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Cloches – Neuchâtel (CH-NE) collégiale réformée Notre-Dame

4 cloches et près de 800 ans d’histoire

-Cloche 1, Tour Sud, note sib2 +5/16, diamètre 156cm, poids environ 2’500kg, coulée en 1823 par François-Joseph Bournez aîné de Morteau
-Cloche 2, Tour Sud, note mib3 +2/16, diamètre 125cm, poids environ 1’200kg, coulée en 1786 par Claude-Joseph Livremont de Pontarlier
-Cloche 3, Tour Nord, note solb3 -1/16, diamètre 111cm, poids 775kg, coulée en 1930 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 4, Tour Sud, note la3 -2/16, diamètre 96cm, poids environ 500kg, coulée en 1503.


Elle domine la ville de Neuchâtel de son éperon rocheux depuis bientôt 800 ans… la collégiale réformée Notre-Dame vient de retrouver tout son lustre d’antan grâce à l’impressionnant chantier de restauration tout juste achevé. Un chantier long de 18 ans dont vous encourage vivement à découvrir toutes les étapes sur le site officiel des travaux. Vous constaterez que le résultat est somptueux ! C’est un superbe cadeau de Pâques pour les amateurs de patrimoine, et plus encore pour les protestants du centre-ville de Neuchâtel. La communauté a dû en effet se contenter durant quelques années du Temple du Bas, dont nous aurons l’occasion de parler un peu plus loin au travers de sa cloche jugée… un brin crispante par certaines chastes oreilles !

La voûte étoilée de la Collégiale après travaux (photo © Bernard Python)

Au travers de cette présentation, je vais m’appliquer à vous transmettre quelques anecdotes historiques au sujet des quatre cloches de la collégiale de Neuchâtel. Vous apprendrez par exemple qu’il y a moins d’un siècle, ces cloches n’étaient encore que trois, et que la petite dernière est arrivée pour une occasion bien particulière. Au travers de coupures de presse d’époque, nous verrons que les usages des cloches de la ville étaient jadis soigneusement réglementés. Je vous servirai enfin quelques tranches de vie de ceux qui leur ont donné naissance, à ces cloches : ces vaillants fondeurs, qui travaillent autrefois sur place, et à qui les dangers du métier ont parfois coûté la vie.

Le cloître rénové (photo © Yves André)

La façade de la Collégiale n’est pas la seule à avoir fait toilette. Les restaurateurs se sont également penchés au chevet du mobilier. Je pense notamment au remarquable monument des comtes et des comtesses de Neuchâtel, daté du XIVe siècle, et miraculeusement épargné à la Réforme. La sonnerie de la Collégiale a – elle aussi – bénéficié d’une cure de jouvence : les cloches historiques (nos 1, 2 et 4) ont vu leurs jougs restaurés et leurs battants et moteurs de volée changés par la maison Ruetschi. C’est justement dans le creuset de la fonderie argovienne qu’est née la benjamine de l’ensemble. Cette fameuse cloche no3 a conservé son équipement d’origine, dans un souci de la présenter aux générations futures « dans son jus ».


Premier coup de pioche au XIIe siècle

Avant de reparler plus en détail sur les cloches de Neuchâtel, de leurs histoires et de leurs fondeurs – car après tout, c’est la raison d’être de ce site, les cloches – je m’en vais vous conter brièvement son histoire, à cette collégiale de Neuchâtel. Comme vous allez le constater, le récit s’étend sur une bonne partie du deuxième millénaire. C’est en 1190 qu’Ulrich II, seigneur de Neuchâtel, donne le premier coup de pioche du chantier. Le chœur, le chevet, le bas du transept et les travées à l’est sont les premières parties à sortir de terre. A mesure que l’édifice prend forme, l’architecture évolue : du style roman rhénan pour la base et les absides, on passe au roman bourguignon. Quand la collégiale est consacrée en 1276, on constate que les parties hautes, le cloître et la tour sont de style gothique.

La collégiale à la fin du XVIIIe siècle par Abraham Girardet

A ce moment du récit, le lecteur le plus attentif se demande : « pourquoi le mot « tour » est-il au singulier ? » Il ne s’agit point d’une coquille de la part de votre humble narrateur : le deuxième clocher n’apparaît en effet que… 600 ans plus tard ! Nous sommes en 1867 et l’architecte Léo Châtelain est mandaté pour restaurer la collégiale. En ce  XIXe siècle, on ne considère plus le Moyen-Age comme une période sombre de l’Histoire. Exit l’attrait pour le néoclassicisme et le baroque, on redécouvre les beautés du roman et du gothique. On se surprend même à vouloir magnifier ces styles. Viollet-le-Duc ajoute des hourds, des créneaux et un pont-levis quand il rénove la cité de Carcassonne, il dote la cathédrale Notre-Dame de Paris d’une flèche bien plus imposante que les bâtisseurs du Moyen-Age. Animé du même esprit romantique, Léo Châtelain choisit de bâtir une seconde tour pour la collégiale de Neuchâtel. Il coiffe les deux clochers – nouveauté là aussi – de flèches de pierre plus proches du néogothique que des styles médiévaux.

Vue aérienne du château et de la Collégiale fraîchement restaurée ( photo © Lucas Vuitel

A nouveau clocher, nouvelle cloche

Mais je m’avance un peu en parlant de « clochers » au pluriel au XIXe siècle déjà. Alors que la Tour Sud possède des cloches depuis sa construction, la Tour Nord, édifiée en 1870, demeure une grande coquille vide pendant 60 ans. Arrivée en 1930, la nouvelle cloche permet donc de combler un double vide : dans la suite de notes de la sonnerie (sib2 mib3 solb3 la) mais aussi dans l’immense chambre des cloches. Il ne faut toutefois pas oublier que c’est avant tout dans un but commémoratif que cette nouvelle cloche est coulée : en cette année 1930, on commémore en effet les 400 ans de la Réforme à Neuchâtel. La nouvelle venue est accueillie avec faste au son de ses aînées. Elle parade à travers la ville sur un char, elle est exposée plusieurs plusieurs jours sous d’abondantes décorations florales, la presse locale la propulse au rang de vedette.

Feuille d’Avis de Neuchâtel du 25 octobre 1930

De telles festivités pour l’arrivée d’une cloche nous paraissent aujourd’hui d’un autre âge. En 2011, à l’occasion du millénaire de la ville de Neuchâtel, il est à nouveau question d’étoffer la sonnerie de la Collégiale. Il est vrai qu’on tenait là une occasion en or d’agrandir l’ensemble dans les aigus et d’offrir une compagne à cette pauvre cloche esseulée dans l’immense Tour Nord ! C’était oublier que de nos jours, les cloches sont trop souvent considérées comme inutiles, voire même comme sources de nuisances sonores pour les esprits les plus chagrins. Le projet d’agrandissement 2.0 de la sonnerie de la collégiale de Neuchâtel est donc demeuré – pour l’heure – vœu pieu. Un jour peut-être…

La cloche no3 est la seule occupante de la Tour Nord. Réalisée en 1930 par Ruetschi d’Aarau, elle est issue de la même coulée que les quatre cloches du temple de Corcelles NE

Il est vrai qu’une sonnerie, c’est comme un être vivant, c’est quelque chose qui évolue sans cesse. Par l’envie d’une collectivité, mais aussi par la force du destin. Peu de renseignements nous sont parvenus sur l’état de la sonnerie de la collégiale de Neuchâtel avant 1450, date à laquelle un terrible incendie détruisit une bonne partie de la ville. On sait juste qu’il y avait trois cloches et que la plus grande pesait 3’400 livres. Une nouvelle sonnerie est mise en chantier en 1452, 6’521 livres de bronze sont alors coulées. Une refonte intervient en 1503 déjà, date de la petite cloche actuelle. Une autre cloche, celle de midi – vraisemblablement la cloche no2 – doit être refaite en 1566. Sa remplaçante pèse 2’465 livres et coûte la somme de 35 écus d’or. D’autres refontes suivront, notamment en 1583 (bourdon), 1786 (cloche no2) et en 1823 (bourdon, à nouveau).

La plus petite cloche de la Collégiale est aussi la plus ancienne : elle date de 1503.

Le bourdon a perdu quelques kilos

Le 21 octobre 1949, Paul de Montmollin publiait dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel un intéressant article intitulé La grande cloche de la Collégiale a 126 ans.


Depuis 126 ans, la grande cloche de la Collégiale annonce les cultes et préside aux sonneries de nos fêtes. En 1823, le bourdon de 1583 s’étant fêlé, la ville se devait de le remplacer. Elle s’adresse au fondeur François-Joseph Bournez, de Morteau. Rappelons ici que bon nombre des cloches de notre pays neuchâtelois, et cela jusqu’au milieu du 19me siècle, ont été fondues par des Français : les Livremont à Pontarlier, les Cupillard et les Bournez à Morteau. Les archives de la ville conservent la facture de notre fondeur ; nous y glanons les renseignements suivants : Le receveur du poids public atteste que la nouvelle cloche pèse 4133 livres. Elle coûte à raison de 12 livres. L. 4959.12. Le Conseil général consent en outre une gratification de 168 L. eu égard à la perte éprouvée par le fondeur lors d’une première fonte manquée par cause de mauvais temps survenu. Cette remarque prouverait que l’opération se faisait à pied d’œuvre, en plein air, et non dans une fonderie, à Morteau par exemple.
En paiement, Bournez reçoit la valeur de la cloche fêlée qui pesait selon le receveur 4654 livres. On tire aussi des magasins de la ville pour 51 livres de vieux cuivre et 7 canons de couleuvrines faisant 241 livres. La ville doit encore un solde de L. 676,4 à notre fondeur qui en accuse réception en ces termes : Je soussigné reconnais avoir reçu de Messieurs les Quatre Ministraux de la Ville de Neuchâtel la somme de six cent soixante seize francs quatre sols de ce Pays, faisant et y compris la gratification que le noble et vertueux Conseil général a bien voulu m’allouer, le solde entier qui me revenait de la cloche que j’ai fondue pour le temple du haut de la dite ville.
Une garantie est cependant exigée du fondeur. Elle est calculée sur la base d’un dixième du poids de la nouvelle cloche se traduisant par L. 413,6 sols, à quoi s’ajouteront les L. 168 de gratification, soit L. 561,6 sols, et le document ajoute : Comme la somme de cinq cent quatre vingt un francs 6 sols devait rester entre les mains de MM. les Quatre Ministraux, pour sûreté et garantie de la dite cloche pendant une année, je prends l’engagement de représenter cette somme dans le cas où pendant cette année d’essai, il se manifesterait quelques vices ou fractures à cette cloche, qui dût être attribué à la manière à laquelle elle a été fondue, en présentant comme garant et caution de mon présent engagement M. Jean Biolley, membre du conseil de cette ville soussigné. Ainsi fait à Neuchâtel le 27 7bre 1823. (Signé) J. Bournez. (Signé) J. Biolley comme garant et caution.
La cloche a passé heureusement le cap de l’année d’épreuve. Mieux que ça, 125 autres années ont prouvé que l’ouvrage était de bonne qualité. Soulignons encore le précieux renseignement que nous vaut le papier conservé aux archives de la ville, à savoir le poids de la cloche fêlée 4654 livres. C’est ce bourdon dont l’inscription nous avait été conservée par Chambrier, empruntée à Esaïe II, 3. Venite et ascendamus in Montem Jehovae, in domum dei Jacobi et instituet nos in viis suis. Et au-dessous : Senatus populus que neocomiensis hoc ofsus fieri fecit.
La grandeur de la cloche était limitée par les dimensions de la chambre des cloches. En 1583 comme en 1823, il était pratiquement presque impossible d’installer un bourdon plus important dans notre clocher. C’est pourquoi encore, la cloche actuelle (1 m. 56,5) de diamètre , quoique un peu plus légère que l’ancienne, a juste assez d’espace pour s’y balancer.

L’article de Paul de Montmollin est riche en enseignements ! Sachant que le poids du bourdon actuel est d’environ 2’500 kg, on peut calculer que l’ancienne livre neuchâteloise correspond à peu près à 600 grammes actuels. On peut aussi – dans la foulée – déduire le poids de l’ancien bourdon : 2’800 kg environ. La cloche disparue de Franz Sermund était donc sensiblement plus lourde que l’actuel bourdon de François-Joseph Bournez.

Le bourdon de la Collégiale, coulé par François-Joseph Bournez en 1823. Il  porte pour toute inscription  les noms des notables de la ville.

1583, un grand millésime pour un grand fondeur – Franz Sermund est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs fondeurs de cloches de la Renaissance. A l’image des saintiers lorrains quelques siècles plus tard, ce Bernois d’adoption originaire de Bormio a laissé des traces de son art sur une importante aire géographique. L’essentiel de la production Sermund se trouve en Suisse, et particulièrement dans les cantons de Berne et de Vaud ; mais une cloche portant la griffe de notre fondeur sonne aujourd’hui encore en France, à Annecy, dans le clocher de l’église Saint-Maurice (d’autres ont disparu à la Révolution comme nous allons le voir plus loin).

Si 1579 est une belle année pour Franz Sermund avec le bourdon de la collégiale de Romont d’un poids de 5’700 kg environ, c’est indiscutablement avec le millésime 1583 qu’on trouve les meilleurs crus du maître-fondeur bernois. Cette année-là, Lausanne (Vaud est alors sous domination bernoise) lui passe commande d’un bourdon pour sa cathédrale. La belle « Marie-Madeleine » donne la note la bémol 2 et pèse 5’610 kg pour un diamètre de 208 cm. Sermund réalise aussi – à quelques mois d’intervalle – les grandes cloches des temples vaudois de Cossonay (ré3) et de Corsier (mi bémol 3). A signaler que cette dernière cloche fêla en 2013 et fut réparée par la fonderie néerlandaise Eijsbouts. 1583 est aussi l’année qui figure sur la sublime « Mittagsglocke » (cloche no2, dite « de Midi ») de la collégiale Saint-Vincent de Berne. Ce bourdon, qui donne un superbe sol#2, accuse un diamètre de 212 cm pour un poids de 6’395 kg. C’est assurément mon coup de cœur chez le génial fondeur bernois.

La « Mittagsglocke » du Berner Münster immortalisée avant sa motorisation (archives de la ville de Berne). Le poids mentionné est nettement exagéré !

Toutes les cloches de Franz Sermund ne nous sont hélas pas parvenues. Comme je vous le racontais plus haut, le bourdon que le Bernois a coulé en cette fameuse année 1583 pour la collégiale de Neuchâtel a fêlé en 1823. Mais la perte la plus cruelle est sans doute la disparition de 12 des 13 cloches que le fondeur bernois réalisa pour la ville de Colmar en 1573. La plus petite pesait 150 kg et la plus lourde 3’800 kg. L’œuvre de tout une vie anéantie par les coups de masse des Révolutionnaires…


Les Bournez, une dynastie maudite

Puisque je me suis attardé quelque peu sur le fondeur de l’ancien bourdon de la collégiale de Neuchâtel, il est tout naturel que je vous parle de l’artisan à qui ont doit l’actuelle grande cloche. Surtout qu’avec les Bournez, nous sommes sans doute en présence d’une des familles de fondeurs les plus intéressantes de par son histoire. Une histoire courte, elle s’étend à peine sur un siècle… mais une histoire marquée par deux tragédies : un meurtre et un accident mortel.

Signature de François-Joseph Bournez aîné sur le bourdon de la collégiale de Neuchâtel, sa plus importante réalisation.

Le 5 juillet 1758 vient au monde à Morteau François-Joseph Bournez. Le jeune homme a la chance d’être le parent par alliance de Cupillard, un important saintier franc-comtois chez qui il apprend le métier de fondeur de cloches. A l’âge de 22 ans, Bournez se lance à son compte et se fait vite remarquer par la qualité et la quantité de sa production… d’abord dans son coin de pays, puis en Suisse à partir 1792. L’homme s’établit en effet chez nous après la Révolution et clame à qui veut l’entendre que par la faute du nouveau régime politique de son pays, il n’a plus de cloches à couler.

Ses arguments sont sérieux, son travail est irréprochable… Bournez n’éprouve pas trop de mal à trouver de l’ouvrage par chez nous. Ce n’est que bien des années plus tard qu’on apprend la vraie raison de sa présence en Suisse : l’homme était recherché pour meurtre ! Notre fondeur est en effet accusé d’avoir égorgé son voisin et d’avoir tenté de faire disparaître le corps dans son four. Sa condamnation par contumace à vingt ans de fers et à la déchéance de la nationalité française n’empêche pas François-Joseph Bournez de mener tranquillement sa carrière de fondeur en Suisse. Il élit domicile successivement à la Chaux-de-Fonds (NE), à Domdidier (FR), à Payerne (VD) et à Siviriez (FR) où d’importantes commandes lui sont à chaque fois adressées.

