4 cloches et près de 800 ans d’histoire
-Cloche 1, Tour Sud, note sib2 +5/16, diamètre 156cm, poids environ 2’500kg, coulée en 1823 par François-Joseph Bournez aîné de Morteau
-Cloche 2, Tour Sud, note mib3 +2/16, diamètre 125cm, poids environ 1’200kg, coulée en 1786 par Claude-Joseph Livremont de Pontarlier
-Cloche 3, Tour Nord, note solb3 -1/16, diamètre 111cm, poids 775kg, coulée en 1930 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 4, Tour Sud, note la3 -2/16, diamètre 96cm, poids environ 500kg, coulée en 1503.
Elle domine la ville de Neuchâtel de son éperon rocheux depuis bientôt 800 ans… la collégiale réformée Notre-Dame vient de retrouver tout son lustre d’antan grâce à l’impressionnant chantier de restauration tout juste achevé. Un chantier long de 18 ans dont vous encourage vivement à découvrir toutes les étapes sur le site officiel des travaux. Vous constaterez que le résultat est somptueux ! C’est un superbe cadeau de Pâques pour les amateurs de patrimoine, et plus encore pour les protestants du centre-ville de Neuchâtel. La communauté a dû en effet se contenter durant quelques années du Temple du Bas, dont nous aurons l’occasion de parler un peu plus loin au travers de sa cloche jugée… un brin crispante par certaines chastes oreilles !
Au travers de cette présentation, je vais m’appliquer à vous transmettre quelques anecdotes historiques au sujet des quatre cloches de la collégiale de Neuchâtel. Vous apprendrez par exemple qu’il y a moins d’un siècle, ces cloches n’étaient encore que trois, et que la petite dernière est arrivée pour une occasion bien particulière. Au travers de coupures de presse d’époque, nous verrons que les usages des cloches de la ville étaient jadis soigneusement réglementés. Je vous servirai enfin quelques tranches de vie de ceux qui leur ont donné naissance, à ces cloches : ces vaillants fondeurs, qui travaillent autrefois sur place, et à qui les dangers du métier ont parfois coûté la vie.
La façade de la Collégiale n’est pas la seule à avoir fait toilette. Les restaurateurs se sont également penchés au chevet du mobilier. Je pense notamment au remarquable monument des comtes et des comtesses de Neuchâtel, daté du XIVe siècle, et miraculeusement épargné à la Réforme. La sonnerie de la Collégiale a – elle aussi – bénéficié d’une cure de jouvence : les cloches historiques (nos 1, 2 et 4) ont vu leurs jougs restaurés et leurs battants et moteurs de volée changés par la maison Ruetschi. C’est justement dans le creuset de la fonderie argovienne qu’est née la benjamine de l’ensemble. Cette fameuse cloche no3 a conservé son équipement d’origine, dans un souci de la présenter aux générations futures « dans son jus ».
Premier coup de pioche au XIIe siècle
Avant de reparler plus en détail sur les cloches de Neuchâtel, de leurs histoires et de leurs fondeurs – car après tout, c’est la raison d’être de ce site, les cloches – je m’en vais vous conter brièvement son histoire, à cette collégiale de Neuchâtel. Comme vous allez le constater, le récit s’étend sur une bonne partie du deuxième millénaire. C’est en 1190 qu’Ulrich II, seigneur de Neuchâtel, donne le premier coup de pioche du chantier. Le chœur, le chevet, le bas du transept et les travées à l’est sont les premières parties à sortir de terre. A mesure que l’édifice prend forme, l’architecture évolue : du style roman rhénan pour la base et les absides, on passe au roman bourguignon. Quand la collégiale est consacrée en 1276, on constate que les parties hautes, le cloître et la tour sont de style gothique.
