Archives de catégorie : Suisse

Cloches – Châtel-St-Denis (CH-FR) église St Denis

Une sonnerie monumentale pour une mini-cathédrale néo-gothique

-Cloche 1, note sib2 -1/16, diamètre 167cm, poids 2’850kg, coulée en 1832 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey
-Cloche 2, note ré3 -2/16, diamètre 134cm, poids 1500kg, coulée en 1811 par François-Joseph Bournez l’Ancien de Morteau
-Cloche 3, note fa3 -3/16, diamètre 112cm, poids 820kg, coulée en 1588, signée FB
-Cloche 4, note lab3 +5/16, diamètre 88cm, poids 390kg, coulée en 1789 par Jean-Georges Paris de Bulle
-Cloche 5, note sib3 +5/16, diamètre 83cm, poids 380kg, coulée en 1876 par Gustave Treboux de Vevey.

(article de 2013, complété le 20 octobre 2018)

C’est une véritable petite cathédrale qui dresse sa fière silhouette néogothique sur les hauteurs de Châtel-Denis. Avec son clocher de 70m, sa neuf haute de 18m et une longueur totale de 60m, l’église St Denis peut se vanter de rivaliser par ses dimensions avec la vénérable cathédrale St Nicolas de Fribourg. Les plans de l’architecte Adolphe Fraisse furent signés le 15 juin 1871 et la première pierre fut bénie le 15 avril 1872. Quant à la consécration, elle fut célébrée en 1876, le 9 octobre, jour de la Fête Patronale. Y procéda Mgr Etienne Marilley, évêque de Lausanne et Genève, bourgeois bienfaiteur de la commune et de sa paroisse d’origine. La physionomie de l’église fut profondément remaniée au fil des ans: suppression des pinacles en façade et des lucarnes sur la nef, remplacement de la flèche en pierre par du béton. Même si ces travaux lui ont fait perdre un peu de son authenticité, l’église St Denis n’en reste pas moins un magnifique témoin de l’architecture néogothique dans la région.

 
vue ext historique

Sur les 5 cloches que compte la sonnerie monumentale, 4 connurent le clocher de l’ancienne église qui se dresse toujours à quelques dizaines de mètres. La cloche en fa3, doyenne de la sonnerie (1588) est aussi la plus mystérieuse. Dotée des seules lettres FB en guise de signature, elle est attribuée à Franz Sermund aux vues de son profil et de son ornementation. 1588 étant l’année du décès du fondeur bernois, il se pourrait toutefois que la cloche soit l’œuvre d’un successeur de Sermund, m’a confié le campanologue bernois Matthias Walter. La cloche 4 (lab3, 1789), de facture typiquement baroque, porte la griffe de Jean-Georges Paris, fondeur du terroir établi à Bulle, et collaborateur ephémère de Pierre Dreffet de Vevey. Et c’est le même Dreffet qui – secondé par son neveu Marc Treboux – coula en 1832 l’imposant bourdon en sib2. En 1876, la fonderie veveysanne, entre temps passée entre les mains de Gustave Tréboux, ajouta la petite cloche en sib3. L’inventaire de la sonnerie ne serait pas complet sans la cloche 2, note ré3, confectionnée en 1811 par le saintier franc-comtois François-Joseph Bournez l’Ancien. Le petit-fils de ce dernier établit en 1871 un atelier provisoire à Estavayer-le-Lac pour y réaliser la sonnerie de la collégiale. La fonderie fut vite reprise par son contremaître Charles Arnoux, qui en fit une entreprise florissante jusqu’à son décès en 1925.

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Le bourdon

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La cloche 2

Châtel - bournez

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la cloche 3

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La cloche 4

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La cloche 5

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L’horloge Prêtre de Rosureux, fabriquée en 1876, modifiée ultérieurement pour le remontage automatique des poids, toujours en fonction

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Eglise ajd

L’église St Denis dans son aspect actuel. Ci-dessous, les plans originaux

Eglise sur plans Eglise plans

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L’intérieur avec l’orgue Kuhn de 1892, pneumatique, superbement entretenu

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Châtel-st-denis - ancienne église ajd

L’ancienne église du 13e siècle (aujourd’hui institut St François-de-Sales) aujourd’hui et hier

Ancienne église hier

Mgr Marilley

Mgr Etienne Marilley (1804-1889) évêque de Lausanne et Genève.

Remerciés soient pour leur chaleureux accueil:
Edith Bochud, présidente de paroisse, dicastère administration et finance
Dominique Nanchen, dicastère du culte et groupements, responsable du conseil de communauté et organiste
Léon Roche, dicastère des bâtiments et forêt.

Un immense merci  pour son aide lors de cette nouvelle présentation vidéo à mon excellent ami campanaire Antoine Cordoba, carillonneur à Saint-Maurice. Visitez son site https://cloches74.com/

http://www.upstdenis.ch/chatel-st-denis/lieux-de-culte-de-la-paroisse/
http://www.chatel-st-denis.ch/
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1752-11-6-1/

Autres sources:
« Le Patrimoine campanaire fribourgeois », aux éditions Pro Fribourg

Cloches – Le Pont (CH-VD) temple réformé

On y sonne encore les trois cloches à la corde !

-Cloche 1, « Espérance », note si3 -30/100, coulée en 1900, signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez
-Cloche 2, « Charité », note ré4 -41/100, coulée en 1900, signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez
-Cloche 3, note ré5 -44/100, coulée en 1733 par Samuel Steimer de Berne

Il y a peu, en compagnie de quelques amis, je vous faisais découvrir la somptueuse abbatiale romane de Romainmôtier et sa sonnerie à l’histoire si particulière. A quelques encâblures de la vallée du Nozon avec son site clunisien se trouve la Vallée de Joux. Si la région est aujourd’hui avant tout réputée pour ses attraits touristiques – on se baigne dans le lac de Joux durant la belle saison, on y patine l’hiver – on n’en oublie pas pour autant son riche passé industriel et horloger. Une première halte dans la Vallée m’avait déjà permis de vous faire découvrir les quatre cloches du Brassus en 2015. Je vous invite aujourd’hui dans le clocher du Pont, qui héberge une sonnerie certes de taille modeste, mais intéressante à plus d’un titre. Ce qui a tout d’abord attiré notre équipe multi-générationnelle de passionnés, c’est le fait que les trois cloches se manœuvrent aujourd’hui encore à la corde. Vous n’allez pas non plus tarder à vous rendre compte que l’histoire de ces demoiselles de bronze est captivante à plus d’un titre.

L’ancienne église du Pont, démolie en 1920 (source http://www.histoirevalleedejoux.ch/)

Un premier temple fut construit au Pont au début du XVIIIe siècle. Ce lieu de culte maintes fois transformé reçut en 1733 une cloche toujours existante. Cette cloche, réalisée par le Bernois Samuel Steimer (recensé souvent aujourd’hui en tant que Steiner) fut commandée à Romainmôtier, chef-lieu du baillage. La cloche livrée ne comportait pas que le nom de son fondeur. Elle était aussi ornée d’un sceau comportant la lettre R (peut-être le sceau du capitaine Rochat, mentionné dans les archives au sujet de la construction du temple). La cloche était surtout frappée des noms de quelques notables de la région. La manœuvre, considérée comme anti-démocratique, suscita le courroux des citoyens du Pont, qui se plaignirent auprès de LLEE de Berne. C’est ainsi que les noms litigieux furent limés. La cloche arbore donc aujourd’hui cette inscription incomplète : (…) du Pont, en la Vallée du Lac de Joux, 1733. Le sceau, lui, n’a pas été ôté. La signature du fondeur se trouve sur le cerveau de la cloche : SAMUEL STEIMER GOSS MICH. On retrouve ce nom sur la cloche dite Armsünderglocke (do#3, 1734) de la collégiale Saint-Vincent de Berne.

Avec le développement industriel et horloger de la vallée de Joux, le temple du Pont devint trop petit à la fin du XIXe siècle. Francis Isoz (1856-1910) fut dans un premier temps approché pour un agrandissement de l’édifice. L’architecte lausannois fut finalement mandaté pour construire un nouveau temple au lieu dit Crêt du Sablon. La géologie du terrain donna des cheveux blancs aux bâtisseurs, mais il est vrai que la situation dominante est majestueuse ! Le nouveau temple à la silhouette néogothique fut inauguré le 28 octobre 1900.

La nouvelle église du Pont. Les vitraux de 1960 sont l’oeuvre du peintre verrier jurassien Bodjol

 

 

Trois artisans firent une offre pour la fourniture de l’horloge et des cloches. Voici leurs noms et les prix demandés :
-Maillefer à Ballaigues, horloge 1’600 frs, prix du kg de cloche, 4.60 frs.
-Odobey à Morez, horloge 1’932.10 frs, prix du kg de cloche, 4.75 frs.
-Crot à Granges, horloge, 1’710 frs, prix du kg cloche, 5.55 frs.
Francis Isoz, appelé à donner son avis, fit parvenir le message suivant à l’administration communale le 25 janvier 1900 :
1) Pour les mêmes tons (do et mi), le poids des cloches offertes par Odobey est de 95 kg plus faible que celui de son concurrent Crot.
2) Malgré cette différence, l’alliage en cuivre et étain est à peu de chose près le même.
3) Le soumissionnaire Odobey est le seul qui fournisse un devis très détaillé et très complet et s’engage à rendre posées l’horloge et les cloches.
4) Le prix de 4.60 frs par kg de cloche fait par le soumissionnaire Maillefer paraît être faible pour un prix de seconde main et M. Maillefer est plutôt mécanicien qu’horloger.
L’architecte conclut en ces termes :
Aussi, d’après ce qui précède, étant donné que la maison Odobey est très sérieuse, qu’elle m’a encore fourni l’année dernière une horloge et une cloche qui marchent à la satisfaction de ceux qui les utilisent, je me permets de vous proposer de lui adjuger la fourniture et la pose de l’horloge et de deux cloches donnant le do & le mi pour le prix en bloc et à forfait de 3’619.80 frs
(ndlr : les cloches donnent en fait les notes si et ré)
Les autorités communales, suivant le mot d’ordre de l’architecte, attribuèrent le mandat à la maison Odobey. L’horloge fut installée dans le clocher le 8 septembre 1900. Il est intéressant et même amusant de préciser que Crot et Maillefer n’étaient que des revendeurs. Ils assemblaient et installaient des mouvements dont ils avaient passé commande chez… Odobey justement !

