Cloches – Baulmes (CH-VD) hôtel de ville

Une cloche civile sonnée à la corde et régulièrement sollicitée.

Cloche (seule et unique) note do4 -4/16, coulée en 1900 par Paintandre frères à Vitry-le-François (F-51).
Sonneur : Antoine Cordoba, carillonneur de l’Abbaye de Saint-Maurice.

Après son temple à la sonnerie monumentale, après sa tour de l’horloge, il est temps pour vous, amis des cloches, de découvrir le dernier des trois édifices publics de Baulmes à disposer d’une cloche : l’hôtel de ville. Même si la petite dernière est la plus légère et la moins ancienne du territoire communal, vous constaterez que son histoire n’est pas dénuée d’intérêt. Aujourd’hui encore, elle est actionnée à la corde, et contrairement à de nombreuses cloches civiles, elle donne régulièrement de la voix, au tintement comme à la volée. Il est important de mentionner que la cloche de l’hôtel de ville de Baulmes est la dernière pièce d’une partie de puzzle entamée en 1891 par trois protagonistes : un accordeur de cloches vaudois, une fonderie champenoise et un village du Nord-Vaudois en pleine mue industrielle.

Le village de Baulmes vu des contreforts du Jura. Crédit photo : www.richesses-patrimoniales.ch


Baulmes, entre sylviculture, agriculture et industrie

Avant de développer le chapitre consacré à la cloche, j’avais envie de vous parler un peu de ce beau village de Baulmes. Il se situe dans le Nord-Vaudois, sur les contreforts du Jura, à une altitude de 640 mètres, plus précisément sur le cône de déjection de la Baumine, rivière aujourd’hui en partie souterraine. La fondation de Baulmes semble remonter au VIe siècle de notre ère, avec la construction d’un monastère, longtemps rattaché à celui de Payerne dépendant lui-même de Cluny. Voilà pourquoi Baulmes et son église sont aujourd’hui intégrés au réseau des sites clunisiens répartis dans toute l’Europe. Malgré la présence d’une importante industrie de tissage dès le XVe siècle, la vocation de la commune a longtemps été agricole et forestière. L’inauguration en 1893 de la ligne de chemin de fer Yverdon – Sainte-Croix permet à Baulmes de connaître un important essor industriel. On pense notamment à la Société des chaux et ciments, active entre la toute fin du XIXe du siècle et les années 1960. Ses bâtiments ont aujourd’hui disparu, mais les 17 kilomètres de galerie creusés sous le Jura existent toujours et demeurent les témoins de ce passé industriel florissant.

Baulmes en 1950. On aperçoit à droite les bâtiments de la Société des Chaux et Ciments. Crédit photo : Alphonse Kammacher @ L’Omnibus du 18 septembre 2020


Un hôtel de ville édifié avec le plus grand soin

Intéressons-nous maintenant à l’hôtel de ville de Baulmes. C’est en 1894 déjà qu’est émise l’idée de remplacer l’ancien édifice. La décision officielle est prise le 27 juin 1898. Un appel d’offre est lancé aux architectes par voie de presse en janvier 1899. Ce ne sont pas moins de 24 projets qui sont adressés au jury composé des architectes Melley de Lausanne, Fuchslin à Zurich et Brémont à Genève. Après délibération les 9 et 10 mai, le premier prix, doté de 450fr, est attribué au Neuchâtelois Jean Béguin pour son projet devisé à 180’000 fr. La première pierre est posée le 18 juin 1899 et l’hôtel de ville est officiellement inauguré le 14 décembre 1901. Les travaux de maçonnerie sont réalisés par Charles Mério, l’entrepreneur yverdonnois qui vient tout juste de réaliser les bâtiments de la Société des chaux et ciments. Outre les locaux de l’administration communale, l’hôtel de ville est doté d’un logement de fonction, de salles de classe et même d’une salle de théâtre.

Résultat du concours d’architecture de l’hôtel de ville de Baulmes dans le « Nouvelliste Vaudois » du 13 mai 1899

Le Nouvelliste vaudois du 27 décembre 1901 nous donne d’intéressantes informations au sujet du précédent hôtel de ville de Baulmes daté du XVIe siècle.

En 1593, Pierre Jaccaud fonda par testament l’hôpital de Baulmes qui, en 1676, y fut installé. Il obtint, en 1788, droit d’auberge. Les dernières réparations y ont été faites en 1830. Avant cette date, les autorités communales se réunissaient dans la maison appartenant maintenant à M. Collet, serrurier.