A ce moment du récit, le lecteur le plus attentif se demande : « pourquoi le mot « tour » est-il au singulier ? » Il ne s’agit point d’une coquille de la part de votre humble narrateur : le deuxième clocher n’apparaît en effet que… 600 ans plus tard ! Nous sommes en 1867 et l’architecte Léo Châtelain est mandaté pour restaurer la collégiale. En ce XIXe siècle, on ne considère plus le Moyen-Age comme une période sombre de l’Histoire. Exit l’attrait pour le néoclassicisme et le baroque, on redécouvre les beautés du roman et du gothique. On se surprend même à vouloir magnifier ces styles. Viollet-le-Duc ajoute des hourds, des créneaux et un pont-levis quand il rénove la cité de Carcassonne, il dote la cathédrale Notre-Dame de Paris d’une flèche bien plus imposante que les bâtisseurs du Moyen-Age. Animé du même esprit romantique, Léo Châtelain choisit de bâtir une seconde tour pour la collégiale de Neuchâtel. Il coiffe les deux clochers – nouveauté là aussi – de flèches de pierre plus proches du néogothique que des styles médiévaux.
A nouveau clocher, nouvelle cloche
Mais je m’avance un peu en parlant de « clochers » au pluriel au XIXe siècle déjà. Alors que la Tour Sud possède des cloches depuis sa construction, la Tour Nord, édifiée en 1870, demeure une grande coquille vide pendant 60 ans. Arrivée en 1930, la nouvelle cloche permet donc de combler un double vide : dans la suite de notes de la sonnerie (sib2 mib3 solb3 la) mais aussi dans l’immense chambre des cloches. Il ne faut toutefois pas oublier que c’est avant tout dans un but commémoratif que cette nouvelle cloche est coulée : en cette année 1930, on commémore en effet les 400 ans de la Réforme à Neuchâtel. La nouvelle venue est accueillie avec faste au son de ses aînées. Elle parade à travers la ville sur un char, elle est exposée plusieurs plusieurs jours sous d’abondantes décorations florales, la presse locale la propulse au rang de vedette.
De telles festivités pour l’arrivée d’une cloche nous paraissent aujourd’hui d’un autre âge. En 2011, à l’occasion du millénaire de la ville de Neuchâtel, il est à nouveau question d’étoffer la sonnerie de la Collégiale. Il est vrai qu’on tenait là une occasion en or d’agrandir l’ensemble dans les aigus et d’offrir une compagne à cette pauvre cloche esseulée dans l’immense Tour Nord ! C’était oublier que de nos jours, les cloches sont trop souvent considérées comme inutiles, voire même comme sources de nuisances sonores pour les esprits les plus chagrins. Le projet d’agrandissement 2.0 de la sonnerie de la collégiale de Neuchâtel est donc demeuré – pour l’heure – vœu pieu. Un jour peut-être…
Il est vrai qu’une sonnerie, c’est comme un être vivant, c’est quelque chose qui évolue sans cesse. Par l’envie d’une collectivité, mais aussi par la force du destin. Peu de renseignements nous sont parvenus sur l’état de la sonnerie de la collégiale de Neuchâtel avant 1450, date à laquelle un terrible incendie détruisit une bonne partie de la ville. On sait juste qu’il y avait trois cloches et que la plus grande pesait 3’400 livres. Une nouvelle sonnerie est mise en chantier en 1452, 6’521 livres de bronze sont alors coulées. Une refonte intervient en 1503 déjà, date de la petite cloche actuelle. Une autre cloche, celle de midi – vraisemblablement la cloche no2 – doit être refaite en 1566. Sa remplaçante pèse 2’465 livres et coûte la somme de 35 écus d’or. D’autres refontes suivront, notamment en 1583 (bourdon), 1786 (cloche no2) et en 1823 (bourdon, à nouveau).
Le bourdon a perdu quelques kilos
Le 21 octobre 1949, Paul de Montmollin publiait dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel un intéressant article intitulé La grande cloche de la Collégiale a 126 ans.
Depuis 126 ans, la grande cloche de la Collégiale annonce les cultes et préside aux sonneries de nos fêtes. En 1823, le bourdon de 1583 s’étant fêlé, la ville se devait de le remplacer. Elle s’adresse au fondeur François-Joseph Bournez, de Morteau. Rappelons ici que bon nombre des cloches de notre pays neuchâtelois, et cela jusqu’au milieu du 19me siècle, ont été fondues par des Français : les Livremont à Pontarlier, les Cupillard et les Bournez à Morteau. Les archives de la ville conservent la facture de notre fondeur ; nous y glanons les renseignements suivants : Le receveur du poids public atteste que la nouvelle cloche pèse 4133 livres. Elle coûte à raison de 12 livres. L. 4959.12. Le Conseil général consent en outre une gratification de 168 L. eu égard à la perte éprouvée par le fondeur lors d’une première fonte manquée par cause de mauvais temps survenu. Cette remarque prouverait que l’opération se faisait à pied d’œuvre, en plein air, et non dans une fonderie, à Morteau par exemple.