Odobey, on le sait, ne coulait pas ses cloches lui-même. L’horloger de Morez était en affaires avec divers fondeurs de cloches. Les riches archives collectées par Daniel Fonlupt, conservateur de la Maison des Horloges de Charroux, indiquent qu’Odobey se fournissait (entre autres) chez Paccard et chez Burdin. C’est donc uniquement en se basant sur les profils et les décors des cloches qu’on peut tenter de deviner quelle fonderie a réalisé telle ou telle pièce estampillée Odobey. Les cloches du Pont semblent n’avoir été coulées par aucun des fondeurs susnommés. Arthur Bamas, campanophile breton qui suit actuellement une formation de fondeur, les attribue à Farnier. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, n’exclut pas cette hypothèse en précisant qu’il pourrait surtout s’agir de Farnier de Dijon.

Dans le clocher

 

 

Les nouvelles cloches arrivèrent à la gare du Pont le 19 mai 1900. Voici leurs inscriptions, de haut en bas
-Grande cloche : LD ODOBEY CADET MOREZ / ESPERANCE / SI AUJOURD’HUI VOUS ENTENDEZ MA VOIX / N’ENDURCISSEZ PAS VOS COEURS / HEBREUX III.7
-Petite cloche : (signature indentique) CHARITE / ECOUTEZ MA VOIX ET JE SERAI VOTRE DIEU / JEREMIE VII.23
Ces deux cloches sont suspendues côte à côte à leurs jougs en chêne d’origine dans leur beffroi de bois. Est venue les rejoindre en 1959 la cloche de l’ancienne église, remisée jusque là dans le local des pompiers. Cette petite cloche a rempli un temps le rôle d’alarme. Elle n’est aujourd’hui plus utilisée et ne bénéficie d’aucun entretien. Ses ferrures s’étant relâchées au fil des ans, nous ne l’avons sollicitée que très brièvement pour la présentation vidéo.

Quasimodo remercie chaleureusement :
Nordahl Autissier, responsable des bâtiments au sein du Conseil administratif du Pont
Mes amis campanaires Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources :
http://www.histoirevalleedejoux.ch/articles/5_les_eglises_du_pont
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F29113.php
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bailliage_de_Romainm%C3%B4tier
https://www.bernermuenster.ch/de/berner-muenster/muensterbau/glocken.php

Cloches – Romainmôtier (CH-VD) abbatiale

Des sonorités baroques pour ce chef-d’œuvre de l’art roman

-Cloche 1, note ré bémol 3 +40/100, diamètre 146cm, poids environ 1’900kg, coulée en 1723 par Felix Felix de Feldkirch.
-Cloche 2, note sol bémol 3 +31/100, poids environ 650kg, coulée en 1595 par Abraham Zender de Berne.
-Cloche 3, note si 3 +48/100, poids environ 275kg, coulée en 1810 par Jean-Baptiste Pitton de Carouge.

La plus ancienne église romane de Suisse – Il y a quelques semaines, je vous présentais l’abbatiale de Payerne, la plus grande église romane de Suisse. Aujourd’hui, place au plus ancien édifice de ce style toujours existant dans le pays : l’abbatiale de Romainmôtier. On ne peut être que frappé par la beauté du cadre. Si Romainmôtier fait partie de l’association des plus beaux villages de Suisse, ce n’est de loin pas usurpé. La verte vallée du Nozon est comme un écrin destiné à faire scintiller les murailles et les toitures ancestrales. Si on ne percevait pas de temps à autre le vrombissement d’une voiture, on s’attendrait à voir surgir au détour d’un chemin un moine dans sa charrette tirée par un âne. Le temps semble en effet s’être arrêté à Romainmôtier… une sorte de douce torpeur dans laquelle le visiteur d’un autre âge prend plaisir à se pelotonner un trop bref instant.

L’abbaye de Romainmôtier, ce sont onze siècles d’histoire. Du premier édifice religieux dressé par saint Romain et saint Lupicin au Ve siècle, à la Réforme proclamée par l’envahisseur bernois en 1536, on assiste à la montée en puissance de la communauté qui rejoint l’ordre de Cluny au Xe siècle et bénéficie de la protection des seigneurs bourguignons. En 1049, le pape Léon IX menace même d’excommunier quiconque tentera de porter atteinte à l’abbaye et à ses possessions. L’église est édifiée sur le modèle de la deuxième église de Cluny dans le premier tiers du XIe siècle. Le narthex sur deux étages était doté à l’origine de deux tours. Deux importants incendies à la fin du XIIe siècle obligent à la reconstruction des voûtes de la nef et du cloître. Ce dernier disparaît hélas à la Réforme. L’église nous est par bonheur parvenue, de même qu’une grande partie de l’enceinte monastique avec la maison du prieur. On y célèbre aujourd’hui le culte protestant. Romainmôtier est aussi depuis 2003 un haut lieu de l’œcuménisme romand grâce à la Fraternité Oecuménique de Prière qui reçoit sa mission conjointement du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée et du vicariat épiscopal de l’Eglise catholique. L’église abbatiale possède deux orgues remarquables : le grand orgue placé dans le transept sud a été réalisé par la manufacture de Chézard-Saint-Martin. Le petit orgue de la chapelle au premier étage du narthex a été conçu par Luigi-Ferdinando Tagliavini et construit par Kuhn de Männedorf. Il s’agit d’un don de la fondation Jehan Alain.

La plus grande des trois cloches porte la signature de Felix Felix von Veltkirch. Ce fondeur, originaire du Voralberg en Autriche (la localité s’épelle aujourd’hui Feldkirch) était établi à Berne quand il a travaillé pour Romainmôtier, comme en témoigne la griffe Du feu je suis sortie , Félix de Veltkirch m’a fondue à Berne. L’artisan est également mentionné comme fabricant de pièces d’artillerie pour Lucerne en 1739. Un certain Christian Felix von Feldkirch semble lui avoir succédé. On trouve en effet son nom sur deux cloches coulées en 1765 à Coire pour la paroisse grisonne de Falera (église Saint-Rémi). La cloche de Romanmôtier porte les noms et les fonctions (en allemand) de plusieurs édiles locaux dont Louis de Wattenwyl, maître des sceaux dans les pays Welsches (ndlr : pays romand) ; Michel Augsurger, Banneret (ndlr : porte-drapeau) ; Emmanuel Wurstemberger, Banneret ; Jean Muller, Banneret ; F.-Louis Morlot, Banneret ; Jean Fischer, Sautier (ndlr : huissier) ; Jean-Rodolphe Willading, Bailli (ndlr : gouverneur) ; Jean-Rodolphe Wurstemberger, receveur de l’Ohmgeld (ndlr : percepteur) et directeur de la Monnaie. Sur l’autre côté de la cloche figurent les armoiries de Berne et de quelques grandes familles dans une facture impeccable. On peut encore lire – toujours en allemand – Pieux Chrétien je te rappelle à ton Sauveur Jésus-Christ, car, hors de lui, il n’y a ni salut ni vie. Peut-être une allusion au Major Davel, le patriote vaudois exécuté pour insurrection la même année que la cloche fut coulée. La cloche semble n’avoir été hissée qu’en 1726. En témoigne la date peinte sur l’oculus aménagé spécialement pour l’occasion.

La deuxième cloche est la plus ancienne. Datée de 1595, elle est l’œuvre d’Abraham Zender de Berne. Ce successeur de Franz Sermund coula en 1611 – avec la collaboration du zurichois Peter Füssli – le bourdon de la collégiale de Berne, d’un poids de près de 10 tonnes. On lui doit aussi le bourdon du temple Saint-Martin de Vevey (si bémol, année 1603). On peut lire sur la cloche de Romainmôtier (en latin) La parole du Seigneur est éternelle. Puis en en allemand : O homme ! Chaque fois que par mes sons je t’indique l’heure du jour ou de la nuit, réfléchis sérieusement au but et à la fin de ta vie / Coulée par le feu, Abraham Zender m’a fondue à Berne, 1595. La cloche est ornée de très belles scènes de chasse. Elle porte également les empreintes de véritables feuillages. Des traces d’accordages récentes sont visibles à l’intérieur.

La petite cloche a été coulée pour le temple Saint-François de Lausanne. Après le grand chantier d’accordage des cloches lausannoises mené par Auguste Thybaud à la fin du XIXe siècle, le chef-lieu vaudois se retrouve avec plusieurs cloches inutilisées sur les bras. Ces cloches sont alors revendues d’occasion. L’une d’elles arrive en 1897 à Romainmôtier. Elle porte les inscriptions suivantes : VILLE DE LAUSANNE 1810 POUR LE SERVISSE (sic) DE L’EGLISE DE ST-FRANCOIS / FAITE PAR JEAN-BAPTISTE PITTON MAÎTRE FONDEUR A CAROUGE 1810. L’artisan, originaire de Châtillon-en-Michaille, est surtout connu pour avoir eu comme apprenti un certain Antoine Paccard, premier représentant d’une longue lignée de fondeurs toujours existante. Les ornements de cette petite cloche sont chiches en comparaison de ses grandes voisines. Le haut de la robe porte les habituelles guirlandes néo-classiques du XIXe siècle. Le cartouche, lui aussi d’une grande sobriété, indique le nom du fondeur sur fond de draperie. Cette cloche pourrait remplacer une ancêtre de 1753 que Blavignac mentionnait dans son étude campanaire de 1877. On constate en outre que la même travée porte – face à la petite cloche – les traces de fixation d’une cloche plus grande. L’achat d’une quatrième cloche était-il prévu ?

Une petite cloche déposée se trouve dans l’entrée de la maison du prieur. Datée de 1654, elle est fortement endommagée (éclat de balle, fêlures, grosse ébréchure à la pince).