En 1815 arrive la Restauration en France. Bournez bénéfice d’une amnistie et peut retourner à Morteau. Par contre, il ne parvient pas à toucher l’indemnité accordée aux émigrés spoliés, indemnité que notre fondeur-meurtrier a l’audace de solliciter. On ne connait pas la date exacte du décès de François-Joseph. On sait juste que son fils Généreux-Constant reprend les rênes de la fonderie familiale en 1825. Il la dirigera jusqu’en 1858. Suivra l’un des fils de G-C,  Emile jusqu’en 1865. Vient alors le tour du frère d’Emile, François-Joseph cadet, qui va connaître la destinée la plus tragique de toute la dynastie Bournez.

Cartouche de François-Joseph Bournez cadet sur une des cloches de la collégiale d’Estavayer-le-Lac (1872)

Ce prénom de François-Joseph est-il maudit ? ou est-ce la famille Bournez qui est née sous une mauvaise étoile ? Notre histoire, qui a débuté par un meurtre, va se terminer dans le sang. Pourtant, les signaux sont au beau fixe. François-Joseph Bournez reprend en 1865 les rênes d’une fonderie alors très prospère. Quelques années plus tôt, l’entreprise familiale ajoutait une nouvelle corde à son arc : la fabrication de pompes à incendie. En 1860, la fonderie Bournez se voit décerner la médaille d’or de l’Exposition universelle de Besançon. En 1870, François-Joseph est appelé à Estavayer-le-Lac (CH-FR) pour son plus gros chantier : six nouvelles cloches pour la collégiale Saint-Laurent. Le magnifique bourdon en la2, d’un poids de 4’200 kg, est la plus importante réalisation de la fonderie Bournez, toutes générations confondues.

En 1895, c’est le drame. François-Joseph Bournez et son fils Louis sont aux Breuleux (CH-JU) pour descendre une vieille cloche. La corde se rompt, la cloche chute et tue net un jeune charpentier de vingt ans. Louis est sérieusement blessé à l’œil, à la tête et à la main. François-Joseph parait indemne sur moment, mais choqué par ce terrible accident. il décède d’une attaque quelques jours plus tard. Ses descendants tenteront de poursuivre son travail pendant une dizaine d’années, mais avec un succès moindre. Grandeur et décadence d’une famille de fondeurs de cloches sur fond de glas.


Les Livremont, fondeurs à Pontarlier, Besançon, Thonon, etc…

Quel entrepreneur n’a pas un jour rêvé de voir ses enfants et ses petits-enfants reprendre son fonds de commerce ? Il est vrai que de nos jours, on embrasse un carrière professionnelle essentiellement par affinités et non plus pour faire plaisir à ses géniteurs comme au temps jadis. Originaires de Franche-Comté, les Livremont demeurent un exemple de ce qu’était jadis une dynastie avec son savoir-faire hérité de génération en génération. Dans cette lignée, aux XVII et XVIIIe siècle, tout le monde était fondeur de cloches ! Et tous les représentants mâles de cette famille ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté.

Parmi les cloches les plus anciennes et toujours existantes réalisées par les Livremont, signalons la grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 et portant la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon. Le bourdon d’Orbe (CH-VD) d’un poids de 3’200 kg affiche comme signature GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688.

Au XVIIIe siècle, on constate la présence de deux lignées Livremont bien distinctes. Les prénoms de Jean-François et/ou de Jean-Claude bourgeois de Thonon apparaissent dans le sud de la Romandie, alors que dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel, on retrouve les signatures d’Antoine et/ou de Claude-Joseph avec la mention Pontarlier. Et c’est justement à Claude-Joseph Livremont que l’on doit la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel.

La cloche no2 de la Collégiale, coulée en 1786 par Claude-Joseph Livremont de Pontarlier. C’est au moins la quatrième version d’une cloche déjà refaite en 1452 et 1566.


Une motorisation précoce

Alors que les sonneries des cathédrales de Berne et de Fribourg sont passées à l’électrique dans les années 1940, c’est en 1937 déjà que les cloches de la ville de Neuchâtel ont cessé d’être tirées à la corde. L’événement – car c’était un événement pour l’époque – a fait l’objet d’une publication dans la Feuille d’Avis du 6 novembre 1937

Les essais qui se sont poursuivis hier pour mettre au point le nouveau système dont sont dotées, depuis quelques jours, les cloches de la Collégiale, de la tour de Diesse et du Temple du bas, et qui permet de les sonner électriquement, ont fort intrigué la population. Ces essais se sont révélés concluants et le son obtenu de cette façon est de la même qualité que celui qu’obtenaient les sonneurs professionnels. Le système en question est fort simple. Il consiste en une chaîne de motocyclette, mue par un moteur électrique d’un cheval-vapeur pour la grosse cloche de la Collégiale (d’un quart de cheval-vapeur pouf les autres cloches) et qui, par un jeu d’engrenages, met en mouvement la cloche elle-même. On obtient ainsi une imitation parfaite de la sonnerie à la main, non seulement durant la volée, mais aussi au départ comme à l’arrêt. L’appareil est d’une extrême simplicité, indéréglable, ne demande pas d’entretien et consomme une force très minime. Un graissage constant de tous les organes est assuré par une circulation automatique d’huile. Tous les axes sont sur roulement à billes. Il suffit maintenant de peser sur un bouton pour que nos cloches sonnent. Un poste de commande a été établi dans le local de la police, d’où l’on pourra actionner les cloches.

Les travaux de motorisation ont été effectués par la maison Matthey-Doret de Neuchâtel. Le système retenu fut celui de l’entreprise Bochud de Bulle, un des pionniers de l’automatisation des cloches en Suisse

Dépôt de brevet de la maison Bochud pour son système de motorisation de mise en volée des cloches (1937). Collection de Jean-Paul Schorderet.


Des cloches pour chaque occasion et pour chaque communauté

Et si nous profitions de cette présentation de l’imposante sonnerie de la collégiale pour nous intéresser aux autres cloches de la ville ? Elles sont certes de dimensions plus modestes, mais elles méritent tout de même le détour. La presse ne s’y est pas trompée en les documentant abondamment au fil des ans. Concernant leurs usages, pour commencer : Une parution officielle de 1883 dans la presse locale nous indique que les sonneries dominicales étaient fort nombreuses à Neuchâtel. Il faut dire que les cérémonies se succédaient tout au long de la matinée pour les différentes communautés. Les germanophones avaient leur propre culte en langue allemande. On remarque surtout la présence de deux communautés réformées francophones : l’Eglise nationale et l’Eglise indépendante. Cette dernière était née sous la Révolution de 1848 à Neuchâtel. Parfois, elle partageait ses lieux de culte avec l’Eglise nationale, comme ici au Temple du Bas, mais souvent elle disposait ses propres édifices (exemple avec le Temple Farel de La Chaux-de-Fonds). Il faudra attendre 1943 pour que les deux communautés protestantes se réconcilient sous la bannière de l’EREN.

Il est intéressant aussi de noter l’emploi à la fois religieux et civil des différentes cloches. La grande cloche de la Tour de Diesse – employée principalement pour tinter les heures, sonner le couvre-feu et prévenir des incendies – donnait aussi de la voix pour appeler les fidèles de la chapelle des Terreaux, dépourvue de cloches. Réciproquement, la cloche du Temple du Bas – outre le fait d’appeler les fidèles – avait pour mission d’annoncer les incendies en dehors du centre ville.

La Tour de Diesse construite à partir du Xe siècle. Son couronnement actuel date du XVIIIe siècle

Ces cloches ont toutes fait l’objet d’une présentation dans la presse locale en 1930 à l’occasion de l’arrivée de la nouvelle cloche de la collégiale. On y apprenait que la Tour de Diesse referme deux cloches : La cloche des enterrements (note do4, diamètre 77cm, poids 215 kg) coulée en 1715 par le Neuchâtelois Gédéon Guillebert et une grande cloche (note do3, diamètre 150 cm, poids environ 2’000 kg) que Livremont de Pontarlier est venu couler en 1787, autrement dit un an après avoir réalisé la cloche no2 de la collégiale. Le clocheton du Temple du Bas ne renferme qu’une cloche : un petit si bémol 3, diamètre 89 cm, poids 425 kg, coulé par Jean-Henri Guillebert en 1734.

Une cloche mal-aimée – La cloche du Temple du Bas… parlons-en, la pauvre ! Sa sonorité ne semble pas séduire toutes les oreilles neuchâteloise, à en croire le courrier de lecteurs d’un certain H.R, paru dans la Feuille d’Avis du 27 juillet 1937.

Le Conseil général a voté un crédit pour l’équipement électrique des cloches de Neuchâtel » disent les Journaux. La triste cloche du Temple du bas sonnera-t-elle moins lugubrement après cette opération ? Peut-on espérer qu’elle soit rendue moins morne et désolante en accélérant le rythme de sa sonnerie ? Sinon, il Importerait plus de remplacer cette cloche que de lui donner un « équipement électrique». Ou bien, les ondes pleurardes qu’elle déverse sur notre ville chaque matin de nos dimanches à 8 h, 9 h. et 10 h, évocatrices d’une bien triste piété, continueront-elles éternellement à nous sonner la pénitence ? Pour avoir su doter leur église d’un très heureux carillon, nos frères catholiques n’en sont pas moins assidus aux cultes que nous. La cloche du Temple du bas me fait souvent désirer que l’on nous appelle au culte, qui est un événement joyeux, par une radieuse sonnerie de clairons.
Ce ton de cloche est une laideur des matins de dimanche à Neuchâtel, et il doit donner aux passants d’autres pays l’impression d’une âme neuchâteloise d’un protestantisme hypocondriaque, et de naturels contrits, peu enclins aux accueils aimables. Ohé, l’A. D. E. N ! Les spécialistes diront s’il est possible d’obtenir un heureux résultat en adjoignant une nouvelle cloche à l’ancienne, mais je sais que le clocheton n’est pas grand, et puis, existe-t-il une cloche qui consentirait à « s’accorder » avec notre pauvre vieille et vénérable « mômière » ? Ne la traitons pas à l’électricité, elle est trop âgée. Employons plutôt le crédit voté à lui accorder, en la remplaçant, une retraite perpétuelle. Il y a quelques années, une heureuse restauration du Temple du bas a été faite, mais : Le temple, hélas, en la tourmente, a conservé dans son clocher le glas navrant qui se lamente le dimanche, pour nos péchés.

Le Temple du Bas, inauguré en 1696. Il a été nommé ainsi en opposition au « Temple du Haut », le nom donné durant un certain temps à la Collégiale (photo © neuchatelville.ch

A ce très sévère procès intenté à la pauvre cloche du Temple du Bas, Paul de Montmollin, fin connaisseur des cloches de la ville de Neuchâtel, a renchéri trois jours plus tard avec un nouveau réquisitoire, toujours dans le courrier des lecteurs de la Feuille d’Avis

La cloche du Temple du bas est douloureuse aux oreilles mathématiques de M. H. R. (voir « Feuille d’avis de Neuchâtel » du mardi 27 juillet). Douloureuse parce qu’en lieu et place des harmoniques qu’une cloche réputée réussie fait entendre en sus du ton fondamental (octave grave, tierce mineure, quinte juste), notre vieille s’obstine depuis plus de deux siècles à nous bourdonner sa septième, sa seconde que sais-je encore… Les fondeurs de notre cloche n’étalent certes pas des maîtres de l’art. Henri et G. Guillebert y allaient au petit bonheur et, si mes souvenirs sont exacts (Je n’ai pas sous les yeux les documents qu’il faudrait), G. Guillebert dut s’y reprendre à deux fois avant de satisfaire de façon relative Messieurs les Quatre Ministraux quant, après le grand Incendie, il livra pour la Tour de Diesse la petite cloche qui s’y trouve encore. Que faire ? Remplacer « la Guilleberte » par une jeune et pimpante argovienne ? Pas la peine pensons-nous. Il y aura toujours disproportion entre la masse du Temple du bas et la petite voix qui devra prendre place dans son clocheton. (La cloche actuelle a moins de 90 centimètres de diamètre). Si pourtant on veut tenter l’expérience, nous aurions à Neuchâtel même de quoi nous satisfaire.
La cloche qui s’ennuie à l’ancien hôpital de la ville est à peu près de même taille. Elle a un très beau son. Sœur de la grande cloche de la Tour de Diesse, du No 2 de la Collégiale, c’est également le bon Livremont de Pontarlier qui la fondit en 1771. Oui, mais… qui frappera désormais les heures place de l’Hôtel-de-Ville ? La cloche du Temple du bas. Pourquoi pas ? M. H. R. veut-il une belle sonnerie, qu’on appelle à la rescousse l’A. D. E. N, les mécènes et tutti quanti. Que l’on élève côté sud un clocher digne de ce nom et qu’on y installe 3 ou 4 belles cloches. Autre idée : Compléter à la Tour de Diesse la sonnerie actuelle par deux cloches et les affecter au service de notre temple. Je suspends cette rêverie estivale écrite aux sons des clochettes des vaches du pâturage voisin.

Même si Paul de Montmollin use d’arguments plus techniques que M. H.R qui a décoché la première flèche empoisonnée, on sent qu’il prend plaisir lui aussi à lancer des piques à l’intention de la pauvre petite cloche du Temple du Bas ! Ironie du sort : alors que ces deux Messieurs se sont tus depuis plusieurs décennies, emportés vers un monde meilleur où toutes les cloches sonnent toutes à l’unisson, la vénérable « Guilleberte » continue aujourd’hui encore à chanter de sa voix aigrelette. On ne peut que s’en réjouir : trop de cloches historiques ont en effet fini au creuset, victimes de pourfendeurs aux oreilles trop délicates.

La basilique de Neuchâtel dans son état d’origine vers 1920

La Basilique, cette géante au pied d’argile – Deux mots – pour être complet – des cloches de la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Neuchâtel. Autant vous le dire tout de suite, vous risquez d’être déçus ! Non pas que la sonnerie de l' »Eglise Rouge » ne soit pas harmonieuse : c’est juste que les cloches sont de dimensions très modestes aux vues de la taille de l’édifice. L’imposant clocher, haut de 53 mètres, a d’abord reçu – en même temps que son horloge – trois petites cloches civiles fixes (fa4 la4 do5) en 1912. Ces timbres portent la signature de l’horloger David Perret. C’est seulement en 1933 qu’est passé commande à la fonderie Ruetschi d’Aarau de trois cloches à la volée (fa#3 sol#3 si3) d’un poids total de 1’800 kg. Rappelons que le bourdon de la Collégiale pèse à lui seul 2’500 kg !

N’y voyez ici aucune avarice de la communauté catholique : la basilique est un véritable gouffre financier. Construite à partir de 1897 en pierre artificielle, pour des raisons d’économie, l' »Eglise Rouge » s’avère  vite fragile. En 1920 déjà, il faut retirer certains ornements tels que les pinacles qui menacent de tomber sur les passants. Les travaux de consolidation se font si coûteux au fil des décennies qu’on envisage, dans les années 80, de raser purement et simplement l’édifice. L’église sera finalement classée en 1986. Elle sera élevée au rang de basilique mineure en 2007.

L’Impartial du 5 mars 1934 relatait l’arrivée des deux plus grandes cloches de la basilique. La plus petite était arrivée pour Noël 1933.

Je pourrais vous noircir encore des montagnes de pages sur les cloches de la ville de Neuchâtel, tant les histoires sont nombreuses, tant les sources sont intarissables. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé tout au long de la rédaction de cette modeste présentation : à chaque étape de mes recherches, il s’est trouvé dans un vieux livre ou dans la presse de l’époque une savoureuse anecdote à rapporter. Tout ceci témoigne du lien étroit que les Neuchâtelois ont su tisser de tous temps avec leurs cloches. Je ne saurais d’ailleurs mettre un point final à ces quelques lignes sans un dernier courrier des lecteurs daté du 31 décembre 1929. Un témoignage hélas anonyme, mais ô combien touchant.

Alité depuis de longs mois et privé par conséquent du plaisir que procure la préparation extérieure et visible de la fête de Noël, c’est avec une grande joie que je lus l’avis de la direction des cultes de notre ville que les cloches de la Collégiale seraient sonnées mardi soir pour annoncer la nuit de Noël. Le même jour s’installaient sur la place des Halles deux « carrousels » ne se lassant point de faire entendre les indispensables ritournelles de leurs orgues de barbarie. Ces dernières se tairont-elles pendant que sonneront les cloches ? Je le crus un instant. Hélas, naïve illusion ! A 18 heures et quart, les cloches de la Collégiale se mettaient en branle, et à toute volée, dans un harmonieux concert, annonçaient la venue de Noël, message de joie, de paix et de bienveillance parmi les hommes : mais en même temps nos braves « carrousels » s’en donnaient à cœur joie et de tout leur souffle mêlaient leurs refrains de music-hall et de la Marseillaise aux sons des cloches de notre antique Collégiale. Oh ! quel mélange de musique disparate, quelle horrible cacophonie ! N’y tenant plus, j’enfonçai ma tête dans mes oreillers pour ne plus rien entendre et, sans doute avec tous les habitants du quartier, regrettai-je amèrement cette fâcheuse dualité.