En paiement, Bournez reçoit la valeur de la cloche fêlée qui pesait selon le receveur 4654 livres. On tire aussi des magasins de la ville pour 51 livres de vieux cuivre et 7 canons de couleuvrines faisant 241 livres. La ville doit encore un solde de L. 676,4 à notre fondeur qui en accuse réception en ces termes : Je soussigné reconnais avoir reçu de Messieurs les Quatre Ministraux de la Ville de Neuchâtel la somme de six cent soixante seize francs quatre sols de ce Pays, faisant et y compris la gratification que le noble et vertueux Conseil général a bien voulu m’allouer, le solde entier qui me revenait de la cloche que j’ai fondue pour le temple du haut de la dite ville.
Une garantie est cependant exigée du fondeur. Elle est calculée sur la base d’un dixième du poids de la nouvelle cloche se traduisant par L. 413,6 sols, à quoi s’ajouteront les L. 168 de gratification, soit L. 561,6 sols, et le document ajoute : Comme la somme de cinq cent quatre vingt un francs 6 sols devait rester entre les mains de MM. les Quatre Ministraux, pour sûreté et garantie de la dite cloche pendant une année, je prends l’engagement de représenter cette somme dans le cas où pendant cette année d’essai, il se manifesterait quelques vices ou fractures à cette cloche, qui dût être attribué à la manière à laquelle elle a été fondue, en présentant comme garant et caution de mon présent engagement M. Jean Biolley, membre du conseil de cette ville soussigné. Ainsi fait à Neuchâtel le 27 7bre 1823. (Signé) J. Bournez. (Signé) J. Biolley comme garant et caution.
La cloche a passé heureusement le cap de l’année d’épreuve. Mieux que ça, 125 autres années ont prouvé que l’ouvrage était de bonne qualité. Soulignons encore le précieux renseignement que nous vaut le papier conservé aux archives de la ville, à savoir le poids de la cloche fêlée 4654 livres. C’est ce bourdon dont l’inscription nous avait été conservée par Chambrier, empruntée à Esaïe II, 3. Venite et ascendamus in Montem Jehovae, in domum dei Jacobi et instituet nos in viis suis. Et au-dessous : Senatus populus que neocomiensis hoc ofsus fieri fecit.
La grandeur de la cloche était limitée par les dimensions de la chambre des cloches. En 1583 comme en 1823, il était pratiquement presque impossible d’installer un bourdon plus important dans notre clocher. C’est pourquoi encore, la cloche actuelle (1 m. 56,5) de diamètre , quoique un peu plus légère que l’ancienne, a juste assez d’espace pour s’y balancer.
L’article de Paul de Montmollin est riche en enseignements ! Sachant que le poids du bourdon actuel est d’environ 2’500 kg, on peut calculer que l’ancienne livre neuchâteloise correspond à peu près à 600 grammes actuels. On peut aussi – dans la foulée – déduire le poids de l’ancien bourdon : 2’800 kg environ. La cloche disparue de Franz Sermund était donc sensiblement plus lourde que l’actuel bourdon de François-Joseph Bournez.
1583, un grand millésime pour un grand fondeur – Franz Sermund est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs fondeurs de cloches de la Renaissance. A l’image des saintiers lorrains quelques siècles plus tard, ce Bernois d’adoption originaire de Bormio a laissé des traces de son art sur une importante aire géographique. L’essentiel de la production Sermund se trouve en Suisse, et particulièrement dans les cantons de Berne et de Vaud ; mais une cloche portant la griffe de notre fondeur sonne aujourd’hui encore en France, à Annecy, dans le clocher de l’église Saint-Maurice (d’autres ont disparu à la Révolution comme nous allons le voir plus loin).