Quel bel édifice que ce nouvel hôtel de ville de Baulmes ! On y accède par une double rangée d’escaliers bordés de rampes en fer forgé arborant les armoiries communales. La porte principale est surmontée d’un avant-toit soutenu par deux colonnes toscanes d’inspiration néoclassique. Au-dessus se trouve une double baie surlignée de bandeaux dans le style néo-roman. Outre son majestueux clocher orné d’un grand cadran d’horloge en façade, l’élévation de la bâtisse est harmonieusement soulignée par une demi-douzaine de hautes cheminées dont les chapiteaux représentent chacun une maisonnette. Ici, c’est le style renaissance qui est domine. Ces éléments historicisants, associés à une façade en pierre de taille brute et à une toiture à plusieurs pans, nous renvoient irrésistiblement vers le heimatstil. L’hôtel de ville de Baulmes est donc un exemple – fort bien réussi, d’ailleurs – de l’éclectisme architectural souvent rencontré à la Belle-Epoque.


Un architecte de renom

Cette belle réalisation, nous la devons donc à Jean Béguin (1866-1918) un architecte neuchâtelois relativement peu documenté si on songe à l’importance de son œuvre. Celui qui a étudié à Stuttgart et à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris a notamment dessiné les plans des hôtels des postes de Neuchâtel (avec Alfred Rychner et Louis-Ernest Prince) et de Coire (avec Theodor Guhl). On lui doit aussi la gare de La Chaux-de-Fonds (avec Louis-Ernest Prince) et surtout un édifice au rayonnement national : le Tribunal fédéral de Lausanne (avec Louis-Ernest Prince et Alphonse Laverrière) dont la façade néoclassique sévère tranche avec certaines de ses réalisations plus enjolivées. Est-ce le fait d’avoir toujours travaillé de consort avec d’autres architectes qui a empêché le nom de Jean Béguin de passer véritablement à la postérité ? L’architecte mérite pourtant largement qu’on lui offre un peu de visibilité, ne serait-ce pour sa réalisation la plus attachante : la cité Martini à Marin (CH-NE).

La Cité Martini à Marin. Crédit photo : Numaweb @ Wikipedia

A cente lieues de maisons familiales de luxe comme la villa Thommen édifiée par Jean Béguin à Môtiers, ce remarquable ensemble d’une trentaine de maisonnettes a été édifié en 1905-1906 pour accueillir les ouvriers de la fabrique d’automobiles Martini, active de 1897 à 1934. Entourés d’un jardinet, ces logements familiaux sur deux niveaux complétés d’une cave offrent – au rez-de-chaussée – un hall d’entrée, deux pièces d’habitation, une cuisine et un cabinet de toilette. Deux chambres et un réduit occupent l’étage. Bref, le summum du confort pour une famille ouvrière d’alors. Cette étonnante modernité a permis à la cité Martini de traverser les époques et d’être aujourd’hui encore plébiscitée par ses habitants. L’ensemble est d’ailleurs classé monument historique depuis 2002.

A gauche, la villa Thommen à Môtiers, sur des plans de Jean Béguin


Cloche religieuse ou civile ?

Il est maintenant grand temps de quitter le canton de Neuchâtel, patrie de l’architecte Jean Béguin, pour revenir à notre point de départ : l’hôtel de ville de Baulmes ! et c’est son clocher que je vous emmène visiter sans plus tarder. Un clocher-porche entièrement occupé par l’imposante cage d’escalier de l’édifice. On profite de la montée pour admirer de très beaux vitraux arborant les armoiries de la commune et du canton. Arrivés aux dernier étage de la partie maçonnée de l’hôtel de ville, nous quittons le majestueux escalier de pierre pour emprunter une échelle de meunier en fer conduisant aux combles. Pas besoin de s’arc-bouter pour soulever la trappe d’accès : le mécanisme est soigneusement lubrifié, preuve qu’il y a souvent du passage ici. La cloche est en effet régulièrement actionnée (à la main) pour les assemblées communales et les votations. Elle est aussi tintée toutes heures et demi-heures par une horloge mécanique signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez (F-39). Pour accéder à la cloche, il faut encore monter de quelques mètres, en empruntant cette fois une échelle – non plus de meunier – mais une vraie échelle d’acrobate, bien verticale ! Tout là-haut, accrochée à un petit beffroi de bois indépendant de la structure soutenant la flèche du clocher, nous attend la cloche de l’hôtel de ville.

Les vitraux ornant la cage d’escalier de l’hôtel de ville

Il n’est pas toujours aisé de distinguer une cloche religieuse d’une cloche civile dans le canton de Vaud. Prenons l’exemple du bourdon du temple de Baulmes : cette grande cloche de 3 tonnes arbore les armoiries de la commune, du canton et de la Confédération ainsi qu’un verset biblique. Même décoration pour la petite cloche de l’hôtel de ville ! Sur le vase se trouvent les trois blasons. Celui de la commune est surmonté de l’inscription Baulmes 1900. Le col arbore cette dédicace : Au nom du Dieu Tout-Puissant, ma voix, écho de la liberté, invoque la justice & l’ordre. Je sonne pour la concorde des citoyens, le bien public & la grandeur de la patrie. Sur la faussure – enfin – figure la signature : Paintandre frères, fondeurs à Vitry-le-François, Marne.