Quasimodo remercie
La ville de Neuchâtel – La paroisse réformée de Neuchâtel – Fabienne Hoffmann, experte-campanologue à Lausanne – Matthias Walter, expert-campanologue à Berne – Pascal Krafft, expert-campanologue en Alsace – Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers – Damien Savoy, organiste et chef de chœur à la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Neuchâtel – Le comité et les membres de la GCCS (le reportage vidéo a été réalisé durant notre assemblée 2021).

Sources (autres que mentionnées)
« Les fondeurs de nos cloches » tiré du cahier « Musée Neuchâtelois » de janver 1915
« Les Bournez, fondeurs de cloches à Morteau » tiré du cahier « Musée Neuchâtelois » de janvier 1973
Archives de la fonderie Ruetschi
https://www.restaurationcollegialeneuchatel.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A9giale_de_Neuch%C3%A2tel
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9o_Ch%C3%A2telain
https://www.eren.ch/neuchatel/patrimoine-architectural/temple-du-bas/
https://www.eren.ch/neuchatel/patrimoine-architectural/collegiale/
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_%C3%A9vang%C3%A9lique_du_canton_de_Neuch%C3%A2tel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame-de-l%27Assomption_de_Neuch%C3%A2tel

Cloches – Collombey (CH-VS) église Saint-Didier

Un clocher de style anglais en plein cœur du Chablais

-Cloche 1, note fa#3 +3/16, diamètre 97 cm, coulé en 1728 par Nicolas Boulanger, Alexis Durand et Jean-Baptiste Durand.
-Cloche 2, note la3 -3/16, diamètre 86 cm, coulée en 1728 par Nicolas Boulanger, Alexis Durand et Jean-Baptiste Durand.
-Cloche 3, note si3 +6/16, diamètre 77 cm, coulée en 1878 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 4, note do#4 +2/16, diamètre 76 cm, coulée en 1809, fondeur indéterminé.

Notre découverte campanaire du jour nous amène dans le Chablais, qui fut l’une des provinces des États de Savoie. Aujourd’hui, on distingue trois entités : d’abord – sur territoire français – le Chablais savoyard, qui s’étend de la rive nord du Léman à la Vallée du Giffre. Nous avons ensuite – en Suisse – le Chablais vaudois, région vinicole par excellence située en amont du Lac Léman sur la rive droite du Rhône.  Vis-à-vis se trouve enfin le Chablais valaisan, dont les limites actuelles ont été fixées par le traité de Thonon en 1569. Et c’est justement en terres valaisannes, le long de la route cantonale reliant Saint-Maurice à Saint-Gingolph, que se trouve l’église Saint-Didier de Collombey à laquelle nous allons nous intéresser aujourd’hui.

De l’agriculture à l’industrie – Collombey-Muraz conserve de précieux témoignages de son passé : le manoir-château De Lavallaz, ancienne demeure féodale, et le Château d’Arbignon, qui depuis 1647, accueille la communauté des religieuses des Bernardines. La vocation de la commune est longtemps essentiellement agricole. L’implantation de la première raffinerie suisse de pétrole en 1960 entraîne alors un essor industriel conséquent. Collombey est aujourd’hui le plus grand des cinq villages qui constituent l’entité de Collombey-Muraz avec près de 4’600 habitants fin 2016.

Un clocher insolite – A Collombey, sommes-nous véritablement dans la plaine du Rhône ? La silhouette du clocher peut nous faire douter, tant il est vrai que l’architecture régionale est habituellement aux imposantes flèches de pierre. Or rien de tel ici : le couronnement à quatre tourelles d’angles nous rappelle plutôt les clochers anglicans. N’allez pas croire qu’une rafale de foehn a arraché la flèche ! N’imaginez pas non plus que sa construction a été interrompue pour des raisons d’économie ou de statique. L’explication serait plutôt à chercher chez l’architecte, un certain Emile Vuilloud.

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Un architecte éclectique – Emile Vuilloud (1822-1889) a été l’une des figures de proue de l’éclectisme dans la région. On lui doit aussi bien des églises néo-romanes comme notre église Saint-Didier (1873) que néogothiques (Aigle, Vevey) ou encore néo-classiques sardes (Monthey). On remarque surtout que 10 ans avant d’avoir réalisé l’église de Collombey, Vuilloud avait doté l’église catholique d’Aigle du même type de clocher. Et si parmi ses nombreuses sources d’inspiration, l’architecte était allé puiser dans les clochers anglicans, dont le couronnement est souvent doté de créneaux et de tourelles mais dénué de flèche ? Il est utile de rappeler qu’en cette fin de XIXe siècle, les riches touristes anglais étaient nombreux sur la Riviera vaudoise et dans le Chablais.

Un mobilier moderne – L’église Saint-Didier est un élégant édifice néo-roman à 3 nefs surmontées de plafonds à caissons. Hormis les fonts baptismaux du début du XVIIe siècle, le mobilier date essentiellement du XXe siècle et porte les signatures d’éminents artistes du Groupe de Saint-Luc. Les vitraux à jointure de béton ont été commandés pour l’agrandissement des baies du chœur en 1949, ils sont l’œuvre de Paul Monnier. Pour la restauration menée dans les années 1960, François Ribas réalise le tabernacle décoré d’émaux, alors que Bernard Viglino confectionne les mosaïques des deux autels latéraux. L’orgue est installé par la manufacture Kuhn de Männedorf (CH-ZH) en 1967.

Une sonnerie réalisée en plusieurs étapes – L’ancienne église de Collombey fut consacrée en 1723, date de la séparation d’avec la paroisse de Monthey. De cette époque datent les deux plus grandes cloches coulées par Durand & Boulanger, dont seule la plus grande est signée. Deux autres cloches furent ajoutées en 1809 par un fondeur inconnu : la cloche no3 – refaite par Gustave Treboux en 1878 – et l’actuelle cloche no4. Cette dernière ne porte aucune signature. Son examen n’a permis de l’attribuer à aucun des fondeurs recensés à la même époque dans la région. Vous pouvez le voir sur les photos ci-dessous : la cloche souffre de nombreux défauts de coulée (surface bosselée, lettres décalées ou retournées, orthographe douteuse).

Inscriptions  et ornementations des quatre cloches
Cloche 1 : sur le col : LE SAINT NOM DE DIEV SOIT LOVE – SAINT DIDIER NOSTRE PATRON PRIE POUR NOVS IE Y ESTE FAITTE AV FRAIS & DEPENS DE LA COM. TE DES DEVX COLOMBEY POVR PARRAIN MON S. R CLAVDE DONN ET TRES DIGNE CVRE DE COLOMBEY MARAINE NOBEL DAME CLOVIZ E CORTEN. Ces lignes d’inscriptions sont soulignées d’une frise de palmettes typique des cloches de cette époque. Sur le vase figurent un calvaire de même qu’un chrisme accompagné de deux colombes (symbole de la commune) et de l’inscription VTRIQVE FVIT AVXILIUM. Sur la faussure : I.B&A. LES DVRAN DS ET N. BOVLANGER NOVS ONT FAIT LAN 1728.

Cloche 2 : sur le col : LOVE SOIT LE SAINT NOM DE IESVS & DE MARIE – I EY ESTE FAITTE AV FRAIS & DEPENS DE LA PAROISSE DES DEVX COLOMBEY POUR PARRAIN R. MON S. R IE LOVIS FAVRE TRES DIGNE DIRECTEVR DES RELIGIEVSES DE COLOMBEY POVR MARAINE MODESTE ANNE CATHERINE CHERVATL 1728. Ces lignes d’inscriptions sont soulignées d’une frise de palmettes typique des cloches de cette époque. Sur le vase figurent un calvaire de même qu’un chrisme accompagné de deux colombes (symbole de la commune) et de l’inscription VTRIVMQVE FOVEAT & REGAT.

Cloche 3 : les anses sont décorées de visages féminins. Le col est orné de festons de style néoclassique. Inscriptions sur le vase : PARRAIN STANISLAS DUFAY DE LAVALLAZ NOTAIRE. MARRAINE MARIE LOUISE DUFAY DE LAVALLAZ NEE DETORRENTE ANNEE 1809 ET 1878. L’effigie de saint Joseph est entourée de l’inscription : LOUEZ SOIT JESUS MARIE JOSEPH alors qu’on peut lire autour de l’effigie de saint Didier : ST DIDIER NOTRE PATRON PROTEGE-NOUS. Tous ces motifs sont soulignés par une frise de feuillages. Sur la faussure : GUSTAVE TREBOUX FONDEUR A VEVEY 1878.

Cloche 4 : Les inscriptions sont dont difficilement déchiffrables. Certaines lettres sont manquantes, mal alignées ou inversées. On peut toutefois lire sur le col M. PIERRE MARIE DU [F]AY DELALALAZ GD CHATELAIN PARAIN ET MARIE MAGDELAINE DU FAY DEVALAVALLAZ MARAINE L. 1809 JEAN BAPTISTE CHAPERON CURE JEAN DIDIER TORMAZ PRESIDENT JEAN BURDEVET PROCUREUR D EGLI[S]E. CRISTIAN RIONDET VICE CH. FAITE AU DEPENTS DE LA PAROISSE, PIERRE PARVEX CONSEILLER . JEAN DIDIER RIONDET CONSEILL[E]R. Le vase arbore une croix et une effigie de saint Didier entourée de l’inscription ST DIDIER PROTEGE-NOUS. Au-dessous, une frise de différents motifs comme des pointes de diamant.

Les cloches sont accrochées en fenêtre à un beffroi de bois renforcé d’acier. Elles se balancent sous des jougs métalliques de type Bochud. Elles sont munies de battants piriformes et d’électro-tinteurs vraisemblablement contemporains à leur motorisation.

Quasimodo remercie :
La paroisse de Collombey pour son aimable autorisation
-Bastien Clerc et Yann Petten, sacristains et servants de messe, pour leur chaleureux accueil, leur disponibilité et la riche documentation fournie
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice pour son  indispensable collaboration.

Sources :
Relevés des cloches effectués par Patrick Helzig et rassemblés par Bastien Clerc.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chablais
https://fr.wikipedia.org/wiki/Collombey-Muraz
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Vuilloud
https://www.collombey-muraz.ch/
https://paroisses-collombey-muraz.ch/
http://www.orgues-et-vitraux.ch/
https://vitrocentre.ch/it/recherche/projets-en-cours/groupe-de-saint-luc.html

Cloches – Sonceboz-Sombeval (CH-BE) temple

Le clocher de 1866 héberge quatre cloches de trois fondeurs différents

-Cloche no1, note mi bémol 3 +7/16, poids 992 kg, coulée en 1866 par François Joseph Bournez cadet.
-Cloche no2, note la bémol 3 +-0/16, poids 406 kg, coulée en 1866 par François Joseph Bournez cadet.
-Cloche no3, note si bémol 3  +-0/16, poids environ 350 kg, coulée en 1954 par Ruetschi d’Aarau.
-Cloche no4, note do 4 +8/16, coulée en 1824 par Franz Ludwig Kaiser et son fils Anton de Soleure.
[Cloche déposée depuis 1954 : note mi 4 +6/16, coulée en 1824 par Franz Ludwig Kaiser et son fils Anton de Soleure.]

Sonceboz-Sombeval… Comme son nom le laisse supposer, la commune qui est le théâtre de notre présentation du jour est le fruit de l’union de deux villages, séparés jadis par un marais qui aurait été creusé par la chute d’une météorite. Sans remonter jusqu’à 10’000 ans avant notre ère, date à laquelle le phénomène s’est produit, il me semble intéressant de poser quelques jalons historiques et géographiques. En contemplant une carte routière, on constate que Sonceboz-Sombeval se situe au carrefour de deux axes importants : la route vers Tavannes, Moutier et Delémont depuis le Plateau suisse (doublée depuis quelques années par l’autoroute A16) et un accès à La Chaux-de-Fonds et au Locle par le vallon de Saint-Imier. Cette position stratégique a conduit à l’établissement d’une place forte dès l’Antiquité et à la construction d’un château fort au Moyen-Age. À l’époque des diligences, Sonceboz-Sombeval était un relais important à mi-chemin entre Berne et Bâle. Mais c’est évidemment l’arrivée du chemin de fer dans les années 1870 qui contribua à l’essor industriel et économique de la région.

La première mention authentique de Sombeval remonte à 866. Il s’agit d’un document par lequel Lothaire II, roi de Lotharingie, confirme à l’abbaye de Moutier-Grandval ses possessions situées en divers lieux. Sombeval y est considéré comme une ferme ou une exploitation agricole possédant une chapelle. Un acte de 1315 fait mention d’un moulin à Sonceboz et précise que l’église de Sombeval est dédiée à Sainte-Agathe. L’édifice, très ancien, semble avoir été bâti sous Charlemagne. 1530 voit arriver la Réforme, adoptée non sans résistances. Exit l’autel, les statues et les images saintes, place à une chaire et à une table de communion dans la plus pure tradition protestante. Mais ce n’est qu’en 1732 que l’édifice subit ses premières grosses transformations avec l’élargissement de la nef par le nord. Nouvel agrandissement – par l’ouest cette fois – en 1866 avec l’édification du clocher que nous connaissons aujourd’hui. Son couronnement (flèche octogonale sur quatre pignons) représente un style qu’on retrouve souvent dans la région (La Ferrière, Renan, Tramelan, La Chaux-de-Fonds temple de l’Abeille + temple allemand) La plupart de ces clochers ont été édifiés durant la seconde moitié du XIXe siècle.

Avant l’édification de la tour actuelle, le temple de Sonceboz-Sombeval possédait déjà un clocheton, comme on peut le voir sur le plan ci-dessus daté de 1537. Deux petites cloches ont été commandées à la fonderie Kaiser de Soleure en 1824. Ces deux cloches ont trouvé place dans l’actuel clocher, où sont venues se joindre à elles deux nouvelles venues réalisées en 1866 par François-Joseph Bournez cadet de Morteau. On avait alors une sonnerie égrenant les notes mi bémol 3 – la bémol 3 – do 4 – mi 4. En 1954, on a jugé que la plus petite des quatre cloches était dissonante. Plutôt que de l’accorder en mi bémol, on préféra passer commande à la fonderie Ruetschi d’une nouvelle cloche en sib3. Ainsi est donc né le motif Westminster que nous connaissons aujourd’hui. La petite cloche en mi4 a par bonheur été conservée. Exposé dans le parc au sud de l’église, elle permet d’admirer la superbe qualité des décors du fondeur Franz Ludwig Kaiser. Le poids relativement modeste de cette petite cloche nous a permis de la soulever quelques instants pour la faire tinter et déterminer sa note. Nos excuses aux fourmis et nombreux autres insectes qui ont élu domicile sous cloche depuis des générations et que nous avons malencontreusement sortis de leur torpeur par cette manœuvre impromptue !

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Cloche 1 (mi bémol 3) La cloche est équipée de son joug d’origine et d’un battant piriforme datant vraisemblablement de la motorisation en 1954. Elle a été tournée d’un quart de tour. Inscriptions FOI ESPERANCE CHARITE // GLOIRE A DIEU DANS LES CIEUX / PAIX SUR LA TERRE / BONNE VOLONTE ENVERS LES HOMMES LUC II V. 14 // HOSANNA / BENI SOIT CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR / JEAN 12 V. 13. Sur l’autre face : DON FAIT / PAR LA COMMUNE / BOURGEOISE / DE SONCEBOZ / SOMBEVAL / 1866 // FRANCOIS JOSEPH BOURNEZ FONDEUR A MORTEAU.

Cloche 2 (la bémol 3) La cloche est équipée de son joug en chêne d’origine et d’un battant à boule de facture assez récente. Elle a été tournée d’un quart de tour. Inscriptions VENEZ ET MONTONS A LA MAISON DE L’ETERNEL / IL NOUS INSTRUIRA DE SES VOIES / ET NOUS MARCHERONS DANS SES SENTIERS / ISAIE II V. 3 // LA JUSTICE LEVE UNE NATION / MAIS LE PECHE EST L’OPPROBE DES PEUPLES /PROVERBES V 73. Sur l’autre face : LE TEMPS S’ENFUIT / L’ETERNITE S’AVANCE / GLOIRE A DIEU // FRANCOIS JOSEPH BOURNEZ FONDEUR A MORTEAU.

Cloche 3 (si bémol 3) La cloche est équipée d’origine d’un joug en acier et d’un battant piriforme. Cette cloche est moins bavarde que ses aînées puisqu’elle arbore comme seule inscription QUE TON REGNE VIENNE et les armoiries de la commune – trois sapins surmontés de deux étoiles – et la date de 1954. La signature se trouve sur la panse : GLOCKENGIESSEREI H. RUETSCHI AG AARAU.

