Cloches – Mézières (CH-VD) temple réformé

La grande cloche se trouvait jadis à Payerne

Cloche 1, note ré#3 -2/16, poids 1’400 kg, coulée en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel
Cloche 2, note fa#3 +7/16, coulée en 1811 par Jean-Baptiste Pitton de Carouge
Cloche 3, note la#3 -3/16, coulée en 1518

Bienvenue dans le Jorat ! Ce coin de pays jadis tant redouté en raison de ses voleurs de grand chemin (les fameux Brigands du Jorat) recense de nos jours un nombre croissant d’habitants en raison de sa proximité avec la région du Léman et tout spécialement Lausanne. La commune de Jorat-Mézières est née de la fusion en 2014 de Ferlens, Carrouge et Mézières. Ce Mézières – attention – se trouve en terre vaudoise ! Il n’est pas à confondre avec son homonyme fribourgeois, situé non loin de Romont, et dont les cloches avaient fait l’objet d’une présentation ici-même en 2016. Mézières VD, je vous y emmène aujourd’hui afin de découvrir son temple, qui n’est autre que le lieu de culte principal de la commune fusionnée. Mais avant cela, je m’en vais vous conter une anecdote qui ne devrait pas manquer se susciter l’intérêt des héraldistes… et des amateurs de théâtre.


Les pommes de terre de la colère

Pourquoi des fleurs de pomme de terre ornent-elles le blason communal de Jorat-Mézières,  ? La réponse à cette question est à trouver dans un embryon de révolte en 1790, au temps de l’Ancien Régime, durant les dernières années de la domination bernoise sur le canton de Vaud. Et cette anecdote débute justement… devant le temple de Mézières.

Le pasteur Martin, en place à Mézières de 1779 à 1792, a l’impudence d’affirmer, à la sortie d’un culte, que les pommes de terre étant un légume et non des céréales, la dîme (impôt correspondant à un dixième des récoltes) n’en est pas due. Le Châtelain Reymond s’empresse de rapporter – en les dénaturant –  ces paroles au seigneur de Carrouge, Bernard de Diesbach, qui les transmet immédiatement au Sénat de Berne. Le pauvre pasteur, accusé de haute trahison, est emprisonné pendant quatre longs mois avant de voir son innocence reconnue. Le délateur Reymond est destitué et le pasteur Martin reçoit une indemnité de 100 louis d’or.- Il effectue un retour triomphal à Mézières où il est accueilli en héros.

Le canton de Vaud se libérera du joug bernois en 1798 avant de devenir un canton suisse à part entière en 1803. Pour être complet avec cette anecdote, sachez que l’affaire du pasteur Martin n’explique pas seulement la présence de ces fleurs de pomme de terre sur le blason communal. Ce faits historique a aussi donné naissance à l’un des joyaux du théâtre romand. En effet, pour le centième anniversaire du canton, une pièce de théâtre de René Morax, intitulée « La Dîme », est donnée à Mézières. Inspiré de l’affaire du pasteur Martin, le spectacle rencontre un grand succès. C’est ainsi que naquit l’idée de construire en ces lieux le Théâtre du Jorat, cette célèbre salle de spectacle toute de bois qui propose aujourd’hui encore une programmation culturelle renommée.


Un vrai temple vaudois

Une église paroissiale est mentionnée à Mézières en 1228, elle est affectée au culte réformé à partir de 1536. Le temple que nous connaissons aujourd’hui est bâti au même emplacement en 1706 (le massif clocher ne sera achevé qu’en 1731). Parmi les éléments de mobilier historique, on peut citer la très belle chaire de pierre arborant les armes de la famille Clavel et son abat-voix de bois du plus bel effet. La table de communion date – elle aussi – du XVIIIe siècle alors que les vitraux du chevet ont été dessinés par le peintre Louis Rivier en 1923. Un chevet à trois pans que l’on retrouve dans un très grand nombre de temples vaudois de la même époque. Signalons encore l’orgue Mingot de 1985, il remplace un instrument réalisé par Kuhn en 1892.


Auguste Thybaud, encore lui !

Pourquoi la grande cloche du temple de Mézières porte-t-elle les noms de notables de la commune… de Payerne ? Nous sommes dans le canton de Vaud et les fidèles lecteurs de cette page internet devinent que je vais une nouvelle fois leur sortir le nom d’Auguste Thybaud. Le fameux accordeur de cloches vaudois a sévi ici en 1895 avec deux de ses tactiques habituelles : l’accordage et l’échange de cloches.

