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Cloches – Dietlikon (CH-ZH) église Saint-Michel

Pour ses 50 ans, l’église s’offre un clocher et 4 cloches

-Cloche 1, «Weltkirche» (Eglise universelle) note mib3 -3/16, diamètre 121 cm, poids 1’177 kg, coulée par Ruetschi à Aarau le 28 mai 2020.
-Cloche 2, «Schöpfung» (Création) note sol3 -4/16, diamètre 100 cm, poids 573 kg, coulée par Ruetschi à Aarau le 13 mai 2020.
-Cloche 3, «Glaubwürdigkeit» (Foi) note sib3 -3/16, diamètre 85 cm, poids 340 kg, coulée par Ruetschi à Aarau le 7 mai 2020.
-Cloche 4, «Friede» (Paix) note do4 -2/16, diamètre 75 cm, poids 233 kg, coulée par Ruetschi à Aarau le 7 mai 2020.


S’il est excitant pour moi de vous présenter des cloches vieilles de plusieurs siècles cachées derrière d’antiques murs de pierre, je ressens également de l’enthousiasme quand je peux vous faire découvrir des sonneries sorties du creuset il y a peu. Certes, la démarche est différente : aujourd’hui, il n’y aura pas d’airain patiné, il n’y aura pas non plus d’archives jaunies par les ans. Mais quelle émotion de contempler des images en couleur d’une coulée de cloches à l’ancienne ! Quel bonheur de voir qu’en 2020, on peut encore construire un clocher et y monter des cloches rutilantes à la force des bras. Bienvenue à Dietlikon près de Zurich, où le dynamisme d’une paroisse jeune de 50 ans a permis de ressusciter les traditions et d’y associer les nouvelles générations.

Le clocher de type campanile, séparé de l’église

L’église Saint-Michel de Dietlikon fut édifiée de 1969 et 1970 sur des plans de Josef Marti. L’architecte prévoyait un clocher haut de 28 mètres destiné à accueillir à quatre cloches. Mais à l’époque, les habitants de ce quartier aisé se montrèrent inquiets pour leurs douillettes oreilles. Craignant de voir les oppositions retarder la construction de l’église, la paroisse renonça à son projet de sonnerie, la mort dans l’âme. « Une église sans clocher, c’est comme une prière sans Amen », avait alors lancé Josef Hürlimann, le pasteur de la paroisse réformée, solidaire avec ses frères catholiques. Il aura donc fallu attendre le cinquantième anniversaire de l’église Saint-Michel pour que ses fidèles puissent enfin se rassembler au son de leurs cloches.

Les plans initiaux de l’église prévoyaient déjà un clocher

Comment l’église Saint-Michel a-t-elle réussi à obtenir son clocher en 2020, alors que plus que jamais, les cloches sont sources de crispation chez les riverains ? Grâce à la politique du compromis. Après tout, on n’est pas en Suisse pour rien ! La paroisse a d’abord dû fournir les garanties que le volume sonores des cloches ne serait pas trop élevé. C’est ainsi que le clocher de béton, dont la hauteur a été réduite à 18 mètres, a vu ses larges baies dotées d’un vitrage. Les mesures effectuées à proximité immédiate de l’église n’excèdent pas 91dB . Les horaires des sonneries ont également été négociés. Il n’y pas d’angélus le matin. L’angélus de la mi-journée (11h, cloche 2) et celui du soir (19h, cloche 3) ne doivent pas excéder 3 minutes (4 à 5 minutes habituellement dans la région). L’appel à la messe de même que la sonnerie d’annonce du week-end ont une durée de 10 minutes (contre 13 à 14 minutes dans la coutume locale).


La coulée d’une cloche – D’une dimension hautement symbolique, l’événement draine habituellement son nombre de spectateurs, du simple curieux au dignitaire religieux en passant par les officiels. L’émotion est toujours palpable, elle est la même qu’il s’agisse d’une clochette d’école ou d’un bourdon de cathédrale. Or, en 2020, nous subissions de plein fouet le Covid et les restrictions qui en découlaient. Organiser un événement public devenait dès lors délicat. C’est devant une assemblée restreinte que furent coulées chez Ruetschi les quatre cloches de Saint-Michel de Dietlikon. Afin d’éviter une trop grande frustration du public, il y eut non pas une, mais trois coulées successives. Les deux petites cloches furent réalisées le 7 mai 2020. S’ensuivit la cloche 2 le 13 mai, et enfin la grande cloche le 28 mai.

Une coulée de cloches à la fonderie Ruetschi en mai 2019

Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, président de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues de Suisse (GCCS) a été chargé de superviser le projet. Après le choix de partir sur une sonnerie de quatre cloches de taille moyenne, une douzaine de combinaisons différentes de notes ont été proposées à la commission formée tout spécialement pour l’occasion. C’est le motif Salve Regina qui a finalement été retenu. La décoration des quatre cloches a été confiée au sculpteur Ernesto Ghenzi de Rapperswil. La réalisation de la sonnerie est l’œuvre de Ruetschi, la dernière fonderie de cloches monumentales encore active en Suisse.

Arrivée de l'attelage
« de 9 »

Le 4 juillet 2020 restera à tout jamais dans les mémoires des paroissiens de Dietlikon. Leurs cloches sont arrivées sur deux chars fleuris tirés par des chevaux. Les nouvelles arrivantes ont paradé dans les rues du village, accueillies par leurs aînées de l’église réformée qui tenaient à leur souhaiter la bienvenue. Le curé Luis Capilla a procédé à leur bénédiction, puis les quatre cloches ont été hissées tour à tour à la force des bras, la jeunesse du village ayant été mobilisée pour l’occasion. Ce sont d’abord les cloches 4 et 3 qui ont été soulevées grâce aux efforts conjugués plus petits. Puis ce fut le tour les cloches 2 et 1 d’être emportées dans les airs par les bras vigoureux des adolescents. Le tout sous le regard attentif de pas moins de 500 curieux. Et si – Covid oblige – les visages étaient pour la plupart masqués, la joie et l’émotion se lisait dans les yeux de tous.

La grande cloche
« de 4 »

Les quatre cloches sont toutes porteuses de vertus. Ces vertus sont rapportées sur des panneaux explicatifs apposés au pied du clocher.

-La grande cloche « Eglise universelle » symbolise l’ouverture au monde. Elle souhaite la bienvenue à tout un chacun, qu’importe sa provenance, sa culture ou sa religion.
-La cloche no2 « Création » symbolise le fait que la nature et ses ressources sont à tous. L’homme, aussi bien que les animaux et les végétaux ont droit au respect.
-La cloche no3 « Foi » a été offert par la Fondation Saint-Michel à Wallisellen. Elle est dédiée aux droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. Toute forme d’abus est proscrite. L’authenticité et le dialogue sont favorisés.
-La petite cloche « Paix » a été offert par la Fondation Saint-Michel à Wallisellen. La paix doit découler des conflits. Les droits humains, la tolérance, les bonnes structures et le partage équitable des ressources sont mis en avant.

Panneaux explicatifs au pied du clocher
« de 2 »

Ayant eu le plaisir d’assister à un certain nombre de bénédictions de cloches, je ne puis que féliciter la paroisse Saint-Michel de Dietlikon pour la manière avec laquelle elle a su mener à bien son projet de nouvelles cloches. A commencer par les négociations en amont avec le voisinage, comme mentionné plus haut. Chaque étape – pose de la première pierre du clocher, coulée et bénédiction des cloches – a été l’occasion d’associer les paroissiens au travers de diverses festivités. Ce professionnalisme et cette ferveur ont permis de concrétiser de la plus belle des manières un rêve vieux de cinquante ans. Il ne reste plus qu’à souhaiter que d’autres collectivités sauront s’en inspirer.

Un livret commémoratif a été publié pour les festivités du cinquantième anniversaire de l’église. Les photos et les vidéos de la coulée, du transport, de la bénédiction des cloches et de la montée des cloches sont également disponibles sur le site internet de la paroisse (consulté en février 2024).

L'intérieur de l'église Saint-Michel de Dietlikon, dont la première pierre a été posée en 1969
« de 3 »

Quasimodo remercie
La paroisse Saint-Michel de Dietlikon
Matthias Walter, expert-campanologue
La fonderie Ruetschi – René Spielmann, directeur, et son équipe.

Sources
« 1970-2020, 50 Jahre St. Michael », livret-souvenir édité par la paroisse

Les prises de vue ont été effectuées le 4 juillet 2020 lors de la bénédiction des cloches, sous un ciel radieux, et le 8 décembre 2020, dans une grisaille toute hivernale, lors de l’expertise finale par Matthias Walter.

Cloches – La Ferrière (CH-BE) temple

Trois belles petites cloches d’un fondeur trop rare

-Cloche 1, note fa#3 +9/16, diamètre 104 cm, coulée en 1862 par Louis-Constant Perrenoud de La Chaux-de Fonds.
-Cloche 2, note la3 +4/16, diamètre 85 cm, coulée en 1862 par Louis-Constant Perrenoud de La Chaux-de Fonds.
-Cloche 3, note si3 +3/16, diamètre 75 cm, coulée en 1855 par Louis-Constant Perrenoud de La Chaux-de Fonds.

Je vous emmène aujourd’hui dans la belle région des Franches-Montagnes, plus précisément à l’extrême sud-ouest de ce plateau jurassien. Au carrefour de trois cantons – Neuchâtel, Jura et Berne –  et sise sur le territoire de ce dernier se trouve La Ferrière. Cette commune à l’habitat dispersé voit officiellement le jour le 26 juillet 1590 avec l’arrivée de quelques colons en provenance de la seigneurie de Valangin. A partir de 1614, des fermes sont édifiées sur ces sols ingrats où le climat est rude – on est à 1’000m d’altitude – et la vie difficile pour ses habitants soumis par la seigneurie de l’Erguël à de lourds impôts. Les villageois sont aussi les victimes collatérales de plusieurs conflits : en 1639, en pleine Guerre de Trente Ans, la Ferrière est incendiée par les troupes suédoises. Le village subit de plein fouet les guerres napoléoniennes. Son territoire est diminué au profit des communes voisines. En 1815, le traité de Vienne attribue La Ferrière à Berne, canton auquel la commune appartient toujours.

Annonce de la dédicace du temple de La Ferrière dans le Journal du Jura

Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour voir La Ferrière connaître un semblant de prospérité grâce à la naissance de l’industrie horlogère. Une nouvelle école est bâtie en 1859. Deux ans plus tard débute l’édification du temple, condition sine qua non pour s’affranchir de Renan et créer une nouvelle paroisse. La dédicace a lieu le 15 novembre 1864. Les dimensions respectables de l’édifice nous montrent que le village tablait alors sur un net accroissement de sa population. Si imposant soit-il par sa taille, le temple de la Ferrière n’en est pas moins austère. De simples carreaux colorés font office de vitraux. Et mis à part les ornements de la chaire et le buffet d’orgue, le style néogothique, souvent exubérant, ne se caractérise ici que par la silhouette élancée du clocher et la forme ogivale des baies.

« de 6 »

L’orgue de La Ferrière est un instrument remarquable, souligne avec enthousiasme le site Orgues et Vitraux. Cet instrument du facteur Goll date de 1918, dix ans seulement avant la faillite de l’entreprise et sa transformation en une société anonyme. Malgré le nombre réduit de jeux (6), la console comporte deux claviers et un pédalier. La traction est pneumatique. L’orgue de La Ferrière est à rapprocher de celui de Travers dans le canton de Neuchâtel, un instrument construit par Goll en 1897, démonté et réinstallé en 1914, puis transformé par petites touches jusqu’en 1926. Dans les deux cas, il s’agit d’instruments exceptionnels, reliques d’une facture dont de rares exemples nous sont parvenus.


De l’airain empreint de poésie

La plus petite des trois cloches de La Ferrière est coulée en 1855 déjà, très certainement pour l’école. Elle est ensuite déplacée dans le clocher du temple, où deux nouvelles compagnes de 1862 viennent la rejoindre. Les cloches ne sont pas très richement ornées. Les deux plus petites arborent sur le col une frise florale surmontée à intervalles réguliers de palmettes. Mêmes décors sur grande cloche qui possède en plus des festons de style néoclassique. Sur la faussure figure sur une face la date de coulée et la signature du fondeur FONDUE PAR LOUIS-CONSTANT PERRENOUD. Sur l’autre face s’affichent les belles inscriptions que voici :

Cloche 1
Je suis le chant de la souffrance
Dans vos regrets et vos douleurs
Je suis le chant de l’espérance
Pour essuyer vos yeux en pleurs.

Cloche 2
Nous chantons à Dieu l’hymne de la prière
Qui pieusement monte vers le ciel
Et nos voix d’airain parlant pour la Terre
Sont comme l’écho d’un chœur solennel.

Cloche 3
J’appelle le travail
J’invite à la prière
J’accompagne les morts au champ de leur repos:
Je parle d’avenir au milieu de vos maux.

« de 7 »

On peut s’étonner que les cloches ne mentionnent pas leur appartenance et qu’elles n’arborent aucune armoirie (commune, canton, Suisse) contrairement à la plupart cloches réformées de cette époque. Sans doute que la composition des textes a été confiée au seul pasteur et que les autorités civiles n’ont pas eu leur mot à dire !

Les trois cloches sont équipées de battants piriformes vraisemblablement contemporains à la motorisation effectuée par l’entreprise Muff en 1953. La grande cloche possède encore son joug et ses ferrures d’origine. C’est aussi la seule des quatre cloches à ne pas avoir été tournée d’un quart de tour. Sur la cloche 2, la tête de joug a été raccourcie, deux des quatre ferrures plates ont été remplacées par des ferrures rondes. La petite cloche est accrochée à un rail en acier. L’angle de volée de cette dernière cloche est nettement plus bas que chez ses grandes compagnes.

Nouveau marguillier à La Ferrière dans « L’Impartial » du 1er février 1977


Fondeur, tailleur et taxidermiste

Louis-Constant Perrenoud (1806-1881), le fondeur des trois cloches de La Ferrière, fait un apprentissage d’armurier à Zurich . Il s’établit ensuite à La Chaux-de-Fonds où il apprend en autodidacte à fondre des cloches. Son atelier se trouve tout d’abord à Cornes-Morel avant de déménager dans une annexe de sa propriété sise Place des Victoires dans le centre-ville. Perrenoud coule des cloches pour des temples, pour des édifices laïcs, il réalise aussi des sonnailles. Parallèlement à ses activités de fondeur, l’artisan chaux-de-fonnier possède aussi un talent de facteur d’instruments : il fabrique des flûtes, il répare des violons. Parvenu à la retraite dans les années 1870, Louis-Constant Perrenoud ne reste pas inactif. Fort de sa dextérité, il dessine, il fabrique de délicats objets en carton de bristol, en bois et en os. Il se lance aussi dans des travaux d’aiguille d’une grande finesse qui lui valent l’admiration des dames de son entourage. Plus insolite : il concocte une collection de 250 oiseaux naturalisés.

Petite cloche Perrenoud coulée en 1851 pour la Société Industrielle de Moutier, exposée au Musée du Tour de Moutier. Remarquez le cartouche, qu’on ne trouve pas sur les cloches religieuses du fondeur.

Dans « Les fondeurs de nos cloches » paru en 1915, Alfred Chapuis et Léon Montandon rendaient un touchant hommage au vieux fondeur  : Perrenoud a laissé le souvenir d’un vieillard calme, serein et toujours de bonne humeur. Ses bons mots et ses réparties sont aujourd’hui encore répétés dans sa famille; par exemple, il était assez négligé dans sa mise, et lorsque sa femme le lui reprochait, il répondait: « Tu n’as qu’à aller dans la rue, tu en trouveras toujours de plus laids que moi. »

« Je n’ai jamais rien inventé, mais j’essaie de faire ce que les autres ont fait » se plaisait à dire Perrenoud. On peut dès lors se demander quelles ont été ses sources d’inspiration. Contemporain et ami de François III Humbert de Morteau, Perrenoud orne lui aussi ses cloches de motifs néoclassiques. Leur timbre est par contre bien différent : alors qu’Humbert coule des cloches avec une prime haute (leurs détracteurs les qualifient d' »aigres », les cloches de Perrenoud ont souvent une prime relativement basse et paraissent plus solennelles.

Comparatif de partiels Perrenoud / Humbert

  octave inf. prime tierce min. quinte octave sup.
Fa#3 0 -2 +6 -4 +9
La3 -3 +1 +5 -5 +4
Si3 -5 +1 +3 -9 +3

Ci-dessus, l’analyse des partiels des trois cloches de La Ferrière, coulées par Louis-Constant Perrenoud. Ci-dessous, les partiels du bourdon de Moudon, coulé par François III Humbert. La3 = 435Hz, dérivation en 1/16 de demi-ton

  octave inf. prime tierce min. quinte octave sup.
Lab2 -2 +10 +7 0 +3

Louis-Constant Perrenoud forme son fils au métier de fondeur, mais le garçon décède malheureusement vers l’âge de 20 ans. On peut regretter que le Chaux-de-Fonnier n’ait pas laissé plus d’exemplaires de sa production, toujours d’une grande qualité. Seule une petite dizaine de cloches Perrenoud sont officiellement recensées. Sans surprise, c’est dans le canton de Neuchâtel qu’on en trouve le plus grand nombre : Buttes (la grande cloche en mi3, sa plus importante réalisation), Boveresse (2 cloches), Les Eplatures (2 cloches) et Noiraigue (2 cloches). On peut aussi admirer au Musée du Tour de Moutiers une petite cloche Perrenoud coulée en 1852 pour une entreprise horlogère aujourd’hui disparue : la Société Industrielle de Moutier. Plus étonnant, on retrouve la trace du discret fondeur neuchâtelois dans l’Ouest lausannois avec une cloche à Bussigny et deux cloches à Crissier. Le clocher de La Ferrière est le seul à contenir une sonnerie complète de trois cloches signées Louis-Constant Perrenoud.

Ancienne vue de La Ferrière. A gauche, l’école et son clocher où se trouvait à l’origine la petite cloche du temple. Crédit photo https://www.laferriere.ch/


Une horloge mécanique transformée puis désaffectée

On trouve, juste en dessous de la chambre des cloches, une horloge de la maison Prêtre alors établie à Rosureux. Ce mouvement à trois corps de rouages, aujourd’hui hors service, permettait de tinter les heures (sur la cl 1) mais aussi les quarts (cl 2 et 3). La mécanique a été modifiée lors de la motorisation de la sonnerie à la volée avec l’adjonction d’un module électro-mécanique à cames destiné à faire démarrer automatiquement des séquences de sonnerie à des heures définies. On constate la présence d’une seule goupille sur 12h, preuve que le dispositif était « programmé » seulement pour la volée de midi. Le fait qu’il y ait deux ergots de contact indique que ce module électro-mécanique était capable de gérer deux séquences de sonnerie différentes.

« de 4 »

Le pilotage des cadrans de même que les tintements et les volées sont gérés aujourd’hui par une horloge électronique LAT8 développé par la maison Muri (aujourd’hui Muribaer) à la fin des années 1980. Ce boîtier est installé… dans les toilettes publiques du temple.


Bonus : 1864, dédicace du temple de La Ferrière

Le journal « Le Jura » du 18 novembre 1864 relate la dédicace du temple de La Ferrière


Quasimodo remercie
La paroisse de La Ferrière – Pierrette Wäfler présidente, Aurore Oppliger secrétaire
La Collaboration des paroisses réformées de l’Erguël – Florence Ramoni catéchète
-Mes amis Allan Picelli membre de la GCCS et Dominique Fatton responsable technique du clocher de Buttes
-Matthias Walter, expert-campanologue, président de la GCCS.
-Lionel Glassier, campaniste chez Muff

Sources (autres que mentionnées)
https://www.laferriere.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=37&Itemid=156
https://visitedeglise.ch/eglise/139-la-ferriere-temple
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Ferri%C3%A8re_(Berne)

Cloches – Moudon (CH-VD) église réformée Saint-Etienne

Une sonnerie imposante et riche d’histoire

-Cloche 1, note la bémol 2 +3/16, diamètre 196 cm, poids environ 4’500 kg, coulée en 1838 par François Humbert de Morteau.
-Cloche 2, « Joyeuse », note ré bémol 3 +14/16, diamètre 146 cm, poids environ 2’100 kg, coulée en 1441 par Jean Perrodet et Pierre Quarta de Genève
-Cloche 3, note mi bémol 3 +15/16, diamètre 131 cm, poids environ 1’600 kg, coulée en 1654 par Jean Richenet de Vevey.
-Cloche 4, note fa 3 +11/16, diamètre 112 cm, poids environ 850 kg, coulée en 1763 par Simon Gillot de Breuvannes-en-Bassigny et Gaspard Deonna de Genève.
-Cloche 5, note la bémol 3 +15/16, diamètre 94 cm, poids environ 530 kg, coulée en 1731 par Jean Maritz de Berthoud.
(la3 = 435Hz)

NB : la manière de noter la ligne nominale peut surprendre. Il a été choisi de reprendre la notation historique de 1893 et d’y ajouter les altérations de rigueur.


Quand on aime, on ne compte pas !

Il est des sonneries inédites sur la toile que les amateurs de cloches exhibent fièrement tel le scoop du siècle… et puis il y a les classiques du patrimoine campanaire qu’on se plait à ressortir de temps à autre. Un peu à l’image de ces indémodables du cinéma qu’on aime redécouvrir en famille, il y a ces sonneries qui à chaque nouvelle écoute, semblent dévoiler un peu plus de leur charme, de leur mystère. Les cinq cloches de l’église Saint-Etienne de Moudon ont déjà fait l’objet de publications sur ce site à partir de 2009. Elles  figurent aussi sur les pages et canaux Youtube d’autres passionnés.  Mais ce qui manquait à ce jour, c’était une présentation plus complète de ce remarquable ensemble campanaire de la Broye vaudoise. Remarquable d’abord par sa taille : avec cinq cloches en la bémol 2, il s’agit de la deuxième plus grosse sonnerie du canton de Vaud après celle de la cathédrale de Lausanne. Remarquable également par son âge : nous avons ici une cloche du XIXe siècle, deux du XVIIIe, une du XVIIe et même une du XVe siècle.

