Des sonorités baroques pour ce chef-d’œuvre de l’art roman
-Cloche 1, note ré bémol 3 +40/100, diamètre 146cm, poids environ 1’900kg, coulée en 1723 par Felix Felix de Feldkirch.
-Cloche 2, note sol bémol 3 +31/100, poids environ 650kg, coulée en 1595 par Abraham Zender de Berne.
-Cloche 3, note si 3 +48/100, poids environ 275kg, coulée en 1810 par Jean-Baptiste Pitton de Carouge.
La plus ancienne église romane de Suisse – Il y a quelques semaines, je vous présentais l’abbatiale de Payerne, la plus grande église romane de Suisse. Aujourd’hui, place au plus ancien édifice de ce style toujours existant dans le pays : l’abbatiale de Romainmôtier. On ne peut être que frappé par la beauté du cadre. Si Romainmôtier fait partie de l’association des plus beaux villages de Suisse, ce n’est de loin pas usurpé. La verte vallée du Nozon est comme un écrin destiné à faire scintiller les murailles et les toitures ancestrales. Si on ne percevait pas de temps à autre le vrombissement d’une voiture, on s’attendrait à voir surgir au détour d’un chemin un moine dans sa charrette tirée par un âne. Le temps semble en effet s’être arrêté à Romainmôtier… une sorte de douce torpeur dans laquelle le visiteur d’un autre âge prend plaisir à se pelotonner un trop bref instant.
L’abbaye de Romainmôtier, ce sont onze siècles d’histoire. Du premier édifice religieux dressé par saint Romain et saint Lupicin au Ve siècle, à la Réforme proclamée par l’envahisseur bernois en 1536, on assiste à la montée en puissance de la communauté qui rejoint l’ordre de Cluny au Xe siècle et bénéficie de la protection des seigneurs bourguignons. En 1049, le pape Léon IX menace même d’excommunier quiconque tentera de porter atteinte à l’abbaye et à ses possessions. L’église est édifiée sur le modèle de la deuxième église de Cluny dans le premier tiers du XIe siècle. Le narthex sur deux étages était doté à l’origine de deux tours. Deux importants incendies à la fin du XIIe siècle obligent à la reconstruction des voûtes de la nef et du cloître. Ce dernier disparaît hélas à la Réforme. L’église nous est par bonheur parvenue, de même qu’une grande partie de l’enceinte monastique avec la maison du prieur. On y célèbre aujourd’hui le culte protestant. Romainmôtier est aussi depuis 2003 un haut lieu de l’œcuménisme romand grâce à la Fraternité Oecuménique de Prière qui reçoit sa mission conjointement du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée et du vicariat épiscopal de l’Eglise catholique. L’église abbatiale possède deux orgues remarquables : le grand orgue placé dans le transept sud a été réalisé par la manufacture de Chézard-Saint-Martin. Le petit orgue de la chapelle au premier étage du narthex a été conçu par Luigi-Ferdinando Tagliavini et construit par Kuhn de Männedorf. Il s’agit d’un don de la fondation Jehan Alain.
La plus grande des trois cloches porte la signature de Felix Felix von Veltkirch. Ce fondeur, originaire du Voralberg en Autriche (la localité s’épelle aujourd’hui Feldkirch) était établi à Berne quand il a travaillé pour Romainmôtier, comme en témoigne la griffe Du feu je suis sortie , Félix de Veltkirch m’a fondue à Berne. L’artisan est également mentionné comme fabricant de pièces d’artillerie pour Lucerne en 1739. Un certain Christian Felix von Feldkirch semble lui avoir succédé. On trouve en effet son nom sur deux cloches coulées en 1765 à Coire pour la paroisse grisonne de Falera (église Saint-Rémi). La cloche de Romanmôtier porte les noms et les fonctions (en allemand) de plusieurs édiles locaux dont Louis de Wattenwyl, maître des sceaux dans les pays Welsches (ndlr : pays romand) ; Michel Augsurger, Banneret (ndlr : porte-drapeau) ; Emmanuel Wurstemberger, Banneret ; Jean Muller, Banneret ; F.-Louis Morlot, Banneret ; Jean Fischer, Sautier (ndlr : huissier) ; Jean-Rodolphe Willading, Bailli (ndlr : gouverneur) ; Jean-Rodolphe Wurstemberger, receveur de l’Ohmgeld (ndlr : percepteur) et directeur de la Monnaie. Sur l’autre côté de la cloche figurent les armoiries de Berne et de quelques grandes familles dans une facture impeccable. On peut encore lire – toujours en allemand – Pieux Chrétien je te rappelle à ton Sauveur Jésus-Christ, car, hors de lui, il n’y a ni salut ni vie. Peut-être une allusion au Major Davel, le patriote vaudois exécuté pour insurrection la même année que la cloche fut coulée. La cloche semble n’avoir été hissée qu’en 1726. En témoigne la date peinte sur l’oculus aménagé spécialement pour l’occasion.
