Cloches – Vers-l’Eglise (CH-VD) temple et ancienne église Saint-Théodule

Rencontre de fondeurs bernois et franc-comtois dans les Préalpes vaudoises

-Cloche no1, note MI3 – 51/100, diamètre 127 cm, coulée en 1564, attribuée à Franz Sermund de Berne.
-Cloche no2, note SOL3 – 52/100, diamètre 108 cm, coulée en 1736 par Abraham Gerber de Berne.
-Cloche no3, note DO4 – 3/100, diamètre 76 cm, coulée en 1760 par Jean-Claude Livremont de Pontarlier.

Un emplacement choisi avec soin – Il y a un peu moins de trois ans, je vous invitais à une première escapade dans la vallée des Ormonts à l’occasion d’une présentation du temple de Cergnat. Vous y découvriez avec émerveillement un ensemble historique de trois cloches gothiques dans leur fier clocher à la flèche de pierre. Vous vous extasiiez aussi devant le paysage des Préalpes vaudoises, ces montagnes à la fois imposantes et rassurantes, au pied desquelles des villages bucoliques semblent chercher protection. C’est justement dans un but protecteur que le temple de Vers-l’Eglise a été édifié à cet endroit précis. La légende raconte en effet qu’avant la mauvaise saison, de sages paysans auraient planté en terre trois piquets. Deux dans des endroits exposés aux soleil, le troisième dans ce coin plutôt ombragé. Seul le dernier de ces trois piquets ayant résisté à l’hiver, il fut choisi de construire l’église là où elle serait épargnée des avalanches et des éboulements. La première mention d’un lieu de culte à Vers-l’Eglise remonte à 1396. Il ne s’agit toutefois que d’une chapelle, et les habitants du lieu sont contraints de se rendre à l’église-mère de Cergnat, distante d’une dizaine de kilomètres. Vers 1480, quelques paroissiens de Vers-l’Eglise mettent en avant les difficultés pour eux de se déplacer, surtout à la mauvaise saison, dans cette région accidentée. Ils demandent à disposer de leur propre église paroissiale et à pouvoir enterrer leurs morts dans leur cimetière. Ces exigences seront partiellement remplies en 1482 moyennant finance. Mais ce n’est qu’en 1536, avec l’arrivée de de la Réforme au Pays de Vaud, que le village de Vers-l’Eglise se voit enfin érigé en paroisse.

Le temple de Vers-l’Eglise semble avoir été construit en 1456, donc 80 ans avant la Réforme. Ce qui était encore un lieu de culte catholique a été béni par l’évêque de Sion Henri Asperlin. De la fin du Moyen-Age nous sont parvenus le chœur avec sa voûte à cinq nervures et son abside à trois pans, la nef unique et le massif clocher-porche. Parmi les travaux qui ont peu à peu donné à l’édifice l’aspect que nous lui connaissons, citons les trois galeries ouest, sud et nord construites respectivement en 1581, 1709 et 1830 afin de gagner de la place. Le magnifique plafond en berceau lambrissé, la chaire, le banc du gouverneur et le tronc datent du XVIIIe siècle. Ces transformations font souvent  appel à des artisans étrangers au village et dont la renommée dépasse de loin les limites de la vallée des Ormonts. On peut citer les Guignard père et fils, menuisiers, dont les activités ont été recensées jusque dans la Vallée de Joux. Au milieu du XIXe siècle, l’état de  délabrement avancé du temple nécessite d’urgents travaux de maçonnerie et de terrassement. La rénovation de 1960 permet de mettre au jour les fonts baptismaux qui avaient été enterrés, de même que deux fenêtres en arc brisé dans le chœur qui avaient été murées. 2015 voit la pose par un artisan de la région de nouveaux tavillons  dont le bois provient entièrement de la vallée des Ormonts.