Le bourdon à gauche, la cloche 2 de 1441 à droite

Outre le plaisir sans cesse renouvelé d’écouter et de contempler ces dames de bronze à la volée, nous allons prendre le temps aujourd’hui de parcourir leurs inscriptions, traduire leurs locutions latines, admirer leur iconographie. Les décors de la cloche gothique sont particulièrement remarquables ! Ces quelques lignes vont aussi être  l’occasion de se souvenir qu’avant de jouer l’air de Carmen de Bizet tous les quarts d’heure, les cloches de Moudon n’étaient pas aussi harmonieuses. Et puis vous en apprendrez plus sur les hommes qui ont façonné ces cloches : l’un d’eux est devenu fondeur alors qu’il n’avait que 13 ans ; un autre – en plus de couler des cloches – est devenu célèbre avec ses canons ; un troisième a vu ses ancêtres travailler à la fonte du bourdon le plus célèbre du monde !


Une église paroissiale monumentale

« L’église Saint-Etienne se situe à mi-chemin entre une simple église paroissiale et une cathédrale. Elle reprend de ce dernier type la générosité de l’espace intérieur et le voûtement complet renforcé par des arcs-boutants ». Rien qu’en lisant ces quelques mots , on saisit toute l’admiration que Monique Fontannaz porte à cet édifice emblématique de cette ville qu’elle chérit tant. L’historienne locale consacre d’ailleurs plus de 40 pages à l’église Saint-Etienne dans « La ville de Moudon ». Ce n’est dès lors pas étonnant que ce remarquable ouvrage, paru dans la collection « Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse » se retrouve être l’une des sources principales de la modeste présentation que voici.

Une première église dédiée à Saint-Etienne est mentionnée vers 1134. La construction de l’édifice actuel semble avoir débuté sous Pierre II de Savoie vers 1281, en même temps que le seigneur des lieux entreprend de fortifier la ville-basse. Le chevet de cette nouvelle église et les nouveaux remparts n’en font d’ailleurs qu’un. Autre preuve que le destin des fortifications et de l’église Saint-Etienne de Moudon sont étroitement liés : le clocher. Ce clocher à l’apparence si frustre à côté de cet élégant sanctuaire gothique rayonnant est à l’origine une tour d’enceinte. Commencée en 1416, la tour voit ses plans modifiés, puisqu’on décide en 1431 d’en faire un clocher fortifié, en remplacement du petit clocher sur l’avant-chœur de l’église. Ce double rôle permettra à la tour de rester debout au XIXe siècle alors que le reste de l’enceinte de la ville sera rasé.

Moudon connaît une période faste entre 1478 et 1536, autrement dit entre la fin des Guerres de Bourgogne et la conquête bernoise. D’importants enrichissements sont alors apportés à l’architecture et au mobilier de l’église Saint-Etienne : rehaussement de la nef, réalisation de superbes peintures sous les voûtes, confection de nouvelles stalles. Ces même stalles qui survivront miraculeusement à la Réforme de 1536. Si le passage au culte protestant entraîne la démolition de 18 autels secondaires, on ne peut pas dire que cette nouvelle période va entraver le développement de l’église. De nouveaux contreforts et arc-boutants sont construits en 1582, l’élégante chaire en molasse est confectionnée en 1695 sur le modèle de celle de la cathédrale de Lausanne. Et puis c’est sous la Période bernoise qu’est édifiée la tribune, c’est surtout en 1764 qu’est construit le magnifique orgue Potier, toujours existant.

Avec le XIXe siècle débute l’ère des restaurations. Parmi les plus importantes : en 1838-1839, Henri Perregaux fait enduire toutes les surfaces intérieures de gris (cet enduit sera supprimé en 1969-1973). L’architecte lausannois va aussi démolir certaines chapelles et donner un aspect « néogothique tardif » aux piliers. Cet important chantier coïncide avec l’installation du bourdon dans le clocher. L’archéologue cantonal Albert Naef restaure la façade orientale en 1896-1897. Et puis il y a cette restauration discrète mais ô combien vitale menée de 1949 à 1969 : sans l’installation dans les combles de renforts de béton pour pallier sa statique défaillante, l’église Saint-Etienne de Moudon ne serait peut-être plus debout aujourd’hui.


La valse des fondeurs

Si anciennes que puissent être les cinq cloches de l’église Saint-Etienne , on trouve plus vieux – beaucoup plus vieux, même – dans les archives de la ville. De nombreux fondeurs, la plupart itinérants sont cités, ils réalisent ou refondent parfois plusieurs cloches pour les différentes tours de la ville : Eglise Saint-Etienne, que nous abrègerons dans ce paragraphe « SE », église Notre-Dame (ND) école (EC) ou encore Maison Rochefort (MR). SE a sans doute possédé quatre cloches dès l’élévation du clocher fortifié en 1441. Ce nombre semble être monté à cinq en 1642. Il est intéressant de noter que certaines de ces cloches ont voyagé : en 1838, François Humbert refond deux cloches pour SE. La plus petite est refusée par les autorités communales car non satisfaisante. A sa place, on récupèrera une cloche coulée en 1654 par Jean Richenet pour ND. Le tableau ci-dessous vous indique la liste des différentes coulées de cloches recensées à Moudon et classées par date.

Année Fondeurs Lieux d’origine Détails (destination, nombre de cloches, cl. neuve ou refonte)
1423-24 Guillaume Chauforner? Orbe Pas d’informations
1428-29 Jacques de Rolle + Georges Thybaud Genève ND + ? : 2 cl.
1441 Jean Perrodet + Pierre Quarta Genève SE :  2 cl, la plus grande est tjrs existante
1504-05 Jean Bareaz Genève Remplacement d’une petite cloche fêlée
1511 Fondeur non mentionné (Nicolas Watterin ?) Fribourg SE : Refonte d’une grande cl.
1533-34 Amédée (ou Antoine) Guyodi Bernex GE SE : Refonte d’une petite cl. + EC : nouvelle cl.
1588 Claude Billiaux Fribourg EC : Refonte d’une cl.
1603 Pierre Guillet Romont/Payerne SE : Refonte d’une petite cl. dite « Trecaudon »
1642 Martin Emery + Nicod Besson & Simon Michelin Genève + Lorraine SE : Refonte de la grande cl. + coulée d’une cl. moyenne
1654-56 Jean Richenet Vevey ND + EC : Refonte de 2 cl, tjrs existantes. La cl. de ND est aujourd’hui à SE.
1730 Jean Maritz Berthoud SE + MR : 2 nouvelles cl. (tjrs existantes)
1765 Simon Gillot + Gaspard Deonna Breuvannes (F) + Genève SE : Refonte d’une petite cl. (tjrs existante)
1838 François Humbert Morteau (F) SE : Refonte du bourdon (existant) et de la petite cl. (refusée)

1893, les cloches changent de voix

En 1893, on constate que les cloches sont mal fixées à leurs jougs et que deux des battants frappent de manière défectueuse. En plus de ces réparations à effectuer, un groupe de citoyens  suggère de faire venir Auguste Thybaud et le questionner sur la faisabilité d’un accordage. Car effectivement les cloches de l’église Saint-Etienne sonnent faux ! Le célèbre « accordeur de cloches  » vaudois, dont le plus gros contrat sera l’harmonisation des sonneries lausannoises en 1898, répond qu’accorder la sonnerie de Moudon n’est pas chose trop ardue : premièrement les cloches sont déjà dépendues, ce qui va réduire les frais… et puis ici, nul besoin de procéder à des échanges entre clochers de la région (procédé auquel Thybaud a souvent recours) ou encore de couler des cloches neuves. Il suffit de buriner les cloches existantes pour obtenir un motif classique de type Westminster.

Auguste Thybaud vilipende la sonnerie de Moudon deux ans avant de procéder à son accordage

Un problème se pose toutefois : il n’est guère possible de modifier la note d’une cloche de plus d’un demi-ton… et encore faut-il que la cloche en question soit suffisamment épaisse pour qu’on puisse la fraiser sans trop la fragiliser ! Dans l’idéal, il aurait fallu monter la note du bourdon et de la cloche 5 et abaisser les notes des trois autres cloches. Seulement voilà : avec ses 4 tonnes et demie, la grande cloche est jugée trop compliquée à convoyer jusqu’aux Ateliers mécaniques de Vevey où Thybaud procède à ses travaux d’accordage. Tout va donc se jouer avec les cloches 2 et 4 qui vont être abaissées d’un demi-ton et la cloche 3 – heureusement en profil très lourd – qui va être abaissée d’un ton entier ! Un comité recueille les fonds indispensables, soit 800 francs de l’époque.

Les cloches nos. 3 (au fond) 4 (au premier plan) et 5 (en haut)

L’hebdomadaire « Le conteur vaudois » relate fin 1893 : Le vendredi 22 décembre, par un bel après-midi d’arrière-automne, on procéda à l’essai de la sonnerie harmonisée par un « concerto » qui comprenait d’abord le Ranz des vaches, carillonné par Cinq citoyens dévoués, puis des sonneries à deux et quatre cloches et, en finale, la mise en branle de toutes les cloches. Feu M. Blanchet, organiste de l’Eglise Saint-François, à Lausanne, juge-expert, estima l’opération très réussie.

Toutefois, avec une oreille un tantinet affûtée, on remarque que le travail d’accordage de Thybaud n’est que partiellement réussi. En démarrant les cloches de manière échelonnée de la plus petite à la plus grande, on commence par se dire que l’accord en ré bémol majeur est plutôt réussi. Mais quand arrive le bourdon, la dissonance est flagrante. La grande cloche est effectivement trop basse de près d’un demi-ton. Il se  forme ainsi un triton (l’accord du diable) avec la cloche no2. Il n’en reste pas moins que l’ensemble est à la fois attachant et imposant. La sonnerie de Moudon mérite vraiment le détour !

Notes avant 1893 Notes aujourd’hui
Cloche 1 inchangé la bémol 2
Cloche 2 ré 3 ré bémol 3 (haut)
Cloche 3 fa 3 (haut) mi bémol 3 (haut)
Cloche 4 fa# 3 fa 3 (haut)
Cloche 5 inchangé La bémol 3 (haut)

Une ritournelle emblématique

Si le clocher de l’église Saint-Etienne de Moudon est célèbre, c’est avant tout pour sa fameuse ritournelle. Tous les quarts d’heure, les cloches jouent un extrait de « L’amour est un oiseau rebelle » tiré de l’opéra « Carmen » de Georges Bizet. Cet air, les Moudonnois ont l’impression de connaître depuis toujours… pourtant, il n’a pas pu retentir avant 1893 car les cloches n’étaient pas accordées. Il a ensuite fallu remplacer le vieux mécanisme horloger que Pierre Ducommun de la Chaux-de-Fonds avait réalisé en 1730. C’est donc seulement depuis 1911, suite à l’installation d’une horloge flambant neuve de chez Léon Crot à Granges-Marnand, que les habitants et les visiteurs de la vieille ville Moudon peuvent fredonner cet air célèbre, accompagné de leurs cloches.

Les cloches de Moudon ont été motorisées par la maison Baer de Sumiswald en 1947. Le choix s’est porté sur cette entreprise après la visite d’une délégation de la commune dans le clocher de Châtillens tout juste électrifié par la même entreprise. L’horloge mécanique actuelle de l’église Saint-Etienne est également signée Baer, elle porte la date de 1955. Sa dernière révision en 2012 avait nécessité l’arrêt des aiguilles et des ritournelles pendant plusieurs semaines, provoquant un sentiment de manque chez certains Moudonnois, comme le relatait le « 24 heures » du 22 octobre de cette année. « Ce carillon est un bruit de fond qui est propre à Moudon » relatait Carlos, un Lausannois établi depuis longtemps dans la Broye.


Ce que nous racontent les cloches

Mise à part « Joyeuse » la cloche 2 coulée en 1441, les autres cloches sont postérieures à la Réforme de 1536 et ne portent pas de nom. On n’y trouve pas non plus d’effigies saintes. Il est intéressant de constater l’évolution des inscriptions des cloches réformées. Sous l’Ancien Régime (cloches 3, 4 et 5) : peu voire pas de références liturgiques, omniprésence des notables de l’époque et des armoiries communales, à tel point qu’on croirait être en présence de cloches laïques. Le bourdon du XIXe siècle, lui, met en retrait les autorités civiles et permet à Dieu de retrouver sa place.

Cloche 1 (bourdon) – Cette grande cloche est accrochée à six anses décorées de visages féminins. Le col porte des décors floraux et une frise de festons néoclassiques. La cloche a subi une rotation de 90°, ce qui fait que les inscriptions sur la faussure, à l’origine dans le sens de la volée, font aujourd’hui face au beffroi. On peut lire d’un côté : FAITE PAR FCOIS HUMBERT DE MORTEAU 1838. LA VILLE DE MOUDON EST LE LIEU DE MA NAISSANCE. A SON SERVICE JE SUIS DEVOUEE. QUE DIEU LA PROTEGE. Cette inscription est surmontée des armoiries de Moudon entourées de festons dans le style néoclassique. De l’autre côté, on peut lire : 20 JUIN 1838. VENEZ APPROCHEZ-VOUS DE DIEU ET IL S’APPROCHERA DE VOUS. PSAUME XCI, 1. — JAQUES [sic] IV, 8. Cette inscription est surmontée de l’Oeil de la Providence entourée de décors floraux dont la finesse est hélas entachée par un défaut de coulée.

Comme l’indique son texte, le bourdon de Moudon a été coulé sur site par François Humbert de Morteau. Le fondeur reprit le bronze d’une ancienne cloche qui s’était brisée. La coulée s’effectua entre l’église et l’ancienne caserne, sous la surveillance du municipal Busigny dont le nom fut gravé sur le premier battant de la cloche. Dans son étude détaillée de la sonnerie de l’église Saint-Etienne de Moudon, le docteur Meylan parle d’une cloche avec « un son de fer un peu désagréable ». En fait, c’est surtout le mauvais accordage de l’ensemble qui donne cette impression d’un timbre « métallique ». Vous trouverez plus bas – dans la partie bonus – une vidéo des cinq cloches en solo. Vous constaterez que bourdon de Moudon n’est certes pas aussi parfait que son homologue de la cathédrale de Lausanne, mais que c’est une grande cloche tout à fait acceptable.

Un article paru dans « L’Eveil » du 2 juin 1933 nous offre un retour sur différents procès verbaux relatifs au restaurations successives de l’église. On peut lire « En 1837 (…) la refonte de 2 cloches est ordonnée à un sieur Humbert de Morteau qui va donner du fil à retordre à la Municipalité d’alors ». Plus loin encore : « Le sieur Humbert, fondeur de cloches, a donné pas mal de tintouin au Noble Conseil de 1840 ». Un accord pour une refonte n’ayant pas pu être trouvé, il a été choisi de rapatrier une ancienne cloche de l’église Notre-Dame de Moudon (édifice aujourd’hui disparu) dans le clocher de l’église Saint-Etienne.

Cloche 2 – Cette vénérable cloche de 1441 est accrochée à six anses ornées de cordons tressés. Tout comme le bourdon, elle a été tournée de 90° par rapport à sa position initiale. Les inscriptions tiennent en deux lignes sur le col de la cloche. Sur la première ligne, le docteur Meylan a pu déchiffrer AVE MARIA GRATIA PLENA D[OMI]N[V]S TECVM BENED[IC]TA TVA IN MVLIERIBVS IHS AN[N]O D[OMI]NI MCCCXLI [OR]APRO NOBIS B [EA] TE PROTHOM[ARTY]R STEPH[AN]E. C’est à dire : Je vous salue Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes [et] Jésus [le fruit de vos entrailles est béni]. C’est ce que l’on appelle la Salutation Angélique, que les catholiques pratiquants sont censés réciter chaque jour. Ce sont aussi, les paroles qu’Elisabeth adressa à la Vierge Marie, sa cousine, au jour de la Visitation, complétées par celles de l’ange Gabriel quand il vint annoncer à Marie qu’elle serait la mère de Jésus. (Luc I. 28, 42). Puis viennent la date 1441 et une invocation à Saint Etienne, premier martyr du christianisme et saint patron de l’Eglise de Moudon : Bienheureux Saint-Etienne, premier martyr priez pour nous.

La seconde ligne est écrite partiellement en vieux français, chose assez rare pour l’époque : PER MON CLEIR SON IOIOUSA MAPELLEON M P QUARTA ET M IO PERRODET CA[M]PAN[ARUM] GEBN XPS VI[N]ClT XPS REGNAT XPS. Ce qui signifie : A cause de la clarté de mon son, on m’appelle Joyeuse… suit la signature des fondeurs, et enfin Christ vainc, Christ règne… La place a probablement fait défaut pour compléter cette dernière phrase rencontrée sur plusieurs autres cloches contemporaines.

Fabienne Hoffmann souligne la très belle facture de cette cloche médiévale. L’historienne de l’art vaudoise et spécialiste des cloches mentionne des médaillons particulièrement soignés : un Christ de Pitié nimbé, un coq rappelant le reniement de Pierre et une Vierge à l’Enfant. Des croix de monstrance séparent ces motifs iconographiques du texte.

Cloche 3 – Accrochée à six anses ornées de visages grimaçants de type grotesque, c’est la cloche la plus « bavarde » pour ce qui est des inscriptions. Sur le col, on peut lire : GARDEZ-VOVS, VEILLEZ ET PRIEZ CAR VOVS NE SAVEZ LE JOUR NI L’HEURE. ST. MARC 13, V. 33. Sur le vase, d’un côté : SPECTABLE DANIEL BVRNAT PASTEVR – PIERRE TACHERON DIACRE NOBLE – PHILIPPE DE STAVAYE SEIGNEVR DE BVSSY ET MEXIERE ET CHASTELAIN – LES HONORABLES BALTHAZARD BVRNAND BANDERET – GASPARD NICATY SECRETAIRE – PHILIPPE TROLLTET, SAMVEL BIZE, JEAN DECRISTAZ, JD. DECREVEL, MICHEL NICOD, PIERRE BIZE, DANIEL DEMIERRE, ALBERT DV TOICT, TOVS CONSEILLERS. 10. F. OFFICIER. Sur le vase, de l’autre côté NOBLE HVMBERT DE MOVLIN CONSEILLER ET GOVVERNEUR – GABRIEL DVTOIT PETI GOVVERNEUR – JEHAN RICHENET DE VEVAY MA FONDVE. La cloche est ornée de plusieurs frises florales et de grappes de raisin particulièrement en relief. Comme très souvent chez Richenet, on trouve également des moulages d’authentiques feuilles d’arbre (ici sauge et noisetier).

Cette cloche a été coulée à l’origine pour l’église Notre-Dame située dans la partie haute de la ville. Cette église sera démolie en 1718. De nos jours, c’est la cloche qui sonne quotidiennement à midi. Le docteur Meylan, toujours lui, parle d’un cloche qui « était très épaisse, ce qui lui donnait un son de « cassoton » assez désagréable, qui s’est amélioré par l’harmonisation ». Comme on peut le voir sur les vidéo du plénum et des solos, c’est la cloche à laquelle Thybaud a fait subir le burinage le plus important en 1893.

Cloche 4 – Cette cloche a été tournée d’un huitième de tour par rapport à sa position initiale. L’essentiel de ses inscriptions (les noms des notables de l’époque souvent abrégés) figurent en quatre lignes sur le col : ABR. DAN TACHERON . CHATEL . BANNERET . CONSEILLER  NOB . PROV. ET VERT FRED . DE CERJAT SEIGR DE DENEZY – LIEUT. BALL. AB. DAN . FROSSARD SEIGR DE SAUGY  JN LOUIS PANCHAUD  JAQ. DAV. BURNAND  PH.SAM.ANTH. JOSSEVEL MAISONNR  PH. GAVIN GOUVERNR  MAX DE CERIAT SEIGR DE SYENS  DAN ABRAM BURNAND  GEN RODOLPHE JOLY  JAQ.FS DAN BURNAND  DUTOIT HOSPITAILLER  SIG TROLLIET  SIGIS DUTOIT  J. ABR.VERT ABR ANT DUTOIT  FR.JOS. DUTOIT  SAM . NIC CRAUSAZ – SAM NICOD SECRETRE SRS DIXENIERS JN. FR. VORUZ – COMMANDE 1763. Sous ces quatre lignes, une modeste frise florale. Un seul ornement figure sur le vase: les armoiries de Moudon. Sur la faussure, on trouve la signature des fondeurs en ces termes : S. GILLOT FONDEUR DE BREUANE G. DEONNA DE GENEUE FDER.

Cette cloche se faisait jadis le plus entendre, puisqu’elle sonnait le réveil, la mi-journée ainsi que le couvre-feu.

