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Cloches – Moudon (CH-VD) église réformée Saint-Etienne

Une sonnerie imposante et riche d’histoire

-Cloche 1, note la bémol 2 +3/16, diamètre 196 cm, poids environ 4’500 kg, coulée en 1838 par François Humbert de Morteau.
-Cloche 2, « Joyeuse », note ré bémol 3 +14/16, diamètre 146 cm, poids environ 2’100 kg, coulée en 1441 par Jean Perrodet et Pierre Quarta de Genève
-Cloche 3, note mi bémol 3 +15/16, diamètre 131 cm, poids environ 1’600 kg, coulée en 1654 par Jean Richenet de Vevey.
-Cloche 4, note fa 3 +11/16, diamètre 112 cm, poids environ 850 kg, coulée en 1763 par Simon Gillot de Breuvannes-en-Bassigny et Gaspard Deonna de Genève.
-Cloche 5, note la bémol 3 +15/16, diamètre 94 cm, poids environ 530 kg, coulée en 1731 par Jean Maritz de Berthoud.
(la3 = 435Hz)

NB : la manière de noter la ligne nominale peut surprendre. Il a été choisi de reprendre la notation historique de 1893 et d’y ajouter les altérations de rigueur.


Quand on aime, on ne compte pas !

Il est des sonneries inédites sur la toile que les amateurs de cloches exhibent fièrement tel le scoop du siècle… et puis il y a les classiques du patrimoine campanaire qu’on se plait à ressortir de temps à autre. Un peu à l’image de ces indémodables du cinéma qu’on aime redécouvrir en famille, il y a ces sonneries qui à chaque nouvelle écoute, semblent dévoiler un peu plus de leur charme, de leur mystère. Les cinq cloches de l’église Saint-Etienne de Moudon ont déjà fait l’objet de publications sur ce site à partir de 2009. Elles  figurent aussi sur les pages et canaux Youtube d’autres passionnés.  Mais ce qui manquait à ce jour, c’était une présentation plus complète de ce remarquable ensemble campanaire de la Broye vaudoise. Remarquable d’abord par sa taille : avec cinq cloches en la bémol 2, il s’agit de la deuxième plus grosse sonnerie du canton de Vaud après celle de la cathédrale de Lausanne. Remarquable également par son âge : nous avons ici une cloche du XIXe siècle, deux du XVIIIe, une du XVIIe et même une du XVe siècle.

Le bourdon à gauche, la cloche 2 de 1441 à droite

Outre le plaisir sans cesse renouvelé d’écouter et de contempler ces dames de bronze à la volée, nous allons prendre le temps aujourd’hui de parcourir leurs inscriptions, traduire leurs locutions latines, admirer leur iconographie. Les décors de la cloche gothique sont particulièrement remarquables ! Ces quelques lignes vont aussi être  l’occasion de se souvenir qu’avant de jouer l’air de Carmen de Bizet tous les quarts d’heure, les cloches de Moudon n’étaient pas aussi harmonieuses. Et puis vous en apprendrez plus sur les hommes qui ont façonné ces cloches : l’un d’eux est devenu fondeur alors qu’il n’avait que 13 ans ; un autre – en plus de couler des cloches – est devenu célèbre avec ses canons ; un troisième a vu ses ancêtres travailler à la fonte du bourdon le plus célèbre du monde !


Une église paroissiale monumentale

« L’église Saint-Etienne se situe à mi-chemin entre une simple église paroissiale et une cathédrale. Elle reprend de ce dernier type la générosité de l’espace intérieur et le voûtement complet renforcé par des arcs-boutants ». Rien qu’en lisant ces quelques mots , on saisit toute l’admiration que Monique Fontannaz porte à cet édifice emblématique de cette ville qu’elle chérit tant. L’historienne locale consacre d’ailleurs plus de 40 pages à l’église Saint-Etienne dans « La ville de Moudon ». Ce n’est dès lors pas étonnant que ce remarquable ouvrage, paru dans la collection « Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse » se retrouve être l’une des sources principales de la modeste présentation que voici.

Une première église dédiée à Saint-Etienne est mentionnée vers 1134. La construction de l’édifice actuel semble avoir débuté sous Pierre II de Savoie vers 1281, en même temps que le seigneur des lieux entreprend de fortifier la ville-basse. Le chevet de cette nouvelle église et les nouveaux remparts n’en font d’ailleurs qu’un. Autre preuve que le destin des fortifications et de l’église Saint-Etienne de Moudon sont étroitement liés : le clocher. Ce clocher à l’apparence si frustre à côté de cet élégant sanctuaire gothique rayonnant est à l’origine une tour d’enceinte. Commencée en 1416, la tour voit ses plans modifiés, puisqu’on décide en 1431 d’en faire un clocher fortifié, en remplacement du petit clocher sur l’avant-chœur de l’église. Ce double rôle permettra à la tour de rester debout au XIXe siècle alors que le reste de l’enceinte de la ville sera rasé.