Si 1579 est une belle année pour Franz Sermund avec le bourdon de la collégiale de Romont d’un poids de 5’700 kg environ, c’est indiscutablement avec le millésime 1583 qu’on trouve les meilleurs crus du maître-fondeur bernois. Cette année-là, Lausanne (Vaud est alors sous domination bernoise) lui passe commande d’un bourdon pour sa cathédrale. La belle « Marie-Madeleine » donne la note la bémol 2 et pèse 5’610 kg pour un diamètre de 208 cm. Sermund réalise aussi – à quelques mois d’intervalle – les grandes cloches des temples vaudois de Cossonay (ré3) et de Corsier (mi bémol 3). A signaler que cette dernière cloche fêla en 2013 et fut réparée par la fonderie néerlandaise Eijsbouts. 1583 est aussi l’année qui figure sur la sublime « Mittagsglocke » (cloche no2, dite « de Midi ») de la collégiale Saint-Vincent de Berne. Ce bourdon, qui donne un superbe sol#2, accuse un diamètre de 212 cm pour un poids de 6’395 kg. C’est assurément mon coup de cœur chez le génial fondeur bernois.
Toutes les cloches de Franz Sermund ne nous sont hélas pas parvenues. Comme je vous le racontais plus haut, le bourdon que le Bernois a coulé en cette fameuse année 1583 pour la collégiale de Neuchâtel a fêlé en 1823. Mais la perte la plus cruelle est sans doute la disparition de 12 des 13 cloches que le fondeur bernois réalisa pour la ville de Colmar en 1573. La plus petite pesait 150 kg et la plus lourde 3’800 kg. L’œuvre de tout une vie anéantie par les coups de masse des Révolutionnaires…
Les Bournez, une dynastie maudite
Puisque je me suis attardé quelque peu sur le fondeur de l’ancien bourdon de la collégiale de Neuchâtel, il est tout naturel que je vous parle de l’artisan à qui ont doit l’actuelle grande cloche. Surtout qu’avec les Bournez, nous sommes sans doute en présence d’une des familles de fondeurs les plus intéressantes de par son histoire. Une histoire courte, elle s’étend à peine sur un siècle… mais une histoire marquée par deux tragédies : un meurtre et un accident mortel.
Le 5 juillet 1758 vient au monde à Morteau François-Joseph Bournez. Le jeune homme a la chance d’être le parent par alliance de Cupillard, un important saintier franc-comtois chez qui il apprend le métier de fondeur de cloches. A l’âge de 22 ans, Bournez se lance à son compte et se fait vite remarquer par la qualité et la quantité de sa production… d’abord dans son coin de pays, puis en Suisse à partir 1792. L’homme s’établit en effet chez nous après la Révolution et clame à qui veut l’entendre que par la faute du nouveau régime politique de son pays, il n’a plus de cloches à couler.
Ses arguments sont sérieux, son travail est irréprochable… Bournez n’éprouve pas trop de mal à trouver de l’ouvrage par chez nous. Ce n’est que bien des années plus tard qu’on apprend la vraie raison de sa présence en Suisse : l’homme était recherché pour meurtre ! Notre fondeur est en effet accusé d’avoir égorgé son voisin et d’avoir tenté de faire disparaître le corps dans son four. Sa condamnation par contumace à vingt ans de fers et à la déchéance de la nationalité française n’empêche pas François-Joseph Bournez de mener tranquillement sa carrière de fondeur en Suisse. Il élit domicile successivement à la Chaux-de-Fonds (NE), à Domdidier (FR), à Payerne (VD) et à Siviriez (FR) où d’importantes commandes lui sont à chaque fois adressées.
En 1815 arrive la Restauration en France. Bournez bénéfice d’une amnistie et peut retourner à Morteau. Par contre, il ne parvient pas à toucher l’indemnité accordée aux émigrés spoliés, indemnité que notre fondeur-meurtrier a l’audace de solliciter. On ne connait pas la date exacte du décès de François-Joseph. On sait juste que son fils Généreux-Constant reprend les rênes de la fonderie familiale en 1825. Il la dirigera jusqu’en 1858. Suivra l’un des fils de G-C, Emile jusqu’en 1865. Vient alors le tour du frère d’Emile, François-Joseph cadet, qui va connaître la destinée la plus tragique de toute la dynastie Bournez.