Cloche 5  – Ici aussi, la plus grande partie des inscriptions sont placées sur le col de la cloche, sur cinq lignes. Et une fois de plus, on découvre pléthore de notables de l’époque. La cloche étant petite, il a fallu abréger les prénoms et les fonctions, rendant la lecture parfois difficile : J . A . BURNAN – SPECT JEAN BAPT CLAVEL PAST ET DOYEN N ET GENT SIGIS DE CERJALT GENTIL SG DE BRESSONNAZ LIEUT . BALLIV. ET CHAST N & VERT J .J . FROSSARD BANDERET N & VERT J L. CROUSA S. JAYET . D. BURNAND. P DUPERRON . JAQ TROLLIET MAISO D. NICATY . S . ABRAM BURNAND HOSP. ABR. TACHERON GOUV. S. FABRY . L D CRAUSAZ SECRET PH DENIS TACHERON CONSEILLER HON JAQ D . JAQUIER ABR. JOSSEVEL S . PERRET . PH . NICOD . PH. BERTHOLD . OL. BRYOIS DIXAINIER S . NICOD OFFICIER DE VILLE. Une nouvelle fois, les armoiries de Moudon apparaissent sur le vase, et c’est peut-être ici qu’elles sont le plus joliment stylisées. Sur la faussure, enfin : FAIT PAR MOY JEAN MARIZ DE BERTHOU FONDEUR FAIT EN 1731. Cette signature est accompagné d’une petite effigie de cloche.

Il est intéressant de noter que le clocher de la Maison Rochefort (aujourd’hui Musée du Vieux-Moudon) héberge lui aussi une cloche coulée en 1731 par Jean Maritz. De dimensions plus modestes (diamètre 77cm, poids environ 260 kg, note do#4) cette cloche difficile d’accès n’est utilisée aujourd’hui qu’au tintement, la pose de grillages anti-pigeons ayant rendu son balancement impossible.


Qui sont les fondeurs des cloches de Moudon ?

Derrière chaque cloche se cache un, voire plusieurs plusieurs fondeurs. Certains de ces artisans ont connu un destin hors norme qui mérite d’être conté.

Cloche 1 : François III Humbert (1814-1892) – La famille Humbert originaire de Savagnier (NE) a engendré trois fondeurs de cloches : François I au sujet duquel il n’existe que peu de données. Son fils François II s’établit vers 1775 à Morteau où il s’associe à Claude-Joseph Cupillard, un important fondeur franc-comtois. François II se marie (ou se remarie) vers 1811 et se convertit au catholicisme. Ses sœurs, bonnes calvinistes, ne lui pardonnent pas cette abjuration et rompent tout contact avec lui. François II meurt en 1827 et c’est son fils François III âgé d’à peine 13 ans, qui reprend la direction de l’atelier sous la surveillance de sa mère. Le jeune homme devient vite un maître-fondeur reconnu. S’il coule des cloches principalement pour l’arc jurassien, de part et d’autre de la frontière franco-suisse, il s’autorise aussi des séjours dans le canton de Vaud. Malchanceux, François III voit par deux fois son atelier partir en fumée, en 1860 et en 1872. Ce dernier incendie sonnera d’ailleurs le glas des activités d’un fondeur devenu vieux et sans descendant mâle. Avec ses 4’500 kg, le bourdon de Moudon est la plus importante réalisation de la dynastie Humbert.

Comme nous l’indique cette annonce dans la presse locale de 1838, François Humbert a profité de son séjour à Moudon pour rentabiliser son atelier provisoire. On trouve effectivement des cloches Humbert datées de 1838 dans les temples de L’Abbaye, Bettens et Mont-la-Ville, ainsi qu’à l’école de Villars-Bramard.

Cloche 2 : Jean Perrodet et Pierre Quarta (var. Cartaul) – Etablis dans le quartier genevois de Saint-Gervais, ces deux fondeurs comptent parmi les premiers représentants d’une intense activité campanaire à Genève qui s’est poursuivie avec diverses lignées plus ou moins importantes jusqu’au XIXe siècle. En 1447, Perrodet et Quarta signent ensemble les deux plus grandes cloches de la cathédrale de Sion : un do#3 d’un diamètre de 149 cm (c’est leur plus grande cloche existante) et un fa 3 de 125 cm. Toujours en Valais, on trouve à Savièse une cloche coulée en 1455 par Jean Perrodet seul. Et c’est seul aussi que Perrodet a coulé une petite cloche d’horloge (note si3, diamètre 79 cm, poids 310 kg) réinstallée dans le clocher du temple de Nyon en 2016. Cette cloche, longtemps déposée au Musée historique de Nyon car fêlée, a été réparée par la fonderie Eijsbouts (NL). Tout comme la cloche 2 de l’église Saint-Etienne de Moudon, la cloche de Nyon est ornée de motifs iconographiques soignés tels que la Vierge à l’Enfant et le Christ de pitié.

Cloche de Jean Perrodet au temple de Nyon (photo de droite par Fabienne Hoffmann)

Rappelons que Perrodet et Quarta ont coulé en 1441 deux cloches pour Moudon. Seule la plus grande nous est parvenue.

Cloche 3 : Jean Richenet – Après Genève que nous venons de citer, c’est Vevey qui a connu la plus longue activité campanaire en Suisse romande. Membre d’une famille de fondeurs mentionnés dans cette ville depuis 1626, Jean Richenet a coulé un nombre important de cloches, principalement à Vevey mais aussi à Payerne. Certaines ont hélas disparu, comme la petite cloche (note ré4, diamètre 71 cm, année 1652) de l’église du Prieuré de Pully ravagée par un incendie criminel en 2001. Déposée, l’ancienne cloche du collège de Payerne datée de 1646 a été coulée dans l’Abbatiale, reconvertie un temps en fonderie de cloches.

Signature de Jean Richenet sur la cloche déposée du collège de Payerne

Parmi les cloches vaudoises de Jean Richenet toujours existantes, on peut mentionner – outre la cloche 3 de l’église Saint-Etienne de Moudon – la cloche (désaffectée) de l’ancien collège de la Grenette de Moudon et les cloches des temples de Ballens , Combremont-le Petit, Corcelles-près-Payerne, L’Isle, Mont-la-Ville, Moudon, Ropraz et Saint-Saphorin Lavaux.

Cloche 4 : Simon Gillot (1708-1782) – Les meilleurs fondeurs viennent du Bassigny, répètent souvent les amateurs de cloches. Et ils n’ont pas tort : nombre de saintiers lorrains ont acquis une réputation d’excellence. Parmi les nombreuses familles originaires du Bassigny actives dans la fonte de cloches, il y a les Gillot. Une référence de taille : la coulée en 1681 du bourdon « Emmanuel » de Notre-Dame de Paris, sans doute la cloche la plus célèbre du monde, par un consortium de fondeurs : le Parisien Florentin II Le Guay (le seul fondeur dont nom est généralement cité) mais aussi trois Lorrains : François Moreau, Nicolas Chapelle… et Jean Gillot. Emmanuel sort malheureusement du creuset avec une note trop basse. Le grand bourdon actuel de la cathédrale parisienne est réalisé 1686, sans Gillot décédé entretemps.

Le bourdon Emmanuel de Notre-Dame de Paris

Cloche 4 : Gaspard Deonna (1746-1797) – Nous l’avons vu plus haut, de nombreux fondeurs de cloches se sont établis à Genève au fil des siècles. Parmi eux : les Deonna. Cette famille originaire des Pays-Bas se fixe à Lyon vers 1650. Etienne Deonna est reçu à Genève en 1676. Actifs d’abord dans la teinturerie et la soierie, les Deonna se lancent ensuite dans l’horlogerie et la fonderie. Henri Deonna (1711-1774) apprend à couler des cloches auprès de Pierre-Antoine Collavin, oncle de sa femme. Gaspard reprend les activités de fondeur de son père à Genève, puis il entreprend de sillonner le monde. Il deviendra directeur des fonderies royales de Cadix et de Saint-Domingue.

Gaspard Deonna n’avait que 17 ans quand la cloche no 4 de Moudon a été coulée. On peut supposer que le jeune homme a effectué ou parachevé son apprentissage du métier de fondeur auprès de Simon Gillot.  A noter aussi que si la cloche no4 est signée « G. Deonna », les archives de Moudon mentionnent que la marché a été passé avec son père, Henri Deonna. Sans doute le paternel a-t-il ratifié le contrat en lieu et place du fils, mineur à ce moment.

Cloche 5 : Jean Maritz – Certains fondeurs de cloches confectionnaient aussi des pièces d’artillerie. Jean I Maritz (1680-1743) était de ceux-là. Ce natif de Bertoud (BE) a certes coulé des cloches… mais il est surtout passé à la postérité pour avoir mis au point deux machines pour forer les canons avec une grande précision. Maritz est alors appelé en France au poste de Commissaire des Fontes à Strasbourg. Ses techniques révolutionneront la fabrique des canons dans la France du XVIIIe siècle. Jean II Maritz (1711-1790) fils de Jean I, fait lui aussi l’essentiel de sa carrière en France dans la fabrication de canons tout en coulant également quelques cloches.

Canon de Jean II Maritz coulé à Strasbourg en 1745 (crédit photo PHGCOM Wikipédia)

Avant de devenir directeur de la fonderie de Strasbourg, avant d’établir de nouvelles fonderies à Paris, Douai et Perpignan, Jean II Maritz est nommé commissaire des fontes d’artillerie à Lyon, dans le quartier de Vaise. Il s’établit à Limonest comme seigneur de la Barollière. Afin de s’attirer les faveurs des villageois, il offre en 1751 une cloche à l’église de Limonest. Maritz louera sa forge lyonnaise à Antoine Frèrejean qui y construira en 1783 son célèbre Pyroscaphe, le premier bateau à vapeur capable de remonter la Saône. A signaler que Frèrejean et ses descendants seront aussi actifs dans la coulée – à la fois – de canons et de cloches. Ils seront épaulés dans leurs activités campanaires par un certain… Antoine Paccard, créateur de la célèbre fonderie de cloches établie aujourd’hui à Sévrier.


Les bonus : solos des 5 cloches, analyse musicale

octave inf prime tierce min quinte octave sup
Lab2 -2 +10 +7 0 +3
Réb3 +12 +12 +17 +13 +14
Mib3 +47 +7 +20 +24 +15
Fa3 +19 +20 +15 +26 +11
Lab3 +15 +1 +15 +11 +15

La3 = 435Hz, dérivation en 1/16 de demi-ton


Quasimodo remercie
La commune de Moudon – Linda Perret, Edvin Bontonjic.
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, pour certaines photos et son aide indispensable à la réalisation de la vidéo.
Dominique Fatton, responsable technique du clocher de Buttes, pour certaines photos et pour les démarches administratives.
Matthias Walter, expert campanologue, pour sa relecture et son soutien.
Monique Fontannaz, historienne, pour sa relecture, sa bienveillance et la riche documentation fournie.

Sources
« Nos vieilles cloches : Moudon » extrait de « Le conteur vaudois » cahiers 16 et 17 (1928)
« La sonnerie de Moudon » extrait de  « Le conteur vaudois » cahiers 43 et 44 (1921)
« Les cloches de l’Eglise Saint-Etienne de Moudon » par le docteur René Meylan, extrait du « Bulletin du Vieux Moudon » de juillet 1921.
« De l’importance du patrimoine campanaire : étude de trois motifs iconographiques ornant
les cloches médiévales » par Fabienne Hoffmann, extrait de « Art + architecture en Suisse » no 58 (2007)
« Les monuments d’art et d’histoire du canton de Vaud, VI, La ville de Moudon », édité par la Société d’histoire de l’art en Suisse, Berne (2006).
« L’église Saint-Étienne de Moudon » par Gaëtan Cassina et Monique Fontannaz, paru dans la collection « Guides des monuments suisses » (1998)
« Nyon, réhabilitation de deux cloches historiques au temple » communiqué de presse du 17 mars 2016
« Les fondeurs de nos cloches » par Alfred Chapuis et Léon Montandon, extrait de « Musée neuchâtelois » (1915)
« La fonte du bronze : cloches, canons, etc. » tiré de « Genava : revue d’histoire de l’art et d’archéologie » (1940)
Relevé des cloches vaudoises par Matthias Walter.
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/025499/2005-08-23/
http://fondationbretzheritier.ch/sonores/
https://www.pullypatrimoine.ch/cloches-de-pully
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/025499/2005-08-23/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Maritz
http://www.limonest-patrimoine.net/fr/index.php?page=lp_clo_fr

Cloches – Villars-sur-Glâne (CH-FR) chapelle des Martinets

La chapelle de la maison de retraite n’est plus muette


C’est un très beau cadeau de Noël qu’ont reçu les résidents des Martinets, cette maison pour personnes âgées sise à Villars-sur-Glâne. Leur chapelle, consacrée le 30 septembre 1990, ne disposait jusqu’à présent d’aucune cloche. Dorénavant, les vaillants ainés ne risquent plus d’oublier de se rendre à la messe : la cloche « Nicolas de Flüe » sonnera par deux fois pour la leur rappeler. D’abord vingt minutes avant, puis une seconde fois cinq minutes avant la messe. Si elle a tout juste été bénite, cette cloche ne vient pas pour autant de sortir du creuset. Coulée en 1891 par un fondeur lyonnais, elle a connu bien des aventures. Une partie de son histoire demeure mystérieuse, comme vous allez vous en rendre compte.

Notre cloche quelques jours avant sa bénédiction (photo Xavier Buchmann)


L’histoire de notre cloche

Il était une chapelle – L’augmentation de la population dans le quartier des Daillettes oblige les autorités paroissiales à envisager la construction d’une chapelle. Le 16 septembre 1945, les plans et les devis d’une chapelle en bois, pouvant contenir 144 places assises, à construire au Moléson, à la croisée des routes cantonales Fribourg-Bulle et communale Moléson-Cormanon, sont soumis à l’assemblée paroissiale. Le 2 décembre 1945, toute la construction étant terminée, la chapelle dédiée à saint Nicolas de Flüe est solennellement consacrée et inaugurée. La chapelle des Daillettes sera détruite par un incendie en 1979.

La chapelle des Daillettes avant et après l’incendie de 1979 (crédit https://www.villars-sur-glane.ch/)

Deux objets sortent intacts des flammes : la croix de métal qui se trouvait sur l’autel… et notre cloche . Cette cloche à la sonorité dépeinte comme argentine lors de la cérémonie de consécration est récupérée et soigneusement remisée dans le clocher de l’église paroissiale. Elle y restera jusqu’en 2023, oubliée de tous. Et puis vient le jour où on la redécouvre, où on décide de lui redonner la voix dans un lieu nouveau. Ce lieu, c’est la chapelle de la Résidence des Martinets. Le projet, initié par Xavier Buchmann, directeur de la Résidence et grand passionné de cloches, a été rendu possible grâce au soutien de la paroisse et de la commune de Villars-sur-Glâne.

Evidemment que notre cloche se devait de faire toilette avant de se présenter à tous ! Les campanistes de la maison Mecatal à Broc commencent par la décrocher de son joug calciné, témoin du drame qui s’est joué il y a plus de 40 ans. La cloche est soigneusement nettoyée. Le plus important : on lui applique un traitement thermique, afin de neutraliser les contraintes que son airain a pu subir lors de l’incendie. On lui confectionne un beau joug neuf en acier, le bois aurait été malvenu pour une cloche accrochée en plein air. On lui remet son battant, lui aussi rescapé du feu. On lui réalise un support en acier destiné à être appliqué contre la façade de la chapelle. Car notre cloche ne veut pas seulement se faire entendre après 40 ans de silence. Elle désire aussi être vue, admirée… elle qui est restée si longtemps cachée !

Notre cloche avant et après avoir fait toilette


Les données techniques de notre cloche

Son poids : 33kg.
Son diamètre : 367mm.
Sa matière : bronze de cloches, dit « airain » composé généralement de 78% de cuivre et de 22% d’étain.
Son mode de sonnerie : volée motorisée en rétro-grade. La cloche se balance, mue par un moteur électrique. Le battant frappe la lèvre inférieure de la cloche.
Son joug : neuf, en acier arrondi et ajouré, réalisé dans le style Belle-Epoque par Mecatal Campaniste à Broc.
Son fondeur : Burdin aîné à Lyon.
Sa date de coulée : 1891.
Sa note musicale : do5 -7/16 de demi-ton (la3 = 435 Hz)


Les décors et les inscriptions de notre cloche

La plupart des cloches affichent fièrement leur histoire. Une visite du clocher de l’église Saints-Pierre-et-Paul de Villars-sur-Glâne permet de lire, sur la robe de ces demoiselles de bronze, les noms de leurs parrains et marraines, mais aussi du curé et même de l’évêque. Ces cloches portent en outre de nombreux ornements, blasons et images saintes, de même que des versets bibliques.

On lit par exemple sur la grande cloche de l’église paroissiale de Villars-sur-Glâne : JE CHANTE LES LOUANGES DE MARIE DE L’ANGELUS DE L’AUBE A L’ANGELUS DU SOIR / FRANCOIS CHARRIERE, EVEQUE / DON DES PAROISSIENS / PARRAIN JOSEPH DREYER BLASER, PRESIDENT DE PAROISSE / MARRAINE MARIE ROUBATY-PYTHON. La cloche porte l’effigie de la Vierge de l’Immaculée Conception sur un croissant de lune et les armoiries de Villars-sur-Glâne.

Signature du fondeur Burdin aîné sur notre cloche

Rien de tel sur notre petite cloche ! Ses seules inscriptions se limitent à la signature de son fondeur et à sa date de coulée : BURDIN AINE FONDEUR A LYON 1891. Pour ce qui est de ses décors, on trouve deux images saintes particulièrement répandues : un Christ en croix et une Vierge à l’enfant. Une réalisation certes soignée, mais dont le minimalisme nous empêche hélas de connaître la traçabilité de notre jolie petite cloche.

Les effigies de notre cloche : le Christ en croix et la Vierge à l’enfant


Le nom de notre cloche

Les cloches ne sont pas que des instruments destinés à faire du bruit : de tous temps, il y a toujours eu une personnification autour de cet objet sacré. Cela se remarque tout d’abord par les noms donnés aux différentes parties de la cloche. Oreilles, cerveau, épaule, panse, lèvre… ces mots nous renvoient irrésistiblement vers le corps humain. Cette personnification de la cloche ne s’arrête pas à cette simple notion de vocabulaire : avant d’être hissée dans son clocher, une cloche est bénite. On parle même souvent de baptême, même s’il s’agit d’un abus de langage (le baptême est en principe réservé aux humains). Mais il est vrai que lors de la cérémonie de bénédiction, une cloche reçoit un nom. Et ce sont le parrain et la marraine de la cloche qui vont clamer ce nom à l’assemblée présente.

Notre cloche en atelier avec – de g. à d. Quasimodo consultant campanaire, Xavier Buchmann directeur de la Résidence des Martinets, Charles Ridoré ancien président de paroisse, Jean-Daniel Savoy conseiller paroissial, Marco Andina conseiller communal et président du Conseil de fondation des Martinets, Jean-Paul Schorderet directeur de Mecatal Campaniste.

Le nom de la cloche peut être choisi de différentes manières : il peut s’agir d’une figure liturgique qu’on désire honorer (très souvent la Vierge Marie) Il arrive aussi que la cloche reçoive les prénoms de ses parrain et marraine. On n’hésite pas dans ce cas à user de prénoms composés et même à féminiser des prénoms masculins. Dans la liturgie réformée – où les cloches sont simplement inaugurées – on a tendance à mettre en valeur les vertus théologales avec des noms comme Espérance, Foi ou Charité. Dans une grande majorité des cas, le nom de la cloche, de même que celui de ses parrain et marraine, sont gravées sur sa robe.

Coulée en 1891, notre cloche n’arbore aucune mention de ce genre. C’est donc sur le tard qu’il été choisi de lui donner un nom. A l’occasion de sa venue à la Résidence des Martinets, la cloche a été présentée aux résidents au travers d’un exposé agrémenté d’un diaporama. S’en est suivie une discussion où cours de laquelle certains résidents ont fait part de leur émotion de voir ressurgir cette cloche. Alors que certains habitants du quartier se rappellent avoir été appelés à la messe par elle, d’autres se souviennent que la cloche a sonné pour leur mariage, le baptême de leurs enfants ou le départ d’un proche.

Une délégation des résidents de Martinets pour choisir le nom de la cloche après la conférence de présentation

Notre cloche sera avant tout la cloche des résidents des Martinets. Voilà pourquoi ce sont les résidents qui se sont vu confier le soin de lui donner un nom. Après une discussion relativement brève, il a été choisi d’appeler notre cloche Nicolas de Flüe.

Pourquoi Nicolas de Flüe ? Notre chapelle est justement dédiée au saint Patron de la Suisse. C’est aussi une manière de se souvenir de feu la chapelle des Daillettes, porteuse à l’époque de la même dédicace. Un lieu de culte toujours bien présent dans la mémoire et le cœur de nos aînés.


Le fondeur de notre cloche : Burdin aîné

La dynastie lyonnaise des Burdin, fondeurs de cloches, débute avec Jean-Claude I BURDIN (1771-1825), qui tient la fonderie depuis les débuts jusqu’en 1825. Lui succède Jean-Claude II BURDIN (1794-1865), directeur de 1825 à 1849. Vient ensuite Jean-Claude III BURDIN (1823-1889), qui dirige la fonderie de 1849 à 1880. Le dernier représentant de la dynastie, Ferdinand BURDIN, coule des cloches jusqu’à la fermeture après la Première Guerre de son atelier lyonnais sis 22 rue de Condé. La dernière œuvre marquante de la fonderie Burdin est le carillon de l’Hôtel-de-Ville de Lyon, pour lequel 25 cloches sont réalisées en 1914.

Encart publicitaire de la maison Burdin (crédit https://recherches.archives-lyon.fr/)

Bon à savoir
-La plus grosse cloche réalisée par la maison Burdin se trouve à la cathédrale de Marseille. Il s’agit d’un bourdon de 6 tonnes coulé en 1901
-La Suisse ne recense peu de cloches signées Burdin. Citons la basilique Notre-Dame de Genève avec sa cloche (unique) nommée « Marie Augustine » d’un poids estimé à 1’500 kg. Le clocher de l’église Saint-Urbain de Chippis (VS) renferme 4 cloches Burdin coulées en 1865.