La grande cloche du temple de Mézières (photos ci-dessus) a donc été coulée en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel pour le clocher de l’église paroissiale de Payerne. Il s’agit de la refonte d’une cloche de 1602, vraisemblablement coulée par Pierre Guillet de Romont, qui signa un an plus tard le bourdon de l’abbatiale de cette même ville de Payerne. Dépeinte comme lugubre dans les études de l’époque, la cloche Guillebert est remplacée en 1895 par une  cloche en provenance d’Aubonne (le temple d’Aubonne vient alors de recevoir trois cloches neuves). Rachetée par la commune de Mézières qui ne possédait jusque là que deux cloches, la cloche de Guillebert est acheminée aux Ateliers Mécaniques de Vevey pour y être accordée par alésage. Elle en ressort après avoir perdu 70 kg de bronze, sa note est désormais le mi bémol 3 pour un poids de 1’400 kg. Un accordage ultérieur semble avoir effectué en sus, compte tenu de la teinte du bronze au point de frappe.

Seule la cloche no2 (photos ci-dessus) coulée par Jean-Baptiste Pitton en 1811 nous est parvenue « dans son jus ». La petite cloche gothique – elle aussi – a été burinée pour que l’ensemble se retrouve harmonisé selon les critères de Thybaud. Sachant que cette vénérable cloche date de… 1518, on peut comprendre qu’au XIXe siècle déjà, des défenseurs du patrimoine, comme l’archéologue cantonal vaudois Albert Naef, s’insurgeaient contre les pratiques d’Auguste Thybaud.

Il n’empêche que cette tactique de recyclage a sans doute permis d’éviter la refonte pure et simple d’un certain nombre de cloches historiques, comme ce fut trop souvent le cas en Suisse alémanique. Et comme dans la quasi-totalité des communes qui ont fait appel aux services d’Auguste Thybaud, on constate que la satisfaction était de mise, comme vous pouvez le lire dans cette archive.

Tiré de « L’Echo de la Broye » du 7 décembre 1895

La décision de motoriser les cloches du temple de Mézières remonte à 1947. On pouvait lire dans la Feuille d’Avis de Lausanne du 21 février ces quelques lignes un brin nostalgique : Le temple de Mézières va voir ses cloches s’ébranler bientôt au simple commandement du fluide électrique. Signe du temps : la fée venue des Alpes a tué le tireur de cordes. Pourvu que par ses caprices, l’électricité n’oblige pas les cloches à rester silencieuses !


Des fondeurs emblématiques

Les artisans qui ont réalisé les cloches du temple de Mézières ne sont de loin par des inconnus ! Commençons par le fondeur de la grande cloche, Gédéon Guillebert. La famille Guillebert – comme nombre de fondeurs de cloches réputés – est originaire du Bassigny, dans l’ancienne province française de Champagne (aujourd’hui région Grand-Est). Les Guillebert semblent s’être établis à Neuchâtel vers 1680. Gédéon est reçu dans la compagnie des Favres, Maçons et Chappuis en 1686.  Dans le cahier du Musée Neuchâtelois de 1915, on peut lire que Gédéon offrit en 1709, année de sa réception comme bourgeois de Neuchâtel, une cloche pour sonner le tocsin, mais il fut éconduit. C’est l’un des fils de Gédéon, Jean-Henry, qui coula en 1724 la cloche de la chapelle de Carrouge, toujours sur le territoire communal de Jorat-Mézières.

Signature Guillebert bien visible sur la petite cloche datée de 1734 de la maison de commune de Cugy (VD)

Mais la plus importante réalisation de la famille Guillebert se trouve à Lausanne : la grande cloche de l’église Saint-François, coulée par Jean-Henry et son frère Jean-Jacques en collaboration avec un autre Neuchâtelois : Pierre-Isaac Meuron de Saint-Sulpice. Cette cloche a été coulée à l’origine pour la cathédrale (elle a été déplacée en 1898 par Auguste Thybaud – toujours lui – dans le cadre du chantier d’harmonisation des cloches de la ville de Lausanne). On peut en déduire que les Guillebert devaient jouir d’une certaine aura ou disposer de solides références.

Si le nom de Jean-Baptiste Pitton (le fondeur de la cloche no2) est passé à la postérité, c’est essentiellement en raison de son disciple le plus célèbre. Quant Pitton est appelé à Quintal (F-74) en 1796 pour y repeupler le clocher vidé par les Révolutionnaires, il embauche comme assistant un certain Antoine Paccard, qui choisit alors d’embrasser la carrière de fondeur. Les descendants d’Antoine suivent la même voie, et aujourd’hui encore, la fonderie Paccard réalise avec succès des cloches dans son atelier de Sévrier sur les bords du lac d’Annecy. Cette entreprise familiale se définit comme le leader mondial du carillon.