Moudon connaît une période faste entre 1478 et 1536, autrement dit entre la fin des Guerres de Bourgogne et la conquête bernoise. D’importants enrichissements sont alors apportés à l’architecture et au mobilier de l’église Saint-Etienne : rehaussement de la nef, réalisation de superbes peintures sous les voûtes, confection de nouvelles stalles. Ces même stalles qui survivront miraculeusement à la Réforme de 1536. Si le passage au culte protestant entraîne la démolition de 18 autels secondaires, on ne peut pas dire que cette nouvelle période va entraver le développement de l’église. De nouveaux contreforts et arc-boutants sont construits en 1582, l’élégante chaire en molasse est confectionnée en 1695 sur le modèle de celle de la cathédrale de Lausanne. Et puis c’est sous la Période bernoise qu’est édifiée la tribune, c’est surtout en 1764 qu’est construit le magnifique orgue Potier, toujours existant.

Avec le XIXe siècle débute l’ère des restaurations. Parmi les plus importantes : en 1838-1839, Henri Perregaux fait enduire toutes les surfaces intérieures de gris (cet enduit sera supprimé en 1969-1973). L’architecte lausannois va aussi démolir certaines chapelles et donner un aspect « néogothique tardif » aux piliers. Cet important chantier coïncide avec l’installation du bourdon dans le clocher. L’archéologue cantonal Albert Naef restaure la façade orientale en 1896-1897. Et puis il y a cette restauration discrète mais ô combien vitale menée de 1949 à 1969 : sans l’installation dans les combles de renforts de béton pour pallier sa statique défaillante, l’église Saint-Etienne de Moudon ne serait peut-être plus debout aujourd’hui.


La valse des fondeurs

Si anciennes que puissent être les cinq cloches de l’église Saint-Etienne , on trouve plus vieux – beaucoup plus vieux, même – dans les archives de la ville. De nombreux fondeurs, la plupart itinérants sont cités, ils réalisent ou refondent parfois plusieurs cloches pour les différentes tours de la ville : Eglise Saint-Etienne, que nous abrègerons dans ce paragraphe « SE », église Notre-Dame (ND) école (EC) ou encore Maison Rochefort (MR). SE a sans doute possédé quatre cloches dès l’élévation du clocher fortifié en 1441. Ce nombre semble être monté à cinq en 1642. Il est intéressant de noter que certaines de ces cloches ont voyagé : en 1838, François Humbert refond deux cloches pour SE. La plus petite est refusée par les autorités communales car non satisfaisante. A sa place, on récupèrera une cloche coulée en 1654 par Jean Richenet pour ND. Le tableau ci-dessous vous indique la liste des différentes coulées de cloches recensées à Moudon et classées par date.

Année Fondeurs Lieux d’origine Détails (destination, nombre de cloches, cl. neuve ou refonte)
1423-24 Guillaume Chauforner? Orbe Pas d’informations
1428-29 Jacques de Rolle + Georges Thybaud Genève ND + ? : 2 cl.
1441 Jean Perrodet + Pierre Quarta Genève SE :  2 cl, la plus grande est tjrs existante
1504-05 Jean Bareaz Genève Remplacement d’une petite cloche fêlée
1511 Fondeur non mentionné (Nicolas Watterin ?) Fribourg SE : Refonte d’une grande cl.
1533-34 Amédée (ou Antoine) Guyodi Bernex GE SE : Refonte d’une petite cl. + EC : nouvelle cl.
1588 Claude Billiaux Fribourg EC : Refonte d’une cl.
1603 Pierre Guillet Romont/Payerne SE : Refonte d’une petite cl. dite « Trecaudon »
1642 Martin Emery + Nicod Besson & Simon Michelin Genève + Lorraine SE : Refonte de la grande cl. + coulée d’une cl. moyenne
1654-56 Jean Richenet Vevey ND + EC : Refonte de 2 cl, tjrs existantes. La cl. de ND est aujourd’hui à SE.
1730 Jean Maritz Berthoud SE + MR : 2 nouvelles cl. (tjrs existantes)
1765 Simon Gillot + Gaspard Deonna Breuvannes (F) + Genève SE : Refonte d’une petite cl. (tjrs existante)
1838 François Humbert Morteau (F) SE : Refonte du bourdon (existant) et de la petite cl. (refusée)