Ce prénom de François-Joseph est-il maudit ? ou est-ce la famille Bournez qui est née sous une mauvaise étoile ? Notre histoire, qui a débuté par un meurtre, va se terminer dans le sang. Pourtant, les signaux sont au beau fixe. François-Joseph Bournez reprend en 1865 les rênes d’une fonderie alors très prospère. Quelques années plus tôt, l’entreprise familiale ajoutait une nouvelle corde à son arc : la fabrication de pompes à incendie. En 1860, la fonderie Bournez se voit décerner la médaille d’or de l’Exposition universelle de Besançon. En 1870, François-Joseph est appelé à Estavayer-le-Lac (CH-FR) pour son plus gros chantier : six nouvelles cloches pour la collégiale Saint-Laurent. Le magnifique bourdon en la2, d’un poids de 4’200 kg, est la plus importante réalisation de la fonderie Bournez, toutes générations confondues.
En 1895, c’est le drame. François-Joseph Bournez et son fils Louis sont aux Breuleux (CH-JU) pour descendre une vieille cloche. La corde se rompt, la cloche chute et tue net un jeune charpentier de vingt ans. Louis est sérieusement blessé à l’œil, à la tête et à la main. François-Joseph parait indemne sur moment, mais choqué par ce terrible accident. il décède d’une attaque quelques jours plus tard. Ses descendants tenteront de poursuivre son travail pendant une dizaine d’années, mais avec un succès moindre. Grandeur et décadence d’une famille de fondeurs de cloches sur fond de glas.
Les Livremont, fondeurs à Pontarlier, Besançon, Thonon, etc…
Quel entrepreneur n’a pas un jour rêvé de voir ses enfants et ses petits-enfants reprendre son fonds de commerce ? Il est vrai que de nos jours, on embrasse un carrière professionnelle essentiellement par affinités et non plus pour faire plaisir à ses géniteurs comme au temps jadis. Originaires de Franche-Comté, les Livremont demeurent un exemple de ce qu’était jadis une dynastie avec son savoir-faire hérité de génération en génération. Dans cette lignée, aux XVII et XVIIIe siècle, tout le monde était fondeur de cloches ! Et tous les représentants mâles de cette famille ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté.
Parmi les cloches les plus anciennes et toujours existantes réalisées par les Livremont, signalons la grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 et portant la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon. Le bourdon d’Orbe (CH-VD) d’un poids de 3’200 kg affiche comme signature GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688.
Au XVIIIe siècle, on constate la présence de deux lignées Livremont bien distinctes. Les prénoms de Jean-François et/ou de Jean-Claude bourgeois de Thonon apparaissent dans le sud de la Romandie, alors que dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel, on retrouve les signatures d’Antoine et/ou de Claude-Joseph avec la mention Pontarlier. Et c’est justement à Claude-Joseph Livremont que l’on doit la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel.
Une motorisation précoce
Alors que les sonneries des cathédrales de Berne et de Fribourg sont passées à l’électrique dans les années 1940, c’est en 1937 déjà que les cloches de la ville de Neuchâtel ont cessé d’être tirées à la corde. L’événement – car c’était un événement pour l’époque – a fait l’objet d’une publication dans la Feuille d’Avis du 6 novembre 1937
Les essais qui se sont poursuivis hier pour mettre au point le nouveau système dont sont dotées, depuis quelques jours, les cloches de la Collégiale, de la tour de Diesse et du Temple du bas, et qui permet de les sonner électriquement, ont fort intrigué la population. Ces essais se sont révélés concluants et le son obtenu de cette façon est de la même qualité que celui qu’obtenaient les sonneurs professionnels. Le système en question est fort simple. Il consiste en une chaîne de motocyclette, mue par un moteur électrique d’un cheval-vapeur pour la grosse cloche de la Collégiale (d’un quart de cheval-vapeur pouf les autres cloches) et qui, par un jeu d’engrenages, met en mouvement la cloche elle-même. On obtient ainsi une imitation parfaite de la sonnerie à la main, non seulement durant la volée, mais aussi au départ comme à l’arrêt. L’appareil est d’une extrême simplicité, indéréglable, ne demande pas d’entretien et consomme une force très minime. Un graissage constant de tous les organes est assuré par une circulation automatique d’huile. Tous les axes sont sur roulement à billes. Il suffit maintenant de peser sur un bouton pour que nos cloches sonnent. Un poste de commande a été établi dans le local de la police, d’où l’on pourra actionner les cloches.