Quasimodo remercie :
Nicolas Charrière, pasteur à la paroisse réformée de Vaulion-Romainmôtier.
Soeur Madeleine Chevalier.
Olivier Grandjean, campanophile et collectionneur de sonnailles.
… ainsi que mes fidèles amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources :
Cloches de l’église de Romainmôtier, documentation rassemblée par Olivier Grandjean en 2004 basée sur les publications suivantes : Histoire de Romainmôtier , édition 1928 ; Sites et villages vaudois, éditions Cabédita ; La Cloche, Etudes sur son histoire et sur ses rapports avec la société aux différents âges, John-Daniel Blavignac, Paris, 1877.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbatiale_de_Romainm%C3%B4tier
https://www.cath.ch/newsf/fraternite-oecumenique-de-romainmotier-loecumenisme-quotidien/
https://query-staatsarchiv.lu.ch/detail.aspx?ID=1469502
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1938-11-6-1/

Cloches – Urdorf (CH-ZH) église Saint-Nicolas-de-Flüe

Un bourdon allemand en la2 de 3’100kg

-Cloche 1, dédiée à la Sainte Trinité et à Saint Nicolas de Flüe, note la2, diamètre 175cm, poids 3’182kg
-Cloche 2, dédiée à Marie mère de Dieu, note do#3, diamètre 145cm, poids 1’656kg
-Cloche 3, dédiée à saint Joseph, note mi3, diamètre 127cm, poids 1’063kg
-Cloche 4, dédiée à saint Michel, note fa#3, diamètre 107cm, poids 714kg
-Cloche 5, dédiée à st Nicolas et st Bernard de Clairvaux, note la3, diamètre 91cm, poids 458kg
Fondeur : Karl Czudnochowsky, Erding, 1963

Urdorf, une jeune paroisse créée en 1960 dont les racines ancestrales remontent à 1173, telle est la traduction littérale du sous-titre de l’excellent ouvrage de M. le Curé Maximilian Georg Kroiß qui m’a été aimablement remis lors de ma visite le 1er juillet 2018. Evidemment qu’il serait présomptueux de vouloir condenser plus de 200 pages dans ce modeste article. Je me contenterai donc de vous résumer très succinctement la riche histoire de cette paroisse catholique zurichoise qui remonte à 1173 avec la mention par l’Antipape Calixte III d’une première chapelle dédiée à saint Georges. Cette chapelle se trouvait dans la vallée de la rivière Reppisch, un affluent de la Limmat. Une chapelle dédiée à saint Nicolas, dépendant de l’abbaye bénédictine d’Engelberg, est citée dès 1184 à Oberurdorf. Il faut savoir que jusqu’à la fusion de 1930, l’actuelle commune se composait de deux entités distinctes : Niederurdorf et Oberurdorf. Après l’adhésion de Zurich à  la Réforme en 1529, Urdorf – contrairement à sa voisine Dietikon – choisit d’adhérer aux nouvelles idées de Zwingli. Si la chapelle Saint-Georges se trouve aujourd’hui englobée dans un domaine agricole, la chapelle Saint-Nicolas est toujours un lieu de culte réformé. La célébration catholique fut progressivement  à nouveau autorisée dans le canton de Zurich au XIXe siècle. La paroisse d’Urdorf ne vit toutefois le jour qu’en 1956 sur décision de l’évêque de Coire Mgr Christian Caminada.

A gauche, l’ancienne chapelle Saint-Nicolas. A droite, inscriptions gothiques dans l’ancienne chapelle Saint-Georges

C’est le 23 juin 1963 que  le vicaire général Alfred Teobaldi posa la première pierre de l’église Saint-Nicolas-de-Flüe. Edifiée sur les plans des architectes soleurois Hansjörg et Otto Sperisen, l’église fut consacrée le 30 août 1964. Son retable renferme non seulement une partie des reliques de son saint patron, mais aussi de sainte Marie Goretti et de saint Félix de Rome. Le mobilier liturgique, simple et élégant, est conforme à l’architecture moderne de l’église. On notera les vitraux dessinés par Peter Travaglini et réalisés par Aubert & Pitteloud de Lausanne. Le grand orgue en tribune est l’oeuvre de la maison Späth de Rapperswil (1974), alors que le petit orgue placé dans la chapelle dédiée à sainte Marie fut réalisé en 1977 par la manufacture de Chézard-Saint-Martin. Il est intéressant de noter que la réalisation des supports de bronze du grand retable de marbre fut confiée à Ruetschi d’Aarau, alors que la fonte des cloches fut attribuée à une fonderie allemande.

Galerie archives : pose de la première pierre, bénédiction des cloches, construction du clocher

La sonnerie fut coulée à Erding (Allemagne) le 4 décembre 1963 à 15h. Cette fonderie, active dans la ville bavaroise de  1850 à 1971, connut son heure de gloire après la Seconde Guerre sous l’égide Karl Czudnochowsky (1900-1977). C’est auprès de son oncle Heinrich Ulrich à Apolda que le maître fondeur apprit le métier. Il devint ensuite directeur de la fonderie suisse de Staad près de Rorschach dans le canton de Saint Gall. Czudnochowsky racheta la fonderie d’Erding en 1936. Il y a coula non seulement des cloches de bronze – comme c’est le cas pour Urdorf – mais aussi en alliage cuivre-zinc, moins coûteux. A cela s’ajoutent des profils relativement légers en comparaison d’autres fondeurs germaniques. La plus importante réalisation de Czudnochowsky est le bourdon en fa2 de l’église Saint-Pierre de Munich (7’000kg). Au chapitre des sonneries complètes, citons les huit cloches en fa2 de l’abbaye espagnole de Montserrat (bourdon de 6’400kg). Les activités de fonderie d’Erding furent reprises à sa fermeture par Perner de Passau.

Les cloches d’Urdorf sont réalisées en profil relativement léger : le bourdon en la2 ne pèse en effet que 3’182kg. Le peu d’espace disponible dans l’étroit clocher est rentabilisé au maximum. L’accès à la chambre des cloches s’effectue par une échelle droite sur toute la hauteur. Une configuration suffisamment vertigineuse pour que la paroisse exige la signature d’une décharge avant d’autoriser la montée. Une échelle amovible équipée pour harnais de sécurité permet ensuite au campaniste dûment harnaché de se hisser aux petites cloches. Il n’y pas de beffroi, les paliers des cloches reposent sur des consoles de béton. La rénovation de 2012 coïncida avec le remplacement des battants des cinq cloches par la maison Muff.

Quasimodo remercie chaleureusement :
Père Maximilian Georg Kroiß , curé
M. Robert Eigenmann, président du Conseil de paroisse
M. Nue Cena, membre du Conseil de paroisse
M. Carlo D’Antonio, sacristain
… ainsi que John Brechbühl, membre de la GCCS, pour l’organisation et son aide indispensable à la réalisation de ce reportage.

Sources :
Pfarrei Hl Bruder Klaus Urdorf ZH, Maximilian Georg Kroiss, édité par la paroisse
https://de.wikipedia.org/wiki/Erdinger_Glockengie%C3%9Ferei

Cloches – Payerne (CH-VD) l’Abbatiale et l’église paroissiale réformée

Les cloches de la plus grande église romane de Suisse et de sa voisine gothique dans un même ensemble campanaire

-Cloche 1 (Abbatiale), note si2 +34/100, diamètre 170cm, coulée en 1603 par Pierre Guillet de Romont
-Cloche 2 (Abbatiale), note ré3 +22/100, diamètre 135cm, coulée en 1577 par Franz Sermund de Bormio établi à Berne
-Cloche 3 (église paroissiale), note fa#3 +3/100, coulée en 1510
-Cloche 4 (Abbatiale), note si3 +86/100, diamètre 70cm, coulée en 1577 par Franz Sermund de Bormio établi à Berne

L’Abbatiale de Payerne est la plus grande église romane de Suisse. Ce somptueux édifice se dresse sur l’emplacement d’une villa romaine. Le premier édifice chrétien en ces lieux fut une chapelle dédiée à la Vierge consacrée en 587. Une église monastique l’a remplacée probablement au entre le VIIIe et le Xe siècle. La construction de l’actuelle église abbatiale a débuté vers le milieu du XIe siècle. La taille imposante de l’édifice s’explique par le fait que la vie religieuse était alors d’une grande ferveur à Payerne. Peut-être sous l’impulsion de Berthe de Souabe – la fameuse reine Berthe – mais surtout grâce à sa fille Adélaïde, épouse de l’empereur Othon Ier, la communauté se voit rattachée au grand monastère bénédictin de Cluny, en France. En 1536, les Bernois envahissent le Pays-de-Vaud et Payerne devient réformé. Les bâtiments abbatiaux sont pour la plupart remplacés au fil des ans, même si le plan du cloître est plus moins conservé. L’église, elle, devient tout à tour grenier à grain, cantonnement militaire, prison et local des pompes. Il est également établi que le fondeur Jean Richenet y a coulé des cloches pendant deux ans au moins avant de s’établir à Vevey en 1646. En témoigne la petite cloche de l’école, aujourd’hui déposée. Ce n’est qu’à la toute fin du XIXe siècle, à la faveur du mouvement romantique, qu’on prend conscience de l’intérêt de ce patrimoine. Le 14 septembre 1892, le professeur zurichois d’histoire de l’art Johann-Rudolf Rahn tient à Payerne un discours qui sera déterminant pour l’avenir de l’église abbatiale. Il la qualifie de monument voûté de style roman le plus grandiose de Suisse. Le site devient alors le théâtre de fouilles et de restaurations successives tout au long du XXe siècle. D’importants travaux de consolidation ont été menés dès les années 20100. Des tirants, invisibles aux yeux des visiteurs, ont été forés à l’intérieur des murs afin d’en assurer la stabilité. Au moment où cet article est rédigé, la réfection en est à la phase intérieure de l’édifice. Elle devrait se terminer courant 2020.

A l’est de l’Abbatiale, à quelques dizaines de mètres, se dresse l’église paroissiale de Payerne. Egalement dédié à Notre-Dame, tout comme l’Abbatiale, cet intéressant édifice gothique présente un plan plus simple : choeur quadrangulaire, transept non saillant et plafond plat de bois. Il servait les habitants de la ville alors que l’Abbatiale était réservée aux moines. L’église paroissiale abrite depuis le XIXe siècle le tombeau de la reine Berthe : ses prétendus ossements que l’on a cru retrouver dans l’avant-nef de l’Abbatiale qui servait alors de prison, ont été déplacés en grandes pompe dans l’église paroissiale. L’usage populaire veut également qu’y était conservée la selle de la reine qui présentait la particularité d’avoir une ouverture sur l’un des côtés permettant d’y glisser le bâton d’une quenouille. Le temple dispose d’un magnifique orgue Melchior Grob de 1784. Deux cents tuyaux d’époque subsistent aujourd’hui encore. Signalons que l’abbatiale voisine a reçu en 1999 un orgue Ahrend de conception italienne. Les orgues de Payerne possèdent la particularité d’être accordés sur… les cloches ! Le diapason payernois est ainsi un la3 de 422Hz.