Cloche 4 (do 4) La cloche est équipée d’un joug en acier et d’un battant piriforme identiques à ceux de la cloche no3 (équipement de 1954). Elle a été tournée d’un quart de tour et ses inscriptions sont hélas difficilement déchiffrables car en bonne partie masquées par le beffroi. Voici les fragments que nous avons pu relever : sur le col : … DANS LE PALAIS DE LA SAINTE… MORTEL CELEBRE L’ETERNEL… Sur la faussure : … VOX CLAMANS IN DESERTO… DEO IN EXCELSISSIMIS… PAROISSE DE SOMBEVAL MDCCCXXIIII.

Cloche déposée (mi 4) Elle trône sur un socle de pierre dans le jardin en contrebas du temple. Inscriptions sur le col GLOIRE SOIT A DIEU DANS TES LIEUX TRES HAUTS / SI VOUS N’AVEZ LA CHARITE VOUS RESSEMBLEZ A L’AIRAIN QUI RESONNE ET A LA CYMBALE QUI RETENTIT – CO CH 13 V 1. Sur la faussure : IP MONNIER MAIRE / 1824. Sur l’autre face : F. LUDWIG KAISER BURGER / VON SOLOTHURN. AUCH / ANTON KAISER SEIN SOHN / HABEN MICH GEGOSSEN ANNO 1824 [F. (Franz, ndlr) Ludwig Kaiser, bourgeois de Soleure et son fils Anton Kaiser m’ont coulée en l’an 1824]

Bon à savoir
-Dans les archives de la maison Bournez, les cloches nos 1 et 2 sont mentionnées comme donnant les notes mi et la.
-Bournez a également réalisé en 1885 une cloche de 318 kg pour l’école de Sonceboz-Sombeval.
-L’arrivée en 1954 de la cloche no3 a coïncidé avec la motorisation de la sonnerie et l’installation d’une horloge mécanique de la maison Baer de Sumiswald. Ce mouvement est toujours présent dans le clocher mais il est aujourd’hui désaffecté.
-Le clocher ne dispose pas de cadran sur sa façade nord. Au XIXe siècle, le village ne s’étendait en effet pas au-delà du temple.

Quasimodo remercie
Bernard Messerli, président de la paroisse de Sonceboz-Sombeval
Florence Ramoni, catéchète professionnelle auprès des paroisses réformées de l’Erguël
Mes amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers ; Loïc Tercier, horloger à Bienne.

Sources
Archives compilées par Bernard Messerli, président de paroisse
La paroisse de Sonceboz-Sombeval par Hermann Ecuyer, pasteur, 1929
Archives de la maison Bournez
https://www.sonceboz.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sonceboz-Sombeval

Cloches – Carrouge (CH-VD) chapelle réformée

La chapelle, sa cloche et son horloge sont du XVIIIe siècle

Cloche unique, note fa4 + 7/16, coulée en 1724 par Jean-Henry Guillebert de Neuchâtel

Carrouge ! Notez bien l’orthographe de ce village – avec 2 R – afin d’éviter toute confusion avec son grand homophone de la banlieue genevoise. Nous sommes ici en pleine campagne vaudoise, à mi-chemin entre Vevey et Moudon. Cette situation géographique idéale a transformé, en à peine quatre décennies, une commune essentiellement agricole en village résidentiel à forte poussée démographique. La naissance de plusieurs quartiers de villas a été accompagnée par la création d’une nouvelle zone commerciale début des années 2000. En 2008, les citoyens de Carrouge  acceptent par les urnes de rejoindre leurs voisins de Mézières et de Ferlens au sein de la commune fusionnée de Jorat-Mérières.

Au Moyen-Age, Carrogium fait partie de la seigneurie de Vulliens, tout comme sa voisine Ropraz. Un siècle après la conquête du Pays de Vaud par les Bernois, ce sont les Graffenried qui deviennent propriétaires de la seigneurie de Carrouge. C’est cette riche famille patricienne d’ascendance germanique, bernoise et bâloise qui fera construire la  modeste mais ravissante chapelle en 1709.

Avec son plafond de bois et son chevet à trois pans, la chapelle de Carrouge rappelle nombre d’autres lieux de culte du voisinage : Vulliens, Montpreveyres, Vucherens, Ropraz, Syens… Nous sommes toutefois ici en présence d’un édifice de dimensions nettement plus modestes. Le maître d’ouvrage est un certain Samuel Nicolas. Ce bourgeois de Carrouge, charpentier de son état, a laissé ses initiales sur la chaire où apparaît aussi cette inscription «au nom de Dieu, sois mon commencement», 1709.

La chapelle subit deux importantes restaurations au XXe siècle.  En 1927, on la dote d’un vitrail de René Martin, peintre vaudois décédé  aux Etats-Unis en 1986. En 1972, on s’efforce de lui redonner son cachet historique. On choisit notamment de reconstruire à l’identique le petit clocher de 1709 qui menace de tomber. Si elle se retrouve désormais motorisée, la cloche est demeurée la même. Offerte par le gouverneur Michel Jordan, elle porte la date de 1724 et l’inscription latine « Colatur Deus fiat justitia floreat pagus » (Que Dieu soit adoré, la justice pratiquée et le village prospère). Cette jolie petite cloche est signée Jean-Henry Guillebert, bourgeois de la ville de Neuchâtel.

Les Guillebert sont des fondeurs suffisamment intéressants pour qu’on leur consacre quelques lignes. Il faut déjà savoir que cette famille – comme nombre de fondeurs de cloches de la même époque – est originaire du Bassigny, dans l’ancienne province française de Champagne (aujourd’hui région Grand-Est). Les Guillebert semblent s’être établis à Neuchâtel vers 1680. L’un de ses membres, Gédéon, fut reçu dans la compagnie des Favres, Maçons et Chappuis en 1686.  Dans le cahier du Musée Neuchâtelois de 1915, on peut lire que « Gédéon offrit en 1709, année de sa réception comme bourgeois de Neuchâtel, une cloche pour sonner le tocsin, mais il fut éconduit ».

Ce sont surtout les fils de Gédéon qui se sont illustrés par leur rayon d’action. On trouve effectivement la signature de Jean-Jacques et de Jean-Henry Guillebert par deux fois dans le canton de Fribourg:  à La Joux (cloche de l’Agonie, 1729) et sur la petite cloche du Châtelard (1734). Mais la plus importante réalisation des frères Guillebert se trouve à Lausanne : la grande cloche de l’église Saint-François, coulée avec en collaboration avec un autre Neuchâtelois : Pierre-Isaac Meuron. Cette cloche ayant été réalisée à l’origine pour la cathédrale (elle a été déplacée en 1898) on peut en déduire que ces fondeurs devaient jouir d’une certaine aura ou disposer de solides références.

Les combles de la chapelle de Carrouge abritent un véritable trésor : une horloge à cage du XVIII siècle ! Cette belle mécanique, apparemment complète et en bon état, porte la signature de Samuel Chappuis de Carrouge et la date de 1795. Elle dispose encore de son balancier et de ses poids de pierre. Ces derniers sont d’ailleurs visible de tous, puisqu’ils pendent au bout de leurs cordes dans l’entrée de la chapelle. Cette belle horloge est hélas hors service. Les aiguilles de l’unique cadran en façade sont mues par une minuterie électrique. Le marteau de tintement, de type frappe lâchée, est actionné par dispositif électrique à came.

Mon modeste avis : nous avons ici une jolie chapelle du XVIIIe siècle avec sa cloche et son horloge d’époque. C’est savoureux ! On pourrait souhaiter un meilleur équipement de la cloche : son battant l’a méchamment creusée et la volée n’est pas régulière. Pour ce qui est de l’horloge, on pourrait envisager une remise en service après une bonne révision, ou alors une mise en valeur dans la chapelle ou dans tout autre lieu public à définir.

Sources (autres que mentionnées)
«La contrée d’Oron» éditions Cabédita
http://www.jorat-mezieres.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Carrouge
https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_von_Graffenried

Cloches – Prez-vers-Noréaz (CH-FR) église Saint-Jean-Baptiste

Le bourdon pesait 4’500 kg, il pèse aujourd’hui plus de 5’000 kg

-Cloche 1 « Le bourdon de la paroisse » note lab2, poids 5’087 kg, coulée en 1925 par Ruetschi à Aarau.
-Cloche 2 « Espérance » note do3, poids 2’374 kg, coulée en 1873 par Gustave Treboux à Vevey.

-Cloche 3 « saint Laurent » note mib3, poids environ 1’100 kg, coulée en 1815 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey.
-Cloche 4 « Union » note lab3, poids 738 kg (avant accordage), coulée en 1873 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 5 « Concorde » note do4, poids 250kg, coulée en 1873 par Gustave Treboux à Vevey.
[Cloche de l’Agonie, note lab4, poids environ 75 kg, coulée en 1961 par Ruetschi à Aarau.]

Mes premiers souvenirs de l’église de Prez-vers-Noréaz remontent à l’enfance. J’étais en voiture avec mes parents et – distinguant la Cloche de l’Agonie dans son lanternon – je me disais naïvement « bizarre d’avoir construit un si grand clocher pour y mettre une cloche aussi minuscule ». Ah les enfants ! Tantôt ils voient tout en grand, tantôt leur vision du monde ne dépasse pas le bout de leur petit nez. Quelques décennies plus tard – cette fois au volant de ma voiture – je repasse devant l’église de Prez et j’entends sonner la messe. Saisi dans un premier temps par cette magnificence sonore, je  repense avec amusement à mes délires enfantins. Je viens de comprendre que le massif clocher a été édifié pour cacher autre chose qu’une clochette de quelques dizaines de kilos…

Comme à chaque fois qu’il s’agit de clochers fribourgeois, vous me verrez citer l’excellent Dictionnaire historique et statistique du Père Apollinaire Deillon, dont la rédaction a été lancée en 1884 et qui s’est achevée en 1903 sous la plume de l’abbé François Porchel. Je vais avoir aussi l’immense plaisir de citer pour cet article M. Jean-Marie Barras, ancien directeur de l’Ecole normale de Fribourg. Ce passionné d’histoire locale a créé un remarquable site internet regorgeant de documents d’archives et truffé d’anecdotes plus passionnantes les unes que les autres.

La paroisse de Prez-vers-Noréaz était autrefois bien plus étendue, puisqu’elle englobait les villages de Corserey, Noréaz, Seedorf, Ponthaux et Nierlet-les-Bois. Attestée officiellement depuis le XIe siècle, son origine pourrait être plus ancienne. On peut lire chez Deillon : Lorsque les évêques résidaient à Avenches, dans les Ve et VIe siècles, il n’y avait pas apparemment de prêtre à domicile fixe; des missionnaires se rendaient d’une localité à l’autre pour annoncer l’Evangile, la bonne nouvelle : c’est alors, et à mesure que le christianisme se développait, que des églises furent construites et des paroisses érigées (…) La paroisse de Prez (…) doit trouver son origine dans cette époque reculée.

La première église de Prez-vers-Noréaz ne possédait pas de clocher. C’est seulement en 1591 qu’un beffroi fut édifié. Des fouilles sommaires menées en 1988 à l’occasion du renouvellement du chauffage ont permis de comprendre que l’édifice précédent se situait pour sa plus grande partie à l’emplacement du chœur actuel. Ces fouilles ont mis au jour trois phases de construction : une première au XIIIe ou XIVe siècle, une seconde au XVIe ou XVIIe siècle, une troisième au XVIIe. Cette église fut abattue en 1831 pour laisser la place au magnifique sanctuaire néoclassique dédié à saint Jean-Baptiste que nous connaissons.

La construction de l’église de Prez-vers-Noréaz débute en 1831. Mgr Yenni procède à sa consécration le 2 août 1835. Le nom de l’architecte ne nous est malheureusement pas parvenu. On aurait volontiers attribué les plans à Charles de Castella, cet autodidacte de génie  à qui on doit la reconstruction de plusieurs édifices de Bulle (dont l’église) après l’incendie de 1805. Or Castella est décédé en 1823. L’église Prez ne possède au départ que peu d’ornements. Il faudra attendre 1870 et la nomination du curé-doyen Louis Genoud pour voir arriver vitraux, peintures, statues, orgue, cloches et horloge. Si la restauration de 1958 est considérée comme plutôt réussie, on ne peut que déplorer la disparition de la peinture de la voûte, œuvre de Carlo Cocchi.

On ne sait pas grand chose de l’ancienne sonnerie de Prez-vers-Noréaz.  Toujours chez Deillon, on peut lire : « Le jour de la Saint-Georges 1591, l’abbé d’Hauterive, D. Gribolet, a béni la grande cloche de Prez. M. le chevalier Josse Fégely et dame Luzos, femme de Nicolas Reyff, seigneur de Cottens et coseigneur de Prez, furent parrain et marraine ; ils donnèrent à la cloche le nom Isabelle. Elle fut coulée à Fribourg et elle a coûté 400 florins et 10 écus. Le poids ne devait pas dépasser 600 livres, vu le prix. « 

Jean-Marie Barras raconte : « La décision de changer les cloches a été prise par l’assemblée paroissiale du 6 juillet 1873, sur proposition du curé Genoud, les cloches actuelles n’étant pas assez grandes vu la grandeur de la paroisse et de l’église. La délégation qui s’est rendue auprès du fondeur de cloches Tréboux, à Vevey, était formée du curé, du Capitaine Isidore Berger et de Pierre Sauterel, président de paroisse. Le paiement des cloches ne s’est pas réalisé sans difficultés, vu l’état précaire des finances paroissiales : levée d’un impôt, souscription, emprunt, autant de sujets qui ont rendu très animées certaines assemblées. » Ceci est confirmé par cet entrefilet dans le Journal de Vevey du 8 novembre 1873.

La sonnerie que nous connaissons aujourd’hui n’est pas tout à fait la même que celle qui fut installée par la maison Treboux en 1873. En parcourant les mémoires d’Auguste Thybaud, on apprend que l’infatigable accordeur de cloches vaudois fut appelé pour donner son avis sur l’harmonie de  l’ensemble monumental de Prez-vers-Noréaz. Il est intéressant de savoir que la paroisse avait signé une convention avec la fonderie pour recevoir quatre cloches donnant les notes la2, do#3, la3 et do#4. Le but étant que ces  cloches neuves s’accordent avec la cloche en mi3 coulée en 1815. Or les cloches sorties du creuset sonnaient en lab2, do3, sol3 et do4.

Thybaud raconte dans La Tribune de Genève du 19 mars 1899 : « J’eus l’idée, pendant l’expertise, de faire sonner toutes les cloches sauf le bourdon en la bémol. Ces quatre cloches, do, mi, sol et do,  produisaient un ensemble musical fort beau (…) mais lorsqu’à ces 4 cloches (…) je faisais ajouter le bourdon la bémol, la sonnerie devenait affreuse. » Plutôt que de redescendre du clocher et d’accorder le bourdon, ce qui aurait compliqué et surtout coûteux, ce sont les cloches nos 3 (mi3) et 4 (sol3) qui prirent le chemin des Ateliers mécaniques de Vevey. La cloche 3 revint avec sa note abaissée d’un demi-ton après avoir subi un alésage. A l’inverse, la voix de la cloche 4 monta du sol3 au lab3 après avoir été raccourcie au niveau de sa pince.

Nouvelle déconvenue cinq décennies plus tard, comme le relate Jean-Marie Barras : « En séance de Conseil paroissial du 19 octobre 1924, Gaston Huguet attire l’attention de ses collègues sur le son de la grosse cloche, qui s’est détérioré. La cause est rapidement décelée: elle est fêlée. On se renseigne jusqu’à la direction du Technicum sur les possibilités de réparation sur place. C’est impossible. En mars 1925, l’assemblée paroissiale décide de la remplacer. Une souscription est lancée. L’ancienne cloche est refondue à Aarau. La nouvelle, avec ses 5087 kg, est encore plus lourde. » Le nouveau bourdon est béni le 14 mars 1926 à 14h30 par Mgr Gumy, en remplacement de Mgr Besson, en déplacement à Rome.

Le bourdon de Prez se classe au troisième rang du canton de Fribourg par ordre de poids après le grand bourdon de la cathédrale Saint-Nicolas (note sol2, environ 7’000 kg) et celui de la collégiale Notre-Dame de l’Assomption de Romont (note sib2, environ 5’800 kg).

Si Ruetschi a réalisé pour Prez-vers-Noréaz un bourdon magnifique, tant sur le plan sonore que visuel, on peut regretter la disparition de son prédécesseur. Il s’agissait en effet de la plus grosse cloche jamais sortie de la fonderie de Vevey, toutes générations confondues. Les archives deci delà le mentionnaient à 91 quintaux (Deillon) 4’533 kg (Thybaud) et 4’650 kg (Feuille d’Avis de Vevey du 18 juin 1888). La plus grosse cloche Treboux encore existante est le bourdon de Promasens, donné à 3’645 kg.

La sonnerie monumentale de Prez-vers-Noréaz fut motorisée un beau jour de 1953 par la maison Bochud de Bulle. La Liberté du 30 septembre a tenu à rendre hommage aux vaillants sonneurs.