Peu d’images saintes, mais des noms à profusion

Antérieure à la Réforme, la cloche no3 (photos ci-dessous) du temple de Mézières est la seule a arborer des effigies saintes. On peut notamment y admirer un très beau saint Pierre et un magnifique Christ en Croix réalisés avec le plus grand soin. On peut aussi y lire Louez Dieu avec des cymbales (Psaume 150).

Ce verset figure également sur la cloche no1, qui comme expliqué plus haut, a été coulée à l’origine pour l’église paroissiale de Payerne. On ne s’étonnera donc pas d’y trouver les noms et les armoiries de notables tels que David de Treytorrens, banderet de Payerne et de David Gachet, avoyer de Payerne.

La cloche no2 se distingue par le grand nombre de notables dont elle arbore les noms, du col à la faussure : Louis-Daniel Morel, pasteur ; Jean-Daniel Rod, gouverneur ; Jean-Daniel Pythod, juge de paix ; Jean-Louis Nicola, syndic de Carrouge ; Daniel Pasche, adjoint de Servion ; Pierre Pouli, syndic de Collaies (ajd Les Cullayes) ; Jean-Grégoire Rod, syndic de Ropraz ; Michel Jordan, syndic de Mézières ; Jean-Michel Chenevard, greffier de Mézières ; Pierre-Daniel Cavin, syndic de Corcelles ; Jean-Pierre Libot, greffier de Valliens (aujourd’hui Vulliens) ; Louis Nicolas, juge de district.


Une horloge à la retraite

C’est une horloge-mère récente de marque Perconta, installée par la maison MHM, qui gère aujourd’hui le temps dans le clocher du temple de Mézières. Les heures et les quarts sont tintés par des frappes lâchées activées par un système de cames. Bien que désaffectée, l’horloge mécanique est encore en place sous la chambre des cloches. Ce mouvement à trois corps de rouages, conçu par Paul Odobey fils à Morez, a été installé en décembre 1905, comme l’indique la notice apposée dans le bâti. Y figure même la signature manuscrite de l’horloger-installateur, apparemment Charles Cavin. La notice explique dans les détails la manière dont le mouvement horloger devait être graissé et nettoyé… attention, c’est très technique : tous les 15 jours, mettre quelques gouttes d’huile sur les chevilles de la roue d’échappement et aux frottements des dents en acier qui servent à faire lever le marteau (…) Tous les 3 ans, il faut enlever l’huile qui découle des parties graissées et la poussière sur les pièces et les rouages de l’horloge (…) Les dentures des roues et pignons seront frottées et nettoyées avec un chiffon gras ou une petite brosse. 

Il est aussi expliqué comment ajuster la précision de l’horloge en tournant l’écrou sous la lentille du balancier. La mise à l’heure, elle, s’effectue en desserrant l’écrou à ailes placé sur l’avant du mouvement. Cette mise en garde, enfin : pour éviter la rupture des cordes (des poids, ndlr) il est essentiel d’éviter les butées au remontage. Ces butées ont pour effet de rompre les fils et de décâbler les cordes. Mise en garde ô combien utile quand on sait que durant les dernières années de son fonctionnement, l’horloge était remontée au moyen d’un moteur électrique positionné sur des rails et que le préposé venait brancher sur l’axe dédié à la manivelle.


Conclusion

C’est un temple et son ensemble campanaire typiquement vaudois que je viens de vous présenter ici, à cent lieues des immenses églises néogothiques et des bourdons du canton de Fribourg pourtant tout proche. Je pourrais même dire que le clocher et les cloches de Mézières sont étonnamment gros pour un village vaudois de cette importance. Les communes voisines ne disposent en effet chacun que d’une ou deux petites cloches dans des édifices nettement plus modestes. Typiques sont aussi ces ensembles hétérogènes de cloches de différentes époques, du Moyen-Age au XIXe siècle. C’est enfin sans surprise que notre chemin a croisé ici encore celui d’Auguste Thybaud. Nul doute que le nom de ce personnage à la fois controversé et fascinant réapparaîtra tout bientôt sur ces pages.


Quasimodo remercie
-La commune de Jorat-Mézières : Philippe Bach, responsable du service de la voire; Valérie Ethenoz et Valérie Pasteris, du bureau du Greffe municipal.
-Mes amis qui m’ont accompagné lors de ma visite et qui ont chacun contribué à la réalisation de ce reportage : Antoine Cordoba, carillonneur de l’Abbaye de Saint-Maurice https://cloches74.com/ ; Dominique Fatton, responsable du temple de Buttes ; Luc Ramoni, pasteur à l’Eglise évangélique réformée de Bienne https://www.ref-bienne.ch/accueil/contact/pasteures/

Sources (autres que mentionnées)
https://www.jorat-mezieres.ch/
Affichage public
Fonds privés

2 réflexions au sujet de « Cloches – Mézières (CH-VD) temple réformé »

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