeron (CH-NE) église Saint-Maurice

Une grande cloche du XVIe siècle pour une sonnerie très solennelle

NomNoteKgØ (mm)FondeurAnnée
Cloche 1mib 31’5001’340Watterin1524
Cloche 2fa 31’0501’195Arnoux1881
Cloche 3Mauricesol 36201’025Kaiser1831
Cloche 4Sébastienlab 3450910Kaiser1831
Cloche 5Jeando 4200720Kaiser1831
Poids et mesures par Muff campaniste

Une bourgade médiévale, son noyau historique admirablement conservé, son église paroissiale rebâtie au XIXe siècle… et ses cloches ! Au nombre de quinze, réparties sur une demi-douzaine de sites, elles ont chacune leur histoire. Commençons aujourd’hui par les cinq cloches de l’église catholique dédiée à Saint-Maurice. Comme vous pouvez le voir dans le tableau ci-dessus, la doyenne n’est pas loin de fêter son demi-millénaire.

Le bourg du Landeron (crédit photo borghisvizzera.ch)

Le Landeron, de tous temps un îlot – Curieuse situation que celle du Landeron, doit se dire le visiteur qui contemple la pittoresque bourgade avec un œil contemporain. Ce village fortifié se trouve en effet dans une plaine, loin de tout plan d’eau qui aurait pu lui assurer un semblant de sécurité. C’est mal connaître l’histoire de la région des Trois-Lacs ! Jusqu’à la Correction des Eaux du Jura entreprise en 1868, Le Landeron se dressait sur un des rares îlots émergeant du vaste marécage de la Thielle. L’historien Jean Courvoisier relate que le nom du Landeron apparaît dans les textes au début du XIIIe siècle, associé à celui beaucoup plus ancien de Val de Nugerol, terme couvrant visiblement la région de La Neuveville à Cressier. La localité de Nugerol disparait à la suite de violents conflits entre l’évêque de Bâle et les comtes de Neuchâtel.  Pour ne pas rester sans défense, Rodolphe IV de Neuchâtel obtient du monastère de Saint-Jean la cession – au sud de Nugerol – d’un pré et d’une place dit Lamderon, en 1325, et le droit de construire une ville forte. Le tout est achevé en 1344. Très vite, la bourgeoisie se distancie de Neuchâtel, préférant développer des alliances avec Soleure. Ce rapprochement influencera considérablement la vie religieuse de la cité. Le Landeron est en effet demeuré imperméable à tous les efforts d’implantation de la Réforme. Aujourd’hui encore, Le Landeron est un îlot… un îlot catholique au milieu de ce canton réformé qu’est Neuchâtel.

Le Landeron, plan cadastral de 1682

Jean Courvoisier, toujours lui, dépeint le remarquable système défensif du Landeron, dont certaines parties sont encore visibles. Si les fossés ont été comblés, si l’ouvrage avancé au nord du bourg a perdu tout caractère militaire, on emprunte aujourd’hui encore le passage médiéval sous la tour de l’horloge. L’accès sud, lui, a été profondément modifié. La démolition en 1880 d’une partie de l’enceinte au lieu dit La Maison Rouge fait que l’ancienne entrée dite Portette ne se trouve plus dans l’alignement actuel des murs. Le Landeron a toutefois conservé une bonne partie de son charme d’antan, ne serait-ce que par riches maisons bourgeoises, ses fontaines et son hôtel de ville du XVIe siècle englobant la chapelle des Dix Mille Martyrs consacrée en 1455.


Une église hors les murs – Je vous ai parlé de Nugerol un peu plus haut. C’est dans cette localité que fut édifiée vers 1187 l’église dédiée à saint Maurice. Si Nugerol a par la suite disparu, l’église est restée debout. On apprend, dans un document de 1806, que la nef, couverte d’un berceau de bois, s’achevait à l’ouest par un pignon surmonté d’une croix de pierre et percé d’un oeil-de-boeuf.  La porte en tierspoint, cernée de colonnettes et de renvois d’eau, était surmontée d’une niche décorée. Un porche de bois, reposant sur quatre colonnes protégeait l’entrée. Au midi de la nef, s’élevaient la sacristie et la chapelle Saint-Antoine, de part et d’autre du clocher, face à la chapelle du Scapulaire, au nord. La tour, élargie par encorbellement à sa partie supérieure, s’achevait par une flèche aiguë.

