Cloches – Lyon (F-69) Primatiale Saint-Jean

Un des plus beaux bourdons historiques de France

-Cloche 1, « Grosse Cloche » ou « Anne-Marie », note lab2, diamètre 219 cm, poids environ 7’700kg, coulée en 1622 par Pierre Recordon à Lyon
-Cloche 2, « Gabrielle », note sib2, diamètre 162 cm, poids 2’379 kg, coulée en 1805 par Louis Frèrejean cadet à Lyon
-Cloche 3, « Blandine », note do3, diamètre 138cm, poids 1’533 kg, coulée en 1818 par André Chevalier à Lyon
-Cloche 4, « Neufve » ou « Carsin », note fa3, diamètre 108 cm, poids 697 kg, coulée en 1671 par Léonard Dupont
-Cloche 5, « Pothin », note sol3, diamètre 96 cm, poids 535 kg, coulée en 1820 par Chevalier de Lyon
-Cloche 6, « Rappiau » ou « Schiule », note lab3, diamètre 83 cm, poids 314 kg, coulée en 1805 par Pancrazio Bettalli et ses fils.
(mesures et estimations des poids par Régis Singer, expert-campanologue, en 1996)

La vidéo de la sonnerie est un plénum virtuel réalisé au moyen de plusieurs sonneries distinctes : des solos de la Grosse Cloche enregistrés en 2012 et en 2014 et une volée des cloches 2 à 6 immortalisée le 3 août 2020.

Il m’est arrivé de galérer – et c’est un euphémisme – pour dénicher de la matière afin de rédiger des présentations pour les églises paroissiales de ma région. Dans le cas présent, l’exercice a consisté plutôt à synthétiser les milliers de pages consacrées à la primatiale Saint-Jean-Baptiste-et-Saint-Étienne. Pourquoi « primatiale », pour commencer ? Pour la simple et bonne raison que l’archevêque de Lyon a le titre de Primat des Gaules. Cette église – la plus ancienne de France selon le site de la paroisse – cumule donc les titres de primatiale et de cathédrale.

Un peu d’histoire, maintenant. Au Moyen Âge, la Primatiale Saint-Jean faisait partie d’un vaste complexe comprenant les églises Saint-Étienne et Sainte-Croix, détruites à la Révolution, ainsi que l’actuelle manécanterie (école pour le chant du clergé). L’édifice a connu deux prédécesseurs : Une première « maxima ecclesia » est construite en 469 par Patient, évêque de Lyon entre 449 et 494. Elle sera détruite par les invasions sarrasines entre 725 et 737. Une nouvelle église est bâtie par Leidrade, dernier évêque de Lyon au début du IXe siècle. L’édifice semble avoir été assez important pour les techniques architecturales d’alors : sa nef mesurait probablement plus de dix mètres de largeur.

La construction de la cathédrale actuelle a été émaillée de nombreuses difficultés. Le terrain, pour commencer : les bords de la Saône sont faits d’alluvions peu propices à la stabilité d’un édifice aussi imposant. Il faut ensuite veiller à ne pas couper les voies de communications les plus importantes. Le chantier ne doit pas non plus interrompre le bon déroulement du culte. S’ajoute à ces difficultés le conflit ouvert entre le chapitre et l’archevêque. La tour nord du transept, dite « Saint-Thomas » est construite en priorité, car les chanoines ont besoin des cloches. L’édification de cette nouvelle église s’étale entre 1175 et 1480. Conséquence : Guichard de Pontigny entame la construction d’une église romane, Jean Belles-mains transforme l’édifice en un ouvrage gothique. L’absence de savoir-faire des bâtisseurs de cathédrale du Bassin parisien explique la relative modestie des dimensions et de l’ornementation de l’édifice.

La Primatiale est fortement endommagée par les guerres de religion en 1562, puis par la Révolution française et le siège de Lyon en 1793. Sa restauration menée par Tony Desjardins au XIXe siècle va lui permettre, dans un premier temps, de retrouver son aspect médiéval mais aussi – dans un second temps – de voir cet aspect sublimé. Les critiques auront toutefois raison des projets les plus ambitieux de Desjardins : les flèches prévues par l’architecte diocésain (photos ci-dessous, source Wikipedia) ne verront jamais le jour. Les opérations de sabotage menées par les troupes allemandes lors de leur retrait en septembre 1944 touchent indirectement l’édifice. La remise en état des verrières et des façades se poursuit jusqu’en ce début de XXIe siècle.

La Primatiale Saint-Jean a été le théâtre de deux conciles au XIIIème siècle, du couronnement du pape Jean XXII en 1316, du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis en 1600, et de bien d’autres événements religieux et civils d’envergure. Elle est aujourd’hui le siège épiscopal de l’archidiocèse de Lyon. C’est aussi un lieu touristique fort prisé, notamment pour son horloge astronomique du XIVe siècle. La localisation de l’édifice en fait un lieu rêvé pour des animations telles que la fête des Lumières.