La bénédiction et l’installation de notre cloche

Notre cloche a été bénite le 16 décembre 2023 par M. l’abbé Vincent Marville en présence de nombreux résidents et fidèles de la paroisse. Sa marraine est Caroline Dénervaud, vice-syndique de Villars-sur-Glâne ; son parrain est Benoit Sansonnens, membre du Conseil de Paroisse. La cérémonie de la bénédiction de notre cloche s’est déroulée au cours de la dernière messe non sonnée de la chapelle des Martinets. La cloche a été installée sur son support accroché à la façade de la chapelle. Sa première volée officielle coïncidait avec la messe anticipée du quatrième dimanche de l’Avent.

De gauche à droite et de haut en bas : l’abbé Marville bénit la cloche ; Xavier Buchmann, directeur de la Résidence et Quasimodo, consultant campanaire ; le parrain Benoît Sansonnens et la marraine Caroline Dénervaud.

Notre cloche est aujourd’hui installée sur un support en acier accroché contre la façade en béton de la chapelle, à côté de l’entrée principale de la Résidence des Martinets. En plus d’appeler les fidèles pour la messe du samedi, elle retentit tous les jours à midi durant deux minutes.

La cloche a été installée le 18 décembre 2023 par François et Olivier de l’entreprise Mecatal Campaniste

Quasimodo remercie
La direction, le personnel et les pensionnaires de la Résidence des Martinets – Xavier Buchmann, directeur
La commune et la paroisse de Villars-sur-Glâne
La direction et les collaborateurs de Mecatal Campaniste

Sources
La Liberté du 28 septembre 1990
« Villars-sur-Glâne, La Paroisse et la Commune » par Victor Buchs, ancien Conseiller d’Etat
Site internet de la commune
Geneanet
Notices compilées par Arthur Auger passionné de cloches à Lyon
Archives municipales de Lyon
Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice
Matthias Walter, président de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues suisses

Cloches – Le Landeron (CH-NE) église Saint-Maurice

Une grande cloche du XVIe siècle pour une sonnerie très solennelle

NomNoteKgØ (mm)FondeurAnnée
Cloche 1mib 31’5001’340Watterin1524
Cloche 2fa 31’0501’195Arnoux1881
Cloche 3Mauricesol 36201’025Kaiser1831
Cloche 4Sébastienlab 3450910Kaiser1831
Cloche 5Jeando 4200720Kaiser1831
Poids et mesures par Muff campaniste

Une bourgade médiévale, son noyau historique admirablement conservé, son église paroissiale rebâtie au XIXe siècle… et ses cloches ! Au nombre de quinze, réparties sur une demi-douzaine de sites, elles ont chacune leur histoire. Commençons aujourd’hui par les cinq cloches de l’église catholique dédiée à Saint-Maurice. Comme vous pouvez le voir dans le tableau ci-dessus, la doyenne n’est pas loin de fêter son demi-millénaire.

Le bourg du Landeron (crédit photo borghisvizzera.ch)

Le Landeron, de tous temps un îlot – Curieuse situation que celle du Landeron, doit se dire le visiteur qui contemple la pittoresque bourgade avec un œil contemporain. Ce village fortifié se trouve en effet dans une plaine, loin de tout plan d’eau qui aurait pu lui assurer un semblant de sécurité. C’est mal connaître l’histoire de la région des Trois-Lacs ! Jusqu’à la Correction des Eaux du Jura entreprise en 1868, Le Landeron se dressait sur un des rares îlots émergeant du vaste marécage de la Thielle. L’historien Jean Courvoisier relate que le nom du Landeron apparaît dans les textes au début du XIIIe siècle, associé à celui beaucoup plus ancien de Val de Nugerol, terme couvrant visiblement la région de La Neuveville à Cressier. La localité de Nugerol disparait à la suite de violents conflits entre l’évêque de Bâle et les comtes de Neuchâtel.  Pour ne pas rester sans défense, Rodolphe IV de Neuchâtel obtient du monastère de Saint-Jean la cession – au sud de Nugerol – d’un pré et d’une place dit Lamderon, en 1325, et le droit de construire une ville forte. Le tout est achevé en 1344. Très vite, la bourgeoisie se distancie de Neuchâtel, préférant développer des alliances avec Soleure. Ce rapprochement influencera considérablement la vie religieuse de la cité. Le Landeron est en effet demeuré imperméable à tous les efforts d’implantation de la Réforme. Aujourd’hui encore, Le Landeron est un îlot… un îlot catholique au milieu de ce canton réformé qu’est Neuchâtel.

Le Landeron, plan cadastral de 1682

Jean Courvoisier, toujours lui, dépeint le remarquable système défensif du Landeron, dont certaines parties sont encore visibles. Si les fossés ont été comblés, si l’ouvrage avancé au nord du bourg a perdu tout caractère militaire, on emprunte aujourd’hui encore le passage médiéval sous la tour de l’horloge. L’accès sud, lui, a été profondément modifié. La démolition en 1880 d’une partie de l’enceinte au lieu dit La Maison Rouge fait que l’ancienne entrée dite Portette ne se trouve plus dans l’alignement actuel des murs. Le Landeron a toutefois conservé une bonne partie de son charme d’antan, ne serait-ce que par riches maisons bourgeoises, ses fontaines et son hôtel de ville du XVIe siècle englobant la chapelle des Dix Mille Martyrs consacrée en 1455.


Une église hors les murs – Je vous ai parlé de Nugerol un peu plus haut. C’est dans cette localité que fut édifiée vers 1187 l’église dédiée à saint Maurice. Si Nugerol a par la suite disparu, l’église est restée debout. On apprend, dans un document de 1806, que la nef, couverte d’un berceau de bois, s’achevait à l’ouest par un pignon surmonté d’une croix de pierre et percé d’un oeil-de-boeuf.  La porte en tierspoint, cernée de colonnettes et de renvois d’eau, était surmontée d’une niche décorée. Un porche de bois, reposant sur quatre colonnes protégeait l’entrée. Au midi de la nef, s’élevaient la sacristie et la chapelle Saint-Antoine, de part et d’autre du clocher, face à la chapelle du Scapulaire, au nord. La tour, élargie par encorbellement à sa partie supérieure, s’achevait par une flèche aiguë.

Cette première église se trouvant dans un état de délabrement avancé (son clocher s’est même écroulé après que les cloches furent descendues) elle fut détruite en 1828 et les matériaux réutilisés pour la nouvelle église. Les plans de cette dernière donnèrent lieu à de nombreuses passes d’armes entre  les différents architectes. Pour des raisons financières, c’est un projet très sobre qui est finalement retenu. La nouvelle église Saint-Maurice du Landeron est consacrée le 15 juillet 1832. De l’extérieur, rien ne la distingue d’un temple réformé. C’est seulement après avoir poussé la porte qu’on se rend compte qu’on se trouve dans une église catholique. Une église à l’élégant mobilier néoclassique : Le maître autel, encadré de doubles colonnes et d’un fronton à denticules, a été dessiné par Guillaume Ritter, l’ingénieur à qui ont doit les plans de la basilique Notre-Dame de Neuchâtel. Le tableau qui orne ce grand retable (le Christ donnant la croix à saint Maurice) est l’œuvre du peintre Melchior-Paul von Deschwaden de Stans. Les colonnes des autels latéraux semblent avoir été récupérés de l’ancienne église. L’orgue du facteur Emile Dumas de Romont remplace depuis 1955 un instrument du XVIIIe siècle construit pour l’ancienne église par Possard père et fils. Cet orgue avait été transféré dans la nouvelle église par le célèbre facteur Aloys Mooser.

Une restauration d’importance est menée en 1930 par Fernand Dumas. Ce grand spécialiste de l’architecture religieuse confie au peintre Albert Gaeng la réalisation des décors polychromes, du plus bel effet (jusque là, murs et plafonds étaient blancs). Nouvelle restauration en 1987, l’architecte Charles Feigel reçoit la mission de régler des questions essentiellement techniques : chauffage au sol, installation électrique, isolation des combles et des baies.


Des cloches historiques à foison – Le Landeron possède – vous l’avez compris – un riche patrimoine bâti. Et je ne vous ai pas encore parlé des cloches ! Outre l’église Saint-Maurice que nous découvrons  aujourd’hui, on peut signaler :
– Les 5 cloches de l’église réformée : 4 cloches Ruetschi 1932 et une cloche Keller de 1868 récupérée de l’ancienne chapelle protestante).
-Les 2 cloches de la chapelle de Combes : une petite cloche de Johannes Witzig de 1721 et une grande cloche de Pierre-Isaac & Isaac-Henri Meuron de 1736.
-La cloche de la chapelle des Dix-Mille Martyrs coulée en 1466.
-La cloche de la Tour de l’Horloge, datant vraisemblablement de la seconde moitié du XVe siècle.
-L’ancienne cloche de l’école, déposée au Musée historique, coulée en 1897 par Charles Arnoux.

L’ancienne cloche de l’école. On aperçoit le cartouche du fondeur Charles Arnoux

Ces cloches, pour la plupart très intéressantes sur le plan historique, feront l’objet de présentations ultérieures.


Eglise Saint-Maurice, cloches d’hier et d’aujourd’hui – L’histoire des cloches qui ont précédé la sonnerie actuelle est très bien documentée. Entre 1524 et 1525, Nicolas Watterin de Fribourg coule quatre cloches. Deux d’entre elles sont des refontes de cloches plus anciennes. Une seule de ces quatre cloches nous est parvenue, il s’agit de la plus grande de la sonnerie actuelle. Un autre fribourgeois, Hans-Wilhelm Klely est chargé de refaire la troisième cloche en 1692. Deux ans auparavant, Jean-Baptiste et Blaise Damey de Morteau coulent une petite cloche. Gros chantier en 1756 et 1757 : Pierre-Isaac Meuron, fondeur de cloches et notaire de Saint-Sulpice, se voit passer commande de quatre cloches. Deux sont des refontes de cloches pesant 1’159 et 1’787 livres. Les cloches réalisées par Meuron pèsent 2’087, 1’208, 1’151 et 857 livres.

La grande cloche, coulée en 1524 par Nicolas Watterin de Fribourg

C’est le 12 novembre 1756 qu’est ratifiée la convention entre  ces Messieurs du Conseil et le sieur Pierre-Isaac Meuron, notaire et fondeur de cloche de Saint Sulpy, pour refondre deux cloches de la paroisses, savoir, la seconde et la troisième. La saison n’étant pas propice à la coulée, il faut attendre mai 1757 pour que le fondeur se mette au travail. Les moules sont confectionnés dans la cour du château de la ville. Les anciennes cloches sont descendues avant d’être brisées. La dicte fonte s’est faite le jour de feste de saint Jean Baptiste, à dix heures du matin ; la grande a très bien réussit, quoy qu’elle ait un peu coulé par le bas, mais la petite n’a pas pu s’achever faute de matériaux. La troisième cloche est réalisée le 23 juillet 1757 à une heure du matin (!) la quatrième voit le jour le 26 août suivant sur le coup de dix heures. Les personnes qui régnoient lors des dittes fontes sont: Messire Pierre Maurice Bellenot, Doyen et Curé, le Révérend Père Irenée Badoux, de Romont, supérieur des capucins, Révérend Père Humbert Choiot, de Praroman, religieux prédicateur, Révérend Frère Bruno Flury, de Stantz.

La cloche no2, œuvre de Charles Arnoux établi à Estavayer-le-Lac, 1881

Aujourd’hui, les cloches de l’église Saint-Maurice du Landeron sont au nombre de cinq. Les trois plus petites portent la signature de Kaiser de Soleure et la date de 1831. Contrairement aux coulées sur site de 1757, les archives ne semblent conserver aucune anecdote concernant la réalisation de ces cloches, qui ont certainement été coulées à Soleure, puis acheminées par bateau. Idem pour la cloche no2, coulée par Charles Arnoux à Estavayer-le-Lac en 1881. Ses inscriptions indiquent qu’elle est la refonte d’une des cloches de 1757. On peut se désoler qu’aucune des quatre cloches Meuron ne nous soit parvenue. On se consolera toutefois en admirant la rescapée de l’ancienne sonnerie : une vénérable cloche gothique coulée par Nicolas Watterin de Fribourg et portant la date de 1424. Comme vous pouvez le constater sur l’enregistrement audio-vidéo qui accompagne cette présentation, la voix de cette vieille dame est magnifique !

Les cloches nos 3 et 4, coulées par Kaiser de Soleure en 1831

La sonnerie a bénéficié d’une importante restauration en 2014 (ferrures, battants, système de mise en volée) menée par l’entreprise Muff à Triengen (CH-LU).

Construit dans les années 1930, le temple du Landeron possède lui aussi cinq cloches

Voilà pour la première étape de la découverte du patrimoine campanaire du Landeron ! Je me réjouis d’ores et déjà de vous raconter d’autres pans d’histoire de cette pittoresque bourgade, et de vous faire entendre d’autres sons de cloches.


Sources :
« Les monuments d’art et d’histoire du canton de Neuchâtel », Jean Courvoisier, éditions Birkhauser, Bâle, 1963
« Les fondeurs de nos cloches », Léon Montandon et Alfred Chapuis, extrait des cahiers « Musée neuchâtelois », 1915
FAN – L’Express du 9 mars 1992

Quasimodo remercie :
La paroisse catholique du Landeron
Loïs Auberson, jeune citoyen et paroissien du Landeron passionné de patrimoine.
Muff campaniste, Lionel Glassier
Allan Picelli, sacristain et servant de messe à Maîche
Dominique Fatton, responsable technique du clocher de Buttes
Luc N. Ramoni, pasteur.

A la mémoire de Jean-Marie Egger, historien de la paroisse catholique du Landeron, commandeur de l’Ordre de Saint-Maurice. Merci pour nos belles rencontres, merci pour nos savoureux échanges

Cloches – Estavayer-le-Lac (CH-FR) collégiale Saint-Laurent

Une des plus grandes, une des plus belles sonneries de Suisse romande

NomNoteKgØ (cm)FondeurAnnéeMode de sonnerie
Cloche 1Laurentla24’200193Bournez 1872volée+carillon
Cloche 2Sts. Pierre-et-Pauldo#32’028145Paccard1997volée+carillon
Cloche 3Annonciationmi31’200 126Bournez 1873volée+carillon
Cloche 4Estavayerfa#3780105Paccard1997volée+carillon
Cloche 5St. Nicolasla3 490 92Bournez 1873volée+carillon
Cloche 6Archangessi335079Paccard1997volée+carillon
Cloche 7St. Josephdo#4200 69Bournez 1873volée+carillon
Cloche 8Baptêmesmi47052Bournez 1872volée
Cloche 9Cloche des Heures ?sol48050Watterin ?1505 ?volée
Cloche 10St. Christophela46046Livremont1762volée
Cloche 11NCmi4~12060.5Paccard1998carillon
Cloche 12Agoniedo#53036Klely1737glas tinté

12 cloches, dont 10 à la volée ! Peu de clochers peuvent se targuer de disposer d’un ensemble campanaire aussi vaste. Le tonnage de bronze est impressionnant, la qualité et la diversité sont  également au rendez-vous. A la sonorité caractéristique des cloches coulées par Bournez à la fin du XIXe siècle (prime haute, octave inférieure basse) s’ajoute le timbre beaucoup plus classique des cloches Paccard réalisées un siècle plus tard. Cerise sur le gâteau, deux cloches historiques du XVIe (cl. 9) et du XVIIIe siècle (cl. 10) qui ont échappé à la grande refonte de 1872. Habituellement, le plénum est composé des cloches nos 1 à 7. J’ai choisi, pour l’enregistrement audio-vidéo accompagnant cette présentation, d’ajouter également les trois plus petites cloches de volée, celles qui sonnent habituellement en trio à la sortie de la messe. Même si ce « classicum » présente quelques dissonances, il est à l’image des murs de la la collégiale Saint-Laurent d’Estavayer-le-Lac : imposant, rustique et plein de charme.

La collégiale d'Estavayer au fil des siècles (cliquer oour agrandir). Source : La ville d'Estavayer-le-Lac par Daniel de Raemy (coll. Les monuments d'Art et d'Histoire de la Suisse)

Dans cette présentation, vous allez découvrir comment la Collégiale est sortie de terre, comment sa silhouette a évolué et comment sa sonnerie s’est constituée entre le XVe et le XXe siècle. Vous vous rendrez compte une nouvelle fois des liens étroits que le canton de Fribourg entretenait avec les fondeurs franc-comtois. Vous constaterez que certaines coulées de cloches ne se sont pas réalisées sans d’âpres discussions… et qu’à un moment, il a même été question de sabotage ! Vous serez touchés – enfin – de lire l’histoire de « Nana », la dernière sonneuse qui habitait encore la tour il y a moins d’un siècle, dans un confort… très spartiate !


Une situation exceptionnelle

Estavayer-le-Lac attire de nombreux touristes. Sa proximité avec le lac de Neuchâtel – qui jusqu’à la correction des eaux du Jura, battait le pied de la falaise – séduit de nombreux estivants. Mais c’est surtout le centre historique de cette cité fribourgeoise qui attire des visiteurs en toutes saisons. Le patrimoine bâti est exceptionnel : des rues au tracé irrégulier, des immeubles aux façades pleines de charme, une enceinte médiévale remarquablement bien conservée, sans compter des édifices emblématiques tels que le château de Chenaux, le couvent des Dominicaines, et bien sûr la collégiale Saint-Laurent, dont les origines – vous allez le lire – nous ramènent avant l’an mille de notre ère.

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Estavayer-le-Lac, une cité médiévale dans un cadre unique (crédit photo : usl-esta.ch)


Une première église au Xe siècle

C’est en 1228 qu’est citée la toute première église paroissiale d’Estavayer. Toutefois, des fouilles conduites sous le chœur de l’édifice actuel ont mis au jour une abside du Xe siècle. L’église actuelle voit sa construction débuter en 1379, englobant l’ancienne nef romane, qui disparaîtra au profit d’une construction gothique en 1441. A l’initiative d’un petit collège de prêtres soutenu par les couches aisées de la seigneurie, plusieurs agrandissements successifs menés jusqu’en 1521. Ils ont contribué a bâtir la collégiale que nous connaissons aujourd’hui. Ce prestigieux édifice religieux est considéré, au même titre que la cathédrale de Fribourg et la collégiale de Romont, comme un monument majeur de l’architecture gothique du canton de Fribourg.

Si la construction des murs s’est arrêtée durant la première moitié du XVIe siècle, le décor intérieur de la Collégiale a continué de s’enrichir au fil des ans. A part les stalles réalisées par Mattelin Vuarser vers 1525, le mobilier liturgique est postérieur. De 1638 à 1641 est élevé le grand retable sculpté par Jean-François Reyff de Fribourg. Le tableau représentant le martyr de Saint-Laurent est peint par Pierre Crolot de Pontarlier. Les temps sont difficiles, la ville est ravagée par la peste… les moyens sont toutefois donnés aux artistes de réaliser un véritable chef-d’œuvre. Un siècle plus tard sont construits l’autel Saint-Georges et Saint-Etienne, de même que l’autel Sainte-Catherine. Egalement édifiée au XVIIIe siècle, la nouvelle chaire ornée de fines dorures remplace une ancienne installation en pierre datée de 1485. Le grand orgue est réalisé par Aloys Mooser en 1811 après des contacts infructueux avec son père vingt ans plus tôt. L’orgue de chœur, réalisé en 1636 pour l’église (elle n’était pas encore cathédrale) Saint-Nicolas de Fribourg, est racheté par la ville d’Estavayer en 1659. Le partie supérieure du buffet est l’œuvre de Nicolas Schönenbühl.


Des cloches à partir du XVe siècle

C’est en 1425 qu’est achevé le premier clocher de la collégiale Saint-Laurent. Un clocher-choeur qui ne possède alors qu’un niveau et qui n’est coiffé que d’une modeste toiture peu pentue à quatre pans, dans le style de ce qu’on peut voir encore aujourd’hui à l’abbaye de Bonmont. Un second niveau en maçonnerie est ajouté en 1525. La flèche viendra couronner l’édifice en 1565.

Dans son « Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg » (volume 5, publié en 1886) le Père Apollinaire Deillon nous offre de précieux renseignements sur l’évolution de la sonnerie de la collégiale Saint-Laurent.

En 1431, on fit fondre une cloche, qui paraît avoir été la plus grande de celles qu’on possédait ; elle fut de
nouveau coulée par un fondeur de Genève en 1437 mais elle n’eût qu’une courte existence, car on la refit en 1457 en y ajoutant 1572 quintaux de métal; elle sortit des ateliers de Jean Vaqueron, avec un poids de 54 quintaux. Après avoir réjouit la population par son son harmonieux pendant 23 ans, elle fut fêlée. Coulée à nouveau en 1481, l’évêque vint la bénir le dimanche après la fête de St-Barnabé 1481. On dirait qu’elle était frappée d’une malédiction : elle était encore fêlée en 1490 avec la seconde. Benoît de Montferrand fit don à la ville de 13 muids de froment et de 15 muids d’autres graines pour l’aider dans la dépense de la fonte de ces deux cloches. La seconde eût une existence de 12 ans, elle fut refaite en 1502. En 1504, la ville fit couler une nouvelle cloche du poids de 521 livres. La deuxième cloche, coulée en 1502, fut encore refaite en 1512; on acheta pour 700 florins de métal à Berne; on lui donna le nom de Madeleine. Elle eut deux parrains et quatre marraines. Elle dura jusqu’en 1752 ou 1754 ; à cette date, elle fut refaite par Antoine Livremont de Pontarlier, au poids de 3’082 livres.