1893, les cloches changent de voix

En 1893, on constate que les cloches sont mal fixées à leurs jougs et que deux des battants frappent de manière défectueuse. En plus de ces réparations à effectuer, un groupe de citoyens  suggère de faire venir Auguste Thybaud et le questionner sur la faisabilité d’un accordage. Car effectivement les cloches de l’église Saint-Etienne sonnent faux ! Le célèbre « accordeur de cloches  » vaudois, dont le plus gros contrat sera l’harmonisation des sonneries lausannoises en 1898, répond qu’accorder la sonnerie de Moudon n’est pas chose trop ardue : premièrement les cloches sont déjà dépendues, ce qui va réduire les frais… et puis ici, nul besoin de procéder à des échanges entre clochers de la région (procédé auquel Thybaud a souvent recours) ou encore de couler des cloches neuves. Il suffit de buriner les cloches existantes pour obtenir un motif classique de type Westminster.

Auguste Thybaud vilipende la sonnerie de Moudon deux ans avant de procéder à son accordage

Un problème se pose toutefois : il n’est guère possible de modifier la note d’une cloche de plus d’un demi-ton… et encore faut-il que la cloche en question soit suffisamment épaisse pour qu’on puisse la fraiser sans trop la fragiliser ! Dans l’idéal, il aurait fallu monter la note du bourdon et de la cloche 5 et abaisser les notes des trois autres cloches. Seulement voilà : avec ses 4 tonnes et demie, la grande cloche est jugée trop compliquée à convoyer jusqu’aux Ateliers mécaniques de Vevey où Thybaud procède à ses travaux d’accordage. Tout va donc se jouer avec les cloches 2 et 4 qui vont être abaissées d’un demi-ton et la cloche 3 – heureusement en profil très lourd – qui va être abaissée d’un ton entier ! Un comité recueille les fonds indispensables, soit 800 francs de l’époque.

Les cloches nos. 3 (au fond) 4 (au premier plan) et 5 (en haut)

L’hebdomadaire « Le conteur vaudois » relate fin 1893 : Le vendredi 22 décembre, par un bel après-midi d’arrière-automne, on procéda à l’essai de la sonnerie harmonisée par un « concerto » qui comprenait d’abord le Ranz des vaches, carillonné par Cinq citoyens dévoués, puis des sonneries à deux et quatre cloches et, en finale, la mise en branle de toutes les cloches. Feu M. Blanchet, organiste de l’Eglise Saint-François, à Lausanne, juge-expert, estima l’opération très réussie.

Toutefois, avec une oreille un tantinet affûtée, on remarque que le travail d’accordage de Thybaud n’est que partiellement réussi. En démarrant les cloches de manière échelonnée de la plus petite à la plus grande, on commence par se dire que l’accord en ré bémol majeur est plutôt réussi. Mais quand arrive le bourdon, la dissonance est flagrante. La grande cloche est effectivement trop basse de près d’un demi-ton. Il se  forme ainsi un triton (l’accord du diable) avec la cloche no2. Il n’en reste pas moins que l’ensemble est à la fois attachant et imposant. La sonnerie de Moudon mérite vraiment le détour !

Notes avant 1893 Notes aujourd’hui
Cloche 1 inchangé la bémol 2
Cloche 2 ré 3 ré bémol 3 (haut)
Cloche 3 fa 3 (haut) mi bémol 3 (haut)
Cloche 4 fa# 3 fa 3 (haut)
Cloche 5 inchangé La bémol 3 (haut)

Une ritournelle emblématique

Si le clocher de l’église Saint-Etienne de Moudon est célèbre, c’est avant tout pour sa fameuse ritournelle. Tous les quarts d’heure, les cloches jouent un extrait de « L’amour est un oiseau rebelle » tiré de l’opéra « Carmen » de Georges Bizet. Cet air, les Moudonnois ont l’impression de connaître depuis toujours… pourtant, il n’a pas pu retentir avant 1893 car les cloches n’étaient pas accordées. Il a ensuite fallu remplacer le vieux mécanisme horloger que Pierre Ducommun de la Chaux-de-Fonds avait réalisé en 1730. C’est donc seulement depuis 1911, suite à l’installation d’une horloge flambant neuve de chez Léon Crot à Granges-Marnand, que les habitants et les visiteurs de la vieille ville Moudon peuvent fredonner cet air célèbre, accompagné de leurs cloches.