Les cloches de l’abbatiale et de l’église paroissiale forment un seul et même ensemble campanaire depuis les travaux d’accordage menés par Auguste Thybaud. Avant 1895, les trois cloches du clocher abbatial donnaient les notes si2, ré3 et si bémol 3. La cloche du temple, elle, sonnait en mi3. La petite cloche en si bémol fut limée à la pince de manière à faire monter sa note. L’accordage ne fut pas exécuté avec une grande précision : la note est aujourd’hui plus proche du do4 ! A noter que cette cloche n’a rejoint le clocher abbatial qu’en 1784 : elle avait été coulée pour une des portes de la ville aujourd’hui disparue (tour de Berne). La cloche de l’église paroissiale, fondue en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel, fut revendue à Mézières (VD). C’est aujourd’hui la plus grande cloche de ce temple du Jorat. L’actuelle cloche en fa#3 de Payerne provient du temple d’Aubonne. Cette belle cloche gothique de 1510 possède des traces d’alésage intérieur qui nous indiquent que sa note a été abaissée, sans doute d’un demi-ton.

Détails des cloches
-Cloche 1 (Abbatiale) : Aujourd’hui, si vous oyez la Voix de Dieu, n’endurcissez pas vos cœurs comme vos pères dans le désert. La cloche arbore aussi Dieu conduit sous les armoiries de Payerne. On peut y lire le nom de Joseph Gaillet avoyer de Payerne et de Jean Bondy, banderet de Payerne. La signature du fondeur consiste en un cartouche entouré de trois anges entourant PETRUS GUILLET ROTOMOTANUS ME FECIT. Une des anses s’étant rompue, la cloche a été percée en son cerveau pour assurer une meilleure fixation au joug.
-Cloche 2 (Abbatiale) : « Cloche des heures » Seigneur, fais-moi ouïr Ta bénignité, car nous nous assurons en Toi, PS 143. Cette cloche sonne tous les jours à midi et 20h.
-Cloche 3 (église paroissiale) : « Cloche des morts », elle sonne pour les cérémonies funèbres.
-Cloche 4 (Abbatiale) : « Cloche du feu » Dieu seul sage, honneur et gloire et Payerne a ses dépens me fayet en l’an 1577.
-Ancienne cloche de l’école, déposée : IGNE SONUES PERIIT. REDIIT RENOVATUS EODEM 1646 (le son a péri, il est revenu par le même feu en 1646, allusion à l’incendie de 1646). TOBIE BANQUETA, Banderet de Payerne, 1646. JAN RICHENET de Payerne m’a fondue

Quasimodo remercie :
Julia Taramarcaz, conservatrice du musée de l’Abbatiale de Payerne, pour son chaleureux accueil et sa disponibilité.
Benoît Zimmermann, organiste titulaire, pour le magnifique récital d’orgue et les explications fournies.
… ainsi que mes amis Pascal Krafft, expert campanologue à Ferrette (prise de son) et Allan Picelli, sacristain à Maîche (plans vidéo mobiles, certaines photos)

Sources :
La musique dans le canton de Vaud au XIXe siècle, Jacques Burdet, Payot 1971
http://www.abbatiale-payerne.ch/abbatiale/historique/
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_Notre-Dame_de_Payerne
http://www.mepayerne.ch/index.php?option=com_content&task=category&sectionid=4&id=36&Itemid=27
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1540-11-6-1/

Cloches – Marly (CH-FR) église Saints-Pierre-et-Paul

Restauration d’envergure pour cette sonnerie partiellement historique

-Cloche 1, note do#3 +22/100, poids 2’032 kg, coulée en 1645 par Jacob Kugler (Kegler le jeune) de Fribourg
-Cloche 2, note mi3 +6/100, poids 1’062 kg, coulée en 1956 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 3, note fa#3 +27/100, poids 768 kg, coulée en 1956 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 4, note la#3 -9/100, poids 600 kg, coulée en 1574 par Jacob Kegler de Fribourg
-Cloche 5, note do4 +7/00, poids 214 kg, coulée en 1742 par Joseph Klely de Fribourg

La paroisse de Marly figure parmi les plus anciennes du canton de Fribourg. Mentionnée au XIIe siècle, l’église est visitée par Mgr Georges de Saluces en 1453. L’évêque ordonne alors d’agrandir les quatre fenêtres. Dans son dictionnaire des paroisses, le Père Deillon suppose qu’il s’agissait à l’époque encore d’un édifice du Xe au XIe siècle avec des fenêtres très étroites, de 20 à 30 centimètres de largeur. Une reconstruction ou du moins agrandissement important semble avoir été mené en 1540, mais c’est à partir 1785 qu’est édifiée l’actuelle église Saints-Pierre-et-Paul. La sacristie au rez-de-chaussée du clocher correspond au chœur de l’ancien sanctuaire. Consacrée en 1787 par Mgr de François Lenzbourg, évêque de Lausanne, l’église se voit agrandie d’une travée à l’ouest en 1878. Le curé Boschung, arrivé en 1966 de Murist où l’église était neuve, émet l’idée d’un nouveau bâtiment. Certains paroissiens sont d’ailleurs acquis à la cause ! On préfère finalement – et fort heureusement – rafraîchir la vénérable construction. Une série de chantiers sont alors menés tout au long de la dernière moitié du XXe siècle. Les étapes les plus marquantes furent : le rachat du somptueux maître-autel baroque de l’abbaye d’Hauterive en 1973 ; la restauration et la valorisation en 1982 du mobilier liturgique ancien, dont les fonts baptismaux de 1511 ; l’inauguration en 1983 de l’orgue Füglister.

La sonnerie hétérogène est composée de cinq cloches coulées à quatre différentes époques. Nous avons ici une démonstration grandeur nature de l’évolution de l’art campanaire fribourgeois au travers de trois générations successives de fondeurs locaux. La cloche no4 – la plus ancienne – porte sur son col l’inscription suivante : von der hitz bin geflossen / Jacob Kegler hat mich gossen / 1574. Jacob Kegler l’ancien, originaire de Romont, est le cousin germain de Pierre Guillet, lui aussi fondeur de cloches. Venu s’établir à Fribourg, J.K. choisit de germaniser son patronyme afin de se faire admettre dans la bourgeoise privilégiée. Sa plus importante réalisation semble avoir été le bourdon de Romont en 1577, que le Bernois Franz Sermund fut appelé refaire deux ans plus tard. La cloche de Marly porte des traces d’accordage, vraisemblablement datées de 1956, date de l’agrandissement de la sonnerie. La grande cloche, datée de 1645, arbore : Jacob Kugler gosmich in Fribourg anno D. MDCXLV Jésus Maria. Tartara divino sonitu quoque fulgura franco. Ad templum gementes convoco patricos. Kugler variante de Kegler –  semble être le petit-fils de Jacob Kegler précédemment mentionné. Installé Planche-Supérieure en Basse-Ville de Fribourg, Kugler se voit attribuer en 1608 le monopole de la fonderie dans toute la seigneurie de Fribourg. Ceci concerne non seulement la fonte des cloches, mais aussi la fabrication d’armes et de goulots de fontaines. La plus petite cloche porte des ornements typiquement baroques comme une frise florale et des feuilles de laurier. On peut y lire : Collo festa, fulmina frango, defunctos plango. 1742. J. K. G. M. Il s’agit là de la signature de Joseph Klely, l’un des représentants – et même le dernier – de la lignée qui succéda aux Kegler/Kugler aux commandes de la fonderie de Fribourg. Deux cloches furent ajoutées en 1956. Offertes par de généreux paroissiens, elles arborent la signature de Ruetschi d’Aarau, mais aussi les noms de leurs principaux donateurs et de leurs parrains et marraines. Pour la cloche no2 : parrains Germain Blanchard et Pierre Portman, marraines Louise Brugger et Lucie Bays. Pour la cloche no3 : parrain Heinri de Gendre, marraine Lina Biland. Ces noms ayant été gravés après la coulée, on peut supposer que les généreux donateurs ont pris du temps à se faire connaître ! Do# mi fa# la# do… on peut s’étonner de la suite de notes égrenée par les cinq cloches après l’agrandissement de la sonnerie en 1956, et tout spécialement du triton entre les cloches 3 et 5. Les archives de la maison Ruetschi mentionnent les notes do# mi fa# la do. Mon hypothèse est la suivante : aux vues des partiels très hauts de la cloche no4, je suppose que son accordage a quelque peu raté et que la note voulue était effectivement un la. On aurait donc cherché à créer un motif de type Parsifal entre les quatre plus grandes cloches. La cloche 5, comme c’est souvent l’usage dans la région, devait être prévue pour sonner l’Agonie en solo. Mais ceci n’est évidemment qu’une théorie…

La sonnerie de Marly vient de bénéficier d’une importante restauration :
-Restauration du joug de la grande cloche et de ses ferrures.
-Nouveaux jougs pour les quatre autres cloches.
-Nouveaux battants forgés en acier doux pour les cinq cloches.
-Nouvelle centrale électronique de gestion des moteurs de volée, nouveau moteur de volée pour la grande cloche.
-Nouvelles roues de volée, nouveaux paliers.
-Révision du dispositif de tintement mécanique.
-Révision de l’électro-tinteur des angélus sur la cloche 2.
-Consolidation du plancher.
-Exposition dans le clocher des jougs en chêne des cloches 4 et 5, exposition des battants d’origine des cloches 2 et 3.

Comparatif : à gauche, la cloche 2 avec son joug en acier de 1956. A droite, le nouveau joug de chêne et ses ferrures forgées main

Sources :
Marly son histoire au fil de la Gérine, édité par la société de développement de Marly et environs
Dictionnaire historique et statistique des paroisses du canton de Fribourg volume 8, Père Apollinaire Deillon, imprimerie Saint-Paul, 1896
Le patrimoine campanaire fribourgeois, éditions Pro Fribourg, 2012
http://www.diesbach.com/sghcf/l/lenzbourg.html

Quasimodo remercie chaleureusement :
Le Conseil de paroisse de Marly, et plus spécialement M. Roland Bruegger, responsable des bâtiments.
L’entreprise MECATAL, campaniste ; son directeur Jean-Paul Schorderet et ses collaborateurs François et Olivier.
… de même que mon camarade campanaire Allan Picelli « le sonneur comtois », sacristain à Maîche.