1560 : Une cloche fut coulée à Yverdon, pour la ville d’Estavayer; elle fut bénite le mercredi avant la St-Martin et on lui donna le nom de Sébastienne; c’était la cinquième du beffroi avant 1870.

1575 : Une cloche de 9 quintaux étant fêlée, le Sénat proposa de l’échanger contre des armes ; on ne sait pas si le marché eut lieu.

1667 : Le fondeur Klely, de Fribourg, refond une cloche au poids de 1’685 livres; l’ancienne pesait 2’741 livres.

1698 : Les frères Damey, de Morteau, coulèrent sur la place de Moudon une cloche du poids de 2’889 livres ; c’était la troisième avant 1870, et les mêmes firent encore, en 1699, la grande cloche au poids de 6,542 livres, l’ancienne pesait 7,266 livres.

L’historique de la grande cloche de la Collégiale diffère passablement entre le « Dictionnaire » de Deillon (ci-dessus) et ce qu’on peut lire dans l’ouvrage « Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse – La ville d’Estavayer-le-Lac » (Société d’Histoire de l’Art en Suisse, 2020) par Daniel de Raemy. Ce dernier, qui s’appuie sur les comptes détaillés du gouverneur d’Estavayer, nous indique que cette cloche est citée pour la première fois en 1425. Elle est ensuite refondue en 1444 par Jean de Villars et Pierre Follare de Fribourg ; en 1458 par Jean Vacquerons de Champlitte (France, Haute-Saône) ; en 1481 et 1491 par Guillaume Fribor-dit-Mercier de Genève ; et en 1699 par les frères Jean et Blaise Damey de Morteau. Fort de ces archives, Daniel de Raemy suggère que la cloche en sol4, coulée entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, se trouve être la cloche dite « des Heures » que maître Vauterin de Fribourg a coulée en 1505. Ce Vauterin ne serait autre que Nicolas Watterin, à qui le campanologue bernois Matthias Walter attribue la magnifique « Clémence » de la cathédrale de Lausanne (cloche 2, note do3, année 1518).

De 1871 à 1873, François-Joseph Bournez cadet de Morteau réalise une nouvelle sonnerie sur un accord majeur de LA2. Seules les trois plus petites cloches de l’ancien ensemble sont conservées. Installation par Basile Renevey, horloger local, d’une horloge mécanique de chez Prêtre à Rosureux. Il est à signaler que ce Renevey a été le représentant de la maison Bournez dans le canton de Fribourg avant de collaborer étroitement avec Charles Arnoux quand ce dernier est venu s’établir comme fondeur indépendant à Estavayer-le-Lac.

La confection de cette nouvelle sonnerie ne fut pas aisée. Mal accordées, les cloches 3, 4 et 5 doivent être refaites. Quelques mois après son installation, le tourillon du bourdon cède, la cloche chute et doit être coulée à nouveau. Plus grande que la précédente, elle nécessite l’agrandissement de l’oculus dans la voûte. Au moment de sa montée dans la tour, on constate qu’une main criminelle a cisaillé la corde ! Le drame est évité de justesse. Ces multiples manquements irritent autorités staviacoises : « Il importe nécessairement à notre administration communale d’en finir une bonne fois avec un ouvrage qui nous a donné ainsi qu’à vous tant de déboires et de mécomptes » peut-on lire dans une lettre au fondeur. Il faudra attendre 1875 pour que la sonnerie et son équipement reçoivent l’aval du commanditaire.

1945 : La sonnerie à la volée est motorisée. Jusque là, le bourdon avait besoin de cinq sonneurs pour sa mise en branle !

1997 : Fêlée, la cloche no2 (do#3) est refaite chez Paccard à Sévrier. Trois cloches neuves sont ajoutées : fa#3 et si3 à la volée et au carillon, mi4 au carillon (le mi4 à la volée de 1872 est en effet plus proche du fa4). Un automate est installé pour gérer les volées et le carillon électrique. Le projet est orchestré par Philippe Martin, expert local, membre de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues suisses. Les nouvelles cloches et le mécanisme du carillon électrique sont installés par la maison Mecatal de Broc. L’ensemble est officiellement inauguré à la Toussaint.

Aurait-il fallu tenter de réparer la cloche no2, fêlée, plutôt que de la refondre ? Des défenseurs du patrimoine, dont le campanologue Claude Graber, ont tenté de sauver la blessée, sans succès. C’est vrai que nous étions jusque là en présence de la plus grosse sonnerie complète réalisée par un fondeur franc-comtois en terre suisse. Le 12 mai 1997, le Conseil paroissial décide à l’unanimité que le métal de l’ancienne cloche sera utilisé pour donner vie à la nouvelle cloche, comme le plaidait Philippe Paccard, directeur de la fonderie chargée de ce travail. La cloche sera refondue à l’identique, à savoir que ses ornements et inscriptions seront reproduits par moulage. Seul sera ajouté le nom du nouveau fondeur. La cloche fêlée est descendue l’après-midi du 24 juin sous un ciel déchiré par les éclairs. La foudre s’abat même sur le clocher, heureusement muni d’un bon paratonnerre. C’est un peu comme si la vénérable trépassée avait choisi de faire ses adieux avec fracas ! Le 25 septembre, sous un soleil radieux, une délégation staviacoise prend la route de Sévrier pour assister à la coulée d’une nouvelle cloche dédiée à saints-Pierre-et-Paul. La sérénité est revenue.

L'horloge mécanique, en service de 1872 à 1945. Son cadran de contrôle porte la signature du fabricant, la maison Prête à Rosureux, et aussi de son installateur, l'horloger local Basile Renevey.

Nana, la dernière sonneuse

Dans la publication « Les Cloches de Saint-Laurent » datée 1997, Gérard Périsset, secrétaire de paroisse, rendait hommage à Anna Bovet, dite « Nana », la dernière sonneuse de cloches de la Collégiale.

Quel gamin staviacois des années antérieures à l’électrification de la sonnerie, en 1945, n’a-t-il pas gravi un jour ou l’autre les rudes escaliers de la tour St-Laurent aux côtés d’Anna Bovet, la dernière «sonneuse» de la collégiale? Une figure légendaire que cette brave «Nana» partageant son existence toute de modestie, de courage et de labeur entre sa blanchisserie située au No 5 de la place St-Claude et les étages du clocher qu’elle n’en finissait pas de grimper quotidiennement, jour et nuit, été comme hiver, le béret sur l’oreille, la lèvre pendante et l’écharpe autour du cou. Fille unique de Louis, dit «Nounou», décédé en octobre 1939, «Nana» avait une cousine, Fonzine Krähenbühl, qui la relevait parfois pour quelques angélus. Les gosses appréciaient moins Fonzine» que Nana. « Touche rien à rien » leur criait-elle d’une voix perçante. Originaire d’Estavayer-le-Lac, la famille Bovet rassemblait de nombreux membres liés par une parenté plus ou moins proche. Les Staviacois connaissaient certains d’entre eux par leur sobriquet. « Nana », « Nounou », « Tintin », « Toto », « Cuèta » et « Danda » composaient en effet la litanie des surnoms que le carillonneur de service les jours de fête, raconte M. André Bovet, dit Sidi, débitait au rythme avec lequel il actionnait un système de corde et de ressort reliant les battants des deux cloches. Un spectacle!

Une affaire de famille – La sonnerie de la collégiale représenta en effet, pour la famille Bovet, la chasse gardée de plusieurs générations. Ainsi en fut-il du père de « Nana », Louis, dit « Nounou », qui avait repris la fonction de son père en 1899. Lui-même avait succédé à sa mère. «Nounou», expliquait en 1959 « Nana » dans une interview parue dans « Le Républicain », ne descendait quasiment jamais du clocher, du moins les dernières années de sa vie… C’est donc elle qui, chaque jour, lui apportait repas et bidon d’eau. Le personnage dormit durant quarante ans dans une chambre au mobilier plutôt rustique qui, malheureusement, finit par disparaître: un lit, une étagère, une table et une chaise, le jeu du char qui se repliait contre le mur, sans oublier un fourneau que la commune et la paroisse réunies alimentaient chaque hiver de 200 fagots. Les sanitaires n’existaient pas. Les tuiles de la collégiale, du côté de l’ancien Crédit agricole et industriel de la Broye, en savaient quelque chose… On imagine, durant les mois d’hiver, la fraîcheur de la chambre sise à mi-hauteur de la tour battue par les vents. « Nounou » vécut du reste sur le déclin de son existence un véritable martyre. Perclu de rhumatismes, il demeura fidèle à son poste jusqu’au bout. « Nana » se souvenait l’avoir vu, quelques jours avant sa mort, escalader à genoux les dernières marches du clocher. Elle évoquait aussi le pénible travail de sa mère qui, avant l’installation d’une horloge plus évoluée que la précédente, avait pour mission de « rabattre » les heures, autrement dit les signaler en les frappant à la main. La brave femme refusa toujours de « taper » 1h. en prétextant qu’un si petit geste ne valait pas l’effort. «Mais ce que j’ai fait n’est rien par rapport à ce que ma maman a souffert» disait-elle avec émotion en rappelant qu’à la responsabilité des cloches attribuée autrefois au sonneur s’ajoutait celle de guet. C’est à lui, ou à elle, qu’on faisait appel pour sonner le tocsin. Une cordelette munie d’une poignée, accrochée à un mur d’angle de la collégiale et reliée à une clochette installée dans la chambre du sonneur, avait tôt fait d’extraire le veilleur de sa couette et de le placer en face de ses responsabilités.

Des journées bien remplies – « Nana » assuma donc son mandat jusqu’à l’électrification des cloches, à la sortie de la guerre. Son programme journalier ne variait guère. Le matin, la première cloche tintait à 6 h., puis 6 h. 15, 6 h. 30, 7 h. 30, 7 h. 45 et 8 h. Le répit s’étendait jusqu’à l’angélus de midi puis à celui du soir. Le repos n’était permis qu’après le couvre-feu, sur le coup de 22 h. Aux sonneries habituelles s’ajoutaient, le dimanche, celles des vêpres, voire des complies. « Nana » s’assurait parfois les services de quelques jeunes, ne fût-ce que pour mettre en branle la grande cloche qui exigeait pas moins de quatre hommes aux pédales et d’un cinquième à la corde enserrant le joug. Les cloches No 2 et 3 étaient actionnées par deux pédales chacune alors que les plus petites n’avaient besoin que d’une corde au bout de laquelle les gosses s’assuraient de prodigieuses envolées. Des gosses que l’on retrouvait sur la place de l’Eglise, à l’aube du Samedi-Saint, pour se ruer sur les caramels que les cloches, de retour de Rome, lançaient à la volée. Les initiés devinaient, à l’abri de la balustrade du chemin de ronde, la brave «Nana» jetant à pleines poignées les friandises signifiant la fin du carême. L’électrification sonna le glas d’une activité séculaire. Le 21 décembre 1961, la cloche de l’agonie annonçait le départ de la dernière « sonneuse » de la collégiale pour un monde qui ne connaît ni la pauvreté ni la solitude, ni le froid ni l’indifférence. Nul doute que les cloches du Paradis auront accueilli leur servante terrestre par le plus beau des carillons. « Nana » le méritait bien.


Un franc-comtois aux commandes de la dernière fonderie de Suisse romande

Depuis des siècles, des liens étroits unissent le canton de Fribourg aux fondeurs de cloches franc-comtois. Nous l’avons vu dans de la chronologie de la sonnerie de la Collégiale, parmi les multiples refontes du bourdon, il y a celle effectuée par les frères Jean et Blaise Damey vers 1697. Ces fondeurs originaires de Montlebon reçoivent la bourgeoisie d’Estavayer en 1698. On retrouve également leur signature sur deux des quatre cloches de l’église paroissiale de Saint-Aubin, datées de 1698. Les descendants de Jean et Blaise continuent de s’illustrer dans le canton de Fribourg : Jean-Claude réalise la petite cloche de l’église paroissiale de La Roche en 1722, Jean-Antoine et Alexis coulent la cloche no4 de l’église paroissiale de Remaufens en 1768. Ces cloches sont toujours existantes.

De 1738 à 1786, c’est un autre franc-comtois qui travaille d’arrache-pied pour le canton de Fribourg : Antoine Livremont. Près d’une trentaine cloches ornées de son cartouche sont recensées aujourd’hui dans la région. Parmi ces rescapées se trouve la plus petite des cloches à la volée de la collégiale d’Estavayer. Au cours de ses recherches effectuées dans les années 1980, Philippe Martin apprend qu’Antoine Livremont a compté comme beau-frère un certain Pierre Berset, d’Estavayer, à qui il a enseigné l’art de la fonte de cloches. Ce Berset a réalisé par la suite un certain nombre de petites cloches dans le canton de Fribourg (couvent des Dominicaines d’Estavayer, chapelle de Morrens) mais aussi dans le canton de Vaud (temples de Correvon, Cuarny et Chapelle-s/Moudon, toujours existantes ; clocheton communal de Boulens, cloche détruite dans un incendie en 2019).

Au XIXe siècle, c’est au tour de la dynastie Bournez de partir à l’assaut des clochers fribourgeois. François-Joseph aîné, obligé de quitter Morteau suite à une sombre affaire de meurtre, s’établit un temps à Domdidier. C’est durant cette période qu’il coule sa plus grande cloche pour la région : le do#3 de l’église réformée alémanique de Morat, daté de 1803. A sa mort en 1825, c’est son fils Généreux-Constant, qui lui succède. Ce dernier ne se contente pas de couler des cloches en son nom. Il exporte aussi son savoir-faire et son équipe, comme nous l’apprend la revue « Le patrimoine campanaire fribourgeois » (éd. Pro Fribourg, 2012). C’est ainsi que Bournez envoie son contremaître Constant Arnoux couler trois cloches pour Lentigny en 1840. En 1858, il dépêche son bras droit à Gruyères pour refondre la sonnerie de l’église Saint-Théodule, tout juste détruite par un incendie.

Constant Arnoux s’établit à Gruyères durant quatre ans avec son fils Charles, âgé tout juste de 15 ans, et lui apprend le métier. Les cloches coulées à partir de 1861 portent d’ailleurs la signature du père et du fils. Une fois sa formation achevée (il travaillera un temps pour un autre franc-comtois, François Humbert) Charles Arnoux devient à son tour contremaître pour la maison Bournez. C’est tout naturellement lui qui est envoyé à Estavayer-le-Lac par François-Joseph Bournez cadet pour couler la sonnerie de la Collégiale au nom de son patron. Le travail effectué, Charles choisit de rester dans la cité staviacoise. Il y travaillera jusqu’à sa mort survenue en 1925 (il avait 82 ans). Charles Arnoux fut ainsi le dernier fondeur de cloches monumentales établi en Suisse romande.


"La Liberté" du 4 janvier 1985 relatait le minutieux travail de recherche de Philippe Martin au sujet du patrimoine campanaire d'Estavayer-le-Lac (cliquer pour agrandir)

Quasimodo remercie

Le Conseil de la paroisse Saint-Laurent d’Estavayer-le-Lac : Marie-Christine Mota, secrétaire, et son gendre Damien Perez. Merci pour le chaleureux accueil !

Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et conseiller campanaire ; Allan Picelli, membre de la GCCS et blogueur. Merci pour votre aide indispensable et pour les moments d’amitié !

Matthias Walter, expert-campanologue à Berne. Merci pour les précieuses indications !

A toi, Maman, qui aimais tant te recueillir en cette belle Collégiale et qui m’as toujours soutenu dans ma passion pour les cloches.

Cloches – Mézières (CH-VD) temple réformé

La grande cloche se trouvait jadis à Payerne

Cloche 1, note ré#3 -2/16, poids 1’400 kg, coulée en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel
Cloche 2, note fa#3 +7/16, coulée en 1811 par Jean-Baptiste Pitton de Carouge
Cloche 3, note la#3 -3/16, coulée en 1518

Bienvenue dans le Jorat ! Ce coin de pays jadis tant redouté en raison de ses voleurs de grand chemin (les fameux Brigands du Jorat) recense de nos jours un nombre croissant d’habitants en raison de sa proximité avec la région du Léman et tout spécialement Lausanne. La commune de Jorat-Mézières est née de la fusion en 2014 de Ferlens, Carrouge et Mézières. Ce Mézières – attention – se trouve en terre vaudoise ! Il n’est pas à confondre avec son homonyme fribourgeois, situé non loin de Romont, et dont les cloches avaient fait l’objet d’une présentation ici-même en 2016. Mézières VD, je vous y emmène aujourd’hui afin de découvrir son temple, qui n’est autre que le lieu de culte principal de la commune fusionnée. Mais avant cela, je m’en vais vous conter une anecdote qui ne devrait pas manquer se susciter l’intérêt des héraldistes… et des amateurs de théâtre.


Les pommes de terre de la colère

Pourquoi des fleurs de pomme de terre ornent-elles le blason communal de Jorat-Mézières,  ? La réponse à cette question est à trouver dans un embryon de révolte en 1790, au temps de l’Ancien Régime, durant les dernières années de la domination bernoise sur le canton de Vaud. Et cette anecdote débute justement… devant le temple de Mézières.

Le pasteur Martin, en place à Mézières de 1779 à 1792, a l’impudence d’affirmer, à la sortie d’un culte, que les pommes de terre étant un légume et non des céréales, la dîme (impôt correspondant à un dixième des récoltes) n’en est pas due. Le Châtelain Reymond s’empresse de rapporter – en les dénaturant –  ces paroles au seigneur de Carrouge, Bernard de Diesbach, qui les transmet immédiatement au Sénat de Berne. Le pauvre pasteur, accusé de haute trahison, est emprisonné pendant quatre longs mois avant de voir son innocence reconnue. Le délateur Reymond est destitué et le pasteur Martin reçoit une indemnité de 100 louis d’or.- Il effectue un retour triomphal à Mézières où il est accueilli en héros.

Le canton de Vaud se libérera du joug bernois en 1798 avant de devenir un canton suisse à part entière en 1803. Pour être complet avec cette anecdote, sachez que l’affaire du pasteur Martin n’explique pas seulement la présence de ces fleurs de pomme de terre sur le blason communal. Ce faits historique a aussi donné naissance à l’un des joyaux du théâtre romand. En effet, pour le centième anniversaire du canton, une pièce de théâtre de René Morax, intitulée « La Dîme », est donnée à Mézières. Inspiré de l’affaire du pasteur Martin, le spectacle rencontre un grand succès. C’est ainsi que naquit l’idée de construire en ces lieux le Théâtre du Jorat, cette célèbre salle de spectacle toute de bois qui propose aujourd’hui encore une programmation culturelle renommée.


Un vrai temple vaudois

Une église paroissiale est mentionnée à Mézières en 1228, elle est affectée au culte réformé à partir de 1536. Le temple que nous connaissons aujourd’hui est bâti au même emplacement en 1706 (le massif clocher ne sera achevé qu’en 1731). Parmi les éléments de mobilier historique, on peut citer la très belle chaire de pierre arborant les armes de la famille Clavel et son abat-voix de bois du plus bel effet. La table de communion date – elle aussi – du XVIIIe siècle alors que les vitraux du chevet ont été dessinés par le peintre Louis Rivier en 1923. Un chevet à trois pans que l’on retrouve dans un très grand nombre de temples vaudois de la même époque. Signalons encore l’orgue Mingot de 1985, il remplace un instrument réalisé par Kuhn en 1892.


Auguste Thybaud, encore lui !

Pourquoi la grande cloche du temple de Mézières porte-t-elle les noms de notables de la commune… de Payerne ? Nous sommes dans le canton de Vaud et les fidèles lecteurs de cette page internet devinent que je vais une nouvelle fois leur sortir le nom d’Auguste Thybaud. Le fameux accordeur de cloches vaudois a sévi ici en 1895 avec deux de ses tactiques habituelles : l’accordage et l’échange de cloches.

La grande cloche du temple de Mézières (photos ci-dessus) a donc été coulée en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel pour le clocher de l’église paroissiale de Payerne. Il s’agit de la refonte d’une cloche de 1602, vraisemblablement coulée par Pierre Guillet de Romont, qui signa un an plus tard le bourdon de l’abbatiale de cette même ville de Payerne. Dépeinte comme lugubre dans les études de l’époque, la cloche Guillebert est remplacée en 1895 par une  cloche en provenance d’Aubonne (le temple d’Aubonne vient alors de recevoir trois cloches neuves). Rachetée par la commune de Mézières qui ne possédait jusque là que deux cloches, la cloche de Guillebert est acheminée aux Ateliers Mécaniques de Vevey pour y être accordée par alésage. Elle en ressort après avoir perdu 70 kg de bronze, sa note est désormais le mi bémol 3 pour un poids de 1’400 kg. Un accordage ultérieur semble avoir effectué en sus, compte tenu de la teinte du bronze au point de frappe.

Seule la cloche no2 (photos ci-dessus) coulée par Jean-Baptiste Pitton en 1811 nous est parvenue « dans son jus ». La petite cloche gothique – elle aussi – a été burinée pour que l’ensemble se retrouve harmonisé selon les critères de Thybaud. Sachant que cette vénérable cloche date de… 1518, on peut comprendre qu’au XIXe siècle déjà, des défenseurs du patrimoine, comme l’archéologue cantonal vaudois Albert Naef, s’insurgeaient contre les pratiques d’Auguste Thybaud.

Il n’empêche que cette tactique de recyclage a sans doute permis d’éviter la refonte pure et simple d’un certain nombre de cloches historiques, comme ce fut trop souvent le cas en Suisse alémanique. Et comme dans la quasi-totalité des communes qui ont fait appel aux services d’Auguste Thybaud, on constate que la satisfaction était de mise, comme vous pouvez le lire dans cette archive.