La cloche de l’Agonie actuelle (toujours manuelle) n’est arrivée qu’en 1961, la cloche précédente ayant été mise hors d’état par la foudre. Ironie du sort : cette cloche était aussi employée jadis pour éloigner les orages ! Coulée par Ruetschi d’Aarau, la nouvelle cloche porte les effigies de saint Joseph, saint Jean-Baptiste et sainte Agathe. Sa marraine est Jeanne Rosset de Prez, son parrain Hubert Berger de Noréaz (La Liberté du 3 août 1961). Sa prédécesseure était-elle la fameuse cloche de 1591 mentionnée par Deillon ? Le poids évoqué de 600 livres serait dans ce cas quelque peu exagéré, même si la cloche actuelle, avec ses 75 kg, parait quelque peu sous-dimensionnée dans son lanternon.

Quelques informations bonus

Le bourdon arbore les inscriptions suivantes : PAR DECISION UNANIME DE L’ASSEMBLEE DE PAROISSE DE PREZ-VERS-NOREAZ, CETTE CLOCHE A ETE FONDUE POUR REMPLACER CELLE QUE TREBOUX A VEVEY A FAITE EN 1873 ET QUI A ETE FELEE EN 1924 // JE SUIS LE BOURDON DE LA PAROISSE, JE DONNE LE LA BEMOL  GRAVE ET JE PESE 5087 KG // PLEBEM VOCO, LAUDO DEUM VERUM, DEFUNCTOS PLORO, FESTA DECORO. VOX MEA CUNSTORUM TERROR SIT DAEMONIORUM. Le parrain est Jules Guisolan, la marraine est Justine Gerret. Les effigies saintes sont celles de saint Jacques (orthographié « Jaques ») saint Jean-Baptiste, saint Laurent, saint Joseph et la Crucifixion. On trouve aussi les armoiries des communes de Prez et de Noréaz. Le col arbore une très belle frise d’angelots de style art déco.

Sur la cloche no2, nommée Espérance, on trouve les effigies de saint Nicolas de Flüe et saint Pierre Canisius. Son parrain est Jean-Nicolas Rothey et sa marraine Marie Berger née Cosandey.

Sur la cloche no3 apparaissent les noms du seigneur de Seedorf, de Monsieur Joye de Prez et de Madame Marguerite Dafflon.

Sur la cloche 4 : son parrain est Jacques, fils de Jean-Joseph Berger ; sa marraine est Marie Monney née Python.


Quasimodo remercie
La paroisse de Prez-vers-Noréaz : Michèle et Michel Menoud.
Mes amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que mentionnées)
Le patrimoine campanaire fribourgeois, éditions Pro Fribourg, 2012

Cloches – Bottens (CH-VD) église Saint-Etienne

Un village, trois clochers

-Cloche 1, dédiée à la Vierge Marie, note mi3, diamètre 126 cm, poids 1’350 kg, coulée en 1889 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 2, dédiée à saint Etienne, note sol3, diamètre 102 cm, poids 720 kg, coulée en 1846 par Samuel Treboux à Corsier-sur-Vevey.
-Cloche 3, dédiée à saint Claude, note si3, diamètre 80 cm, poids 350 kg, coulée en 1889 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 4, dédiée à saint Joseph, note mi4, diamètre 60 cm, poids 140 kg, coulée en 1846 par Samuel Treboux à Corsier-sur-Vevey.


Les trois clochers de Bottens

La Maison de Commune est – à mon avis – le bâtiment le plus pittoresque du village. Cette construction ramassée, qui arbore la date de 1793, est surmontée d’un clocher de bois haut et étroit, dont le but était clairement de dominer les constructions avoisinantes. Il est vrai que jadis, les seuls repères temporels des villageois étaient l’horloge et la cloche publiques. La première cloche communale mentionnée à Bottens datait de 1794. Vraisemblablement fêlée, cette cloche a été refaite en 1890 par Charles Arnoux d’Estavayer-le-Lac. En 1921 fut installée l’horloge actuelle. La feuille d’information communale nous apprenait dans son numéro d’octobre 2010 que la vénérable mécanique nécessitait alors encore un remontage hebdomadaire. Cette noble mission incombait depuis 20 ans à M. Paulet Nicod, digne successeur du premier préposé mentionné dans un PV de 1822 : il a été convenu avec Joseph Longchamp pour gouverner (remonter et entretenir, ndlr) l’horloge une année. Il fournira l’huile nécessaire pour la dite horloge de même que pour la cloche et cela pour le prix de 6 francs. A la même époque, un certain Claude Dupraz sonnait midi pour un salaire annuel de deux francs et 8 Batz alors que Victorin Longchamp s’acquittait avec diligence de sonner pour le mauvais temps.

Le temple est attesté depuis 1164. Il est reconstruit entre 1711 et 1713 sur la base d’un schéma médiéval. L’édifice a d’abord été église catholique, dédiée successivement à saint Claude puis à saint Etienne. De 1475 à 1798, Bottens fait partie du bailliage commun d’Orbe et d’Echallens. La région est alors administrée en alternance (tous les cinq ans) par les Bernois (réformés) et les Fribourgeois (catholiques). Les habitants du bailliage sont privilégiés : ils disposent d’un choix relatif quant à leur religion. L’église devient alors paritaire, c’est à dire qu’elle est le lieu de culte des deux confessions. La situation demeurera inchangée jusqu’à la consécration – a XIXe siècle – de l’église catholique que nous allons découvrir ensemble.

L’église catholique Saint-Etienne est intéressante à plus d’un titre. Consacrée en 1847 par Mgr Marilley, c’est l’une des premières églises néogothiques du canton de Vaud. Henri Perregaux, qui en a dessiné les plans, est considéré comme un des architectes vaudois majeurs du XIXe siècle. On lui doit nombre d’édifices religieux comme les temples de La Sarraz et de Mont-sur-Rolle, les églises catholiques de Lausanne (basilique) et d’Assens, mais aussi des bâtiments civils comme le casino de Morges. Perregaux est avant tout considéré comme le chantre du néoclassicisme, ce qui ne l’a pas empêché de toucher avec bonheur à d’autres styles, comme ici à Bottens où l’église Saint-Etienne dresse son élégante silhouette néogothique depuis 1843.

Un mobilier liturgique expurgé – Si l’extérieur de l’église est demeuré inchangé, l’intérieur a subi de profondes modifications à partir de 1979 : suppression du grand retable et des autels latéraux, amputation de la plupart des ornements des stalles et de la chaire. Un nouveau mobilier liturgique a été réalisé dans les années 1980 par Madeline Diener, cette artiste suisse profondément pieuse à qui on doit la porte de bronze et le baptistère de l’abbaye de Saint-Maurice. Les vitraux du chœur sont  du maître-verrier fribourgeois Gaston Thévoz. Quant au tryptique de l’incarnation, il est l’œuvre du peintre biennois Louis Rivier.

Un clocher foudroyé – Le 16 juillet 1985, vers 1h du matin, la foudre frappe le clocher de l’église Saint-Etienne de Bottens. La flèche s’enflamme. En raison de la hauteur du sinistre – le coq sommital culmine à 44 mètres – le feu ne peut être éteint que le lendemain par un pompier accroché à un hélicoptère. La flèche est remplacée le 18 mars 1986 par l’entreprise Pollien de Cheseaux-sur-Lausanne au moyen d’une grue de 96 tonnes. Cette délicate opération se déroule en présence d’une foule nombreuse accourue pour l’occasion. La présence de rosaces au-dessus des baies de la chambre des cloches peut surprendre. Des cadrans d’horloge étaient-ils prévus sur les plans initiaux ? Ce n’est pas impossible. Quoi qu’il soit, à Bottens, c’est le pouvoir civil qui détient le privilège d’indiquer l’heure à la collectivité ! Seule la Maison de Commune, dont nous parlions un plus haut, possède en effet une horloge et une cloche tintée.

Deux générations de cloches veveysannes – L’incendie de 1985 n’a heureusement pas endommagé les quatre cloches de l’église Saint-Etienne de Bottens. Coulées au XIXe siècle, elles arborent toutes le patronyme de Treboux. Mais si les cloches nos 2 et 4 ont été coulées en 1846 par Samuel , les cloches nos 1 et 3 – fêlées – durent être refaites par Gustave Treboux en 1889. Les décors néoclassiques à la française des cloches de 1846 ont été remplacés par des ornementations néogothique de style germanique, alors les inscriptions pieuses sont restées les mêmes que sur les cloches originales, exception faite des noms des digitaires religieux. C’est ainsi que sur la grande cloche de 1889, Léon XIII remplace Pie IX qui était pape en 1846. Même changement pour ce qui est de l’évêque : Mgr Etienne Marilley a dû céder la place à Mgr Gaspard Mermillod.

Quelques extraits des inscriptions des quatre cloches

-Cloche 1 : Ecce crux Christi, fugite partes adversae ; Christus vincit, Christus  regnat, Christus  imperat
Christus ab omni malo plebem defendat ; Parochia catholica in Bottens
(Voici la croix du Christ ! Fuyez, vous qui êtes ses adversaires ! Christ est vainqueur, Christ règne, Christ commande, Christ préserve le peuple de tout mal. Paroisse catholique de Bottens)

-Cloche 2 : Jesu, qui, pro nobis, cruci affixus es, inimici a nobis protestatem expelle
(Jésus, qui as été cloué sur la croix pour nous, chasse loin de nous la puissance de l’Ennemi)

-Cloche 3 : Hinc flunt torrentis instar, gratiarum flumina ; Hic salus oegris paratur, flentibus solatium ; Hic laborans sublevatur ; Hic beatur indigus
(D’ici coulent comme à torrents les flots des grâces [divines] ; ici le salut se prépare pour les malades, la consolation pour ceux qui pleurent ; ici celui qui travaille est soulagé ; ici l’indigent retrouve le bonheur)

-Cloche 4 : Constituit eum Dominum domus suo et principem omnis possessionis suo
(Elle [la paroisse] l’a établi Seigneur sur sa maison et maître de tout son bien

La sonnerie a subi un accordage postérieur à sa coulée. Les cloches nos 1 et 3 ont subi un alésage. On constate aussi que les pinces des cloches 1, 3 et 4 ont été retouchées. Auguste Thybaud, le fameux accordeur de cloches vaudois, est mentionné dans la presse en 1891 pour son passage à Bottens.

Une visite des combles, accessibles par le clocher, nous a permis de constater que les anciens battants et – plus rare – les anciens paliers des cloches ont été conservés ! Ces paliers sont particulièrement intéressants : dans un encart publicitaire du 7 octobre 1882 paru dans le Courrier du Léman, Gustave Treboux vantait allègrement les mérites de son nouveau système de suspension pour la mise en branle des cloches.

Anecdote : un noctambule complètement sonné
-La Tribune de Lausanne du 19 avril 1975 relate un curieux fait divers. Une nuit, vers 2h du matin, les cloches du temple de Bottens se mettent soudainement en branle. On découvre vite que le boîtier de commande est fermé et que la clé a disparu. On force le boîtier, on arrête les cloches… mais voilà t’y pas que trois quarts d’heure plus tard, les cloches se remettent à sonner ! Un riverain note l’immatriculation d’une voiture qui roule curieusement tous feux éteints. On appréhende le plaisantin chez lui. On se rend compte qu’il est le fils d’un célèbre professeur en neurochirurgie de Lausanne . Le jeune homme reconnaît ses torts, l’affaire est classée. L’article – c’est intéressant – nous apprend que le garçon n’en est pas à sa première incivilité : quelques temps plus tôt, il a été condamné à six mois de travaux agricoles au pénitencier de Bochuz pour avoir défoncé la porte d’un garage en voulant jouer avec le klaxon de la voiture de ses rêves…

Sources (autres que mentionnées)
Archives de la maison Treboux dans « Voix de nos clochers » par le pasteur Alfred Cérésole, extrait de « Voix et souvenirs », éditions Payot, 1901 (merci aux archives de la ville de Vevey)
https://www.bottens.ch/vie-culturelle/histoire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bottens
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/002357/2004-05-04/
https://notrehistoire.ch/entries/VJ78r034YEl
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bailliage_d%27Orbe-%C3%89challens
https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Perregaux

Quasimodo remercie
Alain Panchaud, président de paroisse
Daniel Thomas, organiste et carillonneur
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice
Allan Picelli, sacristain à Maîche
Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Cloches – La Neuveville (CH-BE) Tour Carrée

Quatre cloches et 500 ans d’histoire

-Cloche 1 « Cloche de Cunier » note si2, diamètre 170 cm, poids 2’925 kg, coulée en 1932 par Ruetschi à Aarau
-Cloche 2 « Cloche de midi » note ré3, diamètre 136 cm, poids 1’450 kg, coulée en 2000 par Ruetschi à Aarau
-Cloche 3, note fa#3, diamètre 110cm, poids environ 750 kg, coulée en 1660 par George Kottelat de Delémont
-Cloche 4, note la3, diamètre 93 cm, poids 460 kg, coulée en 1969 par Ruetschi à Aarau

 

Les visiteurs de ce modeste site savent comme il me tient à cœur de parcourir l’histoire et de vous la relater avec mes propres mots. A La Neuveville, je me suis tout particulièrement régalé, car l’Histoire s’écrit ici avec un H majuscule. Nous allons comprendre comment un imposant clocher doté d’un bourdon a pu être édifié sans la moindre église à ses côtés. Nous tenterons d’en savoir un peu plus sur les usages locaux des cloches au fil des siècles et le rôle de ceux qui les actionnaient… parfois au prix de leur intégrité physique ! Nous chercherons pourquoi c’est un médecin vaudois qui a fait cadeau de la grande cloche à la pittoresque cité bernoise.  Notre quête historique nous emmènera jusqu’au Musée historique de Berne où ont été conservés les seuls restes de l’ancien bourdon, coulé au XVIe siècle par un des meilleurs fondeurs de sa génération, et qui disparut sous le coups de marteau d’un marchand de métaux.

 

La Neuveville mérite bien son appartenance à l’association Les plus beaux villages de Suisse. Située au pied du Chasseral, le plus haut sommet du Jura suisse ; bordée au nord par le vignoble et au sud par le lac de Bienne, cette petite cité bernoise francophone de 3’700 habitants fondée en 1312 possède un riche patrimoine bâti. Construit de 1283 à 1288 par le prince-évêque de Bâle, le château du Schlossberg domine la situation par sa position surélevée. La Blanche-Église, édifiée au VIIe siècle, possède de magnifiques fresques des XIVe et XVe siècles. De nombreuses maisons bourgeoises arborent de belles façades Renaissance. Et puis il y a ces tours d’enceinte médiévales qui ont traversé les siècles et qui semblent tirer un trait d’union entre le lac et le ciel.

 

Un clocher… mais pas d’église – La Tour Carrée est l’édifice le plus imposant de La Neuveville. Bâtie en pierres de taille blanches d’une grande qualité, la Tour est l’œuvre de Jehan Jornot,  maçon d’origine franc-comtoise établi dans la cité. L’inscription latine, en caractères gothiques, figurant sur la face nord, signifie : « en l’an du seigneur 1520, le 21ème jour du mois de Juin ». Ce monument cinq fois centenaire se dresse à l’emplacement d’une première tour d’enceinte vraisemblablement circulaire. La Tour Carrée était prévue pour être le clocher d’une basilique qui ne vit jamais le jour. On imagine aisément quelles auraient été les dimensions colossales de ce sanctuaire demeuré vœu pieu ! La Réforme, instaurée en 1528, la confiscation des biens de l’Eglise et d’autres soucis financiers sonnèrent le glas de ce projet trop ambitieux. Ce n’est donc pas une église, mais l’Hôtel de Ville, dont les parties les plus anciennes remontent au XIVe siècle, qui flanque aujourd’hui la Tour Carrée. Cette dernière est aujourd’hui le seul édifice historique de La Neuveville – avec sa voisine la Tour Rouge dotée de cadrans et de deux timbres d’horloge – à renfermer des cloches. Le clocher de la Blanche-Eglise (aujourd’hui lieu de culte réformé) est vide. Quant au temple édifié en 1720 dans l’enceinte de la ville, on n’a pas jugé utile de le doter d’un clocher. Dernière particularité de la La Tour Carrée, est non des moindres: c’est une propriété par étages ! Le rez-de-chaussée appartient à la Bourgeoisie ; la partie centrale, occupée par le Musée d’Art et d’Histoire, est la propriété de la Municipalité ; l’étage des cloches – enfin – appartient à la paroisse protestante, alors que l’entretien des cloches incombe à la ville.

 

Une première sonnerie à 3 heures du matin – Une plongée dans les archives nous apprend que l’usage des cloches a était jadis strictement réglementé. Les guets étaient responsables de ces sonneries, et de bien d’autres choses encore. Voici ce qui nous est relaté dans l’ouvrage « Histoire de La Neuveville » par Adolphe Gross et Ch.-L. Schindler paru aux éditions Slatkine en 1979.