BONUS : article paru dans le journal fribourgeois LA LIBERTE du 17 juillet 2018 (cliquer pour agrandir)

Cloches – Saint Maurice (CH-VS) abbaye territoriale de Saint-Maurice d’Agaune

Nouveau battant, nouvelle présentation !

-Cloche 1, « Trinitas », note sol#2, poids 4’100kg, refondu en 2010 par Paccard à Sévrier
-Cloche 2, « Thébaine », note do#3, diamètre 145cm, poids 1732 kg, coulée en 1947 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 3, « Saint Maurice », note mi3, diamètre 115cm, poids 920kg, coulée en 1818 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey
-Cloche 4, « Saint Sigismond », note fa#3, diamètre 103cm, poids 620kg, coulée en 1818 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey
-Cloche 5, « Saint Augustin », note sol#3, diamètre 92cm, poids 450kg, coulée en 1818 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey
-Cloche 6, « Saint Théodule », note la3, diamètre 86cm, poids 350kg, coulée en 1818 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey
-Cloche 7, « Marie-Madeleine », note si3, diamètre 77cm, poids 260kg, coulée en 1818 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey
-Cloche 8, « Candide », note do#4, diamètre 69cm, poids 180kg, coulée en 1818 par Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey

L’abbaye territoriale de Saint Maurice d’Agaune a été fondée en 515 par le futur roi burgonde Saint Sigismond, à l’emplacement d’un sanctuaire plus ancien érigé par Théodore d’Octodure, premier évêque connu du Valais, et abritant les reliques de Maurice d’Agaune, martyr du IIIe siècle. La cité d’Agaune a d’ailleurs pris son nom et s’appelle aujourd’hui Saint Maurice. L’abbaye est la plus ancienne d’Europe occidentale en activité à avoir été occupée en permanence. Si le premier sanctuaire, dont les fondations ont été mises en valeur, fut érigé dans le sens classique est-ouest, les nombreux éboulements successifs poussèrent finalement les chanoines à le reconstruire au XVIIe siècle dans le sens nord-sud. Cela n’empêcha pas un nouvel éboulement de créer de gros dégâts en 1942, obligeant ainsi la flèche du clocher et une partie de l’église à être reconstruits. L’abbatiale occupe le rang de basilique mineure depuis 1948. L’abbaye ne fut jamais dépendante d’un diocèse et d’un évêque, car elle bénéficia dès sa fondation de l’immédiateté pontificale, c’est-à-dire qu’elle dépend directement du Pape et de lui seul. Aujourd’hui encore, le père abbé de Saint-Maurice exerce sa propre juridiction spirituelle sur sa communauté abbatiale, ainsi que sur les cinq paroisses de son territoire. L’abbaye possède également un collège renommé ayant un statut d’établissement semi-privé.

Les cloches à la volée – L’imposant clocher roman avec sa flèche de pierre, typique de la Vallée du Rhône, semble se dresser ici depuis la nuit des temps. Or, quand on y monte, on se rend compte que les étages supérieurs et sa flèche sont en béton habillé de pierres. Le terrible éboulement du 3 mars 1942 éventra la tour avant qu’une rafale de foehn ne la fasse s’écrouler complètement deux jours plus tard. Miracle : les cloches de 1818 s’en tirèrent avec quelques ébréchures. Elles sonnent toujours, vaillamment. Trois d’entre elles ont subi un petit accordage au XXe siècle. Cet ensemble de six cloches en mi3 est l’œuvre de fondeurs veveysans déjà maintes fois rencontrés en Suisse romande : Pierre Dreffet et son neveu Marc Treboux. Nous sommes ici en présence du plus grand ensemble toujours existant réalisé par la fonderie de Vevey. Ruetschi d’Aarau y ajouta en 1947 « Thébaine », une cloche donnant le do#3. Son arrivée coïncida avec la mise en service d’un carillon électrique offert par un ancien élève du collège de Saint-Maurice. « Thébaine » fut durant plus de cinquante ans le bourdon de l’abbaye. Pour le passage à l’an 2000 fut offerte une grande cloche coulée en 1998 par la fonderie Paccard dans un chantier naval de Nantes. Cette cloche était un modèle réduit à l’échelle 1/2 de la Cloche de la Paix de Newport, un monstre de 32 tonnes égrenant la note la1. Baptisée « Trinitas », cette « miniature », d’un poids de 3’990kg, fut bénie par Monseigneur Roduit le 29 novembre 1999. Les huit cloches sonnèrent toutes ensemble pour la première fois le 25 décembre. Installée dans un beffroi dressé sur une lourde dalle de béton, « Trinitas » fut équipé d’une motorisation débrayable et d’un pédalier permettant de la sonner en piqué. Ce mode de volée ne semble toutefois pas avoir été utilisé très souvent. « Trinitas », dépeint comme magnifique par le campanologue Matthias Walter, fêla malheureusement très vite. La fonderie Paccard accepta de refaire gratuitement une nouvelle cloche donnant la même note (sol#2). Le nouveau « Trinitas » vit le jour le 18 mars 2010 dans les ateliers de Sévrier devant une importante délégation de l’abbaye. Il fut hissé au clocher le 15 juillet. Son battant fut changé à l’été 2017 par la maison Ruetschi d’Aarau (voir galerie ci-dessous).

La sonnerie avant 1818 – L’histoire des cloches qui ont précédé la sonnerie actuelle, c’est d’abord cette pittoresque légende qui rapporte que Charlemagne aurait fait un songe. L’Empereur se serait mis à chanter et les cloches de Saint-Maurice auraient donné de la voix avec enthousiasme pour l’accompagner. Tout ceci ne nous indique évidemment pas ce que contenait le clocher à son édification au XIe siècle ! On sait seulement que secousses sismiques et éboulements se sont souvent succédé pour mettre à mal l’abbaye et ses cloches au fil des ans. Il est en outre rapporté que l’incendie du 23 février 1693 causa la perte de sept cloches. Il fallut attendre 1702 pour assister à la fonte de quatre nouvelles cloches. Curieusement, toutes ne furent pas confiées au même fondeur. La plus grande fut réalisée par Jean-Claude Livremont de Pontarlier. On pouvait y lire (en latin) : Béni soit le Nom du Seigneur. Le feu dévastateur m’a fait périr en 1693, mais l’unanimité du Chapitre m’a fait renaître en 1702. Mon parrain est Pierre de Riedmatten, bailli de la Patrie éminent en noblesse ; si l’on demande le nom de ma marraine, c’est Noble Elisabeth Ambiel. Que vive et fleurisse la liberté des Valaisans. Les trois autres cloches furent coulées par les saintiers lorrains Etienne et Nicolas Besson. Mgr Georges Schiner, qui dirigea l’Abbaye de 1764 à 1794, fit refondre la grande cloche à une date indéterminée. En 1818, l’Abbé Etienne-Germain Pierraz fit briser toutes ces cloches. Il confia à Pierre Dreffet et Marc Treboux de Vevey la réalisation d’une nouvelle sonnerie. Ces six cloches aux accents baroques nous sont par bonheur toutes parvenues.

Antoine Cordoba est carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice (photo Max Hasler)

Le carillon – Après l’ajout du premier « Trinitas » pour le passage à l’an 2000, l’abbaye, dont la réputation musicale n’est plus à faire, se lance dans un projet d’envergure : un carillon. L’idée vient d’un ancien élève du collège qui manifestait un attachement au patrimoine campanaire abbatial. Le chanoine Roten, alors maître de chœur, organiste et carillonneur de l’Abbaye entame ce projet qu’il allait superviser pendant presque trois ans. Le projet initial était plutôt modeste. Il prévoyait la construction d’un instrument de trois octaves (environ 37 cloches), utilisant toutes les cloches de 1818. Forte de son succès, la souscription fut plus prolifique qu’imaginée par la communauté. Le carillon a alors pu être étendu à quatre octaves (environ 50 cloches). Il a même été décidé que certaines des cloches de volée (les 4 plus petites) ne soient pas employées. Leur sonorité ne répondait pas aux exigences musicales d’un véritable instrument de musique. Elles ont cependant été conservées et continuent de sonner en volée. Après un appel d’offres lancé par l’Abbaye, c’est la fonderie hollandaise Royal Eijsbouts qui fut retenue pour réaliser 45 nouvelles cloches, allant de 1404kg pour la plus lourde à 9,1kg pour la plus légère. Elles ont été fondues à la fin de l’année 2003. Arrivées au mois de juin 2004, elles ont été bénies par le Père-Abbé Mgr Joseph Roduit le 20 juin 2004 avant d’être hissées dans le clocher. Durant l’été, les ouvriers se sont activés pour installer le beffroi métallique qui allait les supporter, la cabine du carillonneur qui allait abriter le clavier et la transmission. Le clavier -parlons-en- est dimensionné pour entrer au centimètre près dans la travée de la cloche Thébaine. Pour le pédalier, on a préféré la norme américaine et un pédalier droit au lieu d’une forme concave et radiale, pour qu’il puisse tenir en totalité dans l’espace restreint imposé. De plus, ce dernier ne s’arrête qu’au « la » du 2eme octave au lieu du « do » suivant. Notons que deux pédales ont été ajoutées en grave : l’une est reliée au bourdon Trinitas, et l’autre est vacante, pour un bourdon intermédiaire qui verra peut-être le jour dans un futur plus ou moins lointain. Le carillon possède donc la tessiture suivante : Sol#2-Do#3 chromatique Do#7 sans Ré3 (do# au clavier). On peut noter qu’il est transpositeur : le do n’est pas un do réel mais un do#3. Le carillon s’est calqué sur les deux grandes cloches respectivement sol# et do#. Le carillon a été inauguré en grande pompe le 22 septembre 2004, à l’occasion de la Fête Patronale par le Chanoine François Roten, son titulaire, et Andreas Friedrich, carillonneur de Carouge et alors président de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues Suisses. Le 26 septembre suivant, c’est le carillonneur d’Utrecht Arie Abbenes qui donne le concert inaugural retransmis pour l’occasion à la radio. Dès lors, le carillon est utilisé pour les fêtes religieuses (1eres et 2emes vêpres, et messe souvent pontificale) et pour quelques concerts plutôt occasionnels. En 2017, l’Abbaye innove en proposant un festival de carillon avec visites du clocher et plusieurs concerts. L’expérience devrait être reproduite dès 2019.