Tiré de « L’Echo de la Broye » du 7 décembre 1895

La décision de motoriser les cloches du temple de Mézières remonte à 1947. On pouvait lire dans la Feuille d’Avis de Lausanne du 21 février ces quelques lignes un brin nostalgique : Le temple de Mézières va voir ses cloches s’ébranler bientôt au simple commandement du fluide électrique. Signe du temps : la fée venue des Alpes a tué le tireur de cordes. Pourvu que par ses caprices, l’électricité n’oblige pas les cloches à rester silencieuses !


Des fondeurs emblématiques

Les artisans qui ont réalisé les cloches du temple de Mézières ne sont de loin par des inconnus ! Commençons par le fondeur de la grande cloche, Gédéon Guillebert. La famille Guillebert – comme nombre de fondeurs de cloches réputés – est originaire du Bassigny, dans l’ancienne province française de Champagne (aujourd’hui région Grand-Est). Les Guillebert semblent s’être établis à Neuchâtel vers 1680. Gédéon est reçu dans la compagnie des Favres, Maçons et Chappuis en 1686.  Dans le cahier du Musée Neuchâtelois de 1915, on peut lire que Gédéon offrit en 1709, année de sa réception comme bourgeois de Neuchâtel, une cloche pour sonner le tocsin, mais il fut éconduit. C’est l’un des fils de Gédéon, Jean-Henry, qui coula en 1724 la cloche de la chapelle de Carrouge, toujours sur le territoire communal de Jorat-Mézières.

Signature Guillebert bien visible sur la petite cloche datée de 1734 de la maison de commune de Cugy (VD)

Mais la plus importante réalisation de la famille Guillebert se trouve à Lausanne : la grande cloche de l’église Saint-François, coulée par Jean-Henry et son frère Jean-Jacques en collaboration avec un autre Neuchâtelois : Pierre-Isaac Meuron de Saint-Sulpice. Cette cloche a été coulée à l’origine pour la cathédrale (elle a été déplacée en 1898 par Auguste Thybaud – toujours lui – dans le cadre du chantier d’harmonisation des cloches de la ville de Lausanne). On peut en déduire que les Guillebert devaient jouir d’une certaine aura ou disposer de solides références.

Si le nom de Jean-Baptiste Pitton (le fondeur de la cloche no2) est passé à la postérité, c’est essentiellement en raison de son disciple le plus célèbre. Quant Pitton est appelé à Quintal (F-74) en 1796 pour y repeupler le clocher vidé par les Révolutionnaires, il embauche comme assistant un certain Antoine Paccard, qui choisit alors d’embrasser la carrière de fondeur. Les descendants d’Antoine suivent la même voie, et aujourd’hui encore, la fonderie Paccard réalise avec succès des cloches dans son atelier de Sévrier sur les bords du lac d’Annecy. Cette entreprise familiale se définit comme le leader mondial du carillon.


Peu d’images saintes, mais des noms à profusion

Antérieure à la Réforme, la cloche no3 (photos ci-dessous) du temple de Mézières est la seule a arborer des effigies saintes. On peut notamment y admirer un très beau saint Pierre et un magnifique Christ en Croix réalisés avec le plus grand soin. On peut aussi y lire Louez Dieu avec des cymbales (Psaume 150).

Ce verset figure également sur la cloche no1, qui comme expliqué plus haut, a été coulée à l’origine pour l’église paroissiale de Payerne. On ne s’étonnera donc pas d’y trouver les noms et les armoiries de notables tels que David de Treytorrens, banderet de Payerne et de David Gachet, avoyer de Payerne.

La cloche no2 se distingue par le grand nombre de notables dont elle arbore les noms, du col à la faussure : Louis-Daniel Morel, pasteur ; Jean-Daniel Rod, gouverneur ; Jean-Daniel Pythod, juge de paix ; Jean-Louis Nicola, syndic de Carrouge ; Daniel Pasche, adjoint de Servion ; Pierre Pouli, syndic de Collaies (ajd Les Cullayes) ; Jean-Grégoire Rod, syndic de Ropraz ; Michel Jordan, syndic de Mézières ; Jean-Michel Chenevard, greffier de Mézières ; Pierre-Daniel Cavin, syndic de Corcelles ; Jean-Pierre Libot, greffier de Valliens (aujourd’hui Vulliens) ; Louis Nicolas, juge de district.


Une horloge à la retraite

C’est une horloge-mère récente de marque Perconta, installée par la maison MHM, qui gère aujourd’hui le temps dans le clocher du temple de Mézières. Les heures et les quarts sont tintés par des frappes lâchées activées par un système de cames. Bien que désaffectée, l’horloge mécanique est encore en place sous la chambre des cloches. Ce mouvement à trois corps de rouages, conçu par Paul Odobey fils à Morez, a été installé en décembre 1905, comme l’indique la notice apposée dans le bâti. Y figure même la signature manuscrite de l’horloger-installateur, apparemment Charles Cavin. La notice explique dans les détails la manière dont le mouvement horloger devait être graissé et nettoyé… attention, c’est très technique : tous les 15 jours, mettre quelques gouttes d’huile sur les chevilles de la roue d’échappement et aux frottements des dents en acier qui servent à faire lever le marteau (…) Tous les 3 ans, il faut enlever l’huile qui découle des parties graissées et la poussière sur les pièces et les rouages de l’horloge (…) Les dentures des roues et pignons seront frottées et nettoyées avec un chiffon gras ou une petite brosse. 

Il est aussi expliqué comment ajuster la précision de l’horloge en tournant l’écrou sous la lentille du balancier. La mise à l’heure, elle, s’effectue en desserrant l’écrou à ailes placé sur l’avant du mouvement. Cette mise en garde, enfin : pour éviter la rupture des cordes (des poids, ndlr) il est essentiel d’éviter les butées au remontage. Ces butées ont pour effet de rompre les fils et de décâbler les cordes. Mise en garde ô combien utile quand on sait que durant les dernières années de son fonctionnement, l’horloge était remontée au moyen d’un moteur électrique positionné sur des rails et que le préposé venait brancher sur l’axe dédié à la manivelle.


Conclusion

C’est un temple et son ensemble campanaire typiquement vaudois que je viens de vous présenter ici, à cent lieues des immenses églises néogothiques et des bourdons du canton de Fribourg pourtant tout proche. Je pourrais même dire que le clocher et les cloches de Mézières sont étonnamment gros pour un village vaudois de cette importance. Les communes voisines ne disposent en effet chacun que d’une ou deux petites cloches dans des édifices nettement plus modestes. Typiques sont aussi ces ensembles hétérogènes de cloches de différentes époques, du Moyen-Age au XIXe siècle. C’est enfin sans surprise que notre chemin a croisé ici encore celui d’Auguste Thybaud. Nul doute que le nom de ce personnage à la fois controversé et fascinant réapparaîtra tout bientôt sur ces pages.


Quasimodo remercie
-La commune de Jorat-Mézières : Philippe Bach, responsable du service de la voire; Valérie Ethenoz et Valérie Pasteris, du bureau du Greffe municipal.
-Mes amis qui m’ont accompagné lors de ma visite et qui ont chacun contribué à la réalisation de ce reportage : Antoine Cordoba, carillonneur de l’Abbaye de Saint-Maurice https://cloches74.com/ ; Dominique Fatton, responsable du temple de Buttes ; Luc Ramoni, pasteur à l’Eglise évangélique réformée de Bienne https://www.ref-bienne.ch/accueil/contact/pasteures/

Sources (autres que mentionnées)
https://www.jorat-mezieres.ch/
Affichage public
Fonds privés

Cloches – Baulmes (CH-VD) hôtel de ville

Une cloche civile sonnée à la corde et régulièrement sollicitée.

Cloche (seule et unique) note do4 -4/16, coulée en 1900 par Paintandre frères à Vitry-le-François (F-51).
Sonneur : Antoine Cordoba, carillonneur de l’Abbaye de Saint-Maurice.

Après son temple à la sonnerie monumentale, après sa tour de l’horloge, il est temps pour vous, amis des cloches, de découvrir le dernier des trois édifices publics de Baulmes à disposer d’une cloche : l’hôtel de ville. Même si la petite dernière est la plus légère et la moins ancienne du territoire communal, vous constaterez que son histoire n’est pas dénuée d’intérêt. Aujourd’hui encore, elle est actionnée à la corde, et contrairement à de nombreuses cloches civiles, elle donne régulièrement de la voix, au tintement comme à la volée. Il est important de mentionner que la cloche de l’hôtel de ville de Baulmes est la dernière pièce d’une partie de puzzle entamée en 1891 par trois protagonistes : un accordeur de cloches vaudois, une fonderie champenoise et un village du Nord-Vaudois en pleine mue industrielle.

Le village de Baulmes vu des contreforts du Jura. Crédit photo : www.richesses-patrimoniales.ch


Baulmes, entre sylviculture, agriculture et industrie

Avant de développer le chapitre consacré à la cloche, j’avais envie de vous parler un peu de ce beau village de Baulmes. Il se situe dans le Nord-Vaudois, sur les contreforts du Jura, à une altitude de 640 mètres, plus précisément sur le cône de déjection de la Baumine, rivière aujourd’hui en partie souterraine. La fondation de Baulmes semble remonter au VIe siècle de notre ère, avec la construction d’un monastère, longtemps rattaché à celui de Payerne dépendant lui-même de Cluny. Voilà pourquoi Baulmes et son église sont aujourd’hui intégrés au réseau des sites clunisiens répartis dans toute l’Europe. Malgré la présence d’une importante industrie de tissage dès le XVe siècle, la vocation de la commune a longtemps été agricole et forestière. L’inauguration en 1893 de la ligne de chemin de fer Yverdon – Sainte-Croix permet à Baulmes de connaître un important essor industriel. On pense notamment à la Société des chaux et ciments, active entre la toute fin du XIXe du siècle et les années 1960. Ses bâtiments ont aujourd’hui disparu, mais les 17 kilomètres de galerie creusés sous le Jura existent toujours et demeurent les témoins de ce passé industriel florissant.

Baulmes en 1950. On aperçoit à droite les bâtiments de la Société des Chaux et Ciments. Crédit photo : Alphonse Kammacher @ L’Omnibus du 18 septembre 2020


Un hôtel de ville édifié avec le plus grand soin

Intéressons-nous maintenant à l’hôtel de ville de Baulmes. C’est en 1894 déjà qu’est émise l’idée de remplacer l’ancien édifice. La décision officielle est prise le 27 juin 1898. Un appel d’offre est lancé aux architectes par voie de presse en janvier 1899. Ce ne sont pas moins de 24 projets qui sont adressés au jury composé des architectes Melley de Lausanne, Fuchslin à Zurich et Brémont à Genève. Après délibération les 9 et 10 mai, le premier prix, doté de 450fr, est attribué au Neuchâtelois Jean Béguin pour son projet devisé à 180’000 fr. La première pierre est posée le 18 juin 1899 et l’hôtel de ville est officiellement inauguré le 14 décembre 1901. Les travaux de maçonnerie sont réalisés par Charles Mério, l’entrepreneur yverdonnois qui vient tout juste de réaliser les bâtiments de la Société des chaux et ciments. Outre les locaux de l’administration communale, l’hôtel de ville est doté d’un logement de fonction, de salles de classe et même d’une salle de théâtre.

Résultat du concours d’architecture de l’hôtel de ville de Baulmes dans le « Nouvelliste Vaudois » du 13 mai 1899

Le Nouvelliste vaudois du 27 décembre 1901 nous donne d’intéressantes informations au sujet du précédent hôtel de ville de Baulmes daté du XVIe siècle.

En 1593, Pierre Jaccaud fonda par testament l’hôpital de Baulmes qui, en 1676, y fut installé. Il obtint, en 1788, droit d’auberge. Les dernières réparations y ont été faites en 1830. Avant cette date, les autorités communales se réunissaient dans la maison appartenant maintenant à M. Collet, serrurier.

Quel bel édifice que ce nouvel hôtel de ville de Baulmes ! On y accède par une double rangée d’escaliers bordés de rampes en fer forgé arborant les armoiries communales. La porte principale est surmontée d’un avant-toit soutenu par deux colonnes toscanes d’inspiration néoclassique. Au-dessus se trouve une double baie surlignée de bandeaux dans le style néo-roman. Outre son majestueux clocher orné d’un grand cadran d’horloge en façade, l’élévation de la bâtisse est harmonieusement soulignée par une demi-douzaine de hautes cheminées dont les chapiteaux représentent chacun une maisonnette. Ici, c’est le style renaissance qui est domine. Ces éléments historicisants, associés à une façade en pierre de taille brute et à une toiture à plusieurs pans, nous renvoient irrésistiblement vers le heimatstil. L’hôtel de ville de Baulmes est donc un exemple – fort bien réussi, d’ailleurs – de l’éclectisme architectural souvent rencontré à la Belle-Epoque.


Un architecte de renom

Cette belle réalisation, nous la devons donc à Jean Béguin (1866-1918) un architecte neuchâtelois relativement peu documenté si on songe à l’importance de son œuvre. Celui qui a étudié à Stuttgart et à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris a notamment dessiné les plans des hôtels des postes de Neuchâtel (avec Alfred Rychner et Louis-Ernest Prince) et de Coire (avec Theodor Guhl). On lui doit aussi la gare de La Chaux-de-Fonds (avec Louis-Ernest Prince) et surtout un édifice au rayonnement national : le Tribunal fédéral de Lausanne (avec Louis-Ernest Prince et Alphonse Laverrière) dont la façade néoclassique sévère tranche avec certaines de ses réalisations plus enjolivées. Est-ce le fait d’avoir toujours travaillé de consort avec d’autres architectes qui a empêché le nom de Jean Béguin de passer véritablement à la postérité ? L’architecte mérite pourtant largement qu’on lui offre un peu de visibilité, ne serait-ce pour sa réalisation la plus attachante : la cité Martini à Marin (CH-NE).

La Cité Martini à Marin. Crédit photo : Numaweb @ Wikipedia

A cente lieues de maisons familiales de luxe comme la villa Thommen édifiée par Jean Béguin à Môtiers, ce remarquable ensemble d’une trentaine de maisonnettes a été édifié en 1905-1906 pour accueillir les ouvriers de la fabrique d’automobiles Martini, active de 1897 à 1934. Entourés d’un jardinet, ces logements familiaux sur deux niveaux complétés d’une cave offrent – au rez-de-chaussée – un hall d’entrée, deux pièces d’habitation, une cuisine et un cabinet de toilette. Deux chambres et un réduit occupent l’étage. Bref, le summum du confort pour une famille ouvrière d’alors. Cette étonnante modernité a permis à la cité Martini de traverser les époques et d’être aujourd’hui encore plébiscitée par ses habitants. L’ensemble est d’ailleurs classé monument historique depuis 2002.

A gauche, la villa Thommen à Môtiers, sur des plans de Jean Béguin


Cloche religieuse ou civile ?

Il est maintenant grand temps de quitter le canton de Neuchâtel, patrie de l’architecte Jean Béguin, pour revenir à notre point de départ : l’hôtel de ville de Baulmes ! et c’est son clocher que je vous emmène visiter sans plus tarder. Un clocher-porche entièrement occupé par l’imposante cage d’escalier de l’édifice. On profite de la montée pour admirer de très beaux vitraux arborant les armoiries de la commune et du canton. Arrivés aux dernier étage de la partie maçonnée de l’hôtel de ville, nous quittons le majestueux escalier de pierre pour emprunter une échelle de meunier en fer conduisant aux combles. Pas besoin de s’arc-bouter pour soulever la trappe d’accès : le mécanisme est soigneusement lubrifié, preuve qu’il y a souvent du passage ici. La cloche est en effet régulièrement actionnée (à la main) pour les assemblées communales et les votations. Elle est aussi tintée toutes heures et demi-heures par une horloge mécanique signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez (F-39). Pour accéder à la cloche, il faut encore monter de quelques mètres, en empruntant cette fois une échelle – non plus de meunier – mais une vraie échelle d’acrobate, bien verticale ! Tout là-haut, accrochée à un petit beffroi de bois indépendant de la structure soutenant la flèche du clocher, nous attend la cloche de l’hôtel de ville.

Les vitraux ornant la cage d’escalier de l’hôtel de ville

Il n’est pas toujours aisé de distinguer une cloche religieuse d’une cloche civile dans le canton de Vaud. Prenons l’exemple du bourdon du temple de Baulmes : cette grande cloche de 3 tonnes arbore les armoiries de la commune, du canton et de la Confédération ainsi qu’un verset biblique. Même décoration pour la petite cloche de l’hôtel de ville ! Sur le vase se trouvent les trois blasons. Celui de la commune est surmonté de l’inscription Baulmes 1900. Le col arbore cette dédicace : Au nom du Dieu Tout-Puissant, ma voix, écho de la liberté, invoque la justice & l’ordre. Je sonne pour la concorde des citoyens, le bien public & la grandeur de la patrie. Sur la faussure – enfin – figure la signature : Paintandre frères, fondeurs à Vitry-le-François, Marne.


Le fondeur champenois doit beaucoup à son représentant vaudois

Paintandre ! N’avons-nous pas déjà croisé ces fondeurs dans un autre clocher de Baulmes… celui du temple ? C’est même avec l’imposant bourdon en sib2, réalisé en 1891, que la fonderie champenoise s’est vu ouvrir bien grand les portes du canton de Vaud pour de nombreuses autres cloches : L’Abergement, Aubonne, Ballaigues, Bercher, Bioley-Magnoux, Concise, Cuarnens, Cugy, Dommartin, Dompierre, Echandens, Goumens-la-Ville, Juriens, Mont-la-Ville, Lausanne, Saint-Prex… Et si les frères Paintandre ont pu vendre tant de cloches en terre vaudoise, ce n’est pas seulement grâce à la qualité de leur travail. Les fondeurs de Vitry-le-François ont bénéficié dans le canton des services d’un représentant à l’efficacité redoutable : Auguste Thybaud. Le fameux accordeur de cloches vaudois a commencé ses activités en collaborant avec Gustave Treboux de Vevey. Le redoutable homme d’affaires s’est très vite rendu compte qu’il réaliserait de meilleurs bénéfices en traitant avec des fonderies étrangères. Ce procédé n’a pas manqué de susciter l’ire de la presse vaudoise en 1893 quand la commune de Bioley-Magnoux a confié au tandem Thybaud-Paintandre la fourniture d’une nouvelle cloche

Trois extraits du journal vaudois « La Revue » parus durant l’année 1893

Ces protestations n’ont évidemment pas empêché Auguste Thybaud de continuer à faire appel à des fondeurs français (surtout Paintandre, mais aussi par moments Robert) pour remplir les clochers vaudois. Cette anecdote nous montre qu’au XIXe siècle déjà, les Suisses avaient pris l’habitude d’aller faire leurs emplettes en France pour soulager leur porte-monnaie.


Une famille de fondeurs entre Corrèze et Marne

Cette présentation de la cloche de l’hôtel de ville de Baulmes ne serait pas complète sans quelques mots au sujet de la fonderie Paintandre. Je me permets de vous remettre ici les quelques lignes que j’avais rédigées pour ma présentation de la sonnerie du temple de Concise (CH-VD).

Fils d’un cultivateur de Breuvannes-en-Bassigny (52), Jean-Baptiste (1793-1865), Sébastien (1798-1874) et Antoine Paintandre (1802-1886) embrassent tous trois la profession de fondeur de cloches. Jean-Baptiste, qui a appris le métier auprès d’Augustin Martin, est le maître de ses frères. J-B. fonde sa maison à Turenne en Corrèze, il s’en occupe avec son fils Hippolyte. Les deux autres frères – et c’est la lignée qui nous intéresse ici – choisissent d’installer leur atelier à Vitry-le-François dans la Marne. Ils peuvent compter dès 1860 sur la collaboration de Paul et Victor, les fils d’Antoine. En 1886, la fonderie de Vitry-le-François prend le vocable de « Paintandre Frères ». Paul est en charge du département commercial, Victor s’occupe de la partie industrielle. La coulée de deux belles cloches pour le temple de Baulmes en 1891 marque le début d’une collaboration fructueuse entre Auguste Thybaud et les frères Paintandre pour la réalisation de nombreuses cloches dans le canton de Vaud.

L’hôtel de ville de Baulmes. On peut regretter que le plan de quartier n’ait pas prévu un meilleur dégagement en façade pour pleinement apprécier les belles perspectives de l’édifice

Quasimodo remercie
-M. Jacques-Yves Deriaz, Municipal en charge des bâtiments de la commune de Baulmes lors de notre visite en 2017
-Antoine Cordoba, carillonneur à l’Abbaye de Saint-Maurice pour son talent de sonneur et pour l’aide logistique. Visitez son site internet consacré aux cloches de Savoie https://cloches74.com/

Sources (autres que mentionnées)
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/029102/2022-02-03/
https://doc.rero.ch/record/12463/files/BPUN_OU100_2006.pdf
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=bts-002%3A1902%3A28%3A%3A106
https://fr.wikipedia.org/wiki/Baulmes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cit%C3%A9_Martini
http://www.clocherobecourt.com/Robecourt/FondeursBelg.php

Cloches – Neuchâtel (CH-NE) collégiale réformée Notre-Dame

4 cloches et près de 800 ans d’histoire

-Cloche 1, Tour Sud, note sib2 +5/16, diamètre 156cm, poids environ 2’500kg, coulée en 1823 par François-Joseph Bournez aîné de Morteau
-Cloche 2, Tour Sud, note mib3 +2/16, diamètre 125cm, poids environ 1’200kg, coulée en 1786 par Claude-Joseph Livremont de Pontarlier
-Cloche 3, Tour Nord, note solb3 -1/16, diamètre 111cm, poids 775kg, coulée en 1930 par Ruetschi d’Aarau
-Cloche 4, Tour Sud, note la3 -2/16, diamètre 96cm, poids environ 500kg, coulée en 1503.