Heures des cultes et ordre des prédications – Le règlement de 1639 prévoyait pour l’heure du culte le premier coup de cloche à six heures et demie du matin et le dernier à sept heures. En hiver, le premier coup à sept heures et demie et le dernier à huit heures, et pour l’après-midi trois heures et trois heures et demie. Quand le culte avait lieu à la grande église (ancien nom « Blanche-Eglise » par opposition à la chapelle Sainte-Catherine dite « petite église », ndlr) on sonnait la grande cloche. C’était le cas spécialement les jours de fête et à l’Ascension, où le militaire allait au culte en grande tenue et tambour battant.

Toutes les heures, de minuit à trois heures du malin, étaient criées, ce qui s’est pratiqué jusqu’en 1852. La cloche ordinaire était sonnée, en été à trois heures du matin, en hiver à quatre heures. Pendant la criée des heures, le guet restait sur la rue et ne remontait dans la tour (la Tour Rouge où se trouvait la chambre du guet, ndlr) qu’après la cloche du matin. Le soir, la cloche était sonnée à huit heures en hiver et à neuf heures en été. [Les guets] sonnaient les cloches pour les services religieux, faisaient la police autour de l’église et devaient occuper leur place au culte, « autant que se pourra ».

La Tour Carrée renferme aujourd’hui quatre cloches, dont une seule est encore historique

-Cloche no1 – Il s’agit d’un des quatre bourdons qui répandent leurs notes graves sur les rives du lac (les trois autres se trouvent à Bienne : Sainte-Marie, Saint-Benoît, Pasquart). Avant la première sonnerie de cette magnifique grande cloche le 28 août 1932, il avait été procédé à l’accordage des trois autres cloches. Le nouveau bourdon arbore les inscriptions « Gloire à Dieu au plus haut des cieux. Don du Dr Cunier, médecin à Romainmôtier ».

Pourquoi un bourdon offert par un médecin vaudois ? Les archives communales vaudoises mentionnent un docteur Robert Cunier (1852-1916) médecin et philanthrope à Romainmôtier. Une plaque en l’honneur du docteur est apposée depuis le 25 mai 1917 sur la façade l’infirmerie Contesse (ancienne maison de retraite) du bourg médiéval vaudois. Il est une question que nous sommes tout naturellement amenés à nous poser : pourquoi un médecin de Romainmôtier a-t-il laissé un testament pour la réalisation d’une cloche à La Neuveville ? Tout simplement parce que les Cunier sont une vieille famille du coin ! En 1560, le notaire Jean Cunier Riot, originaire de Nods, reçoit la bourgeoise de La Neuveville. Une branche des Cunier s’établit à Berne, le patronyme est germanisé et devient Günier. La famille Cunier actuellement existante descend de Pierre, neveu de Jean reçu en 1584. La Feuille d’Avis de Neuchâtel du 18 août 1931 mentionne un « fonds Cunier » créé dans le but de remplacer la cloche en acier par une cloche de bronze.

 

-Cloche no2 – Sa patine tout juste naissante indique que c’est la plus récente de la sonnerie. La nouvelle « Cloche de midi » n’est en effet arrivée que le 16 septembre 2000. Ses inscriptions «Il y a un moment pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel» (Ecclésiaste 3.1) et «S’il me manque l’amour, je ne suis rien» (Saint Paul – “Hymne à la Charité” 1er Épitre aux Corinthiens)

 

-Cloche no3 – C’est la seule cloche historique encore présente dans la Tour Carrée. On déchiffre sur le col « LA CLOCHE DE MIDI ET MOI, DEDANS VN FOUR, KOTTELAT NOVS FONDIT AVPRES DE LA TOVR – 1660 ». Sur la faussure apparaît un cartouche, plus petit et plus discret que sur l’ancienne cloche no2 : GEORGIVS KOTTELAT ME FVDIT ANO DNI 1660.

 

-Cloche no4 – « Paix sur la Terre aux hommes qu’il agrée » (Luc 2.14). Telles sont les inscriptions de la plus petite des quatre cloches, coulée en 1968 et hissée le samedi 15 mars 1969 par les enfants des écoles sous la supervision de la maison Ecoffey de Broc.

Jusqu’à la toute fin du XIXe siècle, la Tour Carrée possédait quatre cloches historiques

-Ancienne cloche no1 (diamètre 136 cm, note probablement do#3) coulée en 1572 par Franz Sermund de Berne. Pour sa réalisation, le banneret de Porrentruy fit don de 66 écus, 13 batz et 6 deniers. La cloche possédait sur son col une magnifique frise représentant des enfants et des oursons en train d’effectuer une ronde (ce motif a été repris sur le bourdon actuel).  Inscriptions (sur le col) « CAELVM ET TERRA TRANSIBVNT VDERBVM DOMINI MANET IN AETERNVM S. LVCE XVI CAP. 1572″. Apparaissaient également les armoiries de La Neuveville – deux clés en sautoir dans un cercle de lauriers – surmontant la signature du fondeur : « FRANCISCVS SERMVNDVS BERNENSIS ME FECIT ». Subsiste de cette cloche un moulage en plâtre entreposé avec son joug de chêne à l’avant-dernier étage de la Tour Carrée.

La cloche de 1572 fêla en 1900. Le Musée Historique de Berne se manifesta à l’époque pour faire l’acquisition de cette magnifique cloche historique richement ornée. Demande hélas tardive : un marchand de métaux s’était déjà porté acquéreur pour 4’500 francs. Le Musée réussit toutefois à récupérer un fragment, visible aujourd’hui encore dans le parc sous un abri où sont accrochées de nombreuses et belles cloches historiques.

En 1900, les finances de La Neuveville ne permettent pas de racheter une cloche de bronze. La commune fait alors l’acquisition d’une cloche en acier (disparue) de la fonderie allemande  Bochumer Verein. Les travaux préparatoires pour l’installation de cette cloche furent le théâtre d’un accident, comme le relate La Suisse Libérale du 31 août 1900.

Le marguillier Evard, en mettant en branle la cloche de midi, fit basculer une planche sur laquelle on avait déposé une grosse pierre de 40 kilos environ, enlevée de la fenêtre gothique par laquelle la cloche doit être introduite. Dans sa chute, la pierre brisa d’abord le levier de la cloche et ensuite atteignit le bras gauche du marguillier et le brisa net. Dans son malheur, le pauvre marguillier a encore eu énormément de chance de n’avoir pas été atteint à la tête et ainsi d’avoir échappé à une mort certaine.

Les Evard ont vu leur destin lié à celui des cloches de La Neuveville durant de longues décennies. On peut lire dans l’Express du lundi 4 janvier 1943 :

C’était la dernière fête de Noël pour notre marguillier, M. Charles Evard, qui, pour cause de santé, a donné sa démission après une activité de plus de cinquante années. Enfant, il fonctionnait déjà comme aide de son père. La famille Evard a sonné les cloches de la Neuveville pendant plus de 70 ans, puisque le grand-père était déjà marguillier en 1876 et il avait succédé à son frère. En souvenir des services rendus avec une ponctualité exemplaire, le conseil de paroisse a accordé à M. et Mme Evard une allocation extraordinaire.

 

 

-Ancienne cloche no2 (diamètre 135 cm, note ré3 après correction)
Inscriptions (sur le col) « OH TRES CHERIS CHRETIENS JE VOUS CITE OV CONVIE AUX SAINCTES ACTIONS D’VUNE DIVINE VIE – ANNO MDCLX ». Sur la faussure : les armoiries de La Neuveville et la signature du fondeur GEORGE KOTTELAT DE DELEMONT M’A FAIT – ANNO 1660 – AGE DE 65 ANS. Cette belle cloche a fêlé vers 1990. Elle est accrochée depuis 2005 sous une arche en bois  stylisée dans le cimetière de La Neuveville au nord-ouest de la Blanche-Eglise.

 

-Ancienne cloche no4 (diamètre 89 cm, note la3 après correction)
1583 fut un grand millésime pour Franz Sermund. Le fondeur bernois réalisa cette année-là ses deux plus grandes cloches : le bourdon de la cathédrale de Lausanne (note lab2, diam. 208 cm, poids 5’610 kg) et la « Mittagsglocke » (note sol#2, diam. 212 cm, poids 6’395 kg) de la cathédrale-collégiale de Berne. 1583 est également l’année de coulée de l’ancienne petite cloche de la Tour Carrée, déposée dans la Blanche-Eglise. Figurent là aussi les armoiries de La Neuveville. Les deux clés en sautoir apparaissent sur un mont de trois coupeaux de sable. Inscriptions (sur le col) « IN CYMBALLIS BENE SONANTUBVS LAVDATE DOMINVM 1583″. Signature (sur la faussure) ZU GOTTES EHR HAT MICH GEGOSSEN VON BERN FRANTZ SERMVND UNVERDROSSEN. Notez l’évolution de la signature du fondeur par rapport à l’ancienne grande cloche coulée 11 ans plus tôt ! Le joug de chêne arbore deux blasons. L’écu avec les initiales IG semble être celui de la famille Gascon, devenue plus tard Gascard, reçue bourgeoise de La Neuveville en 1528.

 

La Tour Rouge
C’était la porte nord de l’enceinte médiévale de la ville. Les armoiries de La Neuveville figurent sur les faces sud et nord. Alors que sa partie inférieure date de la fondation de la ville au XIVe siècle, la Tour Rouge a été surélevée vers 1593 et dotée d’un clocheton où est accrochée la cloche des heures (fixe). La cloche des quarts est située dans la partie maçonnée au même niveau que le mécanisme et les cadrans de l’horloge. Cette belle petite cloche baroque arbore de magnifiques décors floraux baroques et la date de 1685. Elle est munie de deux marteaux de tintement. Aujourd’hui fixe, elle sonnait jadis à la volée comme en témoigne son joug, son battant et les traces d’usure intérieure. L’horloge est signée Louis-Delphin Odobey cadet de Morez. Le mouvement a été profondément modifié : la progression horaire se fait par un moteur électrique sur l’arbre des aiguilles et le remontage des poids a été motorisé.

 

La Blanche-Eglise
C’est la plus ancienne église de La Neuveville et le seul lieu de culte actuel de la paroisse réformée. La première mention d’une chapelle Saint-Ursinius figure dans un document du roi Lothaire II de Lorraine daté du 16 mars 866. Nous sommes donc bien avant la fondation de la villr Neuveville qui remonte – on le rappelle – à 1312 ! A partir du XIVe siècle, celle qui porte désormais la dénomination d’ecclesia alba commence à revêtir une certaine importance. Le 21 décembre 1345, l’Evêque de Bâle consacre le maître-autel de l’église reconstruite et agrandie. La plus grande extension date du XVe siècle. Mais après la Réforme de 1528, l’importance de la Blanche-Eglise diminue progressivement au profit d’un lieu de culte situé dans l’enceinte de la ville : la chapelle Sainte-Catherine, remplacée en 1720 par le temple. Privée d’entretien, la Blanche-Eglise commence alors à se dégrader, à tel point qu’en 1828, on envisage de la détruire. Ce funeste projet est par bonheur refusé… à une voix près ! D’importantes réparations sont menées à partir de 1837 : démolition de la chapelle nord ; construction du porche ouest ; reconstruction du mur nord 3 mètres plus au sud. C’est cette dernière transformation qui donne à la Blanche-Eglise l’asymétrie qu’on lui connaît aujourd’hui. Les remarquables fresques, réalisées entre le XIVe et le XVe siècle, sont redécouvertes et remises en valeur lors de la restauration de 1912. Elles avaient été recouvertes de badigeon à la Réforme. Paradoxalement, c’est ce traitement qui leur a permis de traverser les siècles sans trop s’altérer. La Blanche-Eglise renferme également une chaire sculptée de 1536, de belles pierres tombales et un orgue de la Manufacture de Chézard-Saint-Martin construit en 1988.

N’y a-t-il jamais eu des cloches à la Blanche-Eglise ?
Mes recherches ne me permettent pas – pour l’instant – d’apporter une réponse claire à cette question. On peut aisément imaginer que si une tour dotée de baies a été édifiée vers 1200, c’était pour y a placer au moins une cloche. « L’histoire de la Neuveville » mentionne – sans trop de détails – les cloches de la Tour Carrée et de la Tour Rouge. On peut y lire, pour rappel, le règlement de 1639 : Quand le culte avait lieu à la grande église (alias « Blanche-Eglise », ndlr) on sonnait la grande cloche. La grande cloche ici mentionnée est-elle celle de la Tour Carrée ? Nous l’avons vu plus haut : les sonneries de la Tour étaient codifiées avec soin en fonction des occasions. Cela me semble le plus probable. Aujourd’hui, quoi qu’il en soit, les quatre cloches de la Tour Carrée sonnent à l’unisson pour convier les fidèles aux cultes de la Blanche-Eglise où se trouve une commande à distance des cloches.

 

Quasimodo remercie
-Pour son chaleureux accueil et sa disponibilité : René Biasca, chef de la voirie de La Neuveville.
Pour les recherches historiques et les encouragements : Sandrine Girardier, historienne et conservatrice du Musée de La Neuveville ; Samuel Fluckiger, conseiller général à La Neuveville ; Charles Ballif, collectionneur à La Neuveville ; Dr. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne ; Olivier Grandjean, président de la fondation de Romainmôtier.
Pour leur aide indispensable à la réalisation de ce reportage : mes amis Antoine Cordoba https://cloches74.com/ carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli https://lesonneurcomtois.com/ sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers ; Loïc Tercier, horloger-rhabilleur ; Aurélien Surugues et Anthony Cotting, membres de la GCCS.

 

Sources (autres que mentionnées)
« Les familles de La Neuveville, leur origine et leur destinée » par Olivier Clottu, extrait de « Actes de la Société jurassienne d’émulation », 1949.
« Armorial de La Neuveville » par Olivier Clottu, éditions Paul Attinger, Neuchâtel, 1970.
« Curiosités du Jura bernois – Bâtiments singuliers 01/10/2020 » par Sandrine Girardier, conservatrice du Musée d’art et d’histoire de la Neuveville.
« Les inscriptions des cloches du Jura bernois » par Gustave Amtweg, publié épisodiquement dans le journal « Le Jura ».
Archives de la maison Ruetschi
http://www.laneuveville.ch/fr/
https://www.fondation-saphir.ch

Cloches – Lyon (F-69) Primatiale Saint-Jean

Un des plus beaux bourdons historiques de France

-Cloche 1, « Grosse Cloche » ou « Anne-Marie », note lab2, diamètre 219 cm, poids environ 7’700kg, coulée en 1622 par Pierre Recordon à Lyon
-Cloche 2, « Gabrielle », note sib2, diamètre 162 cm, poids 2’379 kg, coulée en 1805 par Louis Frèrejean cadet à Lyon
-Cloche 3, « Blandine », note do3, diamètre 138cm, poids 1’533 kg, coulée en 1818 par André Chevalier à Lyon
-Cloche 4, « Neufve » ou « Carsin », note fa3, diamètre 108 cm, poids 697 kg, coulée en 1671 par Léonard Dupont
-Cloche 5, « Pothin », note sol3, diamètre 96 cm, poids 535 kg, coulée en 1820 par Chevalier de Lyon
-Cloche 6, « Rappiau » ou « Schiule », note lab3, diamètre 83 cm, poids 314 kg, coulée en 1805 par Pancrazio Bettalli et ses fils.
(mesures et estimations des poids par Régis Singer, expert-campanologue, en 1996)

La vidéo de la sonnerie est un plénum virtuel réalisé au moyen de plusieurs sonneries distinctes : des solos de la Grosse Cloche enregistrés en 2012 et en 2014 et une volée des cloches 2 à 6 immortalisée le 3 août 2020.

Il m’est arrivé de galérer – et c’est un euphémisme – pour dénicher de la matière afin de rédiger des présentations pour les églises paroissiales de ma région. Dans le cas présent, l’exercice a consisté plutôt à synthétiser les milliers de pages consacrées à la primatiale Saint-Jean-Baptiste-et-Saint-Étienne. Pourquoi « primatiale », pour commencer ? Pour la simple et bonne raison que l’archevêque de Lyon a le titre de Primat des Gaules. Cette église – la plus ancienne de France selon le site de la paroisse – cumule donc les titres de primatiale et de cathédrale.

Un peu d’histoire, maintenant. Au Moyen Âge, la Primatiale Saint-Jean faisait partie d’un vaste complexe comprenant les églises Saint-Étienne et Sainte-Croix, détruites à la Révolution, ainsi que l’actuelle manécanterie (école pour le chant du clergé). L’édifice a connu deux prédécesseurs : Une première « maxima ecclesia » est construite en 469 par Patient, évêque de Lyon entre 449 et 494. Elle sera détruite par les invasions sarrasines entre 725 et 737. Une nouvelle église est bâtie par Leidrade, dernier évêque de Lyon au début du IXe siècle. L’édifice semble avoir été assez important pour les techniques architecturales d’alors : sa nef mesurait probablement plus de dix mètres de largeur.