Une cloche attribuée à l’un des meilleurs fondeurs de sa génération – C’est une sonnerie historique de grande valeur qui se cache derrière les baies gothiques du massif clocher-porche. La grande cloche, datée de 1564, porte porte l’inscription suivante : Peuple, venez écouter la parole du Seigneur, entendez grâce à vos oreilles la loi de votre Dieu. Il s’agit là de la traduction française d’une inscription latine figurant sur le col de la cloche. Cela peut paraître curieux pour une cloche réformée, mais il faut savoir que l’usage de la langue latine a perduré durant de longues années pour les inscriptions religieuses (exemple sur le bourdon de Vevey daté de 1603) et pour des textes officiels. La cloche arbore des visages grimaçants sur ses anses et des empreintes de feuilles de sauge sur sa robe, ornements qui seront ensuite repris sur de nombreuses cloches baroques. La qualité visuelle et sonore de cette cloche de la Renaissance, sa technique de fonte novatrice pour l’époque, tout ceci indique que nous avons affaire à un fondeur en pleine possession de son art. Matthias Walter, expert campanologue à Berne, attribue cette beauté de bronze à Franz Sermund, ce fondeur originaire de Bormio (I) reçu bourgeois de Berne en 1567. Pour rappel, Sermund, en tant que fondeur officiel de Leurs Excellences de Berne, a coulé des cloches remarquables dans tout le canton de Vaud, dont le magnifique bourdon de la cathédrale de Lausanne (1583) l’une de ses plus importantes réalisations.

La cloche no2 est intéressante par ses enseignements historiques. Elle symbolise pour commencer l’écrasant pouvoir de Berne sur le Pays de Vaud : la signature d’un artisan bernois, mais aussi et surtout le grand écusson représentant l’ours bernois. Les armoiries communales apparaissent toutes petites sur la face opposée de la cloche ! On remarque également la place prépondérante du pouvoir civil dans les inscriptions et les motifs apparaissant sur les cloches réformées de cette époque. Cette tendance connaîtra son apogée au XIXe siècle sous le gouvernement radical vaudois avant de décroitre. Sur la cloche de Vers l’Eglise, on découvre tout de même cette inscription à caractère religieux PAR MON SON MELODIEUX IAPPELLE DANS CE SAINT LIEU LES HUMAINS POUR LETERNEL SERVIR DUN VOEU SOLENNEL. L’inscription FONDEV A BERNE PAR ABRAM GERBER LE 26 MAI 1736 souligne les armoiries du fondeur représentant une cloche et un canon. Ce blason confirme que les successeurs de Franz Sermund et d’Abraham Zender – comme nombre de leurs contemporains – coulaient également des pièces d’artillerie. Pour être complet avec le descriptif de cette cloche délicatement ornée, il faut signaler encore les armoiries de la famille Wurstemberger représentée par Johann Rudolf commandant d’artillerie et directeur de la fonderie, et François seigneur gouverneur.

La cloche no3 est la seule à ne pas être l’œuvre d’un fondeur bernois. On peut lire sur son col les noms de quelques notables de la commune : le châtelain Jean Favre, l’ancien châtelain Moyse Nicollier, les syndics Jean Favre et Moyse Culand ainsi que l’égrège Jean Favre. On trouve encore ces quelques lignes en latin et en français VOX CLAMANTIS / IINDIQVE LE TEMS ET LE LIEV OV VOVS DEVEZ ADORER DIEV. Coulée en 1760, cette petite cloche porte la signature de JC Livremont fondeur de Thonon.