Les cloches de Moudon ont été motorisées par la maison Baer de Sumiswald en 1947. Le choix s’est porté sur cette entreprise après la visite d’une délégation de la commune dans le clocher de Châtillens tout juste électrifié par la même entreprise. L’horloge mécanique actuelle de l’église Saint-Etienne est également signée Baer, elle porte la date de 1955. Sa dernière révision en 2012 avait nécessité l’arrêt des aiguilles et des ritournelles pendant plusieurs semaines, provoquant un sentiment de manque chez certains Moudonnois, comme le relatait le « 24 heures » du 22 octobre de cette année. « Ce carillon est un bruit de fond qui est propre à Moudon » relatait Carlos, un Lausannois établi depuis longtemps dans la Broye.


Ce que nous racontent les cloches

Mise à part « Joyeuse » la cloche 2 coulée en 1441, les autres cloches sont postérieures à la Réforme de 1536 et ne portent pas de nom. On n’y trouve pas non plus d’effigies saintes. Il est intéressant de constater l’évolution des inscriptions des cloches réformées. Sous l’Ancien Régime (cloches 3, 4 et 5) : peu voire pas de références liturgiques, omniprésence des notables de l’époque et des armoiries communales, à tel point qu’on croirait être en présence de cloches laïques. Le bourdon du XIXe siècle, lui, met en retrait les autorités civiles et permet à Dieu de retrouver sa place.

Cloche 1 (bourdon) – Cette grande cloche est accrochée à six anses décorées de visages féminins. Le col porte des décors floraux et une frise de festons néoclassiques. La cloche a subi une rotation de 90°, ce qui fait que les inscriptions sur la faussure, à l’origine dans le sens de la volée, font aujourd’hui face au beffroi. On peut lire d’un côté : FAITE PAR FCOIS HUMBERT DE MORTEAU 1838. LA VILLE DE MOUDON EST LE LIEU DE MA NAISSANCE. A SON SERVICE JE SUIS DEVOUEE. QUE DIEU LA PROTEGE. Cette inscription est surmontée des armoiries de Moudon entourées de festons dans le style néoclassique. De l’autre côté, on peut lire : 20 JUIN 1838. VENEZ APPROCHEZ-VOUS DE DIEU ET IL S’APPROCHERA DE VOUS. PSAUME XCI, 1. — JAQUES [sic] IV, 8. Cette inscription est surmontée de l’Oeil de la Providence entourée de décors floraux dont la finesse est hélas entachée par un défaut de coulée.

Comme l’indique son texte, le bourdon de Moudon a été coulé sur site par François Humbert de Morteau. Le fondeur reprit le bronze d’une ancienne cloche qui s’était brisée. La coulée s’effectua entre l’église et l’ancienne caserne, sous la surveillance du municipal Busigny dont le nom fut gravé sur le premier battant de la cloche. Dans son étude détaillée de la sonnerie de l’église Saint-Etienne de Moudon, le docteur Meylan parle d’une cloche avec « un son de fer un peu désagréable ». En fait, c’est surtout le mauvais accordage de l’ensemble qui donne cette impression d’un timbre « métallique ». Vous trouverez plus bas – dans la partie bonus – une vidéo des cinq cloches en solo. Vous constaterez que bourdon de Moudon n’est certes pas aussi parfait que son homologue de la cathédrale de Lausanne, mais que c’est une grande cloche tout à fait acceptable.

Un article paru dans « L’Eveil » du 2 juin 1933 nous offre un retour sur différents procès verbaux relatifs au restaurations successives de l’église. On peut lire « En 1837 (…) la refonte de 2 cloches est ordonnée à un sieur Humbert de Morteau qui va donner du fil à retordre à la Municipalité d’alors ». Plus loin encore : « Le sieur Humbert, fondeur de cloches, a donné pas mal de tintouin au Noble Conseil de 1840 ». Un accord pour une refonte n’ayant pas pu être trouvé, il a été choisi de rapatrier une ancienne cloche de l’église Notre-Dame de Moudon (édifice aujourd’hui disparu) dans le clocher de l’église Saint-Etienne.