La construction de la cathédrale actuelle a été émaillée de nombreuses difficultés. Le terrain, pour commencer : les bords de la Saône sont faits d’alluvions peu propices à la stabilité d’un édifice aussi imposant. Il faut ensuite veiller à ne pas couper les voies de communications les plus importantes. Le chantier ne doit pas non plus interrompre le bon déroulement du culte. S’ajoute à ces difficultés le conflit ouvert entre le chapitre et l’archevêque. La tour nord du transept, dite « Saint-Thomas » est construite en priorité, car les chanoines ont besoin des cloches. L’édification de cette nouvelle église s’étale entre 1175 et 1480. Conséquence : Guichard de Pontigny entame la construction d’une église romane, Jean Belles-mains transforme l’édifice en un ouvrage gothique. L’absence de savoir-faire des bâtisseurs de cathédrale du Bassin parisien explique la relative modestie des dimensions et de l’ornementation de l’édifice.

La Primatiale est fortement endommagée par les guerres de religion en 1562, puis par la Révolution française et le siège de Lyon en 1793. Sa restauration menée par Tony Desjardins au XIXe siècle va lui permettre, dans un premier temps, de retrouver son aspect médiéval mais aussi – dans un second temps – de voir cet aspect sublimé. Les critiques auront toutefois raison des projets les plus ambitieux de Desjardins : les flèches prévues par l’architecte diocésain (photos ci-dessous, source Wikipedia) ne verront jamais le jour. Les opérations de sabotage menées par les troupes allemandes lors de leur retrait en septembre 1944 touchent indirectement l’édifice. La remise en état des verrières et des façades se poursuit jusqu’en ce début de XXIe siècle.

La Primatiale Saint-Jean a été le théâtre de deux conciles au XIIIème siècle, du couronnement du pape Jean XXII en 1316, du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis en 1600, et de bien d’autres événements religieux et civils d’envergure. Elle est aujourd’hui le siège épiscopal de l’archidiocèse de Lyon. C’est aussi un lieu touristique fort prisé, notamment pour son horloge astronomique du XIVe siècle. La localisation de l’édifice en fait un lieu rêvé pour des animations telles que la fête des Lumières.

« Lyon, la ville sonnante » disait Rabelais. Il est vrai que la Primatiale Saint-Jean a compté à une certaine époque jusqu’à 12 cloches. Cet impressionnant ensemble campanaire desservait aussi les églises Saint-Étienne et Sainte-Croix voisines, pour lesquelles seules les plus petites cloches donnaient de la voix. Les sonneries lyonnaises répondaient à une ordonnance des plus strictes : la Primatiale avait préséance sur les autres églises de la ville et le travail des différents sonneurs dans la tour était orchestré depuis le chœur par un jeu de cordes.

En 1789, le clocher comportait huit cloches :
-La Grosse Cloche, toujours existante
-Une cloche coulée par Abraham Pose en 1642, disparue
-Trois cloches de Léonard Dupont (1671), une seule nous est parvenue (actuelle cloche no4)
-Trois cloches de Ducret père et fils datant de 1768, disparues

Un décret du 29 août 1793 ordonne la fonte de toutes les cloches, exception faite de la plus grosse et de la quatrième. 18’666 livres de bronze sont ainsi expédiés aux arsenaux.

Aujourd’hui, la sonnerie à la volée de la Primatiale Saint-Jean est composée de six cloches, toutes installées dans la tour nord-est :

La Grosse Cloche (Cloche no1, lab2, 7’700 kg) – C’est indiscutablement l’une des plus belles cloches historiques de France. Près de neuf ans après l’avoir entendue pour le première fois, je me souviens comme si c’était hier de l’émotion qui m’a étreint au premier coup de battant de ce bijou d’airain. Anne-Marie – c’est son petit nom – remplace trois bourdons coulés successivement en 1305, 1508 et 1555. Sollicitée à outrance lors d’un pic de mortalité dû à une épidémie, cette dernière cloche rend l’âme en 1622. Pierre Recordon, fondeur du Roi à l’arsenal de Lyon, est chargé de  refaire un bourdon au plus vite. Si la coulée est effectuée rapidement, la nouvelle cloche attend cinq mois au pied de la tour en raison des difficultés d’installation (pas de trappe de passage ni de baies suffisamment grandes). Il aura fallu menacer le fondeur de prison pour qu’il daigne enfin hisser Anne-Marie en avril 1623 ! Par son nom, le nouveau bourdon rend hommage à la fois à sa marraine, la régente Anne d’Autriche, et à la Vierge Marie. La Grosse Cloche honore aussi Anne de Bretagne, marraine d’une cloche de Saint-Jean détruite par les Huguenots en 1562.

Gabrielle (cloche no2, sib2, 2’379 kg) – La menace de l’effondrement du beffroi après la Révolution pousse la fabrique à passer commande de nouvelles cloches afin de contrebalancer le poids formidable de la Grosse Cloche, située à l’extrémité nord de la structure. Coulée par Frèrejean de Lyon – qui quelques années auparavant avait converti nombre de cloches en canons pour les Révolutionnaires – Gabrielle remplace une cloche sensiblement plus lourde : Étiennette, 2’882 kg, coulée en 1642 et détruite en 1793. On place Gabrielle à l’opposé d’Anne-Marie pour qu’elle joue au mieux son rôle de contrepoids. Ses inscriptions mentionnent le pape Pie VII traversant Lyon en 1804 pour se rendre à Paris afin d’aller sacrer Napoléon empereur. La légende raconte que le fondeur tenait cette cloche prête dans son dépôt avant même qu’n ne la lui commande !

Blandine (cloche no3, do3, 1’533 kg) – Cette cloche porte la signature de Chevalier (André, ndlr) et la date de 1818. Elle prend place entre Anne-Marie et Gabrielle. Elle se trouve donc au centre de la chambre des cloches inférieure formant le grand accord de la tour Nord. Blandine a été offerte par son parrain, le père Courbon, devenu premier grand vicaire de la Primatiale. Ses inscriptions mentionnent le pontificat de Pie VII et le règne de Louis XVIII.

La « Neufve » ou le « Carsin » (cloche no4, fa3, 697 kg) – Elle se situe au niveau supérieur de la chambre des cloches de la tour nord, à côté de deux autres petites cloches avec lesquelles elle forme le petit accord. Coulée en 1671 par Léonard Dupont, elle est – avec la Grosse Cloche – la seule survivante de la sonnerie pré-révolutionnaire. Cette cloche sonnait autrefois l’heure capitulaire de none, comme en témoigne une inscription latine « Pierre et Jean montaient au temple à l’heure de none pour la prière ».

Pothin (cloche no5, sol3, 535 kg) – Tout comme Blandine coulée deux ans avant elle, cette cloche est l’œuvre de Chevalier de Lyon. Elle fut bénie le 11 mai 1820 par le premier vicaire général Courbon. La cloche est dédiée au premier évêque lyonnais martyrisé en 177, saint Pothin.

« Rappiau » ou « Schiule » (cloche no6, lab3, 314 kg) – Son ornementation exubérante à l’italienne tranche avec la sobriété de ses voisines du petit accord. La signature latine PANCRATII FILIORUMQ BETTALLI OPUS désigne une œuvre du fondeur italien Pancrazio Bettalli et ses fils. La famille Bettalli (var. Bettali) a été active entre la fin du XVIIIe et le début du XIX siècle à Castelnovo ne’ Monti, en Emilie, où se trouve aujourd’hui encore la fonderie Capanni.

La Primatiale possède également, dans la tour nord-ouest, trois cloches fixes destinées à tinter les heures et les quarts. Les deux plus petites sont visibles car placées en fenêtre. La plus grande de ces trois cloches a sonné jadis à la volée, comme en témoignent sa bélière et l’usure aux points de frappe. Le statut civil de ces trois cloches leur a permis de survivre à la Révolution. Nous n’avons pas pu monter à la tour nord-ouest lors de notre visite. Fabien Haug se contente de mentionner de mentionner brièvement ces cloches car difficilement accessibles.
-« Timbre des heures » note fa#3, diamètre 1m12, pourrait dater du XVe siècle
-« Second timbre des quarts », note si3, diamètre 70cm, coulé en 1740, sans signature
-« Premier timbre des quarts », note do#4, diamètre 50cm, coulé en 1740, sans signature.

En 1997, Eric Brottier, expert-campanologue et technicien-conseil de l’Etat, écrivait : « La qualité actuelle de la sonnerie de Saint-Jean n’est pas à la hauteur de l’édifice et les cloches manquent d’homogénéité. La valeur patrimoniale du bourdon est évidente : c’est la cloche qui est la meilleure au plan sonore et sur la base de laquelle on pourrait rebâtir une très belle sonnerie. La seconde et la troisième peuvent être améliorées par accordage. Mais les petites, au profil plus léger, ne s’inscrivent pas dans la continuité des plus grandes. Le déplacement de la cloche no4 antérieure à la Révolution et le remplacement des deux plus petites cloches sans valeur patrimoniale apparaissent comme le plus souhaitable. » Eric Brottier préconisait aussi d’ajouter deux nouvelles cloches (réb 3 et mib3).

Mon modeste avis d’amateur éclairé : Je ne puis qu’applaudir l’idée de rajouter deux nouvelles cloches afin de combler le vide dans la gamme de la sonnerie. Pourquoi ne pas également accorder les cloches no2 et no3 sur la note de la Grosse Cloche. Mais je m’insurge contre le point du rapport qui considère les cloches no5 et no6 comme « sans valeur patrimoniale ». Même si ce ne sont pas des beautés sonores, voilà plus de 200 ans que ces cloches accompagnent la vie liturgique de Saint-Jean. Elles méritent un peu plus de considération. De plus, par ses origines italiennes, la cloche no6 est une rareté pour la région. J’estime qu’il serait bon de conserver ces petites cloches dans le clocher (il y a bien assez de place) et de leur trouver une utilité dans l’ordonnance de sonnerie, quand bien même serait prise la décision de couler des cloches neuves plus harmonieuses pour des sonneries groupées.

L’horloge astronomique a été installée en 1379. C’est l’une des plus anciennes d’Europe et la seule de France à conserver son mécanisme primitif, malgré de nombreuses restaurations. Elle se présente comme petite tour carrée haute de 9 mètres surmontée d’automates. Son calendrier perpétuel est complété par un almanach ecclésiastique indiquant les solennités. La cloche des heures date de 1660. Vandalisée en 2013, l’horloge astronomique était toujours hors service lors de notre visite à la Primatiale en août 2020.

Quasimodo remercie
-Pour son aimable accueil et sa disponibilité : M. Christophe Margueron, architecte des bâtiments de France auprès du Ministère de la Culture et de la Communication
-Pour l’autorisation de sonner : Père Jean-Sébastien Tuloup, recteur de la Primatiale
-Pour la mise à disposition de leurs fonds privés : MM. Pascal Krafft et Romeo dell’Era, experts campanologues.
-Pour leur aide indispensable et les savoureux échanges : Mes amis Antoine Cordoba https://cloches74.com/ carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ;  Dominique Fatton https://www.youtube.com/user/valdom68 responsable technique des clochers de Val-de-Travers ; Arthur Auger https://www.youtube.com/channel/UCqAe6E8RJBYwRGf-74vpz_Q et famille ; Paul-Elie Rose https://www.youtube.com/channel/UCK3e_mFY42Z5v45cWZp-J1Q.

Sources
« La grâce d’une cathédrale : Lyon, Primatiale des Gaules », divers auteurs dont Fabien Haug pour le chapitre consacré aux cloches, éditions La Nuée bleue.
https://primatiale.fr/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Primatiale_Saint-Jean_de_Lyon

Cloches – Sorens (CH-FR) église Saint-Michel

La paroisse voulait un fondeur catholique

-Cloche 1, ré 3 -3/16, dédiée à sainte Thérèse, diamètre 145 cm, poids environ 1’730 kg, coulée en 1934 par la fonderie de Staad.
-Cloche 2, sol 3 +8/16, dédiée à saint Michel, diamètre 108 cm, poids environ 650 kg, coulée en 1934 par la fonderie de Staad.
-Cloche 3, la 3 +2/16, dédiée à saint Joseph, diamètre 96 cm, poids environ 510 kg, coulée en 1934 par la fonderie de Staad.
-Cloche 4 : si 3 +2/16, dédiée à saint Pierre, diamètre 86 cm, poids environ 360 kg, coulée en 1934 par la fonderie de Staad.
-Cloche 5 : do#4 +6/16, cloche de l’Agonie, diamètre 64 cm, poids environ 150 kg, coulée en 1652 par Hans Christoffel Klely et Frantz Bartolome Reiff.

Sorens, un village qui remonte à une haute antiquité – Le Gibloux est une montagne haute de 1’204 mètres, bien connue des Fribourgeois pour ses nombreux sentiers de randonnée, mais aussi et surtout pour sa tour émettrice. Haute de 118 mètres, cette impressionnante structure de béton et d’acier permet à une bonne partie du Plateau suisse de recevoir – en FM et en numérique – les programmes radio du service public ainsi que de Radio Fribourg. C’est avec la délicieuse sensation de conjuguer mes deux plus grandes passions (radio et art campanaire) que je me suis rendu à Sorens, commune sur le territoire de laquelle se dresse la fameuse antenne. Comme on peut l’apprendre son site internet, l’histoire du village remonte à une haute antiquité. Pendant que les Romains séjournaient dans la plaine, cette contrée était probablement habitée par une population patriarcale, mais peu nombreuse, qui vivait paisiblement du produit de ses troupeaux. Plus tard, Sorens fut compris dans la Seigneurie de Vuippens et de Marsens. Les demeures paysannes s’y érigent en amphithéâtre, jalouses, semble-t-il d’avoir chacune leur place au soleil, décrit avec poésie Clément Fontaine dans « Nos villages gruériens ».

Une ancienne église trop petite – C’est à l’occasion de l’installation du curé de Vuippens, le 14 avril 1463, qu’il est fait mention pour la première fois d’une chapelle à Sorens. Si on ignore où se dressait ce petit édifice, on sait qu’une nouvelle chapelle, dédiée à saint Bernard de Menthon, est construite sur les hauts du village en 1686. Cette chapelle devient église paroissiale en 1861 quand Sorens se sépare de Vuippens pour devenir paroisse indépendante. Le 30 octobre, Mgr Marilley procède à la consécration du sanctuaire agrandi pour l’occasion. Malgré ces transformations, l’église est exiguë. On peut en effet lire dans le Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg, paru en 1902 : L’église de Sorens est aujourd’hui propre, bien tenue ; mais humide et trop petite ; la paroisse sera obligée, dans peu de temps, de la rebâtir.

Une nouvelle église décorée par les meilleurs artistes – L’actuelle église Saint-Michel de Sorens fut consacrée le 8 octobre 1935 par Mgr Marius Besson. Les plans de cet imposant édifice sont de Fernand Dumas, architecte fribourgeois bien connu dans toute la Romandie. Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, l’œuvre de Fernand Dumas ne laisse personne indifférent. J’avoue humblement ne pas être un adepte de ces grandes façades agressives (je pense surtout à Orsonnens) qui ont trop souvent remplacé d’humbles petites églises villageoises qui – à mon avis – se fondaient beaucoup mieux dans nos campagnes. Ma préférence ira sans doute toujours aux vénérables édifices médiévaux et baroques ainsi qu’aux façades exubérantes de la Belle-Epoque. Il n’empêche qu’avec le temps, j’ai appris à apprécier les réalisations des artistes dont Dumas, pourfendeur de l’historicisme, a su s’entourer. Je tiens à remercier l’excellent Jean-Marie Barras, pédagogue et historien, qui au fil de nos échanges, a su m’ouvrir les yeux sur qualité de la décoration des édifices où a œuvré le Groupe de Saint-Luc. Comme l’explique M. Barras sur son site, à chaque église de Dumas son matériau dominant : Le verre à Mézières, la céramique à Bussy, le bois à Sorens. Remarquable est surtout le grand retable dans le chœur. Willy Jordan a utilisé pas moins de 30 essences forestières différentes pour réaliser la grande effigie marquetée de saint Michel, patron de l’église. Ont également œuvré à la réalisation de la décoration intérieure :  Emilio Beretta pour le chemin de croix en bois, François Baud pour les sept reliefs du portail, Jacqueline Esseiva pour le plafond et la base de l’autel, Elisabeth Pattay-Python pour la Madone effilée, Marcel Feuillat pour le tabernacle doré et enfin Alexandre Cingria, chef de file du Groupe de Saint-Luc, pour les vitraux.

