Bienvenue à L’Auberson au cœur du Plateau des Granges, à 1’100 m. d’altitude. Ce village-rue typique de la haute chaîne jurassienne peut s’enorgueillir d’un important passé industriel: mines de fer dès le 16e siècle, horlogerie au 18e, puis boîtes à musiques jusque dans les années 1970. Témoin vivace de cette dernière activité : le musée Baud, qui enchante chaque année des milliers de visiteurs de tous âges. Avant de servir de lieu de culte, le temple fut utilisé pour héberger les blessés de l’armée Bourbaki qui se réfugiaient en Suisse durant la guerre franco-prussienne de 1870. C’est en signe de reconnaissance que ces hommes se cotisèrent pour offrir la table de communion, encore en place actuellement.
Nous sommes à quelques kilomètres à peine du département français du Doubs; il est donc tout naturel de retrouver ici un clocher d’inspiration comtoise. Bâti au plus fort de l’essor industriel de la région, entre 1869 et 1871, le temple possède la particularité de posséder une des très rares cloches en acier de Suisse romande. Pour rappel, je vous avais présenté l’an dernier la seule sonnerie complète du canton de Fribourg issue de la Bochumer Verein : Courtepin. La petite cloche de l’Auberson, coulée une vingtaine d’années plus tôt, sonna d’abord dans le clocheton de l’ancien collège, ce qui explique pourquoi elle est dénuée de tout symbole religieux. Elle rejoignit le temple en 1895. La cloche moyenne, enfin, fut ajoutée mi-20e siècle comme « trait d’union » entre ses soeurs aînées.
Cloche 1, « Persévérance », note mib3 +2, coulée en 1872 par la Bochumer Verein
Cloche 2, « Concorde », note sib3 +2, coulée en 1956 par Ruetschi d’Aarau
Cloche 3, note do4 -1, coulée en 1852 par Samuel Tréboux à Corsier-s-Vevey
Analyse sonore de la grande cloche (la3=435Hz, déviation en 1/16 de demi-ton)
Hum | Prime | Tierce mineure | Quinte | Nominal |
mib2 + 24 | mib3 -12 | solb3 -4 | sib3 -6 | mib4 +2 |
Entre 1851 et 1970, ce ne sont pas moins de 38’000 cloches en acier qui sortirent des fourneaux de la Bochumer Verein. Si la plupart furent produites pour l’Allemagne, certaines firent le tour du monde. On pense notamment à la Cloche de la Paix d’Hiroshima. Le choix de ce matériau s’explique par son coût modique, et surtout par le risque persistant de voir les cloches de bronze réquisitionnées au cours de cette période marquée par les conflits armés. L’une des plus grosses cloches en acier du monde (désaffectée) est exposée devant l’Hôtel de Ville de Bochum: un monstre de 15 tonnes d’un diamètre de 313cm. La plus grande sonnerie en acier complète de Suisse se trouve à Reussbühl (LU) : un salve regina à l’octave en la2, dont le bourdon pèse un peu plus de 3’300kg. Les guerres s’étant par bonheur raréfiées sous nos latitudes, la demande s’est faite progressivement moins grande pour les cloches en acier. Nombre d’entre elles se voient aujourd’hui remplacées par du bronze, plus harmonieux et non sujet à la corrosion. Souvent décriées pour leurs harmoniques jugées dissonantes (nous sommes par exemple ici dans le cas d’une cloche en sixte, et non à l’octave), les cloches en acier sont un pan intéressant de notre histoire contemporaine. Rien que pour cela, elles méritent d’être préservées.
Je remercie vivement la paroisse du Balcon du Jura de nous avoir autorisés, mes amis et moi, à monter au clocher et à enclencher nous-même les cloches à l’occasion du culte de ce dimanche 13 octobre 2013. Un tout grand merci également à Josette Joseph, habitante de l’Auberson et grande connaisseuse de l’histoire de sa région, pour la riche documentation aimablement fournie.
Sources:
« Centenaire du temple de L’Auberson », parution éditée en 1971
http://balcondujura.eerv.ch/
http://www.lauberson.ch/
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F11413.php
http://de.wikipedia.org/wiki/Glocke#Gussstahlglocken