« Lyon, la ville sonnante » disait Rabelais. Il est vrai que la Primatiale Saint-Jean a compté à une certaine époque jusqu’à 12 cloches. Cet impressionnant ensemble campanaire desservait aussi les églises Saint-Étienne et Sainte-Croix voisines, pour lesquelles seules les plus petites cloches donnaient de la voix. Les sonneries lyonnaises répondaient à une ordonnance des plus strictes : la Primatiale avait préséance sur les autres églises de la ville et le travail des différents sonneurs dans la tour était orchestré depuis le chœur par un jeu de cordes.

En 1789, le clocher comportait huit cloches :
-La Grosse Cloche, toujours existante
-Une cloche coulée par Abraham Pose en 1642, disparue
-Trois cloches de Léonard Dupont (1671), une seule nous est parvenue (actuelle cloche no4)
-Trois cloches de Ducret père et fils datant de 1768, disparues

Un décret du 29 août 1793 ordonne la fonte de toutes les cloches, exception faite de la plus grosse et de la quatrième. 18’666 livres de bronze sont ainsi expédiés aux arsenaux.

Aujourd’hui, la sonnerie à la volée de la Primatiale Saint-Jean est composée de six cloches, toutes installées dans la tour nord-est :

La Grosse Cloche (Cloche no1, lab2, 7’700 kg) – C’est indiscutablement l’une des plus belles cloches historiques de France. Près de neuf ans après l’avoir entendue pour le première fois, je me souviens comme si c’était hier de l’émotion qui m’a étreint au premier coup de battant de ce bijou d’airain. Anne-Marie – c’est son petit nom – remplace trois bourdons coulés successivement en 1305, 1508 et 1555. Sollicitée à outrance lors d’un pic de mortalité dû à une épidémie, cette dernière cloche rend l’âme en 1622. Pierre Recordon, fondeur du Roi à l’arsenal de Lyon, est chargé de  refaire un bourdon au plus vite. Si la coulée est effectuée rapidement, la nouvelle cloche attend cinq mois au pied de la tour en raison des difficultés d’installation (pas de trappe de passage ni de baies suffisamment grandes). Il aura fallu menacer le fondeur de prison pour qu’il daigne enfin hisser Anne-Marie en avril 1623 ! Par son nom, le nouveau bourdon rend hommage à la fois à sa marraine, la régente Anne d’Autriche, et à la Vierge Marie. La Grosse Cloche honore aussi Anne de Bretagne, marraine d’une cloche de Saint-Jean détruite par les Huguenots en 1562.

Gabrielle (cloche no2, sib2, 2’379 kg) – La menace de l’effondrement du beffroi après la Révolution pousse la fabrique à passer commande de nouvelles cloches afin de contrebalancer le poids formidable de la Grosse Cloche, située à l’extrémité nord de la structure. Coulée par Frèrejean de Lyon – qui quelques années auparavant avait converti nombre de cloches en canons pour les Révolutionnaires – Gabrielle remplace une cloche sensiblement plus lourde : Étiennette, 2’882 kg, coulée en 1642 et détruite en 1793. On place Gabrielle à l’opposé d’Anne-Marie pour qu’elle joue au mieux son rôle de contrepoids. Ses inscriptions mentionnent le pape Pie VII traversant Lyon en 1804 pour se rendre à Paris afin d’aller sacrer Napoléon empereur. La légende raconte que le fondeur tenait cette cloche prête dans son dépôt avant même qu’n ne la lui commande !

Blandine (cloche no3, do3, 1’533 kg) – Cette cloche porte la signature de Chevalier (André, ndlr) et la date de 1818. Elle prend place entre Anne-Marie et Gabrielle. Elle se trouve donc au centre de la chambre des cloches inférieure formant le grand accord de la tour Nord. Blandine a été offerte par son parrain, le père Courbon, devenu premier grand vicaire de la Primatiale. Ses inscriptions mentionnent le pontificat de Pie VII et le règne de Louis XVIII.

La « Neufve » ou le « Carsin » (cloche no4, fa3, 697 kg) – Elle se situe au niveau supérieur de la chambre des cloches de la tour nord, à côté de deux autres petites cloches avec lesquelles elle forme le petit accord. Coulée en 1671 par Léonard Dupont, elle est – avec la Grosse Cloche – la seule survivante de la sonnerie pré-révolutionnaire. Cette cloche sonnait autrefois l’heure capitulaire de none, comme en témoigne une inscription latine « Pierre et Jean montaient au temple à l’heure de none pour la prière ».

Pothin (cloche no5, sol3, 535 kg) – Tout comme Blandine coulée deux ans avant elle, cette cloche est l’œuvre de Chevalier de Lyon. Elle fut bénie le 11 mai 1820 par le premier vicaire général Courbon. La cloche est dédiée au premier évêque lyonnais martyrisé en 177, saint Pothin.