Cloche 2 – Cette vénérable cloche de 1441 est accrochée à six anses ornées de cordons tressés. Tout comme le bourdon, elle a été tournée de 90° par rapport à sa position initiale. Les inscriptions tiennent en deux lignes sur le col de la cloche. Sur la première ligne, le docteur Meylan a pu déchiffrer AVE MARIA GRATIA PLENA D[OMI]N[V]S TECVM BENED[IC]TA TVA IN MVLIERIBVS IHS AN[N]O D[OMI]NI MCCCXLI [OR]APRO NOBIS B [EA] TE PROTHOM[ARTY]R STEPH[AN]E. C’est à dire : Je vous salue Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes [et] Jésus [le fruit de vos entrailles est béni]. C’est ce que l’on appelle la Salutation Angélique, que les catholiques pratiquants sont censés réciter chaque jour. Ce sont aussi, les paroles qu’Elisabeth adressa à la Vierge Marie, sa cousine, au jour de la Visitation, complétées par celles de l’ange Gabriel quand il vint annoncer à Marie qu’elle serait la mère de Jésus. (Luc I. 28, 42). Puis viennent la date 1441 et une invocation à Saint Etienne, premier martyr du christianisme et saint patron de l’Eglise de Moudon : Bienheureux Saint-Etienne, premier martyr priez pour nous.

La seconde ligne est écrite partiellement en vieux français, chose assez rare pour l’époque : PER MON CLEIR SON IOIOUSA MAPELLEON M P QUARTA ET M IO PERRODET CA[M]PAN[ARUM] GEBN XPS VI[N]ClT XPS REGNAT XPS. Ce qui signifie : A cause de la clarté de mon son, on m’appelle Joyeuse… suit la signature des fondeurs, et enfin Christ vainc, Christ règne… La place a probablement fait défaut pour compléter cette dernière phrase rencontrée sur plusieurs autres cloches contemporaines.

Fabienne Hoffmann souligne la très belle facture de cette cloche médiévale. L’historienne de l’art vaudoise et spécialiste des cloches mentionne des médaillons particulièrement soignés : un Christ de Pitié nimbé, un coq rappelant le reniement de Pierre et une Vierge à l’Enfant. Des croix de monstrance séparent ces motifs iconographiques du texte.

Cloche 3 – Accrochée à six anses ornées de visages grimaçants de type grotesque, c’est la cloche la plus « bavarde » pour ce qui est des inscriptions. Sur le col, on peut lire : GARDEZ-VOVS, VEILLEZ ET PRIEZ CAR VOVS NE SAVEZ LE JOUR NI L’HEURE. ST. MARC 13, V. 33. Sur le vase, d’un côté : SPECTABLE DANIEL BVRNAT PASTEVR – PIERRE TACHERON DIACRE NOBLE – PHILIPPE DE STAVAYE SEIGNEVR DE BVSSY ET MEXIERE ET CHASTELAIN – LES HONORABLES BALTHAZARD BVRNAND BANDERET – GASPARD NICATY SECRETAIRE – PHILIPPE TROLLTET, SAMVEL BIZE, JEAN DECRISTAZ, JD. DECREVEL, MICHEL NICOD, PIERRE BIZE, DANIEL DEMIERRE, ALBERT DV TOICT, TOVS CONSEILLERS. 10. F. OFFICIER. Sur le vase, de l’autre côté NOBLE HVMBERT DE MOVLIN CONSEILLER ET GOVVERNEUR – GABRIEL DVTOIT PETI GOVVERNEUR – JEHAN RICHENET DE VEVAY MA FONDVE. La cloche est ornée de plusieurs frises florales et de grappes de raisin particulièrement en relief. Comme très souvent chez Richenet, on trouve également des moulages d’authentiques feuilles d’arbre (ici sauge et noisetier).

Cette cloche a été coulée à l’origine pour l’église Notre-Dame située dans la partie haute de la ville. Cette église sera démolie en 1718. De nos jours, c’est la cloche qui sonne quotidiennement à midi. Le docteur Meylan, toujours lui, parle d’un cloche qui « était très épaisse, ce qui lui donnait un son de « cassoton » assez désagréable, qui s’est amélioré par l’harmonisation ». Comme on peut le voir sur les vidéo du plénum et des solos, c’est la cloche à laquelle Thybaud a fait subir le burinage le plus important en 1893.