De gauche à droite, la cloche de sacristie, la cloche conventuelle et la cloche de la flèche

Les autres cloches – Pour compléter la description de l’impressionnant patrimoine campanaire de l’abbaye de Saint-Maurice, citons encore trois cloches de dimensions plus modestes. La première se trouve dans le clocheton qui trône au-dessus de chœur. Cette petite cloche nommée « Marie Elisabeth » a été fondue en 1988 par la fonderie Ruestchi. Elle remplace une ancienne cloche Livremont de 1752, hélas fêlée. Ses fragments sont encore conservés aujourd’hui. Les 42 kilos de « Marie Elisabeth » ont de la peine à rivaliser avec les presque 10 tonnes de la sonnerie à la volée du clocher! C’est pour cela qu’elle ne mêle pas sa voix avec ses grandes sœurs. Si aujourd’hui elle n’a aucune fonction attitrée, elle a servi de suppléante lors des travaux de 2012 durant lesquels toutes les cloches -ou presque- étaient dépourvues de leurs moteurs et battants. La deuxième cloche est plus près du plancher des vaches. Fondue en 1860 par Georges Paccard, cette cloche d’à peine 30 kilos a été redécouverte en 2015 entreposée dans le clocher. Nul ne sait la raison de sa fonte, son commanditaire ni son usage initial. Il a finalement été décidé de l’installer dans le chœur de la basilique, au-dessus de la porte de la sacristie. Depuis fin 2017, elle a la tâche de marquer le début des célébrations religieuses. La dernière cloche est la plus importante mais aussi la plus ancienne de l’abbaye encore en fonction : il s’agit de la cloche conventuelle. Disposée dans le corridor principal de l’Abbaye, à mi-distance entre les appartements du Père Abbé et du Révérend Prieur, cette cloche annonce chaque célébration et rassemblement propre aux chanoines, et ce depuis 1790. Cette cloche ne prend congé qu’entre la messe du Jeudi-Saint et le matin de Pâques, ou elle est remplacée par l’une des deux crécelles dont dispose l’Abbaye. Cette cloche estimée à 35 kilos porte la marque d’un fondeur Français « Goussel ». Cette dynastie aux origines lorraines n’a pas hésité à se déplacer dans différentes régions, jusque dans l’arc alpin.

Crédits
Textes : Claude-Michaël Mevs « Quasimodo » sauf « le carillon » et « les autres cloches » Antoine Cordoba
Photos : Antoine Cordoba (sauf mentionné)
Montage vidéo : Antoine Cordoba
Plans vidéo : Antoine Cordoba et Claude-Michaël Mevs
Prise de son : Antoine Cordoba

Remerciements chaleureux
Mgr Jean Scarcella, Abbé Territorial
Rd chne Roland Jacquenoud, Prieur Vicaire-Général
Chne Thomas Roëdder, Recteur & Sacriste

Sources :
« Les cloches de l’Abbaye », Léon Dupont-Lachenal, paru dans « Echos de Saint-Maurice », 1947, tome 45, p. 201-213
« Une nouvelle cloche à l’abbaye », article de François Roten, carillonneur, paru dans « Echos de Saint-Maurice », 2000, tome 95a, p. 30-34. © Abbaye de Saint-Maurice 2014
http://abbaye-stmaurice.ch/page.php?id=fr56
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_territoriale_de_Saint-Maurice_d’Agaune

Cloches – Nyon (CH-VD) temple réformé

L’odyssée des cloches baladeuses

-Cloche 1, note do#3 +-0/100, diamètre 149cm, poids 1922kg, coulée en 1936 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 2, note mi3 +9/100, diamètre 124cm, poids 1’097kg, coulée en 1936 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 3, note fa#3 +8/100, diamètre 105cm, poids 780kg, coulée en 1518 par Guillaume Poctet et Nicolas Balley de Genève
-Cloche 4, note la3 +10/100, diamètre 93cm, poids 468kg, coulée en 1936 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 5, note si3 +87/100, diamètre 73cm, poids 310kg, coulée en 1446 par Jean Perrodet de Genève
-Cloche 6, note do#4 +47/100, diamètre 74cm, poids 243kg, coulée en 1936 par Ruetschi d’Aarau
[Cloche 7 (au tintement seulement), note ré#4 -19/100, diamètre 58cm, poids 100kg, coulée en 1617, signature « IG »]
la3 =435Hz, déviation en 1/100 de 1/2 ton

Ecoutez les solos des 7 cloches !

Jadis église Notre-Dame, le temple de Nyon est dédié au culte réformé depuis 1536. C’est le plus ancien sanctuaire chrétien de la ville. Il est inscrit comme bien culturel d’importance nationale. Un temple romain consacré au culte de Mithra a cédé sa place au VIIIe siècle à une première église, remplacée au XIIe siècle par l’édifice actuel. Au chœur roman est venu s’adjoindre la nef gothique au XIVe siècle. Le clocher médiéval dut être abattu en 1795 en raison de graves problèmes de statique. Dessinée dans le style néo-roman, la tour actuelle ne date que de 1936. Sa construction en béton armé n’a nécessité en tout et pour tout que trois mois ! De 2012 à 2016, le temple bénéficie d’une restauration complète. On assiste notamment à un relevage de l’orgue construit par Samson Scherrer en 1780. La travail a été confié au facteur d’orgues Pascal Quoirin à Saint-Didier près de Carpentras. La sonnerie s’est également enrichie de deux cloches… pas vraiment nouvelles !

Odyssée mouvementée que celle des cloches de Nyon ! Le clocher du temple, abattu en 1795, disposait de 4 cloches, dont une dans son lanternon. Pacotte, la plus grande cloche, d’un poids de 1’400kg, fut brisée sur place. La deuxième, donnée à 1’100kg, fut vendue à un Morgien du nom de Guibert. Une troisième cloche d’environ 800kg, coulée en 1518 pour l’église Saint-Jean détruite à la Réforme, se trouvait aussi au temple. Elle fut par bonheur conservée après 1795 pour être placée dans la Tour de l’Horloge toute proche où on lui adjoignit la compagnie d’une cloche neuve coulée en 1797 par Dreffet (ndlr : Pierre Dreffet à Vevey selon « Le Conteur Vaudois » ou Jean-Daniel Dreffet à Genève selon les inscriptions de l’actuelle cloche 4). Si la cloche de 1797 a été brisée en 1936, son aînée fut ramenée au temple après l’édification du nouveau clocher. En cette fameuse année 1936, pour commémorer dignement les 400 ans de la Réforme, il fut passé commande chez Ruetschi de quatre nouvelles cloches en do#3. On pensait alors qu’un bourdon en la2 serait ajouté ultérieurement quand les finances le permettraient. Une vaste travée lui resta d’ailleurs longtemps réservée. Mais en 2016, on choisit d’installer deux petites cloches historiques jusque là reléguées au Musée Historique de Nyon. Une cloche d’horloge, qui se trouvait vraisemblablement dans le lanternon de l’ancien clocher, a ainsi retrouvé sa première mission : elle tinte désormais les heures et les demies. Cette cloche, datée de 1617, a beaucoup voyagé : après destruction du vieux clocher, elle a été accrochée dans un clocheton dressé sur le toit du temple et démonté en 1936. La cloche s’est alors retrouvée un temps au-dessus du bâtiment des postes ! 2016 a vu aussi la remise en service d’une cloche de 1446, aujourd’hui équipée pour sonner à la volée après réparation de son cerveau.

Galerie archives : à gauche, le temple de Nyon avant 1936. A droite, le bâtiment de l’ancienne de poste de Nyon (toujours existant). On distingue la cloche de 1617 installée sur le faîte du toit.

Détails des cloches
Les cloches 1, 2, 4 et 6 portent toutes la signatures de Ruetschi d’Aarau et la date de 1936. Elles sont ornées des armoiries de la ville de Nyon et portent toutes la mention : QUATRIEME CENTENAIRE DE LA REFORMATION DANS LE PAYS DE VAUD. On y trouve en outre les inscriptions suivantes
Cloche 1 : OFFERTE PAR LA POPULATION NYONNAISE / LA PAROLE DE DIEU DEMEURE ETERNELLEMENT. PIERRE II, 25
Cloche 2 : DON DES DAMES DE LA PAROISSE DE NYON / GLOIRE A DIEU DANS LES CIEUX TRES HAUTS. LUC II, 14
Cloche 4 : CETTE CLOCHE REMPLACE CELLE DE 1797 FONDUE A GENEVE / BIENVEILLANCE ENVERS LES HOMMES. LUC II, 14. Note: un inventaire mentionné par le Conteur Vaudois en 1924 mentionne que cette cloche aurait été fondue par Dreffet (Pierre) de Vevey et non son cousin Jean-Daniel établi à Genève.
Cloche 6 : DON DES ECOLES DE NYON / DE LA BOUCHE DES ENFANTS TU TIRES TA LOUANGE. PS VIII, 3
La cloche 3 (1518) est la plus richement décorée. Elle arbore 10 motifs sous des arcades gothiques. On reconnaît Jésus portant la croix de même que certains apôtres. Inscription : Iiis maria eraclius paulus aquilinus arnicius alexander valerianus macrinus gordianus orate pro nobis mvxviii. (Jésus, Marie, huit noms de saints, priez pour nous, 1518). Note : les points de frappe de la cloche ont été rechargés en 2016
La cloche 5 (1446) arbore deux fois la Vierge à l’Enfant et deux fois le Christ de Pitié. On y lit aussi : IHS ANNO MILLESIMO CCCC XLVI AVE MARIA GRATIA PLENA DOMINUS TACOM. Note : le cerveau de la cloche a été réparé en 2016.
La cloche 7 (cloche d’horloge) présente des têtes d’angelots et des motifs floraux. Inscription : SOLI DEO GLORIA IG 1617

Quasimodo remercie chaleureusement
Annette Besson, architecte et cheffe de projet à la ville de Nyon
Victor Allaman, sacristain
France Richard, ancienne sacristine
Mes excellents amis campanaires Antoine Cordoba, carillonneur à Saint-Maurice, et Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_de_Nyon
https://www.lacote-tourisme.ch/fr/P6661/temple-de-nyon
http://www.notrehistoire.ch/medias/101947
https://blogs.nyon.ch/archivistes/eclairage-sur-le-clocher-du-temple-de-nyon/
https://www.24heures.ch/vaud-regions/la-cote/orgue-1780-restaure-grand-maitre-artisan/story/26066408
« Le Conteur Vaudois » cahier no18, année 1924.
« Ville de Nyon, réhabilitation des deux cloches historiques du temple » dossier de presse par Fabienne Hoffmann, 17 mars 2016

Cloches – Villars-sur-Glâne (CH-FR) église Saints-Pierre-et-Paul

La métamorphose d’une sonnerie

-Cloche 1, note mi3 +11/100, diamètre 122cm, poids environ 1’100kg, coulée en 1960 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 2, note sol3 +35/100, diamètre 96cm, poids 520kg, coulée en 1840 par Louis Roelly de Fribourg
-Cloche 3, note si3 +10/100, diamètre 80.5cm, poids 330kg, coulée en 1838 par Louis Roelly de Fribourg
-Cloche 4, note ré4 -8/100, diamètre 67cm, poids 190kg, coulée en 1960 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 5, note sol4 -1/100, diamètre 51.5cm, poids 100kg, coulée vers 1350, non signée
(la3=435Hz, déviation en 1/100 de 1/2 ton) Présentation détaillée (inscriptions) plus bas

Nouveau beffroi de chêne, nouveaux jougs en bois, nouveaux battants, nouvelle motorisation… il fallait bien une nouvelle présentation de la sonnerie de Villars-sur-Glâne!