Elle domine la ville de Neuchâtel de son éperon rocheux depuis bientôt 800 ans… la collégiale réformée Notre-Dame vient de retrouver tout son lustre d’antan grâce à l’impressionnant chantier de restauration tout juste achevé. Un chantier long de 18 ans dont vous encourage vivement à découvrir toutes les étapes sur le site officiel des travaux. Vous constaterez que le résultat est somptueux ! C’est un superbe cadeau de Pâques pour les amateurs de patrimoine, et plus encore pour les protestants du centre-ville de Neuchâtel. La communauté a dû en effet se contenter durant quelques années du Temple du Bas, dont nous aurons l’occasion de parler un peu plus loin au travers de sa cloche jugée… un brin crispante par certaines chastes oreilles !

La voûte étoilée de la Collégiale après travaux (photo © Bernard Python)

Au travers de cette présentation, je vais m’appliquer à vous transmettre quelques anecdotes historiques au sujet des quatre cloches de la collégiale de Neuchâtel. Vous apprendrez par exemple qu’il y a moins d’un siècle, ces cloches n’étaient encore que trois, et que la petite dernière est arrivée pour une occasion bien particulière. Au travers de coupures de presse d’époque, nous verrons que les usages des cloches de la ville étaient jadis soigneusement réglementés. Je vous servirai enfin quelques tranches de vie de ceux qui leur ont donné naissance, à ces cloches : ces vaillants fondeurs, qui travaillent autrefois sur place, et à qui les dangers du métier ont parfois coûté la vie.

Le cloître rénové (photo © Yves André)

La façade de la Collégiale n’est pas la seule à avoir fait toilette. Les restaurateurs se sont également penchés au chevet du mobilier. Je pense notamment au remarquable monument des comtes et des comtesses de Neuchâtel, daté du XIVe siècle, et miraculeusement épargné à la Réforme. La sonnerie de la Collégiale a – elle aussi – bénéficié d’une cure de jouvence : les cloches historiques (nos 1, 2 et 4) ont vu leurs jougs restaurés et leurs battants et moteurs de volée changés par la maison Ruetschi. C’est justement dans le creuset de la fonderie argovienne qu’est née la benjamine de l’ensemble. Cette fameuse cloche no3 a conservé son équipement d’origine, dans un souci de la présenter aux générations futures « dans son jus ».


Premier coup de pioche au XIIe siècle

Avant de reparler plus en détail sur les cloches de Neuchâtel, de leurs histoires et de leurs fondeurs – car après tout, c’est la raison d’être de ce site, les cloches – je m’en vais vous conter brièvement son histoire, à cette collégiale de Neuchâtel. Comme vous allez le constater, le récit s’étend sur une bonne partie du deuxième millénaire. C’est en 1190 qu’Ulrich II, seigneur de Neuchâtel, donne le premier coup de pioche du chantier. Le chœur, le chevet, le bas du transept et les travées à l’est sont les premières parties à sortir de terre. A mesure que l’édifice prend forme, l’architecture évolue : du style roman rhénan pour la base et les absides, on passe au roman bourguignon. Quand la collégiale est consacrée en 1276, on constate que les parties hautes, le cloître et la tour sont de style gothique.

La collégiale à la fin du XVIIIe siècle par Abraham Girardet

A ce moment du récit, le lecteur le plus attentif se demande : « pourquoi le mot « tour » est-il au singulier ? » Il ne s’agit point d’une coquille de la part de votre humble narrateur : le deuxième clocher n’apparaît en effet que… 600 ans plus tard ! Nous sommes en 1867 et l’architecte Léo Châtelain est mandaté pour restaurer la collégiale. En ce  XIXe siècle, on ne considère plus le Moyen-Age comme une période sombre de l’Histoire. Exit l’attrait pour le néoclassicisme et le baroque, on redécouvre les beautés du roman et du gothique. On se surprend même à vouloir magnifier ces styles. Viollet-le-Duc ajoute des hourds, des créneaux et un pont-levis quand il rénove la cité de Carcassonne, il dote la cathédrale Notre-Dame de Paris d’une flèche bien plus imposante que les bâtisseurs du Moyen-Age. Animé du même esprit romantique, Léo Châtelain choisit de bâtir une seconde tour pour la collégiale de Neuchâtel. Il coiffe les deux clochers – nouveauté là aussi – de flèches de pierre plus proches du néogothique que des styles médiévaux.

Vue aérienne du château et de la Collégiale fraîchement restaurée ( photo © Lucas Vuitel

A nouveau clocher, nouvelle cloche

Mais je m’avance un peu en parlant de « clochers » au pluriel au XIXe siècle déjà. Alors que la Tour Sud possède des cloches depuis sa construction, la Tour Nord, édifiée en 1870, demeure une grande coquille vide pendant 60 ans. Arrivée en 1930, la nouvelle cloche permet donc de combler un double vide : dans la suite de notes de la sonnerie (sib2 mib3 solb3 la) mais aussi dans l’immense chambre des cloches. Il ne faut toutefois pas oublier que c’est avant tout dans un but commémoratif que cette nouvelle cloche est coulée : en cette année 1930, on commémore en effet les 400 ans de la Réforme à Neuchâtel. La nouvelle venue est accueillie avec faste au son de ses aînées. Elle parade à travers la ville sur un char, elle est exposée plusieurs plusieurs jours sous d’abondantes décorations florales, la presse locale la propulse au rang de vedette.

Feuille d’Avis de Neuchâtel du 25 octobre 1930

De telles festivités pour l’arrivée d’une cloche nous paraissent aujourd’hui d’un autre âge. En 2011, à l’occasion du millénaire de la ville de Neuchâtel, il est à nouveau question d’étoffer la sonnerie de la Collégiale. Il est vrai qu’on tenait là une occasion en or d’agrandir l’ensemble dans les aigus et d’offrir une compagne à cette pauvre cloche esseulée dans l’immense Tour Nord ! C’était oublier que de nos jours, les cloches sont trop souvent considérées comme inutiles, voire même comme sources de nuisances sonores pour les esprits les plus chagrins. Le projet d’agrandissement 2.0 de la sonnerie de la collégiale de Neuchâtel est donc demeuré – pour l’heure – vœu pieu. Un jour peut-être…

La cloche no3 est la seule occupante de la Tour Nord. Réalisée en 1930 par Ruetschi d’Aarau, elle est issue de la même coulée que les quatre cloches du temple de Corcelles NE

Il est vrai qu’une sonnerie, c’est comme un être vivant, c’est quelque chose qui évolue sans cesse. Par l’envie d’une collectivité, mais aussi par la force du destin. Peu de renseignements nous sont parvenus sur l’état de la sonnerie de la collégiale de Neuchâtel avant 1450, date à laquelle un terrible incendie détruisit une bonne partie de la ville. On sait juste qu’il y avait trois cloches et que la plus grande pesait 3’400 livres. Une nouvelle sonnerie est mise en chantier en 1452, 6’521 livres de bronze sont alors coulées. Une refonte intervient en 1503 déjà, date de la petite cloche actuelle. Une autre cloche, celle de midi – vraisemblablement la cloche no2 – doit être refaite en 1566. Sa remplaçante pèse 2’465 livres et coûte la somme de 35 écus d’or. D’autres refontes suivront, notamment en 1583 (bourdon), 1786 (cloche no2) et en 1823 (bourdon, à nouveau).

La plus petite cloche de la Collégiale est aussi la plus ancienne : elle date de 1503.

Le bourdon a perdu quelques kilos

Le 21 octobre 1949, Paul de Montmollin publiait dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel un intéressant article intitulé La grande cloche de la Collégiale a 126 ans.


Depuis 126 ans, la grande cloche de la Collégiale annonce les cultes et préside aux sonneries de nos fêtes. En 1823, le bourdon de 1583 s’étant fêlé, la ville se devait de le remplacer. Elle s’adresse au fondeur François-Joseph Bournez, de Morteau. Rappelons ici que bon nombre des cloches de notre pays neuchâtelois, et cela jusqu’au milieu du 19me siècle, ont été fondues par des Français : les Livremont à Pontarlier, les Cupillard et les Bournez à Morteau. Les archives de la ville conservent la facture de notre fondeur ; nous y glanons les renseignements suivants : Le receveur du poids public atteste que la nouvelle cloche pèse 4133 livres. Elle coûte à raison de 12 livres. L. 4959.12. Le Conseil général consent en outre une gratification de 168 L. eu égard à la perte éprouvée par le fondeur lors d’une première fonte manquée par cause de mauvais temps survenu. Cette remarque prouverait que l’opération se faisait à pied d’œuvre, en plein air, et non dans une fonderie, à Morteau par exemple.
En paiement, Bournez reçoit la valeur de la cloche fêlée qui pesait selon le receveur 4654 livres. On tire aussi des magasins de la ville pour 51 livres de vieux cuivre et 7 canons de couleuvrines faisant 241 livres. La ville doit encore un solde de L. 676,4 à notre fondeur qui en accuse réception en ces termes : Je soussigné reconnais avoir reçu de Messieurs les Quatre Ministraux de la Ville de Neuchâtel la somme de six cent soixante seize francs quatre sols de ce Pays, faisant et y compris la gratification que le noble et vertueux Conseil général a bien voulu m’allouer, le solde entier qui me revenait de la cloche que j’ai fondue pour le temple du haut de la dite ville.
Une garantie est cependant exigée du fondeur. Elle est calculée sur la base d’un dixième du poids de la nouvelle cloche se traduisant par L. 413,6 sols, à quoi s’ajouteront les L. 168 de gratification, soit L. 561,6 sols, et le document ajoute : Comme la somme de cinq cent quatre vingt un francs 6 sols devait rester entre les mains de MM. les Quatre Ministraux, pour sûreté et garantie de la dite cloche pendant une année, je prends l’engagement de représenter cette somme dans le cas où pendant cette année d’essai, il se manifesterait quelques vices ou fractures à cette cloche, qui dût être attribué à la manière à laquelle elle a été fondue, en présentant comme garant et caution de mon présent engagement M. Jean Biolley, membre du conseil de cette ville soussigné. Ainsi fait à Neuchâtel le 27 7bre 1823. (Signé) J. Bournez. (Signé) J. Biolley comme garant et caution.
La cloche a passé heureusement le cap de l’année d’épreuve. Mieux que ça, 125 autres années ont prouvé que l’ouvrage était de bonne qualité. Soulignons encore le précieux renseignement que nous vaut le papier conservé aux archives de la ville, à savoir le poids de la cloche fêlée 4654 livres. C’est ce bourdon dont l’inscription nous avait été conservée par Chambrier, empruntée à Esaïe II, 3. Venite et ascendamus in Montem Jehovae, in domum dei Jacobi et instituet nos in viis suis. Et au-dessous : Senatus populus que neocomiensis hoc ofsus fieri fecit.
La grandeur de la cloche était limitée par les dimensions de la chambre des cloches. En 1583 comme en 1823, il était pratiquement presque impossible d’installer un bourdon plus important dans notre clocher. C’est pourquoi encore, la cloche actuelle (1 m. 56,5) de diamètre , quoique un peu plus légère que l’ancienne, a juste assez d’espace pour s’y balancer.

L’article de Paul de Montmollin est riche en enseignements ! Sachant que le poids du bourdon actuel est d’environ 2’500 kg, on peut calculer que l’ancienne livre neuchâteloise correspond à peu près à 600 grammes actuels. On peut aussi – dans la foulée – déduire le poids de l’ancien bourdon : 2’800 kg environ. La cloche disparue de Franz Sermund était donc sensiblement plus lourde que l’actuel bourdon de François-Joseph Bournez.

Le bourdon de la Collégiale, coulé par François-Joseph Bournez en 1823. Il  porte pour toute inscription  les noms des notables de la ville.

1583, un grand millésime pour un grand fondeur – Franz Sermund est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs fondeurs de cloches de la Renaissance. A l’image des saintiers lorrains quelques siècles plus tard, ce Bernois d’adoption originaire de Bormio a laissé des traces de son art sur une importante aire géographique. L’essentiel de la production Sermund se trouve en Suisse, et particulièrement dans les cantons de Berne et de Vaud ; mais une cloche portant la griffe de notre fondeur sonne aujourd’hui encore en France, à Annecy, dans le clocher de l’église Saint-Maurice (d’autres ont disparu à la Révolution comme nous allons le voir plus loin).

Si 1579 est une belle année pour Franz Sermund avec le bourdon de la collégiale de Romont d’un poids de 5’700 kg environ, c’est indiscutablement avec le millésime 1583 qu’on trouve les meilleurs crus du maître-fondeur bernois. Cette année-là, Lausanne (Vaud est alors sous domination bernoise) lui passe commande d’un bourdon pour sa cathédrale. La belle « Marie-Madeleine » donne la note la bémol 2 et pèse 5’610 kg pour un diamètre de 208 cm. Sermund réalise aussi – à quelques mois d’intervalle – les grandes cloches des temples vaudois de Cossonay (ré3) et de Corsier (mi bémol 3). A signaler que cette dernière cloche fêla en 2013 et fut réparée par la fonderie néerlandaise Eijsbouts. 1583 est aussi l’année qui figure sur la sublime « Mittagsglocke » (cloche no2, dite « de Midi ») de la collégiale Saint-Vincent de Berne. Ce bourdon, qui donne un superbe sol#2, accuse un diamètre de 212 cm pour un poids de 6’395 kg. C’est assurément mon coup de cœur chez le génial fondeur bernois.

La « Mittagsglocke » du Berner Münster immortalisée avant sa motorisation (archives de la ville de Berne). Le poids mentionné est nettement exagéré !

Toutes les cloches de Franz Sermund ne nous sont hélas pas parvenues. Comme je vous le racontais plus haut, le bourdon que le Bernois a coulé en cette fameuse année 1583 pour la collégiale de Neuchâtel a fêlé en 1823. Mais la perte la plus cruelle est sans doute la disparition de 12 des 13 cloches que le fondeur bernois réalisa pour la ville de Colmar en 1573. La plus petite pesait 150 kg et la plus lourde 3’800 kg. L’œuvre de tout une vie anéantie par les coups de masse des Révolutionnaires…


Les Bournez, une dynastie maudite

Puisque je me suis attardé quelque peu sur le fondeur de l’ancien bourdon de la collégiale de Neuchâtel, il est tout naturel que je vous parle de l’artisan à qui ont doit l’actuelle grande cloche. Surtout qu’avec les Bournez, nous sommes sans doute en présence d’une des familles de fondeurs les plus intéressantes de par son histoire. Une histoire courte, elle s’étend à peine sur un siècle… mais une histoire marquée par deux tragédies : un meurtre et un accident mortel.

Signature de François-Joseph Bournez aîné sur le bourdon de la collégiale de Neuchâtel, sa plus importante réalisation.

Le 5 juillet 1758 vient au monde à Morteau François-Joseph Bournez. Le jeune homme a la chance d’être le parent par alliance de Cupillard, un important saintier franc-comtois chez qui il apprend le métier de fondeur de cloches. A l’âge de 22 ans, Bournez se lance à son compte et se fait vite remarquer par la qualité et la quantité de sa production… d’abord dans son coin de pays, puis en Suisse à partir 1792. L’homme s’établit en effet chez nous après la Révolution et clame à qui veut l’entendre que par la faute du nouveau régime politique de son pays, il n’a plus de cloches à couler.

Ses arguments sont sérieux, son travail est irréprochable… Bournez n’éprouve pas trop de mal à trouver de l’ouvrage par chez nous. Ce n’est que bien des années plus tard qu’on apprend la vraie raison de sa présence en Suisse : l’homme était recherché pour meurtre ! Notre fondeur est en effet accusé d’avoir égorgé son voisin et d’avoir tenté de faire disparaître le corps dans son four. Sa condamnation par contumace à vingt ans de fers et à la déchéance de la nationalité française n’empêche pas François-Joseph Bournez de mener tranquillement sa carrière de fondeur en Suisse. Il élit domicile successivement à la Chaux-de-Fonds (NE), à Domdidier (FR), à Payerne (VD) et à Siviriez (FR) où d’importantes commandes lui sont à chaque fois adressées.

En 1815 arrive la Restauration en France. Bournez bénéfice d’une amnistie et peut retourner à Morteau. Par contre, il ne parvient pas à toucher l’indemnité accordée aux émigrés spoliés, indemnité que notre fondeur-meurtrier a l’audace de solliciter. On ne connait pas la date exacte du décès de François-Joseph. On sait juste que son fils Généreux-Constant reprend les rênes de la fonderie familiale en 1825. Il la dirigera jusqu’en 1858. Suivra l’un des fils de G-C,  Emile jusqu’en 1865. Vient alors le tour du frère d’Emile, François-Joseph cadet, qui va connaître la destinée la plus tragique de toute la dynastie Bournez.

Cartouche de François-Joseph Bournez cadet sur une des cloches de la collégiale d’Estavayer-le-Lac (1872)

Ce prénom de François-Joseph est-il maudit ? ou est-ce la famille Bournez qui est née sous une mauvaise étoile ? Notre histoire, qui a débuté par un meurtre, va se terminer dans le sang. Pourtant, les signaux sont au beau fixe. François-Joseph Bournez reprend en 1865 les rênes d’une fonderie alors très prospère. Quelques années plus tôt, l’entreprise familiale ajoutait une nouvelle corde à son arc : la fabrication de pompes à incendie. En 1860, la fonderie Bournez se voit décerner la médaille d’or de l’Exposition universelle de Besançon. En 1870, François-Joseph est appelé à Estavayer-le-Lac (CH-FR) pour son plus gros chantier : six nouvelles cloches pour la collégiale Saint-Laurent. Le magnifique bourdon en la2, d’un poids de 4’200 kg, est la plus importante réalisation de la fonderie Bournez, toutes générations confondues.

En 1895, c’est le drame. François-Joseph Bournez et son fils Louis sont aux Breuleux (CH-JU) pour descendre une vieille cloche. La corde se rompt, la cloche chute et tue net un jeune charpentier de vingt ans. Louis est sérieusement blessé à l’œil, à la tête et à la main. François-Joseph parait indemne sur moment, mais choqué par ce terrible accident. il décède d’une attaque quelques jours plus tard. Ses descendants tenteront de poursuivre son travail pendant une dizaine d’années, mais avec un succès moindre. Grandeur et décadence d’une famille de fondeurs de cloches sur fond de glas.


Les Livremont, fondeurs à Pontarlier, Besançon, Thonon, etc…

Quel entrepreneur n’a pas un jour rêvé de voir ses enfants et ses petits-enfants reprendre son fonds de commerce ? Il est vrai que de nos jours, on embrasse un carrière professionnelle essentiellement par affinités et non plus pour faire plaisir à ses géniteurs comme au temps jadis. Originaires de Franche-Comté, les Livremont demeurent un exemple de ce qu’était jadis une dynastie avec son savoir-faire hérité de génération en génération. Dans cette lignée, aux XVII et XVIIIe siècle, tout le monde était fondeur de cloches ! Et tous les représentants mâles de cette famille ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté.

Parmi les cloches les plus anciennes et toujours existantes réalisées par les Livremont, signalons la grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 et portant la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon. Le bourdon d’Orbe (CH-VD) d’un poids de 3’200 kg affiche comme signature GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688.

Au XVIIIe siècle, on constate la présence de deux lignées Livremont bien distinctes. Les prénoms de Jean-François et/ou de Jean-Claude bourgeois de Thonon apparaissent dans le sud de la Romandie, alors que dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel, on retrouve les signatures d’Antoine et/ou de Claude-Joseph avec la mention Pontarlier. Et c’est justement à Claude-Joseph Livremont que l’on doit la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel.

La cloche no2 de la Collégiale, coulée en 1786 par Claude-Joseph Livremont de Pontarlier. C’est au moins la quatrième version d’une cloche déjà refaite en 1452 et 1566.


Une motorisation précoce

Alors que les sonneries des cathédrales de Berne et de Fribourg sont passées à l’électrique dans les années 1940, c’est en 1937 déjà que les cloches de la ville de Neuchâtel ont cessé d’être tirées à la corde. L’événement – car c’était un événement pour l’époque – a fait l’objet d’une publication dans la Feuille d’Avis du 6 novembre 1937

Les essais qui se sont poursuivis hier pour mettre au point le nouveau système dont sont dotées, depuis quelques jours, les cloches de la Collégiale, de la tour de Diesse et du Temple du bas, et qui permet de les sonner électriquement, ont fort intrigué la population. Ces essais se sont révélés concluants et le son obtenu de cette façon est de la même qualité que celui qu’obtenaient les sonneurs professionnels. Le système en question est fort simple. Il consiste en une chaîne de motocyclette, mue par un moteur électrique d’un cheval-vapeur pour la grosse cloche de la Collégiale (d’un quart de cheval-vapeur pouf les autres cloches) et qui, par un jeu d’engrenages, met en mouvement la cloche elle-même. On obtient ainsi une imitation parfaite de la sonnerie à la main, non seulement durant la volée, mais aussi au départ comme à l’arrêt. L’appareil est d’une extrême simplicité, indéréglable, ne demande pas d’entretien et consomme une force très minime. Un graissage constant de tous les organes est assuré par une circulation automatique d’huile. Tous les axes sont sur roulement à billes. Il suffit maintenant de peser sur un bouton pour que nos cloches sonnent. Un poste de commande a été établi dans le local de la police, d’où l’on pourra actionner les cloches.

Les travaux de motorisation ont été effectués par la maison Matthey-Doret de Neuchâtel. Le système retenu fut celui de l’entreprise Bochud de Bulle, un des pionniers de l’automatisation des cloches en Suisse

Dépôt de brevet de la maison Bochud pour son système de motorisation de mise en volée des cloches (1937). Collection de Jean-Paul Schorderet.