Cloche 4 – Cette cloche a été tournée d’un huitième de tour par rapport à sa position initiale. L’essentiel de ses inscriptions (les noms des notables de l’époque souvent abrégés) figurent en quatre lignes sur le col : ABR. DAN TACHERON . CHATEL . BANNERET . CONSEILLER  NOB . PROV. ET VERT FRED . DE CERJAT SEIGR DE DENEZY – LIEUT. BALL. AB. DAN . FROSSARD SEIGR DE SAUGY  JN LOUIS PANCHAUD  JAQ. DAV. BURNAND  PH.SAM.ANTH. JOSSEVEL MAISONNR  PH. GAVIN GOUVERNR  MAX DE CERIAT SEIGR DE SYENS  DAN ABRAM BURNAND  GEN RODOLPHE JOLY  JAQ.FS DAN BURNAND  DUTOIT HOSPITAILLER  SIG TROLLIET  SIGIS DUTOIT  J. ABR.VERT ABR ANT DUTOIT  FR.JOS. DUTOIT  SAM . NIC CRAUSAZ – SAM NICOD SECRETRE SRS DIXENIERS JN. FR. VORUZ – COMMANDE 1763. Sous ces quatre lignes, une modeste frise florale. Un seul ornement figure sur le vase: les armoiries de Moudon. Sur la faussure, on trouve la signature des fondeurs en ces termes : S. GILLOT FONDEUR DE BREUANE G. DEONNA DE GENEUE FDER.

Cette cloche se faisait jadis le plus entendre, puisqu’elle sonnait le réveil, la mi-journée ainsi que le couvre-feu.

Cloche 5  – Ici aussi, la plus grande partie des inscriptions sont placées sur le col de la cloche, sur cinq lignes. Et une fois de plus, on découvre pléthore de notables de l’époque. La cloche étant petite, il a fallu abréger les prénoms et les fonctions, rendant la lecture parfois difficile : J . A . BURNAN – SPECT JEAN BAPT CLAVEL PAST ET DOYEN N ET GENT SIGIS DE CERJALT GENTIL SG DE BRESSONNAZ LIEUT . BALLIV. ET CHAST N & VERT J .J . FROSSARD BANDERET N & VERT J L. CROUSA S. JAYET . D. BURNAND. P DUPERRON . JAQ TROLLIET MAISO D. NICATY . S . ABRAM BURNAND HOSP. ABR. TACHERON GOUV. S. FABRY . L D CRAUSAZ SECRET PH DENIS TACHERON CONSEILLER HON JAQ D . JAQUIER ABR. JOSSEVEL S . PERRET . PH . NICOD . PH. BERTHOLD . OL. BRYOIS DIXAINIER S . NICOD OFFICIER DE VILLE. Une nouvelle fois, les armoiries de Moudon apparaissent sur le vase, et c’est peut-être ici qu’elles sont le plus joliment stylisées. Sur la faussure, enfin : FAIT PAR MOY JEAN MARIZ DE BERTHOU FONDEUR FAIT EN 1731. Cette signature est accompagné d’une petite effigie de cloche.

Il est intéressant de noter que le clocher de la Maison Rochefort (aujourd’hui Musée du Vieux-Moudon) héberge lui aussi une cloche coulée en 1731 par Jean Maritz. De dimensions plus modestes (diamètre 77cm, poids environ 260 kg, note do#4) cette cloche difficile d’accès n’est utilisée aujourd’hui qu’au tintement, la pose de grillages anti-pigeons ayant rendu son balancement impossible.


Qui sont les fondeurs des cloches de Moudon ?

Derrière chaque cloche se cache un, voire plusieurs plusieurs fondeurs. Certains de ces artisans ont connu un destin hors norme qui mérite d’être conté.

Cloche 1 : François III Humbert (1814-1892) – La famille Humbert originaire de Savagnier (NE) a engendré trois fondeurs de cloches : François I au sujet duquel il n’existe que peu de données. Son fils François II s’établit vers 1775 à Morteau où il s’associe à Claude-Joseph Cupillard, un important fondeur franc-comtois. François II se marie (ou se remarie) vers 1811 et se convertit au catholicisme. Ses sœurs, bonnes calvinistes, ne lui pardonnent pas cette abjuration et rompent tout contact avec lui. François II meurt en 1827 et c’est son fils François III âgé d’à peine 13 ans, qui reprend la direction de l’atelier sous la surveillance de sa mère. Le jeune homme devient vite un maître-fondeur reconnu. S’il coule des cloches principalement pour l’arc jurassien, de part et d’autre de la frontière franco-suisse, il s’autorise aussi des séjours dans le canton de Vaud. Malchanceux, François III voit par deux fois son atelier partir en fumée, en 1860 et en 1872. Ce dernier incendie sonnera d’ailleurs le glas des activités d’un fondeur devenu vieux et sans descendant mâle. Avec ses 4’500 kg, le bourdon de Moudon est la plus importante réalisation de la dynastie Humbert.