Les travaux de motorisation ont été effectués par la maison Matthey-Doret de Neuchâtel. Le système retenu fut celui de l’entreprise Bochud de Bulle, un des pionniers de l’automatisation des cloches en Suisse
Des cloches pour chaque occasion et pour chaque communauté
Et si nous profitions de cette présentation de l’imposante sonnerie de la collégiale pour nous intéresser aux autres cloches de la ville ? Elles sont certes de dimensions plus modestes, mais elles méritent tout de même le détour. La presse ne s’y est pas trompée en les documentant abondamment au fil des ans. Concernant leurs usages, pour commencer : Une parution officielle de 1883 dans la presse locale nous indique que les sonneries dominicales étaient fort nombreuses à Neuchâtel. Il faut dire que les cérémonies se succédaient tout au long de la matinée pour les différentes communautés. Les germanophones avaient leur propre culte en langue allemande. On remarque surtout la présence de deux communautés réformées francophones : l’Eglise nationale et l’Eglise indépendante. Cette dernière était née sous la Révolution de 1848 à Neuchâtel. Parfois, elle partageait ses lieux de culte avec l’Eglise nationale, comme ici au Temple du Bas, mais souvent elle disposait ses propres édifices (exemple avec le Temple Farel de La Chaux-de-Fonds). Il faudra attendre 1943 pour que les deux communautés protestantes se réconcilient sous la bannière de l’EREN.
Il est intéressant aussi de noter l’emploi à la fois religieux et civil des différentes cloches. La grande cloche de la Tour de Diesse – employée principalement pour tinter les heures, sonner le couvre-feu et prévenir des incendies – donnait aussi de la voix pour appeler les fidèles de la chapelle des Terreaux, dépourvue de cloches. Réciproquement, la cloche du Temple du Bas – outre le fait d’appeler les fidèles – avait pour mission d’annoncer les incendies en dehors du centre ville.
Ces cloches ont toutes fait l’objet d’une présentation dans la presse locale en 1930 à l’occasion de l’arrivée de la nouvelle cloche de la collégiale. On y apprenait que la Tour de Diesse referme deux cloches : La cloche des enterrements (note do4, diamètre 77cm, poids 215 kg) coulée en 1715 par le Neuchâtelois Gédéon Guillebert et une grande cloche (note do3, diamètre 150 cm, poids environ 2’000 kg) que Livremont de Pontarlier est venu couler en 1787, autrement dit un an après avoir réalisé la cloche no2 de la collégiale. Le clocheton du Temple du Bas ne renferme qu’une cloche : un petit si bémol 3, diamètre 89 cm, poids 425 kg, coulé par Jean-Henri Guillebert en 1734.
Une cloche mal-aimée – La cloche du Temple du Bas… parlons-en, la pauvre ! Sa sonorité ne semble pas séduire toutes les oreilles neuchâteloise, à en croire le courrier de lecteurs d’un certain H.R, paru dans la Feuille d’Avis du 27 juillet 1937.
Le Conseil général a voté un crédit pour l’équipement électrique des cloches de Neuchâtel » disent les Journaux. La triste cloche du Temple du bas sonnera-t-elle moins lugubrement après cette opération ? Peut-on espérer qu’elle soit rendue moins morne et désolante en accélérant le rythme de sa sonnerie ? Sinon, il Importerait plus de remplacer cette cloche que de lui donner un « équipement électrique». Ou bien, les ondes pleurardes qu’elle déverse sur notre ville chaque matin de nos dimanches à 8 h, 9 h. et 10 h, évocatrices d’une bien triste piété, continueront-elles éternellement à nous sonner la pénitence ? Pour avoir su doter leur église d’un très heureux carillon, nos frères catholiques n’en sont pas moins assidus aux cultes que nous. La cloche du Temple du bas me fait souvent désirer que l’on nous appelle au culte, qui est un événement joyeux, par une radieuse sonnerie de clairons.