Cette première église se trouvant dans un état de délabrement avancé (son clocher s’est même écroulé après que les cloches furent descendues) elle fut détruite en 1828 et les matériaux réutilisés pour la nouvelle église. Les plans de cette dernière donnèrent lieu à de nombreuses passes d’armes entre  les différents architectes. Pour des raisons financières, c’est un projet très sobre qui est finalement retenu. La nouvelle église Saint-Maurice du Landeron est consacrée le 15 juillet 1832. De l’extérieur, rien ne la distingue d’un temple réformé. C’est seulement après avoir poussé la porte qu’on se rend compte qu’on se trouve dans une église catholique. Une église à l’élégant mobilier néoclassique : Le maître autel, encadré de doubles colonnes et d’un fronton à denticules, a été dessiné par Guillaume Ritter, l’ingénieur à qui ont doit les plans de la basilique Notre-Dame de Neuchâtel. Le tableau qui orne ce grand retable (le Christ donnant la croix à saint Maurice) est l’œuvre du peintre Melchior-Paul von Deschwaden de Stans. Les colonnes des autels latéraux semblent avoir été récupérés de l’ancienne église. L’orgue du facteur Emile Dumas de Romont remplace depuis 1955 un instrument du XVIIIe siècle construit pour l’ancienne église par Possard père et fils. Cet orgue avait été transféré dans la nouvelle église par le célèbre facteur Aloys Mooser.

Une restauration d’importance est menée en 1930 par Fernand Dumas. Ce grand spécialiste de l’architecture religieuse confie au peintre Albert Gaeng la réalisation des décors polychromes, du plus bel effet (jusque là, murs et plafonds étaient blancs). Nouvelle restauration en 1987, l’architecte Charles Feigel reçoit la mission de régler des questions essentiellement techniques : chauffage au sol, installation électrique, isolation des combles et des baies.


Des cloches historiques à foison – Le Landeron possède – vous l’avez compris – un riche patrimoine bâti. Et je ne vous ai pas encore parlé des cloches ! Outre l’église Saint-Maurice que nous découvrons  aujourd’hui, on peut signaler :
– Les 5 cloches de l’église réformée : 4 cloches Ruetschi 1932 et une cloche Keller de 1868 récupérée de l’ancienne chapelle protestante).
-Les 2 cloches de la chapelle de Combes : une petite cloche de Johannes Witzig de 1721 et une grande cloche de Pierre-Isaac & Isaac-Henri Meuron de 1736.
-La cloche de la chapelle des Dix-Mille Martyrs coulée en 1466.
-La cloche de la Tour de l’Horloge, datant vraisemblablement de la seconde moitié du XVe siècle.
-L’ancienne cloche de l’école, déposée au Musée historique, coulée en 1897 par Charles Arnoux.

L’ancienne cloche de l’école. On aperçoit le cartouche du fondeur Charles Arnoux

Ces cloches, pour la plupart très intéressantes sur le plan historique, feront l’objet de présentations ultérieures.


Eglise Saint-Maurice, cloches d’hier et d’aujourd’hui – L’histoire des cloches qui ont précédé la sonnerie actuelle est très bien documentée. Entre 1524 et 1525, Nicolas Watterin de Fribourg coule quatre cloches. Deux d’entre elles sont des refontes de cloches plus anciennes. Une seule de ces quatre cloches nous est parvenue, il s’agit de la plus grande de la sonnerie actuelle. Un autre fribourgeois, Hans-Wilhelm Klely est chargé de refaire la troisième cloche en 1692. Deux ans auparavant, Jean-Baptiste et Blaise Damey de Morteau coulent une petite cloche. Gros chantier en 1756 et 1757 : Pierre-Isaac Meuron, fondeur de cloches et notaire de Saint-Sulpice, se voit passer commande de quatre cloches. Deux sont des refontes de cloches pesant 1’159 et 1’787 livres. Les cloches réalisées par Meuron pèsent 2’087, 1’208, 1’151 et 857 livres.