Quatre cloches saint-galloises pour une cloche fribourgeoise – Les quatre nouvelles cloches furent bénies le 19 novembre 1934 par M. le chanoine Louis Waeber, vicaire général, en l’absence de Mgr Besson, retenu par des confirmations. Elles sont l’œuvre la fonderie de Staad (CH-SG) dirigée alors par Fritz Hamm. La nouvelle sonnerie forme un motif Westminster d’une justesse relative (ré-3/16, sol+8/16, la+2/16, si+2/16). Chacune des cloches porte l’effigie du saint auquel elle est dédiée : sainte Thérèse (cloche 1) saint Michel (2) saint Joseph (3) et saint Pierre (4). Une des deux cloches de l’ancienne église a été conservée. Coulée en 1652 par Hans Christoffel Klely et Frantz Bartolome Reiff, cette jolie petite cloche possède des décors baroques très soignés. Les inscriptions latines sur le col sont courantes sur les cloches de cette époque : DEFVNCTOS PLANGO FESTA COLO ET FVLMINA FRANGO. On peut aussi lire le nom d’un édile local : ROVLE ROPRA GOVVERNEVR. La cloche présente plusieurs effigies saintes : saint Michel, la Vierge à l’Enfant et le Christ en Croix. Signalons enfin le magnifique cartouche regroupant  les blasons des deux fondeurs : le canon et le trèfle des Klely et les trois cercles emboîtés de la famille Reyff.

La paroisse voulait une fonderie catholique – Dans les années 1930, deux fonderies suisses se disputaient les faveurs des paroisses : Ruetschi d’Aarau et la fonderie de Staad dans le canton de Saint-Gall. Chacune de ces maisons avait ses arguments de vente. Dans la capitale argovienne, on se targuait de maîtriser un savoir-faire remontant au XIV siècle et d’être la seule fonderie 100% suisse. La concurrence saint-galloise, elle, se vantait d’avoir repris les profils d’Ulrich d’Appolda, la fonderie allemande qui a coulé le bourdon de la cathédrale de Cologne, à l’époque la plus grosse cloche fonctionnelle du monde. On pouvait aussi lire dans le journal local La Liberté du 21 novembre 1934 : Les quatre cloches sortent de la fabrique de cloches de Staad près Rorscharch (Saint-Gall) la seule maison catholique de ce genre en Suisse. Ce même argument confessionnel fut repris quelques années plus tard par la fonderie Eschmann, qui réalisa un grand nombre de sonneries catholiques, tout spécialement en Suisse orientale.

Moins de 70 ans d’activité pour la fonderie de Staad – J. Egger Staad St Gallen, W. Egger Staad St Gallen, F. Hamm Staad St Gallen, ou encore Glockengiesserein Staad… rarement fonderie a autant changé de raison sociale en 70 ans ! Tout commence en 1873 avec la coulée d’un bourdon de 3’800 kg pour la paroisse de Flums dans un atelier établi par Jakob Egger à Buriet (SG). Le fondeur a hélas mal choisi son emplacement : la terre trop meuble s’affaisse sous le poids du moule et le bronze en fusion se répand dans l’atelier. Direction les falaises de Staad, un terrain bien plus propice aux activités de fonderie d’Egger, qui exercera son art jusqu’à son décès en 1921. Son fils Wilhelm lui succède durant cinq ans seulement : il meurt prématurément en 1926. Fritz Hamm d’Augsbourg rachète l’entreprise en 1927 et en fait une société anonyme en 1934. La fonderie de Staad ferme ses portes en 1940, deux ans après avoir coulé sa plus grosse sonnerie : les cinq cloches monumentales de l’église catholique de Berneck, d’un poids total de 17’500 kg (le bourdon en fa2 pèse à lui seul 8’759 kg). Les locaux historiques de la fonderie sont occupés aujourd’hui par l’entreprise Graf spécialisée dans la fabrication de courroies industrielles. Les profils développés par Hamm durant ses années d’activité à Staad seront repris par Emil Eschmann, actif de 1955 à 1970 à Rickenbach dans le canton de Thurgovie. Parmi les cloches fribourgeoises issues de la fonderie de Staad, on peut citer, outre Sorens : Cressier, Ependes et Domdidier.

Extraits du livret de présentation de la fonderie de Staad

Nouveaux battants, nouveau coq – Les cinq cloches viennent de recevoir des nouveaux battants à boule et à chasse courte en acier doux. Le clocher vient en outre de se voir couronné d’un nouveau coq, l’ancien volatile ayant été pris pour cible par des tireurs désœuvrés. Ces équipements ont été réalisés et installés par la maison Mecatal à Broc (CH-FR). L’ancien coq sera conservé et exposé. Les anciens battants (certains étaient d’origine) ont été laissés dans le clocher.

Quasimodo remercie chaleureusement
La paroisse de Sorens : Maurice Grandjean, président ; Maurice Ayer, conseiller technique.
Mecatal campaniste : Jean-Paul Schorderet, directeur.
-Mes amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Anthony Cotting, membre de la GCCS ; Aurélien Surugues, membre de la GCCS ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers (CH-NE).

Sources (autres que mentionnées)
La fonderie de cloches Emil Eschmann à Rickenbach près de Wil, extrait de de la revue Campanae Helveticae no 20.
Archives de La Liberté, éditions du 21 novembre 1934 et du 10 octobre 1935.
https://www.sorens.ch/
https://www.nervo.ch/wp-content/uploads/2017/03/styles-architecture-religieuses.pdf
https://www.grafbelts.ch/
https://de.wikipedia.org/wiki/Glockengiesserei_Egger
https://de.wikipedia.org/wiki/Glockengie%C3%9Ferei_Fritz_Hamm
https://de.wikipedia.org/wiki/Glockengiesserei_Eschmann
https://de.wikipedia.org/wiki/Petersglocke
https://www.srf.ch/radio-srf-musikwelle/glocken-der-heimat/berneck-kirche-unserer-lieben-frau

Cloches – Belfaux (CH-FR) église Saint-Etienne

Grande rénovation pour l’église au crucifix miraculeux

-Cloche 1, note ré3 +2/16, diamètre 135cm, poids environ 1’500kg, coulée en 1616, signée CF, attribuée à un collaborateur d’Abraham Zender de Berne
-Cloche 2, note mi3 +-0/16, diamètre 117cm, poids 902kg, coulée en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève à Fribourg
-Cloche 3, note fa#3 +1/16, diamètre 101cm, poids 558kg, coulée en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève à Fribourg
-Cloche 4, note la#3 +2/16, diamètre 81cm, poids 328kg, coulée en 1846 par Roelly et fils à Fribourg
-Cloche 5 (Agonie) note mi4 +2/16, diamètre 63.5cm, poids 165kg, coulée vers 1483

Un crucifix objet de toutes les dévotions – C’est un profond sentiment de grandeur passée qui envahit le visiteur de l’église Saint-Etienne de Belfaux.  Si le lieu de pélerinage numéro un du canton de Fribourg est aujourd’hui Siviriez, suite à la canonisation récente de Marguerite Bays, Belfaux a été un temps le lieu vers lequel les pèlerins affluaient en nombre. On les voyait venir de la région, mais aussi des cantons voisins de Neuchâtel et de Vaud, et même de Franche-Comté, de Savoie et de la Forêt-Noire. Tous étaient animés du même  désir fervent : se recueillir devant le saint Crucifix. Vraisemblablement daté de la fin du XIIIe siècle, cet étonnant objet liturgique est sorti miraculeusement intact de l’incendie qui détruisit complètement l’église de Belfaux entre 1470 et 1474 (la date n’est pas mentionnée avec exactitude). Le crucifix du XIIIe siècle, qui jusqu’alors n’avait jamais vraiment attiré l’attention, est devenu un objet d’intense vénération. La nouvelle du miracle s’est répandue comme une traînée de poudre et les pèlerins ont commencé à affluer. Ils furent à tel point nombreux aux XVIIe et XVIIIe siècles que deux hôtels furent édifiés dans le village afin de les héberger. Parallèlement, il fallut mettre sur pied un service d’ordre, l’église et le cimetière étant souvent encombrés. La vente d’objets de piété par ce qu’on appellerait aujourd’hui des « vendeurs à la sauvette » se vit sévèrement encadrée. Au XVIIe siècle, Mgr de Montenach en arriva même à interdire un temps les processions dites « foraines ». Mgr Marilley supprima définitivement cette pratique au XIXe siècle.

L’église devait recevoir deux clochers – La paroisse de Belfaux est l’une des plus anciennes du canton. Plus ancienne même que la fondation de Fribourg en 1157. Les fouilles  menées vers 1980 dans l’actuel cimetière (lieu dit Pré-Saint-Maurice) démontrent que le village fut habité dès la plus haute antiquité. Ce site archéologique d’importance nationale a révélé des objets du Mésolithique (-8000 à -5000), un puits du premier Age de fer (-750 à -450) et une nécropole du second Age de fer (-450 à 0). L’ère chrétienne est également représentée par deux églises construites successivement entre le Ve et le XIe siècle. Le riche Dictionnaire Historique de Deillon nous offre le premier document écrit au sujet d’une église à Belfaux : le rapport de Georges de Saluces, dressé après la visite épiscopale de 1453. Le compte-rendu de l’évêque de Lausanne est sensiblement le même que pour toutes les églises de la région  : un édifice vétuste, obscur et peu soigné. Mgr de Saluces ordonna par exemple (…) de réparer les chandeliers de l’autel et les fenêtres de la nef et d’y placer des vitres, de peindre le crucifix (le fameux crucifix qui deviendra source de vénération, ndlr) de blanchir les murs intérieurs de l’église (…). C’est cette même église au confort plus que spartiate qui est la proie des flammes entre 1470 et 1474. Une nouvelle église, dédiée à saint Etienne, est consacrée en 1491. Le chœur sera remanié à deux reprises. Devenue vétuste, cette église est remplacée par l’actuel sanctuaire néoclassique, dont la construction débute en 1842. Si imposante que puisse être la façade, elle laisse un goût d’inachevé. Les plans de l’architecte Joseph-Fidel Leimbacher prévoyaient en effet – non pas un – mais deux clochers de part et d’autre de l’entrée. Le coût faramineux, de même que les événements de l’époque (Guerre du Sonderbund, arrivée au pouvoir des Radicaux) ont raison de ce projet trop ambitieux. L’architecte essaiera bien de donner un peu de grandeur à son église en la couronnant d’une flèche de 45 mètres. Mais le 5 décembre 1879, un ouragan décoiffe abruptement ce qui était alors l’un des plus hauts clochers du canton de Fribourg. Adolphe Fraisse reconstruit alors la nouvelle flèche moins haute de moitié. L’architecte cantonal dote également la tour d’un balcon-terrasse qui sera supprimé en 1952

Une cloche remisée au placard – Si riche que puisse être la documentation relative à l’église Saint-Etienne de Belfaux, les cloches ne sont hélas que peu mentionnées. Deillon signale la coulée le 25 juin 1431 d’une cloche de quatre quintaux par un certain Georges Thiebaul. Il s’agit de la refonte d’une cloche plus petite. Cette date de 1431 semble trop ancienne pour correspondre à la petite cloche gothique qui serait plutôt de 1483. La cloche du chœur est refaite en 1749. Dans l’ouvrage « Le saint Crucifx de Belfaux » (édité par la paroisse en 1986) il est mentionné qu’en 1952, une ancienne cloche inemployée (…) est offerte à la nouvelle église de Courtepin à la condition qu’elle soit sonnée et que Courtepin la garde. Il s’agit certainement de la même petite cloche baroque qui se trouve toujours à Courtepin, mais qui est tristement remisée dans un placard. Belfaux pourrait donc tout aussi bien la récupérer ! Deillon mentionne encore la coulée en 1788 de deux cloches (nos 2 et 3). Une grande travée vide au premier niveau de la chambre des cloches tend à faire croire qu’un bourdon était prévu. Il n’est malheureusement jamais arrivé. Si riche que puisse être la sonnerie de Belfaux sur le plan historique, elle est clairement sous-dimensionnée par rapport à l’importance de l’église et de son clocher.

Cloche no 1 – Elle porte comme seule signature les initiales CF entourant un petit cartouche où apparaissent une cloche et un canon. Matthias Walter, expert campanologue à Berne, remarque des similitudes (profil, décors) entre cette cloche de 1616 et les réalisations d’Abraham Zender, fondeur bernois actif à la même époque. Il faut savoir que du temps des saintiers, il pouvait arriver que plusieurs collaborateurs d’une même fonderie soient appelées en même temps pour différentes missions. Quand le maître n’était pas présent, ses subalternes apposaient parfois leur propre nom, comme ce fut le cas au XIXe siècle avec le franc-comtois Constant Arnoux envoyé en Suisse par son patron Généreux-Constant Bournez. Dans d’autres cas, l’employé ne gravait que ses initiales. Exemple avec la cloche no 3 de Châtel-Saint-Denis (1588) signée FB mais qui a toutes les caractéristiques d’une cloche de Franz Sermund, le fondeur bernois à qui on doit les bourdons de Romont et de la cathédrale de Lausanne. Il peut encore arriver que des cloches ne portent aucune signature. C’est le cas de l’ancienne cloche no 7 de Bulle (Pierre Dreffet, 1809 ou 1813) déposée sur le parvis.

Cloches nos 2 et 3 – Elles ont été coulées en 1788 par Jacques-Nicolas Delesève, originaire de Sallanches (F) et reçu bourgeois de Fribourg en 1737 en même temps que son père. Avec ses fils Jacques et Joseph-Jacques, Delesève n’a eu l’occasion de couler que peu de cloches. La concurrence féroce des fondeurs franc-comtois (Livremont, Bournez) et vaudois (Dreffet) a en effet mis à mal les affaires du fondeur officiel de Fribourg.  Malgré son monopole confirmé par l’Etat, Delesève ne bénéficie plus de l’aura de ses prédécesseurs. Pour subsister, il doit se contenter de fabriquer des pompes à incendie, des mortiers et autres chandeliers. Le Petit Conseil tranche en effet régulièrement en faveur des fondeurs étrangers quand leurs prix sont plus avantageux. Pour contourner le monopole, Dreffet de Vevey met au point un subterfuge diabolique : ses cloches pour Fribourg, il les signe Jean-Georges Paris de Bulle et son ouvrier Pierre Dreffet (cloches à Châtel-saint-Denis, Corbières et Charmey). On sait aujourd’hui que ce Jean-Gorges Paris n’a jamais été fondeur ! La stratégie des hommes de paille et des adresses fantômes ne date visiblement pas d’hier…

Cloche no 4 – Faite par Roelly père et fils (Louis et Louis-Alexis) en 1840, c’est la plus récente de la sonnerie, mais c’est aussi la moins réussie. Sans doute est-ce l’effet de la concurrence acharnée que j’évoquais à l’instant, mais on sent que les fondeurs fribourgeois sont à bout en cette moitié de XIXe siècle. Les décors des cloches que livrent les deux dernières générations sont maladroits, voire parfois complètement ratés. Dans certains cas, le timbre des cloches sorties de la fonderie de l’Oelberg est également bien en deçà des attentes. La cloche no4 de Belfaux aurait clairement dû donner le la pour s’accorder avec ses grandes soeurs. Son si bémol forme avec le mi de la cloche no 2 un triton déconcertant qui rend l’élaboration de mélodies carillonnées ardue.

Cloche no5 – De réalisation très soignée, cette petite cloche présente un remarquable ensemble de médaillons, mais ne porte ni date, ni signature. Toujours selon Matthias Walter, elle pourrait avoir été coulée en 1483 par le même fondeur que la petite cloche d’Arconciel et la grande cloche de la basilique Notre-Dame de Fribourg. Cloche de l’Agonie, elle sonne en solo pour annoncer les décès dans le village et elle joint sa voix à celle de ses sœurs pour le glas.

Des jougs en chêne préservés et rénovés – Lors de la motorisation de la sonnerie, les jougs des cloches nos 4 et 5 furent remplacés par des montures en acier. Ces vieux moutons de chêne n’ont heureusement pas été jetés, comme ce fut trop souvent le cas. Récupérés dans le clocher, ils ont été rénovés par l’entreprise Mecatal campaniste sous la supervision des Biens Culturels fribourgeois. Les moutons déposés ont également servi de modèle pour reconstituer les têtes de jougs des cloches 1, 2 et 3 qui avaient été « scalpés ». Ces grands travaux de réfection ont permis à la vénérable sonnerie de recevoir en 2019 de nouveaux battants et moteurs de volée. Il est intéressant de noter que durant ce chantier, les Belfagiens n’ont jamais cessé d’entendre leurs cloches : des haut-parleurs ont en effet diffusé des séquences enregistrées pendant les longs mois qu’ont duré les travaux. A l’heure du bouclage de cet article, l’église de Belfaux Saint-Etienne de Belfaux est toujours en réfection.

Quasimodo remercie chaleureusement :
La paroisse de Belfaux – Jean-Luc Mooser président, Eugénie Mantel vice-présidente
Antoine Vianin, architecte
Le Service des Biens culturels fribourgeois – Anne-Catherine Page
Mécatal campaniste – Jean-Paul Schorderet et Christelle Ruffieux
Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice – Allan Picelli sacristain à Maîche – Dominique Fatton responsable des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que mentionnées)
« Le patrimoine campanaire fribourgeois » éditions Pro Fribourg 2012