Ce ton de cloche est une laideur des matins de dimanche à Neuchâtel, et il doit donner aux passants d’autres pays l’impression d’une âme neuchâteloise d’un protestantisme hypocondriaque, et de naturels contrits, peu enclins aux accueils aimables. Ohé, l’A. D. E. N ! Les spécialistes diront s’il est possible d’obtenir un heureux résultat en adjoignant une nouvelle cloche à l’ancienne, mais je sais que le clocheton n’est pas grand, et puis, existe-t-il une cloche qui consentirait à « s’accorder » avec notre pauvre vieille et vénérable « mômière » ? Ne la traitons pas à l’électricité, elle est trop âgée. Employons plutôt le crédit voté à lui accorder, en la remplaçant, une retraite perpétuelle. Il y a quelques années, une heureuse restauration du Temple du bas a été faite, mais : Le temple, hélas, en la tourmente, a conservé dans son clocher le glas navrant qui se lamente le dimanche, pour nos péchés.
A ce très sévère procès intenté à la pauvre cloche du Temple du Bas, Paul de Montmollin, fin connaisseur des cloches de la ville de Neuchâtel, a renchéri trois jours plus tard avec un nouveau réquisitoire, toujours dans le courrier des lecteurs de la Feuille d’Avis
La cloche du Temple du bas est douloureuse aux oreilles mathématiques de M. H. R. (voir « Feuille d’avis de Neuchâtel » du mardi 27 juillet). Douloureuse parce qu’en lieu et place des harmoniques qu’une cloche réputée réussie fait entendre en sus du ton fondamental (octave grave, tierce mineure, quinte juste), notre vieille s’obstine depuis plus de deux siècles à nous bourdonner sa septième, sa seconde que sais-je encore… Les fondeurs de notre cloche n’étalent certes pas des maîtres de l’art. Henri et G. Guillebert y allaient au petit bonheur et, si mes souvenirs sont exacts (Je n’ai pas sous les yeux les documents qu’il faudrait), G. Guillebert dut s’y reprendre à deux fois avant de satisfaire de façon relative Messieurs les Quatre Ministraux quant, après le grand Incendie, il livra pour la Tour de Diesse la petite cloche qui s’y trouve encore. Que faire ? Remplacer « la Guilleberte » par une jeune et pimpante argovienne ? Pas la peine pensons-nous. Il y aura toujours disproportion entre la masse du Temple du bas et la petite voix qui devra prendre place dans son clocheton. (La cloche actuelle a moins de 90 centimètres de diamètre). Si pourtant on veut tenter l’expérience, nous aurions à Neuchâtel même de quoi nous satisfaire.
La cloche qui s’ennuie à l’ancien hôpital de la ville est à peu près de même taille. Elle a un très beau son. Sœur de la grande cloche de la Tour de Diesse, du No 2 de la Collégiale, c’est également le bon Livremont de Pontarlier qui la fondit en 1771. Oui, mais… qui frappera désormais les heures place de l’Hôtel-de-Ville ? La cloche du Temple du bas. Pourquoi pas ? M. H. R. veut-il une belle sonnerie, qu’on appelle à la rescousse l’A. D. E. N, les mécènes et tutti quanti. Que l’on élève côté sud un clocher digne de ce nom et qu’on y installe 3 ou 4 belles cloches. Autre idée : Compléter à la Tour de Diesse la sonnerie actuelle par deux cloches et les affecter au service de notre temple. Je suspends cette rêverie estivale écrite aux sons des clochettes des vaches du pâturage voisin.
Même si Paul de Montmollin use d’arguments plus techniques que M. H.R qui a décoché la première flèche empoisonnée, on sent qu’il prend plaisir lui aussi à lancer des piques à l’intention de la pauvre petite cloche du Temple du Bas ! Ironie du sort : alors que ces deux Messieurs se sont tus depuis plusieurs décennies, emportés vers un monde meilleur où toutes les cloches sonnent toutes à l’unisson, la vénérable « Guilleberte » continue aujourd’hui encore à chanter de sa voix aigrelette. On ne peut que s’en réjouir : trop de cloches historiques ont en effet fini au creuset, victimes de pourfendeurs aux oreilles trop délicates.