La deuxième cloche est la plus ancienne. Datée de 1595, elle est l’œuvre d’Abraham Zender de Berne. Ce successeur de Franz Sermund coula en 1611 – avec la collaboration du zurichois Peter Füssli – le bourdon de la collégiale de Berne, d’un poids de près de 10 tonnes. On lui doit aussi le bourdon du temple Saint-Martin de Vevey (si bémol, année 1603). On peut lire sur la cloche de Romainmôtier (en latin) La parole du Seigneur est éternelle. Puis en en allemand : O homme ! Chaque fois que par mes sons je t’indique l’heure du jour ou de la nuit, réfléchis sérieusement au but et à la fin de ta vie / Coulée par le feu, Abraham Zender m’a fondue à Berne, 1595. La cloche est ornée de très belles scènes de chasse. Elle porte également les empreintes de véritables feuillages. Des traces d’accordages récentes sont visibles à l’intérieur.
La petite cloche a été coulée pour le temple Saint-François de Lausanne. Après le grand chantier d’accordage des cloches lausannoises mené par Auguste Thybaud à la fin du XIXe siècle, le chef-lieu vaudois se retrouve avec plusieurs cloches inutilisées sur les bras. Ces cloches sont alors revendues d’occasion. L’une d’elles arrive en 1897 à Romainmôtier. Elle porte les inscriptions suivantes : VILLE DE LAUSANNE 1810 POUR LE SERVISSE (sic) DE L’EGLISE DE ST-FRANCOIS / FAITE PAR JEAN-BAPTISTE PITTON MAÎTRE FONDEUR A CAROUGE 1810. L’artisan, originaire de Châtillon-en-Michaille, est surtout connu pour avoir eu comme apprenti un certain Antoine Paccard, premier représentant d’une longue lignée de fondeurs toujours existante. Les ornements de cette petite cloche sont chiches en comparaison de ses grandes voisines. Le haut de la robe porte les habituelles guirlandes néo-classiques du XIXe siècle. Le cartouche, lui aussi d’une grande sobriété, indique le nom du fondeur sur fond de draperie. Cette cloche pourrait remplacer une ancêtre de 1753 que Blavignac mentionnait dans son étude campanaire de 1877. On constate en outre que la même travée porte – face à la petite cloche – les traces de fixation d’une cloche plus grande. L’achat d’une quatrième cloche était-il prévu ?
Une petite cloche déposée se trouve dans l’entrée de la maison du prieur. Datée de 1654, elle est fortement endommagée (éclat de balle, fêlures, grosse ébréchure à la pince).
Quasimodo remercie :
Nicolas Charrière, pasteur à la paroisse réformée de Vaulion-Romainmôtier.
Soeur Madeleine Chevalier.
Olivier Grandjean, campanophile et collectionneur de sonnailles.
… ainsi que mes fidèles amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.
Sources :
Cloches de l’église de Romainmôtier, documentation rassemblée par Olivier Grandjean en 2004 basée sur les publications suivantes : Histoire de Romainmôtier , édition 1928 ; Sites et villages vaudois, éditions Cabédita ; La Cloche, Etudes sur son histoire et sur ses rapports avec la société aux différents âges, John-Daniel Blavignac, Paris, 1877.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbatiale_de_Romainm%C3%B4tier
https://www.cath.ch/newsf/fraternite-oecumenique-de-romainmotier-loecumenisme-quotidien/
https://query-staatsarchiv.lu.ch/detail.aspx?ID=1469502
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1938-11-6-1/