L’accès aux clochers, le parcours du combattant ?

L’édito de Quasimodo

On me pose souvent la question : « est-il aisé d’obtenir l’accès à un clocher? ». Je répondrais que cela dépend grandement des régions. Si je prends l’exemple du charmant pays de Fribourg (CH) que j’ai le plaisir d’habiter, je dirais que non seulement toutes les églises sont ouvertes en journée, mais aussi que certains clochers semblent eux aussi attendre avec impatience que des curieux daignent gravir les quelques marches obscures et poussiéreuses qui s’offrent à eux. Privilège non négligeable pour le passionné que je suis, puisqu’il me permet d’effectuer quelques relevés avant de passer à la seconde étape: demander une autorisation pour une sonnerie spéciale destinée à être immortalisée. « Pourquoi ne pas venir lors d’une messe? » m’est-il parfois demandé par les autorités paroissiales. Je me vois alors contraint d’expliquer que l’accès par la tribune de l’orgue (la plupart des clochers de ma région sont des clochers-porche) risquerait de troubler la cérémonie religieuse. De plus, les sacristains ont souvent l’habitude de démarrer toutes les cloches en même temps, ce qui est tout sauf idéal pour les apprécier à leur juste valeur. Dernier argument enfin: la cloche de l’Agonie. Cette coutume, très répandue dans la région fribourgeoise, consiste à garder la plus petite cloche pour l’annonce d’un décès au sein de la communauté, quand bien même ladite cloche est très souvent parfaitement accordée avec ses grandes sœurs. Toutes ces raisons font que je préfère largement la formule de la sonnerie spéciale, pour laquelle il est possible de bien spécifier le type de séquence désiré. Quand bien même on me ferait valoir qu’une sonnerie sans motif valable risquerait de perturber les riverains, je suggèrerais au président de paroisse de placarder une note à la vue de tous, mentionnant que tel et tel jour, à telle et telle heure, il sera procédé à un enregistrement des cloches, afin que la sonnerie soit visible et audible par les passionnés du monde entier. En règle générale, l’argument fait mouche.

Certes, il est des régions, comme la Suisse alémanique, où l’on est beaucoup strict avec les traditions. Rien ne sert dès lors d’insister. Mieux vaut tenter de trouver un arrangement: à quel moment est-il possible de monter dans le clocher et profiter d’un plénum sans déranger les paroissiens ? Se montrer conciliant contribue généralement à briser la glace. Il n’est dès lors pas rare de se voir proposer de sonner toutes les cloches, en lieu et place de la sonnerie partielle initialement prévue. Parmi les situations loufoques qu’il m’a été donné de vivre, il y a sans nul doute l’enregistrement de la sonnerie de l’église paroissiale de Beromünster (CH-LU), où l’accès au clocher se fait par une petite porte dissimulée dans le lambris sur le côté nord de la nef. Etant donné que mes camarades campanaires et moi-même étions attendus pour une autre sonnerie après celle-ci, nous ne pouvions nous permettre de demeurer dans le clocher jusqu’à l’issue de la messe. « Vous n’aurez qu’à sortir discrètement », nous a suggéré l’aimable sacristine. Nous avons donc attendu que l’orgue et les fidèles se soient lancés dans un magnifique cantique, avec la ferveur qui caractérise si bien ces habitants pieux de la Suisse centrale, pour pousser la porte le plus silencieusement possible. Ce qui n’a pas empêché celle-ci – retenue par un bouton-pression – de s’ouvrir avec fracas. Et les fidèles de nous dévisager avec courroux, et nous autres de nous éclipser la tête basse, nous disant tout bas que ce n’est pas sur ce coup-là que nous gagnerions notre place au paradis !

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n’est pas dans cette Suisse d’habitude si stricte que l’accès aux clochers est le plus ardu. Les démarches que j’ai eu à entreprendre en France m’ont semblé être à maintes reprises être un vrai parcours du combattant. Tout d’abord parce que la mairie et le presbytère aiment se renvoyer la balle, chacun arguant que l’autorisation est du ressort de l’autre partie. Et quand enfin vous trouvez interlocuteur, celui-ci fait valoir sa crainte quand aux mille et un dangers qui vous attendent tout là-haut. Les escaliers sont raides, il manque des marches, le plancher peut céder à tout instant… que n’ai-je point entendu ! L’argument suprême étant celui des antennes GSM, capables de griller les neurones de tout imprudent qui s’en approcherait. Si vous saviez (et là, j’ouvre une parenthèse) le nombre de fois que j’ai pu filmer et photographier des cloches, le dos appuyé contre une antenne de téléphonie mobile. Les plus vilains diront que cela explique bien des choses dans mon comportement sujet parfois à de nombreuses questions de la part personnes qui ont le malheur de me fréquenter (nous refermerons là cette parenthèse avant de nous fâcher).

Même ma proposition de signer une décharge n’a pas réussi à faire fléchir le délégué aux biens culturels d’une charmante cité médiévale bretonne que – par discrétion – je ne nommerai pas. Je me suis alors dit : autant jouer le tout pour le tout. Accompagné de 2 amis, l’un organiste bien connu dans la paroisse, je suis allé frapper à la porte du presbytère. M’y a accueilli M. Le Curé, qui m’avait dans un premier temps. éconduit au téléphone. Est-ce la présence de mon ami organiste, ou est-ce parce que j’avais parcouru près de 1’000km depuis la Suisse…. toujours est-il que nous avons obtenu l’accès aux 2 clochers de la ville avec leurs sonneries spéciales ! Nous avons alors pu constater que les escaliers, quoiqu’un peu raides, étaient en excellent état, de même que le plancher; et que les antennes GSM se situaient à plusieurs mètres au-dessus des cloches, séparées de nous – qui plus est – par un plancher.

Je ne regrette point d’avoir insisté: outre le fait d’avoir eu le privilège d’enregistrer 2 belles sonneries monumentales, mes amis et moi-même avons fait la connaissance des 2 aimables sacristains, qui remplissent cet office depuis de longues années, et qui – après être redescendus au sol – nous ont raconté mille et une anecdotes autour d’un bon café chaud dans une ambiance on ne peut plus chaleureuse. Je prendrai d’ailleurs la peine de m’attarder sur ces moments de partage, qui peuvent paraître vains à certains, mais qui pour moi font partie intégrante d’une expédition campanaire réussie. Il n’y a pas que les cloches… il y a aussi toutes ces personnes qui les font vivre et prennent plaisir à leur faire donner de la voix. Je pense notamment au curé de cette petite cité bretonne, qui après s’être montré méfiant vis à vis de ses visiteurs lointains, ne peut aujourd’hui retenir sa joie de voir ses cloches sur la toile.

Alors non, il n’est pas toujours aisé d’obtenir l’accès à une sonnerie. Mais ces quelques difficultés ne sont-elles pas le piment de notre belle passion ? Si les curieux s’agglutinaient devant les clochers tels des supporters devant un stade de foot, il faudrait installer des tourniquets, pratiquer des fouilles corporelles, vendre des bières… j’en frémis d’horreur ! Pitié, faites que nos clochers demeurent à tout jamais sombres et poussiéreux. Car n’est-ce pas cette part de mystère qui confère toute sa saveur à l’univers campanaire ?

Campanairement vôtre,

Quasimodo

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