La Basilique, cette géante au pied d’argile – Deux mots – pour être complet – des cloches de la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Neuchâtel. Autant vous le dire tout de suite, vous risquez d’être déçus ! Non pas que la sonnerie de l' »Eglise Rouge » ne soit pas harmonieuse : c’est juste que les cloches sont de dimensions très modestes aux vues de la taille de l’édifice. L’imposant clocher, haut de 53 mètres, a d’abord reçu – en même temps que son horloge – trois petites cloches civiles fixes (fa4 la4 do5) en 1912. Ces timbres portent la signature de l’horloger David Perret. C’est seulement en 1933 qu’est passé commande à la fonderie Ruetschi d’Aarau de trois cloches à la volée (fa#3 sol#3 si3) d’un poids total de 1’800 kg. Rappelons que le bourdon de la Collégiale pèse à lui seul 2’500 kg !
N’y voyez ici aucune avarice de la communauté catholique : la basilique est un véritable gouffre financier. Construite à partir de 1897 en pierre artificielle, pour des raisons d’économie, l' »Eglise Rouge » s’avère vite fragile. En 1920 déjà, il faut retirer certains ornements tels que les pinacles qui menacent de tomber sur les passants. Les travaux de consolidation se font si coûteux au fil des décennies qu’on envisage, dans les années 80, de raser purement et simplement l’édifice. L’église sera finalement classée en 1986. Elle sera élevée au rang de basilique mineure en 2007.
Je pourrais vous noircir encore des montagnes de pages sur les cloches de la ville de Neuchâtel, tant les histoires sont nombreuses, tant les sources sont intarissables. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé tout au long de la rédaction de cette modeste présentation : à chaque étape de mes recherches, il s’est trouvé dans un vieux livre ou dans la presse de l’époque une savoureuse anecdote à rapporter. Tout ceci témoigne du lien étroit que les Neuchâtelois ont su tisser de tous temps avec leurs cloches. Je ne saurais d’ailleurs mettre un point final à ces quelques lignes sans un dernier courrier des lecteurs daté du 31 décembre 1929. Un témoignage hélas anonyme, mais ô combien touchant.
Alité depuis de longs mois et privé par conséquent du plaisir que procure la préparation extérieure et visible de la fête de Noël, c’est avec une grande joie que je lus l’avis de la direction des cultes de notre ville que les cloches de la Collégiale seraient sonnées mardi soir pour annoncer la nuit de Noël. Le même jour s’installaient sur la place des Halles deux « carrousels » ne se lassant point de faire entendre les indispensables ritournelles de leurs orgues de barbarie. Ces dernières se tairont-elles pendant que sonneront les cloches ? Je le crus un instant. Hélas, naïve illusion ! A 18 heures et quart, les cloches de la Collégiale se mettaient en branle, et à toute volée, dans un harmonieux concert, annonçaient la venue de Noël, message de joie, de paix et de bienveillance parmi les hommes : mais en même temps nos braves « carrousels » s’en donnaient à cœur joie et de tout leur souffle mêlaient leurs refrains de music-hall et de la Marseillaise aux sons des cloches de notre antique Collégiale. Oh ! quel mélange de musique disparate, quelle horrible cacophonie ! N’y tenant plus, j’enfonçai ma tête dans mes oreillers pour ne plus rien entendre et, sans doute avec tous les habitants du quartier, regrettai-je amèrement cette fâcheuse dualité.
Quasimodo remercie
La ville de Neuchâtel – La paroisse réformée de Neuchâtel – Fabienne Hoffmann, experte-campanologue à Lausanne – Matthias Walter, expert-campanologue à Berne – Pascal Krafft, expert-campanologue en Alsace – Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers – Damien Savoy, organiste et chef de chœur à la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Neuchâtel – Le comité et les membres de la GCCS (le reportage vidéo a été réalisé durant notre assemblée 2021).
Sources (autres que mentionnées)
« Les fondeurs de nos cloches » tiré du cahier « Musée Neuchâtelois » de janver 1915
« Les Bournez, fondeurs de cloches à Morteau » tiré du cahier « Musée Neuchâtelois » de janvier 1973
Archives de la fonderie Ruetschi
https://www.restaurationcollegialeneuchatel.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A9giale_de_Neuch%C3%A2tel
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9o_Ch%C3%A2telain
https://www.eren.ch/neuchatel/patrimoine-architectural/temple-du-bas/
https://www.eren.ch/neuchatel/patrimoine-architectural/collegiale/
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_%C3%A9vang%C3%A9lique_du_canton_de_Neuch%C3%A2tel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame-de-l%27Assomption_de_Neuch%C3%A2tel