Des cloches pour chaque occasion et pour chaque communauté

Et si nous profitions de cette présentation de l’imposante sonnerie de la collégiale pour nous intéresser aux autres cloches de la ville ? Elles sont certes de dimensions plus modestes, mais elles méritent tout de même le détour. La presse ne s’y est pas trompée en les documentant abondamment au fil des ans. Concernant leurs usages, pour commencer : Une parution officielle de 1883 dans la presse locale nous indique que les sonneries dominicales étaient fort nombreuses à Neuchâtel. Il faut dire que les cérémonies se succédaient tout au long de la matinée pour les différentes communautés. Les germanophones avaient leur propre culte en langue allemande. On remarque surtout la présence de deux communautés réformées francophones : l’Eglise nationale et l’Eglise indépendante. Cette dernière était née sous la Révolution de 1848 à Neuchâtel. Parfois, elle partageait ses lieux de culte avec l’Eglise nationale, comme ici au Temple du Bas, mais souvent elle disposait ses propres édifices (exemple avec le Temple Farel de La Chaux-de-Fonds). Il faudra attendre 1943 pour que les deux communautés protestantes se réconcilient sous la bannière de l’EREN.

Il est intéressant aussi de noter l’emploi à la fois religieux et civil des différentes cloches. La grande cloche de la Tour de Diesse – employée principalement pour tinter les heures, sonner le couvre-feu et prévenir des incendies – donnait aussi de la voix pour appeler les fidèles de la chapelle des Terreaux, dépourvue de cloches. Réciproquement, la cloche du Temple du Bas – outre le fait d’appeler les fidèles – avait pour mission d’annoncer les incendies en dehors du centre ville.

La Tour de Diesse construite à partir du Xe siècle. Son couronnement actuel date du XVIIIe siècle

Ces cloches ont toutes fait l’objet d’une présentation dans la presse locale en 1930 à l’occasion de l’arrivée de la nouvelle cloche de la collégiale. On y apprenait que la Tour de Diesse referme deux cloches : La cloche des enterrements (note do4, diamètre 77cm, poids 215 kg) coulée en 1715 par le Neuchâtelois Gédéon Guillebert et une grande cloche (note do3, diamètre 150 cm, poids environ 2’000 kg) que Livremont de Pontarlier est venu couler en 1787, autrement dit un an après avoir réalisé la cloche no2 de la collégiale. Le clocheton du Temple du Bas ne renferme qu’une cloche : un petit si bémol 3, diamètre 89 cm, poids 425 kg, coulé par Jean-Henri Guillebert en 1734.

Une cloche mal-aimée – La cloche du Temple du Bas… parlons-en, la pauvre ! Sa sonorité ne semble pas séduire toutes les oreilles neuchâteloise, à en croire le courrier de lecteurs d’un certain H.R, paru dans la Feuille d’Avis du 27 juillet 1937.

Le Conseil général a voté un crédit pour l’équipement électrique des cloches de Neuchâtel » disent les Journaux. La triste cloche du Temple du bas sonnera-t-elle moins lugubrement après cette opération ? Peut-on espérer qu’elle soit rendue moins morne et désolante en accélérant le rythme de sa sonnerie ? Sinon, il Importerait plus de remplacer cette cloche que de lui donner un « équipement électrique». Ou bien, les ondes pleurardes qu’elle déverse sur notre ville chaque matin de nos dimanches à 8 h, 9 h. et 10 h, évocatrices d’une bien triste piété, continueront-elles éternellement à nous sonner la pénitence ? Pour avoir su doter leur église d’un très heureux carillon, nos frères catholiques n’en sont pas moins assidus aux cultes que nous. La cloche du Temple du bas me fait souvent désirer que l’on nous appelle au culte, qui est un événement joyeux, par une radieuse sonnerie de clairons.
Ce ton de cloche est une laideur des matins de dimanche à Neuchâtel, et il doit donner aux passants d’autres pays l’impression d’une âme neuchâteloise d’un protestantisme hypocondriaque, et de naturels contrits, peu enclins aux accueils aimables. Ohé, l’A. D. E. N ! Les spécialistes diront s’il est possible d’obtenir un heureux résultat en adjoignant une nouvelle cloche à l’ancienne, mais je sais que le clocheton n’est pas grand, et puis, existe-t-il une cloche qui consentirait à « s’accorder » avec notre pauvre vieille et vénérable « mômière » ? Ne la traitons pas à l’électricité, elle est trop âgée. Employons plutôt le crédit voté à lui accorder, en la remplaçant, une retraite perpétuelle. Il y a quelques années, une heureuse restauration du Temple du bas a été faite, mais : Le temple, hélas, en la tourmente, a conservé dans son clocher le glas navrant qui se lamente le dimanche, pour nos péchés.

Le Temple du Bas, inauguré en 1696. Il a été nommé ainsi en opposition au « Temple du Haut », le nom donné durant un certain temps à la Collégiale (photo © neuchatelville.ch

A ce très sévère procès intenté à la pauvre cloche du Temple du Bas, Paul de Montmollin, fin connaisseur des cloches de la ville de Neuchâtel, a renchéri trois jours plus tard avec un nouveau réquisitoire, toujours dans le courrier des lecteurs de la Feuille d’Avis

La cloche du Temple du bas est douloureuse aux oreilles mathématiques de M. H. R. (voir « Feuille d’avis de Neuchâtel » du mardi 27 juillet). Douloureuse parce qu’en lieu et place des harmoniques qu’une cloche réputée réussie fait entendre en sus du ton fondamental (octave grave, tierce mineure, quinte juste), notre vieille s’obstine depuis plus de deux siècles à nous bourdonner sa septième, sa seconde que sais-je encore… Les fondeurs de notre cloche n’étalent certes pas des maîtres de l’art. Henri et G. Guillebert y allaient au petit bonheur et, si mes souvenirs sont exacts (Je n’ai pas sous les yeux les documents qu’il faudrait), G. Guillebert dut s’y reprendre à deux fois avant de satisfaire de façon relative Messieurs les Quatre Ministraux quant, après le grand Incendie, il livra pour la Tour de Diesse la petite cloche qui s’y trouve encore. Que faire ? Remplacer « la Guilleberte » par une jeune et pimpante argovienne ? Pas la peine pensons-nous. Il y aura toujours disproportion entre la masse du Temple du bas et la petite voix qui devra prendre place dans son clocheton. (La cloche actuelle a moins de 90 centimètres de diamètre). Si pourtant on veut tenter l’expérience, nous aurions à Neuchâtel même de quoi nous satisfaire.
La cloche qui s’ennuie à l’ancien hôpital de la ville est à peu près de même taille. Elle a un très beau son. Sœur de la grande cloche de la Tour de Diesse, du No 2 de la Collégiale, c’est également le bon Livremont de Pontarlier qui la fondit en 1771. Oui, mais… qui frappera désormais les heures place de l’Hôtel-de-Ville ? La cloche du Temple du bas. Pourquoi pas ? M. H. R. veut-il une belle sonnerie, qu’on appelle à la rescousse l’A. D. E. N, les mécènes et tutti quanti. Que l’on élève côté sud un clocher digne de ce nom et qu’on y installe 3 ou 4 belles cloches. Autre idée : Compléter à la Tour de Diesse la sonnerie actuelle par deux cloches et les affecter au service de notre temple. Je suspends cette rêverie estivale écrite aux sons des clochettes des vaches du pâturage voisin.

Même si Paul de Montmollin use d’arguments plus techniques que M. H.R qui a décoché la première flèche empoisonnée, on sent qu’il prend plaisir lui aussi à lancer des piques à l’intention de la pauvre petite cloche du Temple du Bas ! Ironie du sort : alors que ces deux Messieurs se sont tus depuis plusieurs décennies, emportés vers un monde meilleur où toutes les cloches sonnent toutes à l’unisson, la vénérable « Guilleberte » continue aujourd’hui encore à chanter de sa voix aigrelette. On ne peut que s’en réjouir : trop de cloches historiques ont en effet fini au creuset, victimes de pourfendeurs aux oreilles trop délicates.

La basilique de Neuchâtel dans son état d’origine vers 1920

La Basilique, cette géante au pied d’argile – Deux mots – pour être complet – des cloches de la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Neuchâtel. Autant vous le dire tout de suite, vous risquez d’être déçus ! Non pas que la sonnerie de l' »Eglise Rouge » ne soit pas harmonieuse : c’est juste que les cloches sont de dimensions très modestes aux vues de la taille de l’édifice. L’imposant clocher, haut de 53 mètres, a d’abord reçu – en même temps que son horloge – trois petites cloches civiles fixes (fa4 la4 do5) en 1912. Ces timbres portent la signature de l’horloger David Perret. C’est seulement en 1933 qu’est passé commande à la fonderie Ruetschi d’Aarau de trois cloches à la volée (fa#3 sol#3 si3) d’un poids total de 1’800 kg. Rappelons que le bourdon de la Collégiale pèse à lui seul 2’500 kg !

N’y voyez ici aucune avarice de la communauté catholique : la basilique est un véritable gouffre financier. Construite à partir de 1897 en pierre artificielle, pour des raisons d’économie, l' »Eglise Rouge » s’avère  vite fragile. En 1920 déjà, il faut retirer certains ornements tels que les pinacles qui menacent de tomber sur les passants. Les travaux de consolidation se font si coûteux au fil des décennies qu’on envisage, dans les années 80, de raser purement et simplement l’édifice. L’église sera finalement classée en 1986. Elle sera élevée au rang de basilique mineure en 2007.

L’Impartial du 5 mars 1934 relatait l’arrivée des deux plus grandes cloches de la basilique. La plus petite était arrivée pour Noël 1933.

Je pourrais vous noircir encore des montagnes de pages sur les cloches de la ville de Neuchâtel, tant les histoires sont nombreuses, tant les sources sont intarissables. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé tout au long de la rédaction de cette modeste présentation : à chaque étape de mes recherches, il s’est trouvé dans un vieux livre ou dans la presse de l’époque une savoureuse anecdote à rapporter. Tout ceci témoigne du lien étroit que les Neuchâtelois ont su tisser de tous temps avec leurs cloches. Je ne saurais d’ailleurs mettre un point final à ces quelques lignes sans un dernier courrier des lecteurs daté du 31 décembre 1929. Un témoignage hélas anonyme, mais ô combien touchant.

Alité depuis de longs mois et privé par conséquent du plaisir que procure la préparation extérieure et visible de la fête de Noël, c’est avec une grande joie que je lus l’avis de la direction des cultes de notre ville que les cloches de la Collégiale seraient sonnées mardi soir pour annoncer la nuit de Noël. Le même jour s’installaient sur la place des Halles deux « carrousels » ne se lassant point de faire entendre les indispensables ritournelles de leurs orgues de barbarie. Ces dernières se tairont-elles pendant que sonneront les cloches ? Je le crus un instant. Hélas, naïve illusion ! A 18 heures et quart, les cloches de la Collégiale se mettaient en branle, et à toute volée, dans un harmonieux concert, annonçaient la venue de Noël, message de joie, de paix et de bienveillance parmi les hommes : mais en même temps nos braves « carrousels » s’en donnaient à cœur joie et de tout leur souffle mêlaient leurs refrains de music-hall et de la Marseillaise aux sons des cloches de notre antique Collégiale. Oh ! quel mélange de musique disparate, quelle horrible cacophonie ! N’y tenant plus, j’enfonçai ma tête dans mes oreillers pour ne plus rien entendre et, sans doute avec tous les habitants du quartier, regrettai-je amèrement cette fâcheuse dualité.

Quasimodo remercie
La ville de Neuchâtel – La paroisse réformée de Neuchâtel – Fabienne Hoffmann, experte-campanologue à Lausanne – Matthias Walter, expert-campanologue à Berne – Pascal Krafft, expert-campanologue en Alsace – Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers – Damien Savoy, organiste et chef de chœur à la basilique Notre-Dame de l’Assomption de Neuchâtel – Le comité et les membres de la GCCS (le reportage vidéo a été réalisé durant notre assemblée 2021).

Sources (autres que mentionnées)
« Les fondeurs de nos cloches » tiré du cahier « Musée Neuchâtelois » de janver 1915
« Les Bournez, fondeurs de cloches à Morteau » tiré du cahier « Musée Neuchâtelois » de janvier 1973
Archives de la fonderie Ruetschi
https://www.restaurationcollegialeneuchatel.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A9giale_de_Neuch%C3%A2tel
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9o_Ch%C3%A2telain
https://www.eren.ch/neuchatel/patrimoine-architectural/temple-du-bas/
https://www.eren.ch/neuchatel/patrimoine-architectural/collegiale/
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_%C3%A9vang%C3%A9lique_du_canton_de_Neuch%C3%A2tel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame-de-l%27Assomption_de_Neuch%C3%A2tel

Cloches – Collombey (CH-VS) église Saint-Didier

Un clocher de style anglais en plein cœur du Chablais

-Cloche 1, note fa#3 +3/16, diamètre 97 cm, coulé en 1728 par Nicolas Boulanger, Alexis Durand et Jean-Baptiste Durand.
-Cloche 2, note la3 -3/16, diamètre 86 cm, coulée en 1728 par Nicolas Boulanger, Alexis Durand et Jean-Baptiste Durand.
-Cloche 3, note si3 +6/16, diamètre 77 cm, coulée en 1878 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 4, note do#4 +2/16, diamètre 76 cm, coulée en 1809, fondeur indéterminé.

Notre découverte campanaire du jour nous amène dans le Chablais, qui fut l’une des provinces des États de Savoie. Aujourd’hui, on distingue trois entités : d’abord – sur territoire français – le Chablais savoyard, qui s’étend de la rive nord du Léman à la Vallée du Giffre. Nous avons ensuite – en Suisse – le Chablais vaudois, région vinicole par excellence située en amont du Lac Léman sur la rive droite du Rhône.  Vis-à-vis se trouve enfin le Chablais valaisan, dont les limites actuelles ont été fixées par le traité de Thonon en 1569. Et c’est justement en terres valaisannes, le long de la route cantonale reliant Saint-Maurice à Saint-Gingolph, que se trouve l’église Saint-Didier de Collombey à laquelle nous allons nous intéresser aujourd’hui.

De l’agriculture à l’industrie – Collombey-Muraz conserve de précieux témoignages de son passé : le manoir-château De Lavallaz, ancienne demeure féodale, et le Château d’Arbignon, qui depuis 1647, accueille la communauté des religieuses des Bernardines. La vocation de la commune est longtemps essentiellement agricole. L’implantation de la première raffinerie suisse de pétrole en 1960 entraîne alors un essor industriel conséquent. Collombey est aujourd’hui le plus grand des cinq villages qui constituent l’entité de Collombey-Muraz avec près de 4’600 habitants fin 2016.

Un clocher insolite – A Collombey, sommes-nous véritablement dans la plaine du Rhône ? La silhouette du clocher peut nous faire douter, tant il est vrai que l’architecture régionale est habituellement aux imposantes flèches de pierre. Or rien de tel ici : le couronnement à quatre tourelles d’angles nous rappelle plutôt les clochers anglicans. N’allez pas croire qu’une rafale de foehn a arraché la flèche ! N’imaginez pas non plus que sa construction a été interrompue pour des raisons d’économie ou de statique. L’explication serait plutôt à chercher chez l’architecte, un certain Emile Vuilloud.

Un architecte éclectique – Emile Vuilloud (1822-1889) a été l’une des figures de proue de l’éclectisme dans la région. On lui doit aussi bien des églises néo-romanes comme notre église Saint-Didier (1873) que néogothiques (Aigle, Vevey) ou encore néo-classiques sardes (Monthey). On remarque surtout que 10 ans avant d’avoir réalisé l’église de Collombey, Vuilloud avait doté l’église catholique d’Aigle du même type de clocher. Et si parmi ses nombreuses sources d’inspiration, l’architecte était allé puiser dans les clochers anglicans, dont le couronnement est souvent doté de créneaux et de tourelles mais dénué de flèche ? Il est utile de rappeler qu’en cette fin de XIXe siècle, les riches touristes anglais étaient nombreux sur la Riviera vaudoise et dans le Chablais.

Un mobilier moderne – L’église Saint-Didier est un élégant édifice néo-roman à 3 nefs surmontées de plafonds à caissons. Hormis les fonts baptismaux du début du XVIIe siècle, le mobilier date essentiellement du XXe siècle et porte les signatures d’éminents artistes du Groupe de Saint-Luc. Les vitraux à jointure de béton ont été commandés pour l’agrandissement des baies du chœur en 1949, ils sont l’œuvre de Paul Monnier. Pour la restauration menée dans les années 1960, François Ribas réalise le tabernacle décoré d’émaux, alors que Bernard Viglino confectionne les mosaïques des deux autels latéraux. L’orgue est installé par la manufacture Kuhn de Männedorf (CH-ZH) en 1967.

Une sonnerie réalisée en plusieurs étapes – L’ancienne église de Collombey fut consacrée en 1723, date de la séparation d’avec la paroisse de Monthey. De cette époque datent les deux plus grandes cloches coulées par Durand & Boulanger, dont seule la plus grande est signée. Deux autres cloches furent ajoutées en 1809 par un fondeur inconnu : la cloche no3 – refaite par Gustave Treboux en 1878 – et l’actuelle cloche no4. Cette dernière ne porte aucune signature. Son examen n’a permis de l’attribuer à aucun des fondeurs recensés à la même époque dans la région. Vous pouvez le voir sur les photos ci-dessous : la cloche souffre de nombreux défauts de coulée (surface bosselée, lettres décalées ou retournées, orthographe douteuse).

Inscriptions  et ornementations des quatre cloches
Cloche 1 : sur le col : LE SAINT NOM DE DIEV SOIT LOVE – SAINT DIDIER NOSTRE PATRON PRIE POUR NOVS IE Y ESTE FAITTE AV FRAIS & DEPENS DE LA COM. TE DES DEVX COLOMBEY POVR PARRAIN MON S. R CLAVDE DONN ET TRES DIGNE CVRE DE COLOMBEY MARAINE NOBEL DAME CLOVIZ E CORTEN. Ces lignes d’inscriptions sont soulignées d’une frise de palmettes typique des cloches de cette époque. Sur le vase figurent un calvaire de même qu’un chrisme accompagné de deux colombes (symbole de la commune) et de l’inscription VTRIQVE FVIT AVXILIUM. Sur la faussure : I.B&A. LES DVRAN DS ET N. BOVLANGER NOVS ONT FAIT LAN 1728.

Cloche 2 : sur le col : LOVE SOIT LE SAINT NOM DE IESVS & DE MARIE – I EY ESTE FAITTE AV FRAIS & DEPENS DE LA PAROISSE DES DEVX COLOMBEY POUR PARRAIN R. MON S. R IE LOVIS FAVRE TRES DIGNE DIRECTEVR DES RELIGIEVSES DE COLOMBEY POVR MARAINE MODESTE ANNE CATHERINE CHERVATL 1728. Ces lignes d’inscriptions sont soulignées d’une frise de palmettes typique des cloches de cette époque. Sur le vase figurent un calvaire de même qu’un chrisme accompagné de deux colombes (symbole de la commune) et de l’inscription VTRIVMQVE FOVEAT & REGAT.

Cloche 3 : les anses sont décorées de visages féminins. Le col est orné de festons de style néoclassique. Inscriptions sur le vase : PARRAIN STANISLAS DUFAY DE LAVALLAZ NOTAIRE. MARRAINE MARIE LOUISE DUFAY DE LAVALLAZ NEE DETORRENTE ANNEE 1809 ET 1878. L’effigie de saint Joseph est entourée de l’inscription : LOUEZ SOIT JESUS MARIE JOSEPH alors qu’on peut lire autour de l’effigie de saint Didier : ST DIDIER NOTRE PATRON PROTEGE-NOUS. Tous ces motifs sont soulignés par une frise de feuillages. Sur la faussure : GUSTAVE TREBOUX FONDEUR A VEVEY 1878.

Cloche 4 : Les inscriptions sont dont difficilement déchiffrables. Certaines lettres sont manquantes, mal alignées ou inversées. On peut toutefois lire sur le col M. PIERRE MARIE DU [F]AY DELALALAZ GD CHATELAIN PARAIN ET MARIE MAGDELAINE DU FAY DEVALAVALLAZ MARAINE L. 1809 JEAN BAPTISTE CHAPERON CURE JEAN DIDIER TORMAZ PRESIDENT JEAN BURDEVET PROCUREUR D EGLI[S]E. CRISTIAN RIONDET VICE CH. FAITE AU DEPENTS DE LA PAROISSE, PIERRE PARVEX CONSEILLER . JEAN DIDIER RIONDET CONSEILL[E]R. Le vase arbore une croix et une effigie de saint Didier entourée de l’inscription ST DIDIER PROTEGE-NOUS. Au-dessous, une frise de différents motifs comme des pointes de diamant.

Les cloches sont accrochées en fenêtre à un beffroi de bois renforcé d’acier. Elles se balancent sous des jougs métalliques de type Bochud. Elles sont munies de battants piriformes et d’électro-tinteurs vraisemblablement contemporains à leur motorisation.

Quasimodo remercie :
La paroisse de Collombey pour son aimable autorisation
-Bastien Clerc et Yann Petten, sacristains et servants de messe, pour leur chaleureux accueil, leur disponibilité et la riche documentation fournie
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice pour son  indispensable collaboration.

Sources :
Relevés des cloches effectués par Patrick Helzig et rassemblés par Bastien Clerc.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chablais
https://fr.wikipedia.org/wiki/Collombey-Muraz
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Vuilloud
https://www.collombey-muraz.ch/
https://paroisses-collombey-muraz.ch/
http://www.orgues-et-vitraux.ch/
https://vitrocentre.ch/it/recherche/projets-en-cours/groupe-de-saint-luc.html