Comme nous l’indique cette annonce dans la presse locale de 1838, François Humbert a profité de son séjour à Moudon pour rentabiliser son atelier provisoire. On trouve effectivement des cloches Humbert datées de 1838 dans les temples de L’Abbaye, Bettens et Mont-la-Ville, ainsi qu’à l’école de Villars-Bramard.

Cloche 2 : Jean Perrodet et Pierre Quarta (var. Cartaul) – Etablis dans le quartier genevois de Saint-Gervais, ces deux fondeurs comptent parmi les premiers représentants d’une intense activité campanaire à Genève qui s’est poursuivie avec diverses lignées plus ou moins importantes jusqu’au XIXe siècle. En 1447, Perrodet et Quarta signent ensemble les deux plus grandes cloches de la cathédrale de Sion : un do#3 d’un diamètre de 149 cm (c’est leur plus grande cloche existante) et un fa 3 de 125 cm. Toujours en Valais, on trouve à Savièse une cloche coulée en 1455 par Jean Perrodet seul. Et c’est seul aussi que Perrodet a coulé une petite cloche d’horloge (note si3, diamètre 79 cm, poids 310 kg) réinstallée dans le clocher du temple de Nyon en 2016. Cette cloche, longtemps déposée au Musée historique de Nyon car fêlée, a été réparée par la fonderie Eijsbouts (NL). Tout comme la cloche 2 de l’église Saint-Etienne de Moudon, la cloche de Nyon est ornée de motifs iconographiques soignés tels que la Vierge à l’Enfant et le Christ de pitié.

Cloche de Jean Perrodet au temple de Nyon (photo de droite par Fabienne Hoffmann)

Rappelons que Perrodet et Quarta ont coulé en 1441 deux cloches pour Moudon. Seule la plus grande nous est parvenue.

Cloche 3 : Jean Richenet – Après Genève que nous venons de citer, c’est Vevey qui a connu la plus longue activité campanaire en Suisse romande. Membre d’une famille de fondeurs mentionnés dans cette ville depuis 1626, Jean Richenet a coulé un nombre important de cloches, principalement à Vevey mais aussi à Payerne. Certaines ont hélas disparu, comme la petite cloche (note ré4, diamètre 71 cm, année 1652) de l’église du Prieuré de Pully ravagée par un incendie criminel en 2001. Déposée, l’ancienne cloche du collège de Payerne datée de 1646 a été coulée dans l’Abbatiale, reconvertie un temps en fonderie de cloches.

Signature de Jean Richenet sur la cloche déposée du collège de Payerne

Parmi les cloches vaudoises de Jean Richenet toujours existantes, on peut mentionner – outre la cloche 3 de l’église Saint-Etienne de Moudon – la cloche (désaffectée) de l’ancien collège de la Grenette de Moudon et les cloches des temples de Ballens , Combremont-le Petit, Corcelles-près-Payerne, L’Isle, Mont-la-Ville, Moudon, Ropraz et Saint-Saphorin Lavaux.

Cloche 4 : Simon Gillot (1708-1782) – Les meilleurs fondeurs viennent du Bassigny, répètent souvent les amateurs de cloches. Et ils n’ont pas tort : nombre de saintiers lorrains ont acquis une réputation d’excellence. Parmi les nombreuses familles originaires du Bassigny actives dans la fonte de cloches, il y a les Gillot. Une référence de taille : la coulée en 1681 du bourdon « Emmanuel » de Notre-Dame de Paris, sans doute la cloche la plus célèbre du monde, par un consortium de fondeurs : le Parisien Florentin II Le Guay (le seul fondeur dont nom est généralement cité) mais aussi trois Lorrains : François Moreau, Nicolas Chapelle… et Jean Gillot. Emmanuel sort malheureusement du creuset avec une note trop basse. Le grand bourdon actuel de la cathédrale parisienne est réalisé 1686, sans Gillot décédé entretemps.

Le bourdon Emmanuel de Notre-Dame de Paris

Cloche 4 : Gaspard Deonna (1746-1797) – Nous l’avons vu plus haut, de nombreux fondeurs de cloches se sont établis à Genève au fil des siècles. Parmi eux : les Deonna. Cette famille originaire des Pays-Bas se fixe à Lyon vers 1650. Etienne Deonna est reçu à Genève en 1676. Actifs d’abord dans la teinturerie et la soierie, les Deonna se lancent ensuite dans l’horlogerie et la fonderie. Henri Deonna (1711-1774) apprend à couler des cloches auprès de Pierre-Antoine Collavin, oncle de sa femme. Gaspard reprend les activités de fondeur de son père à Genève, puis il entreprend de sillonner le monde. Il deviendra directeur des fonderies royales de Cadix et de Saint-Domingue.