Une église aux origines obscures – La première mention d’une église à Villars-sur-Glâne remonte à 1156. D’habitude très prolyxe dans son Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg, Apollinaire Deillon avoue ne disposer que de peu de renseignements au sujet des édifices qui se sont succédé en ces lieux. Il est seulement question d’importantes rénovations en 1450 et en 1786. Lors de la démolition de 1915 furent mises au jour une fenêtre romane du XIIe siècle dans la nef ainsi que des feuilles de plomb indiquant que le clocher avait été reconstruit en 1754. Consacrée le 8 octobre 1916, l’imposante église Saints-Pierre-et-Paul est en forme de croix latine. Le coût des travaux, devisé à 150’000 francs, s’avéra au final inférieur aux prédictions, de quoi faire pâlir d’envie nos grands argentiers actuels ! Les plans sont l’œuvre de Frédéric Broillet (1861-1927), architecte et restaurateur d’art réputé, spécialiste de l’historicisme, comme en témoignent les églises de Cugy et d’Heitenried. Les vitraux dessinés par Henri Broillet ont été réalisés par la maison Kirsch & Fleckner. Signalons enfin l’orgue neuf du facteur Ayer-Morel à Vauderens.

Une sonnerie hétérogène typique de la région – Les ensembles campanaires fribourgeois ont cela de savoureux qu’ils ont été complétés au fil des siècles tout en conservant les anciennes cloches. C’est ainsi qu’on trouve dans le clocher de Villars-sur-Glâne deux cloches récentes (cl 1 et 4) coulées par Ruetschi d’Aarau en 1960. Sont également accrochées au beffroi deux œuvres de Louis Roelly de Fribourg réalisées en 1838 (cl3) et 1840 (cl2). Mention enfin à la pièce maîtresse de la sonnerie, la cloche no5, coulée au XIVe siècle. Non signée et non datée, ses décors rappellent beaucoup ceux de la deuxième cloche du sacristain de la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg. Il y a donc fort à parier que ces deux cloches soient l’œuvre du même fondeur. Au XIXe siècle déjà, on se rendait compte de la valeur historique de cette petite cloche médiévale : la cloche no2 arbore en effet cette affectueuse dédicace (en latin) la plus grande cloche a été faite pour que la plus petite, très ancienne, puisse être ménagée. Signalons aussi dans le clocher la présence d’une crécelle en bois, jadis utilisée pour appeler les fidèles durant le triduum pascal, ainsi qu’un mouvement horloger désaffecté. Même si le cadran de contrôle de cette belle méanique affiche Léon Crot – fabricant – Granges (Vaud), il faut savoir que cet horloger se contentait souvent d’assembler et de revendre des pièces fabriquées en France. Le mouvement de Villars-sur-Glâne est en fait un produit de la maison Prost/Paget à Morez (merci à Daniel Fonlupt, conservateur de la Maison des Horloges à Charroux). Insolite enfin, une petite cloche (diamètre 37cm) estampillée Burdin aîné de Lyon (fondeur inédit dans la région) déposée au premier étage du clocher. Cette cloche aurait sonné un temps dans le clocher de la chapelle des Daillettes, consacrée en 1945 et incendiée en 1979. Son joug calciné semble corroborer cette thèse. On ignore par contre quelle fut la première destination de cette petite cloche.

Présentation détaillée des cloches
-Cloche 1 : JE CHANTE LES LOUANGES DE MARIE DE L’ANGELUS DE L’AUBE A L’ANGELUS DU SOIR / FRANCOIS CHARRIERE, EVEQUE / DON DES PAROISSIENS / PARRAIN JOSEPH DREYER BLASER, PRESIDENT DE PAROISSE / MARRAINE MARIE ROUBATY-PYTHON / FONDERIE DE CLOCHES H. RUETSCHI S.A. AARAU 1960. Note : la cloche, de style moderne, porte l’effigie de la Vierge de l’Immauclée Conception sur un croissant de lune. Elle est aussi ornée des armoiries de Villars-sur-Glâne.
-Cloche 2 : PAROCHUS RDFNA WERRO /  PARRAIN MONSIEUR LE CAPITAINE JOSEPH DE RAEMY / MARRAINE MADAME MARIE-MADELEINE DE REYNOLD / IESUS MARIE JOSEPH / EXUSRGAT DEO ET DISSIPENTUR INIMITI EIUS / EX PECUNIIS A PAROCHIANIS VILLARIENSIBUS / PIA LIBERALITATE COLLATIS / CAMPANA MAIOR CONFECTA UT MINOREAQUE ANTIQUISSIMA ILLAESA MANEAT / ITAE CAMPANAE BENEDICTAE SUNT A CEL’S AC R D D PETRO TOB YENNI EPISC LAUSANNAE / FAITE PAR LS ROELLY A FRIBOURG 1840. Note : cloche de style néo-classique. Les anses sont garnies de mascarons masculins. Le col de la cloche porte une frise ornée de têtes d’anges et de flammes dressées. La robe arbore les effigies de la Sainte Famille et des apôtres Pierre et Paul.
-Cloche 3 : SIT NOMEN DOMINI BENEDICTUM / LAUDATE PUERI DOMINUM / LAUDATE NOMEN DOMINI / T R D NICOLAUS WERRO ERAT PAROCHUS / MONSIEUR IGNACE DE BUMAN PARRAIN / PHILIPPINE HELENE MADAME MARIE DE RAEMY NEE DE REYNONLD MARRAINE / GLORIA UN EXCELSIS DEO ET IN TERRA / PAX HOMINIBUS BONAE VOLUNTATIS / PIERRE PAUL APOTRES / ST NICOLAS / NOTRE DAME DE LOURDES. FAITE PAR LS ROELLY A FRIBOURG 1838. Note : de style néo-classique, cette cloche fut coulée en partie avec le bronze d’une ancienne cloche de 1609 pesant 470 livres. Les anses sont lisses mais la frise du col est identique à la cloche 2. Sur la robe, on trouve les effigies du Christ en croix, de Saint-Nicolas, de Notre-Dame de Lourdes et (comme sur la cloche 2) des apôtres Pierre et Paul.
-Cloche 4 : MON JOUG EST DOUX ET MON FARDEAU EST LEGER / DON D’ALFRED ET ALINE KOERBER A BULLE ET DE LOUIS KOERBER CURE / FONDERIE DE CLOCHES H. RUETSCHI AARAU. Note : la cloche, de style moderne, porte un bas-relief du Sacré-Coeur.
– Cloche 5 : +METE.. SACTA… SPOTANEA… DEO.. PRIE (mentem sanctam spontaneam honorem deo et patriae liberationem). Note : il s’agit d’une des cloches les plus anciennes du canton. Les Biens Culturels fribourgeois estiment qu’elle date de 1350 environ. Elle pourrait avoir été coulée par le même fondeur (inconnu) que la deuxième cloche du sacristain de la cathédrale de Fribourg
– Cloche déposée : BURDIN AINE FONDEUR A LYON 1891. Note : la cloche porte les effigies du Christ en croix et de la Vierge à l’Enfant.

Nature des travaux :
Les cloches étaient fortement encrassées. Les anciens moteurs de type Bochud perdaient en effet de l’huile qui a ruisselé et formé du cambouis au fil des ans. Le campaniste a commencé par nettoyer ces demoiselles de bronze avec soin, en prenant garde de préserver la patine des cloches historiques. Le beffroi et les jougs en acier de 1960 ont été démontés, de nouveaux jougs et une nouvelle charpente en chêne ont été réalisés. On peut lire sur cette dernière  cette phrase de Winston Churchill : Plus vous regarderez loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. Une maxime qui illustre de fort belle manière la longue et riche histoire de l’église et de la sonnerie. La motorisation (tintement et volée) de la sonnerie est neuve. Les nouveaux battants forgés sont en acier doux. Précisons qu’à l’heure où cet article est finalisé, d’autres travaux sont sur le point d’être menés : pose d’un plafond de bois dans la chambre des cloches pour en améliorer encore l’acoustique et l’aspect esthétique ; mise en place d’un dispositif d’éclairage nocturne de la chambre des cloches ; remplacement des cadrans d’horloge modernes de type « horloge de gare » par une reconstitution des cadrans d’origine (voir galerie photos d’archive plus bas). Sont encore à l’étude : la revalorisation de la petite cloche déposée et de l’ancien mouvement d’horloge. Un petit film de présentation des cloches de Villars-sur-Glâne est en cours de réalisation.

Galerie « archives ». Vous y trouverez des photos de l’ancienne église, de la nouvelle église avec ses anciens cadrans d’horloge et de la bénédiction  des cloches de 1960.

