Cloches – Le Pont (CH-VD) temple réformé

On y sonne encore les trois cloches à la corde !

-Cloche 1, « Espérance », note si3 -30/100, coulée en 1900, signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez
-Cloche 2, « Charité », note ré4 -41/100, coulée en 1900, signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez
-Cloche 3, note ré5 -44/100, coulée en 1733 par Samuel Steimer de Berne

Il y a peu, en compagnie de quelques amis, je vous faisais découvrir la somptueuse abbatiale romane de Romainmôtier et sa sonnerie à l’histoire si particulière. A quelques encâblures de la vallée du Nozon avec son site clunisien se trouve la Vallée de Joux. Si la région est aujourd’hui avant tout réputée pour ses attraits touristiques – on se baigne dans le lac de Joux durant la belle saison, on y patine l’hiver – on n’en oublie pas pour autant son riche passé industriel et horloger. Une première halte dans la Vallée m’avait déjà permis de vous faire découvrir les quatre cloches du Brassus en 2015. Je vous invite aujourd’hui dans le clocher du Pont, qui héberge une sonnerie certes de taille modeste, mais intéressante à plus d’un titre. Ce qui a tout d’abord attiré notre équipe multi-générationnelle de passionnés, c’est le fait que les trois cloches se manœuvrent aujourd’hui encore à la corde. Vous n’allez pas non plus tarder à vous rendre compte que l’histoire de ces demoiselles de bronze est captivante à plus d’un titre.

L’ancienne église du Pont, démolie en 1920 (source http://www.histoirevalleedejoux.ch/)

Un premier temple fut construit au Pont au début du XVIIIe siècle. Ce lieu de culte maintes fois transformé reçut en 1733 une cloche toujours existante. Cette cloche, réalisée par le Bernois Samuel Steimer (recensé souvent aujourd’hui en tant que Steiner) fut commandée à Romainmôtier, chef-lieu du baillage. La cloche livrée ne comportait pas que le nom de son fondeur. Elle était aussi ornée d’un sceau comportant la lettre R (peut-être le sceau du capitaine Rochat, mentionné dans les archives au sujet de la construction du temple). La cloche était surtout frappée des noms de quelques notables de la région. La manœuvre, considérée comme anti-démocratique, suscita le courroux des citoyens du Pont, qui se plaignirent auprès de LLEE de Berne. C’est ainsi que les noms litigieux furent limés. La cloche arbore donc aujourd’hui cette inscription incomplète : (…) du Pont, en la Vallée du Lac de Joux, 1733. Le sceau, lui, n’a pas été ôté. La signature du fondeur se trouve sur le cerveau de la cloche : SAMUEL STEIMER GOSS MICH. On retrouve ce nom sur la cloche dite Armsünderglocke (do#3, 1734) de la collégiale Saint-Vincent de Berne.

Avec le développement industriel et horloger de la vallée de Joux, le temple du Pont devint trop petit à la fin du XIXe siècle. Francis Isoz (1856-1910) fut dans un premier temps approché pour un agrandissement de l’édifice. L’architecte lausannois fut finalement mandaté pour construire un nouveau temple au lieu dit Crêt du Sablon. La géologie du terrain donna des cheveux blancs aux bâtisseurs, mais il est vrai que la situation dominante est majestueuse ! Le nouveau temple à la silhouette néogothique fut inauguré le 28 octobre 1900.