« Rappiau » ou « Schiule » (cloche no6, lab3, 314 kg) – Son ornementation exubérante à l’italienne tranche avec la sobriété de ses voisines du petit accord. La signature latine PANCRATII FILIORUMQ BETTALLI OPUS désigne une œuvre du fondeur italien Pancrazio Bettalli et ses fils. La famille Bettalli (var. Bettali) a été active entre la fin du XVIIIe et le début du XIX siècle à Castelnovo ne’ Monti, en Emilie, où se trouve aujourd’hui encore la fonderie Capanni.

La Primatiale possède également, dans la tour nord-ouest, trois cloches fixes destinées à tinter les heures et les quarts. Les deux plus petites sont visibles car placées en fenêtre. La plus grande de ces trois cloches a sonné jadis à la volée, comme en témoignent sa bélière et l’usure aux points de frappe. Le statut civil de ces trois cloches leur a permis de survivre à la Révolution. Nous n’avons pas pu monter à la tour nord-ouest lors de notre visite. Fabien Haug se contente de mentionner de mentionner brièvement ces cloches car difficilement accessibles.
-« Timbre des heures » note fa#3, diamètre 1m12, pourrait dater du XVe siècle
-« Second timbre des quarts », note si3, diamètre 70cm, coulé en 1740, sans signature
-« Premier timbre des quarts », note do#4, diamètre 50cm, coulé en 1740, sans signature.

En 1997, Eric Brottier, expert-campanologue et technicien-conseil de l’Etat, écrivait : « La qualité actuelle de la sonnerie de Saint-Jean n’est pas à la hauteur de l’édifice et les cloches manquent d’homogénéité. La valeur patrimoniale du bourdon est évidente : c’est la cloche qui est la meilleure au plan sonore et sur la base de laquelle on pourrait rebâtir une très belle sonnerie. La seconde et la troisième peuvent être améliorées par accordage. Mais les petites, au profil plus léger, ne s’inscrivent pas dans la continuité des plus grandes. Le déplacement de la cloche no4 antérieure à la Révolution et le remplacement des deux plus petites cloches sans valeur patrimoniale apparaissent comme le plus souhaitable. » Eric Brottier préconisait aussi d’ajouter deux nouvelles cloches (réb 3 et mib3).

Mon modeste avis d’amateur éclairé : Je ne puis qu’applaudir l’idée de rajouter deux nouvelles cloches afin de combler le vide dans la gamme de la sonnerie. Pourquoi ne pas également accorder les cloches no2 et no3 sur la note de la Grosse Cloche. Mais je m’insurge contre le point du rapport qui considère les cloches no5 et no6 comme « sans valeur patrimoniale ». Même si ce ne sont pas des beautés sonores, voilà plus de 200 ans que ces cloches accompagnent la vie liturgique de Saint-Jean. Elles méritent un peu plus de considération. De plus, par ses origines italiennes, la cloche no6 est une rareté pour la région. J’estime qu’il serait bon de conserver ces petites cloches dans le clocher (il y a bien assez de place) et de leur trouver une utilité dans l’ordonnance de sonnerie, quand bien même serait prise la décision de couler des cloches neuves plus harmonieuses pour des sonneries groupées.

L’horloge astronomique a été installée en 1379. C’est l’une des plus anciennes d’Europe et la seule de France à conserver son mécanisme primitif, malgré de nombreuses restaurations. Elle se présente comme petite tour carrée haute de 9 mètres surmontée d’automates. Son calendrier perpétuel est complété par un almanach ecclésiastique indiquant les solennités. La cloche des heures date de 1660. Vandalisée en 2013, l’horloge astronomique était toujours hors service lors de notre visite à la Primatiale en août 2020.

Quasimodo remercie
-Pour son aimable accueil et sa disponibilité : M. Christophe Margueron, architecte des bâtiments de France auprès du Ministère de la Culture et de la Communication
-Pour l’autorisation de sonner : Père Jean-Sébastien Tuloup, recteur de la Primatiale
-Pour la mise à disposition de leurs fonds privés : MM. Pascal Krafft et Romeo dell’Era, experts campanologues.
-Pour leur aide indispensable et les savoureux échanges : Mes amis Antoine Cordoba https://cloches74.com/ carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ;  Dominique Fatton https://www.youtube.com/user/valdom68 responsable technique des clochers de Val-de-Travers ; Arthur Auger https://www.youtube.com/channel/UCqAe6E8RJBYwRGf-74vpz_Q et famille ; Paul-Elie Rose https://www.youtube.com/channel/UCK3e_mFY42Z5v45cWZp-J1Q.

Sources
« La grâce d’une cathédrale : Lyon, Primatiale des Gaules », divers auteurs dont Fabien Haug pour le chapitre consacré aux cloches, éditions La Nuée bleue.
https://primatiale.fr/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Primatiale_Saint-Jean_de_Lyon

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