Mes plus vifs remerciements au Conseil de Paroisse de Villars-sur-Glâne pour sa confiance lors de ces importants travaux de restauration. Merci aux sacristains pour leur gentillesse et leur disponibilité. Merci aux campanistes de Mecatal, Jean-Paul Schorderet et son équipe, pour cette belle collaboration. Merci enfin à mes vaillants camarades campanaires sans qui l’enregistrement audio-vidéo n’aurait pas été possible : Antoine « Cloches74 » carillonneur à St Maurice et à Taninges, et Dominique « Valdom68 » responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources (autres que mentionnées plus haut)
Inventaire réalisé par les Biens Culturels de l’Etat de Fribourg
Le patrimoine campanaire fribourgeois, éditions Pro Fribourg (2002)
L’église centenaire de Villars-sur-Glâne 1916-2016, Michel Charrière, édité par la paroisse
https://www.villars-sur-glane.ch/fr/prive-par-theme/la-commune/historique/leglise-paroissiale-saints-pierre-et-paul.html
https://www.villars-sur-glane.ch/fr/prive-par-theme/la-commune/historique/la-chapelle-des-daillettes.html
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F44717.php
http://www2.fr.ch/bcuf/Dynamic.aspx?c=2934
http://www3.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1687-11-6-1/

Cloches – Morges (CH-VD) temple réformé

Do# mi mi fa# !

-Cloche 1, note do#3 -55/100, coulée en 1821 par Louis Golay de Morges
-Cloche 2, note mi3 -26/100, coulée en 1645 par Michel Jolly et Nicolas Humbert, saintiers lorrains
-Cloche 3, note mi3 -37/100,  coulée en 1774 par Jean-Daniel Dreffet de Coppet établi à Genève
-Cloche 4, note fa#3 -32/100, coulée en 1778 par Jean-Daniel Dreffet de Coppet établi à Genève
(la3 = 435Hz, déviation en 1/100 de 1/2ton)

Le temple de Morges compte parmi les plus imposants et les plus beaux édifices baroques tardifs de Suisse romande avec le temple Pestalozzi d’Yverdon-les-Bains et l’église Saint-Laurent de Lausanne. Ces trois édifices ont la particularité de combiner à divers degrés des éléments architecturaux baroques et classiques. La construction du temple de Morges débute en 1769 sur des plans de l’architecte bernois Erasme Ritter. Mais en 1771, le clocher, plus imposant que sur les plans, s’affaisse, provoquant d’importants dégâts à la façade arrondie. On peut déplorer la perte d’une intéressante exception architecturale dans la région. Le chantier est poursuivi par le lausannois Rodolphe de Crousaz et le lyonnais Léonard Roux, membre associé de l’académie royale d’architecture et de l’académie de Lyon. Une nouvelle façade et un nouveau clocher sont érigés, ils reprennent avec goût les éléments sculptés de la précédente construction. La dédicace du temple a enfin lieu en 1776. Un an plus tard à peine, la tribune est réaménagée pour accueillir l’orgue. Le portail sud est réalisé en 1885. La chaire élaborée en 1786 est transformée en 1895. Les seuls vitraux sont ceux du chœur. Représentant les réformateurs Pierre Viret et Ulrich Zwingli, ils ont été confectionnés en 1896 par Wehrli de Zurich. L’orgue est un instrument Kuhn de 1951 occupant un buffet de 1896. Le buffet historique de 1778 est exposé au musée suisse de l’orgue à Roche. La table de communion (1634) et certains éléments des stalles proviennent de l’ancienne église, attestée dès 1306, et dont le chœur est reconstruit en 1508. Morges devient réformé en 1536.

Deux cloches égrenant la même note ! On peut s’étonner qu’Auguste Thybaud, l’infatigable accordeur de cloches vaudois, ne se soit pas manifesté ici. Cette particularité musicale pourrait suffire à elle seule à attirer l’attention du campanophile sur la sonnerie du temple de Morges. Ce n’est pourtant de loin pas le seul attrait de ces quatre cloches. La plus ancienne (cloche no2) est antérieure au temple. Elle a été coulée en 1645 par deux fondeurs originaires du Bassigny. Et là encore, l’attention du passionné s’éveille ! Cette région de Champagne-Ardenne n’est-elle pas réputée pour avoir engendré les meilleures lignées de saintiers ? Michel Jolly et Nicolas Humbert – car c’est d’eux qu’il s’agit – figurent dans de nombreux inventaires réalisés en Suisse romande. Certaines de leurs cloches ont hélas disparu. On pense notamment à l' »Accord » de la cathédrale de Genève, coulé en 1678 et refondu par Samuel Treboux de Vevey en 1845 (actuelle cloche no2 de Saint-Pierre). Heureusement que la magnifique cloche « Cloche des Trois Heures », coulée en 1674 pour la cathédrale de Lausanne nous est parvenue. Confectionnée par Michel Jolly et le Veveysan Jean Richenet, ce fruit d’une collaboration unique a été déplacé en 1898 à l’église Saint-François. Le clocher du temple de Morges renferme aussi deux cloches réalisées en 1774 et 1778 par Jean-Daniel Dreffet (1746-1817). Ce fondeur originaire de Coppet établi à Genève a essentiellement travaillé pour le canton de Vaud. Sa plus importante réalisation, une cloche de 1’200kg coulée en 1784, sonne toujours dans le clocher du temple de Baulmes. Jean-Daniel Dreffet  semble être le cousin germain de Pierre Dreffet (1752-1835) lui aussi fondeur de cloches, mais établi à Vevey. Cet inventaire du clocher du temple de Morges ne serait pas complet sans la grande cloche, coulée en 1821 par Louis Golay. Le fondeur local n’a eu qu’une production campanaire confidentielle si on le compare à son concurrent veveysan de l’époque. Il est toutefois intéressant de noter que des cloches Golay ont été recensées par le carillonneur savoyard Antoine Cordoba dans les clochers de Thollon et de Neuvecelle. Dans le canton de Vaud, on se souviendra longtemps encore de Louis Golay comme le constructeur de cette fameuse pompe à incendie qui sauva la cathédrale de Lausanne d’une destruction certaine en 1825. Deux mots enfin des cloches qui précédèrent celles qui chatouillent aujourd’hui les oreilles des Morgiens. La Revue Historique Vaudoise mentionne dans son édition de 1928 une cloche d’environ trente quintaux (1’500kg, ndlr) coulée en 1602 par Pierre Guillet de Romont avec le bronze de deux cloches plus petites. Il est également écrit qu’un certain Pierre Belfraire, serrurier à Romont, fut chargé de refaire les ferrures d’une autre cloche. Aucune des deux cloches mentionnées ne nous est parvenue. Le lanternon renferme encore deux petites cloches, vraisemblablement utilisées autrefois pour l’horloge. Leur accès est prohibé.

Les quatre cloches portent toutes des ornements et des inscriptions extrêmement soignés
-Cloche 1, tout au bas de la robe : AUJOURD’HUI QUE VOUS ENTENDEZ MA VOIX N’ENDURCISSEZ PAS VOS COEURS PROSTERNEZ-VOUS ET FLECHISSEZ LE GENOU DEVANT CELUI QUI VOUS A FAIT. La cloche porte aussi la signature de son fondeur dans un cartouche entouré de flammèches, d’angelots et de fleurs en bouquets FAIT PAR LOUIS GOLAY MAITRE FONDEUR A MORGES 1821. Figurent encore les armoiries de la ville et – au verso, sur la quasi-hauteur de la robe : MEMBRES DU CONSEIL MUNICIPAL Samuel GUEX syndic – A Louis DAPPLES – Samuel RENEVIER – Samuel MURET – Daniel BOURGEOIS – Abraham HUGONET – A Louis DEPETRA – J Henri WARNERY – Benjamin JAIN – François FOREL – J L E Henri MONOD – Emanuel WARNERY – Samuel GLAIRE – Samuel PACHE secrétaire – Benjamin DELLIENI inspecteur.
-Cloche 2, sur le col : PAR TA BONTE NON PAREILLE ENTRE PLUS AVANT AU COEUR QUE MON SON DEDANS L’OREILLE. Figure aussi, aux deux tiers de la robe, le nom – vraisemblablement – du donateur : SIEUR JEAN PAUL (… nom de famille caché par le marteau…) Mre CHIRURGIEN GOUVERNEUR 1645. Les anses, typiquement baroques, portent de superbes mascarons représentent des visages masculin affichant diverses émotions (rire, frayeur, colère)
-Cloches 3 et 4 : elles sont nettement moins bavardes en texte, mais de facture tout aussi soignée avec leurs frises de flammèches baroques. Toutes deux portent la signature de leur fondeur dans un cartouche entouré d’une cordelette et cerné de têtes d’angelots. On peut lire, pour la cloche 3 : FAITE PAR JEAN-DANIEL DREFFET MAITRE FONDEUR DE COPPET 1774. Variante – et c’est intéressant – pour la cloche 4, datée de 1778: GENEVE remplace COPPET !

Duo virtuel des deux cloches en mi. Arrive d’abord la cloche de 1645, rejointe quelques secondes plus tard par la cloche de 1774. On remarque bien la sonorité relativement classique de la première et les partiels baroques (prime très haute) de la seconde.

Les quatre cloches sont accrochées à leurs jougs en bois d’origine. La grande cloche est équipée en super-lancé, mode de volée plutôt rare dans la région. Bien que considérée comme cloche no2 dans l’ordonnance de sonnerie, la cloche de 1645 est légèrement plus aiguë que la cloche numérotée en 3. Son profil est par contre nettement plus lourd. Le clocher renferme encore une horloge mécanique Baer de Sumiswald datée de 1943 modifiée pour la synchronisation horaire par la maison Muri. Les quarts sont frappés sur les cloches 4 et 2, l’heure est tintée sur la grande cloche.

Quasimodo remercie chaleureusement :
Yves-Marc André, responsable des bâtiments de la ville de Morges
Marc Binggeli, chef de service
Jacques-André Henri, président du conseil paroissial Morges-Echichens
Giovanni Di Giacomo, concierge.
Merci aussi à mes excellents amis campanaires Antoine Cordoba, carillonneur à Saint-Maurice, et Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.
Merci enfin à Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, président de la GCCS, pour les précieux renseigements complémentaires.

Sources
https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_de_Morges
https://cloches74.com/
http://gtell.over-blog.org/article-la-fonderie-deux-cents-ans-de-vie-et-d-histoire-vaudoises-122109867.html
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1897-11-6-1/
Les fondeurs de nos cloches, Alfred Chapuis et Léon Montandon, extrait de la Revue Neuchâteloise, 1923
Les cloches du canton de Genève, A. Cahorn, 1921
Nos vieilles cloches, extrait de la Revue Historique Vaudoise, 1928
Panneaux d’information rédigés par la section monuments et site du canton de Vaud