La nouvelle église du Pont. Les vitraux de 1960 sont l’oeuvre du peintre verrier jurassien Bodjol

 

 

Trois artisans firent une offre pour la fourniture de l’horloge et des cloches. Voici leurs noms et les prix demandés :
-Maillefer à Ballaigues, horloge 1’600 frs, prix du kg de cloche, 4.60 frs.
-Odobey à Morez, horloge 1’932.10 frs, prix du kg de cloche, 4.75 frs.
-Crot à Granges, horloge, 1’710 frs, prix du kg cloche, 5.55 frs.
Francis Isoz, appelé à donner son avis, fit parvenir le message suivant à l’administration communale le 25 janvier 1900 :
1) Pour les mêmes tons (do et mi), le poids des cloches offertes par Odobey est de 95 kg plus faible que celui de son concurrent Crot.
2) Malgré cette différence, l’alliage en cuivre et étain est à peu de chose près le même.
3) Le soumissionnaire Odobey est le seul qui fournisse un devis très détaillé et très complet et s’engage à rendre posées l’horloge et les cloches.
4) Le prix de 4.60 frs par kg de cloche fait par le soumissionnaire Maillefer paraît être faible pour un prix de seconde main et M. Maillefer est plutôt mécanicien qu’horloger.
L’architecte conclut en ces termes :
Aussi, d’après ce qui précède, étant donné que la maison Odobey est très sérieuse, qu’elle m’a encore fourni l’année dernière une horloge et une cloche qui marchent à la satisfaction de ceux qui les utilisent, je me permets de vous proposer de lui adjuger la fourniture et la pose de l’horloge et de deux cloches donnant le do & le mi pour le prix en bloc et à forfait de 3’619.80 frs
(ndlr : les cloches donnent en fait les notes si et ré)
Les autorités communales, suivant le mot d’ordre de l’architecte, attribuèrent le mandat à la maison Odobey. L’horloge fut installée dans le clocher le 8 septembre 1900. Il est intéressant et même amusant de préciser que Crot et Maillefer n’étaient que des revendeurs. Ils assemblaient et installaient des mouvements dont ils avaient passé commande chez… Odobey justement !

Odobey, on le sait, ne coulait pas ses cloches lui-même. L’horloger de Morez était en affaires avec divers fondeurs de cloches. Les riches archives collectées par Daniel Fonlupt, conservateur de la Maison des Horloges de Charroux, indiquent qu’Odobey se fournissait (entre autres) chez Paccard et chez Burdin. C’est donc uniquement en se basant sur les profils et les décors des cloches qu’on peut tenter de deviner quelle fonderie a réalisé telle ou telle pièce estampillée Odobey. Les cloches du Pont semblent n’avoir été coulées par aucun des fondeurs susnommés. Arthur Bamas, campanophile breton qui suit actuellement une formation de fondeur, les attribue à Farnier. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, n’exclut pas cette hypothèse en précisant qu’il pourrait surtout s’agir de Farnier de Dijon.

Dans le clocher

 

 

Les nouvelles cloches arrivèrent à la gare du Pont le 19 mai 1900. Voici leurs inscriptions, de haut en bas
-Grande cloche : LD ODOBEY CADET MOREZ / ESPERANCE / SI AUJOURD’HUI VOUS ENTENDEZ MA VOIX / N’ENDURCISSEZ PAS VOS COEURS / HEBREUX III.7
-Petite cloche : (signature indentique) CHARITE / ECOUTEZ MA VOIX ET JE SERAI VOTRE DIEU / JEREMIE VII.23
Ces deux cloches sont suspendues côte à côte à leurs jougs en chêne d’origine dans leur beffroi de bois. Est venue les rejoindre en 1959 la cloche de l’ancienne église, remisée jusque là dans le local des pompiers. Cette petite cloche a rempli un temps le rôle d’alarme. Elle n’est aujourd’hui plus utilisée et ne bénéficie d’aucun entretien. Ses ferrures s’étant relâchées au fil des ans, nous ne l’avons sollicitée que très brièvement pour la présentation vidéo.

Quasimodo remercie chaleureusement :
Nordahl Autissier, responsable des bâtiments au sein du Conseil administratif du Pont
Mes amis campanaires Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources :
http://www.histoirevalleedejoux.ch/articles/5_les_eglises_du_pont
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F29113.php
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bailliage_de_Romainm%C3%B4tier
https://www.bernermuenster.ch/de/berner-muenster/muensterbau/glocken.php

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