La grande cloche, coulée en 1524 par Nicolas Watterin de Fribourg

C’est le 12 novembre 1756 qu’est ratifiée la convention entre  ces Messieurs du Conseil et le sieur Pierre-Isaac Meuron, notaire et fondeur de cloche de Saint Sulpy, pour refondre deux cloches de la paroisses, savoir, la seconde et la troisième. La saison n’étant pas propice à la coulée, il faut attendre mai 1757 pour que le fondeur se mette au travail. Les moules sont confectionnés dans la cour du château de la ville. Les anciennes cloches sont descendues avant d’être brisées. La dicte fonte s’est faite le jour de feste de saint Jean Baptiste, à dix heures du matin ; la grande a très bien réussit, quoy qu’elle ait un peu coulé par le bas, mais la petite n’a pas pu s’achever faute de matériaux. La troisième cloche est réalisée le 23 juillet 1757 à une heure du matin (!) la quatrième voit le jour le 26 août suivant sur le coup de dix heures. Les personnes qui régnoient lors des dittes fontes sont: Messire Pierre Maurice Bellenot, Doyen et Curé, le Révérend Père Irenée Badoux, de Romont, supérieur des capucins, Révérend Père Humbert Choiot, de Praroman, religieux prédicateur, Révérend Frère Bruno Flury, de Stantz.

La cloche no2, œuvre de Charles Arnoux établi à Estavayer-le-Lac, 1881

Aujourd’hui, les cloches de l’église Saint-Maurice du Landeron sont au nombre de cinq. Les trois plus petites portent la signature de Kaiser de Soleure et la date de 1831. Contrairement aux coulées sur site de 1757, les archives ne semblent conserver aucune anecdote concernant la réalisation de ces cloches, qui ont certainement été coulées à Soleure, puis acheminées par bateau. Idem pour la cloche no2, coulée par Charles Arnoux à Estavayer-le-Lac en 1881. Ses inscriptions indiquent qu’elle est la refonte d’une des cloches de 1757. On peut se désoler qu’aucune des quatre cloches Meuron ne nous soit parvenue. On se consolera toutefois en admirant la rescapée de l’ancienne sonnerie : une vénérable cloche gothique coulée par Nicolas Watterin de Fribourg et portant la date de 1424. Comme vous pouvez le constater sur l’enregistrement audio-vidéo qui accompagne cette présentation, la voix de cette vieille dame est magnifique !

Les cloches nos 3 et 4, coulées par Kaiser de Soleure en 1831

La sonnerie a bénéficié d’une importante restauration en 2014 (ferrures, battants, système de mise en volée) menée par l’entreprise Muff à Triengen (CH-LU).

Construit dans les années 1930, le temple du Landeron possède lui aussi cinq cloches

Voilà pour la première étape de la découverte du patrimoine campanaire du Landeron ! Je me réjouis d’ores et déjà de vous raconter d’autres pans d’histoire de cette pittoresque bourgade, et de vous faire entendre d’autres sons de cloches.


Sources :
« Les monuments d’art et d’histoire du canton de Neuchâtel », Jean Courvoisier, éditions Birkhauser, Bâle, 1963
« Les fondeurs de nos cloches », Léon Montandon et Alfred Chapuis, extrait des cahiers « Musée neuchâtelois », 1915
FAN – L’Express du 9 mars 1992

Quasimodo remercie :
La paroisse catholique du Landeron
Loïs Auberson, jeune citoyen et paroissien du Landeron passionné de patrimoine.
Muff campaniste, Lionel Glassier
Allan Picelli, sacristain et servant de messe à Maîche
Dominique Fatton, responsable technique du clocher de Buttes
Luc N. Ramoni, pasteur.

A la mémoire de Jean-Marie Egger, historien de la paroisse catholique du Landeron, commandeur de l’Ordre de Saint-Maurice. Merci pour nos belles rencontres, merci pour nos savoureux échanges

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