Le fondeur champenois doit beaucoup à son représentant vaudois

Paintandre ! N’avons-nous pas déjà croisé ces fondeurs dans un autre clocher de Baulmes… celui du temple ? C’est même avec l’imposant bourdon en sib2, réalisé en 1891, que la fonderie champenoise s’est vu ouvrir bien grand les portes du canton de Vaud pour de nombreuses autres cloches : L’Abergement, Aubonne, Ballaigues, Bercher, Bioley-Magnoux, Concise, Cuarnens, Cugy, Dommartin, Dompierre, Echandens, Goumens-la-Ville, Juriens, Mont-la-Ville, Lausanne, Saint-Prex… Et si les frères Paintandre ont pu vendre tant de cloches en terre vaudoise, ce n’est pas seulement grâce à la qualité de leur travail. Les fondeurs de Vitry-le-François ont bénéficié dans le canton des services d’un représentant à l’efficacité redoutable : Auguste Thybaud. Le fameux accordeur de cloches vaudois a commencé ses activités en collaborant avec Gustave Treboux de Vevey. Le redoutable homme d’affaires s’est très vite rendu compte qu’il réaliserait de meilleurs bénéfices en traitant avec des fonderies étrangères. Ce procédé n’a pas manqué de susciter l’ire de la presse vaudoise en 1893 quand la commune de Bioley-Magnoux a confié au tandem Thybaud-Paintandre la fourniture d’une nouvelle cloche

Trois extraits du journal vaudois « La Revue » parus durant l’année 1893

Ces protestations n’ont évidemment pas empêché Auguste Thybaud de continuer à faire appel à des fondeurs français (surtout Paintandre, mais aussi par moments Robert) pour remplir les clochers vaudois. Cette anecdote nous montre qu’au XIXe siècle déjà, les Suisses avaient pris l’habitude d’aller faire leurs emplettes en France pour soulager leur porte-monnaie.


Une famille de fondeurs entre Corrèze et Marne

Cette présentation de la cloche de l’hôtel de ville de Baulmes ne serait pas complète sans quelques mots au sujet de la fonderie Paintandre. Je me permets de vous remettre ici les quelques lignes que j’avais rédigées pour ma présentation de la sonnerie du temple de Concise (CH-VD).

Fils d’un cultivateur de Breuvannes-en-Bassigny (52), Jean-Baptiste (1793-1865), Sébastien (1798-1874) et Antoine Paintandre (1802-1886) embrassent tous trois la profession de fondeur de cloches. Jean-Baptiste, qui a appris le métier auprès d’Augustin Martin, est le maître de ses frères. J-B. fonde sa maison à Turenne en Corrèze, il s’en occupe avec son fils Hippolyte. Les deux autres frères – et c’est la lignée qui nous intéresse ici – choisissent d’installer leur atelier à Vitry-le-François dans la Marne. Ils peuvent compter dès 1860 sur la collaboration de Paul et Victor, les fils d’Antoine. En 1886, la fonderie de Vitry-le-François prend le vocable de « Paintandre Frères ». Paul est en charge du département commercial, Victor s’occupe de la partie industrielle. La coulée de deux belles cloches pour le temple de Baulmes en 1891 marque le début d’une collaboration fructueuse entre Auguste Thybaud et les frères Paintandre pour la réalisation de nombreuses cloches dans le canton de Vaud.

L’hôtel de ville de Baulmes. On peut regretter que le plan de quartier n’ait pas prévu un meilleur dégagement en façade pour pleinement apprécier les belles perspectives de l’édifice

Quasimodo remercie
-M. Jacques-Yves Deriaz, Municipal en charge des bâtiments de la commune de Baulmes lors de notre visite en 2017
-Antoine Cordoba, carillonneur à l’Abbaye de Saint-Maurice pour son talent de sonneur et pour l’aide logistique. Visitez son site internet consacré aux cloches de Savoie https://cloches74.com/

Sources (autres que mentionnées)
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/029102/2022-02-03/
https://doc.rero.ch/record/12463/files/BPUN_OU100_2006.pdf
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=bts-002%3A1902%3A28%3A%3A106
https://fr.wikipedia.org/wiki/Baulmes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cit%C3%A9_Martini
http://www.clocherobecourt.com/Robecourt/FondeursBelg.php

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