De nombreux fondeurs dans la famille – Cette présentation de la sonnerie de Vers-l’Eglise est une occasion rêvée de vous toucher quelques mots des Livremont (variantes : Lievremont, Livremond) cette famille originaire de Franche-Comté recensant dans ses rangs un grand nombre de fondeurs. Tous ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire aux XVIIe et XVIIIe siècles, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté. Le degré de parenté exact entre les différents membres de cette dynastie qui portent parfois le même prénom n’est pas toujours clair. Pascal Krafft, expert campanologue à Ferrette (F-68) a attiré mon attention sur les travaux de Louis Boiteux. Dans son étude réalisée vers 1920 au sujet des  cloches historiques du Doubs, le chanoine Boiteux mentionne au XVIIe siècle Guillaume fondeur à Pontarlier et son frère Jean-Baptiste actif à Dole. Ce même Jean-Baptiste est également cité par A. Cahorn (Les cloches du canton de Genève, 1925) dans des travaux de réparation à l’une des cloches de la cathédrale Saint-Pierre de Genève en 1668. La Revue Savoisienne de 1896 nous apprend que Guillaume et Antoine originaires de Pontarlier et qualifiés de bourgeois d’Evian ont coulé en 1687 deux cloches pour Evian et une pour l’ancienne paroisse voisine de La Thouvière. La grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 porte la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon. Les frères Livremont semblent avoir ensuite repris la direction de la Franche-Comté non sans avoir fait halte dans le Nord-Vaudois, comme l’indique la griffe apposée sur le bourdon d’Orbe (CH-VD) GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688. Au XVIIIe siècle, Antoine le jeune – fils, petit-fils ou neveu d’Antoine l’Ancien, la filiation n’est pas claire – a coulé un grand nombre de cloches pour les cantons de Fribourg et de Neuchâtel. Il semble avoir eu au moins deux fils, eux aussi fondeurs. Le patrimoine campanaire fribourgeois mentionne le prénom de Jean pour une cloche à Morteau et le prénom de Claude pour des cloches à Onnens (1786) et aux Sciernes d’Albeuve (1780). Le musée neuchâtelois évoque un certain Joseph pour deux cloches à Buttes en 1772. Claude et Joseph pourraient n’avoir été qu’une seule et même personne : Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, signale que la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel coulée en 1786 est signée C I LIVREMON. Les archives de la commune d’Amagney (F-25) nous apprennent qu’il a été passé commande en 1775 d’une cloche à un fondeur du nom de Claude-Joseph Lièvremont. Ce Claude-Joseph pourrait avoir été un frère ou un cousin d’Antoine le jeune. Toujours au XVIIIe siècle, les prénoms de Jean-François puis de Jean-Claude apparaissent dans certains clochers de la région du Léman. Une cloche à Saint-Jean-d’Aulps (F-74) datée de 1747 porte la signature de ces deux frères, tout en mentionnant leur bourgeoisie de Pontarlier. Selon la Revue Savoisienne de 1896, Jean-François natif de Pontarlier fut appelé pour remplacer les cloches de Pers (F-74) en 1754. Il serait décédé à Annecy le 27 mai 1764 à l’âge de 52 ans laissant plusieurs enfants dont aucun ne paraît avoir exercé l’industrie paternelle. Sur la petite cloche de Vers-l’Eglise coulée en 1760, Jean-Claude – vraisemblablement le plus jeune de la fratrie – apparaît seul et Thonon remplace alors Pontarlier comme lieu de résidence du fondeur.

Pas de beffroi – Sous la chambre des cloches du temple de Vers-l’Eglise se trouve une horloge mécanique datée de 1899 et signée Louis Crot à Granges VD. Cette horloge a été profondément modifiée : remplacement du mécanisme horaire par un moteur électrique relié à une horloge-mère, remontage électrique des poids. La sonnerie a été motorisée en 1966. De cette époque date certainement l’équipement actuel : battants piriformes, jougs en acier et rails métalliques scellés dans le mur en lieu et place d’un beffroi. Lors de l’enregistrement audio-vidéo de la sonnerie, mes camarades et moi-même avons remarqué que les vibrations induites par la volée des trois cloches se transmettaient aux murs pourtant épais du vénérable clocher gothique. Les trépieds de nos caméras placées sur le plancher et dans l’embrasure des baies sont entrés en résonance avec la sonnerie ! Je ne saurais trop recommander – sinon d’opter pour un vrai beffroi en bois – de placer au moins des plaques isolantes sous les paliers des cloches afin d’atténuer ces vibrations qui pourraient à long terme fragiliser la maçonnerie.

Sources (autres que mentionnées)
Ormont-Dessous, Ormont-Dessus, divers auteurs sous la direction d’Henri-Louis Guignard.
https://www.villars-diablerets.ch/fr/P5493/le-temple-de-vers-l-eglise
https://www.ormont-dessus.ch/
https://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/temple-versl-eglise-soffre-coup-jeune/story/18234871
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ormont-Dessus
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amagney
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vall%C3%A9e_des_Ormonts
https://cloches74.com/2014/07/08/saint-jean-daulps-eglise-saint-jean-baptiste-plan-davoz/

Quasimodo remercie chaleureusement
-La commune d’Ormont-Dessus, le musée des Ormonts et sa convervatrice Mary-Claude Busset,  la paroisse des Ormonts-Leysin et son pasteur Frédéric Keller.
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et Allan Picelli, sacristain à Maîche (F-25).

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