Gaspard Deonna n’avait que 17 ans quand la cloche no 4 de Moudon a été coulée. On peut supposer que le jeune homme a effectué ou parachevé son apprentissage du métier de fondeur auprès de Simon Gillot.  A noter aussi que si la cloche no4 est signée « G. Deonna », les archives de Moudon mentionnent que la marché a été passé avec son père, Henri Deonna. Sans doute le paternel a-t-il ratifié le contrat en lieu et place du fils, mineur à ce moment.

Cloche 5 : Jean Maritz – Certains fondeurs de cloches confectionnaient aussi des pièces d’artillerie. Jean I Maritz (1680-1743) était de ceux-là. Ce natif de Bertoud (BE) a certes coulé des cloches… mais il est surtout passé à la postérité pour avoir mis au point deux machines pour forer les canons avec une grande précision. Maritz est alors appelé en France au poste de Commissaire des Fontes à Strasbourg. Ses techniques révolutionneront la fabrique des canons dans la France du XVIIIe siècle. Jean II Maritz (1711-1790) fils de Jean I, fait lui aussi l’essentiel de sa carrière en France dans la fabrication de canons tout en coulant également quelques cloches.

Canon de Jean II Maritz coulé à Strasbourg en 1745 (crédit photo PHGCOM Wikipédia)

Avant de devenir directeur de la fonderie de Strasbourg, avant d’établir de nouvelles fonderies à Paris, Douai et Perpignan, Jean II Maritz est nommé commissaire des fontes d’artillerie à Lyon, dans le quartier de Vaise. Il s’établit à Limonest comme seigneur de la Barollière. Afin de s’attirer les faveurs des villageois, il offre en 1751 une cloche à l’église de Limonest. Maritz louera sa forge lyonnaise à Antoine Frèrejean qui y construira en 1783 son célèbre Pyroscaphe, le premier bateau à vapeur capable de remonter la Saône. A signaler que Frèrejean et ses descendants seront aussi actifs dans la coulée – à la fois – de canons et de cloches. Ils seront épaulés dans leurs activités campanaires par un certain… Antoine Paccard, créateur de la célèbre fonderie de cloches établie aujourd’hui à Sévrier.


Les bonus : solos des 5 cloches, analyse musicale

octave inf prime tierce min quinte octave sup
Lab2 -2 +10 +7 0 +3
Réb3 +12 +12 +17 +13 +14
Mib3 +47 +7 +20 +24 +15
Fa3 +19 +20 +15 +26 +11
Lab3 +15 +1 +15 +11 +15

La3 = 435Hz, dérivation en 1/16 de demi-ton


Quasimodo remercie
La commune de Moudon – Linda Perret, Edvin Bontonjic.
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, pour certaines photos et son aide indispensable à la réalisation de la vidéo.
Dominique Fatton, responsable technique du clocher de Buttes, pour certaines photos et pour les démarches administratives.
Matthias Walter, expert campanologue, pour sa relecture et son soutien.
Monique Fontannaz, historienne, pour sa relecture, sa bienveillance et la riche documentation fournie.

Sources
« Nos vieilles cloches : Moudon » extrait de « Le conteur vaudois » cahiers 16 et 17 (1928)
« La sonnerie de Moudon » extrait de  « Le conteur vaudois » cahiers 43 et 44 (1921)
« Les cloches de l’Eglise Saint-Etienne de Moudon » par le docteur René Meylan, extrait du « Bulletin du Vieux Moudon » de juillet 1921.
« De l’importance du patrimoine campanaire : étude de trois motifs iconographiques ornant
les cloches médiévales » par Fabienne Hoffmann, extrait de « Art + architecture en Suisse » no 58 (2007)
« Les monuments d’art et d’histoire du canton de Vaud, VI, La ville de Moudon », édité par la Société d’histoire de l’art en Suisse, Berne (2006).
« L’église Saint-Étienne de Moudon » par Gaëtan Cassina et Monique Fontannaz, paru dans la collection « Guides des monuments suisses » (1998)
« Nyon, réhabilitation de deux cloches historiques au temple » communiqué de presse du 17 mars 2016
« Les fondeurs de nos cloches » par Alfred Chapuis et Léon Montandon, extrait de « Musée neuchâtelois » (1915)
« La fonte du bronze : cloches, canons, etc. » tiré de « Genava : revue d’histoire de l’art et d’archéologie » (1940)
Relevé des cloches vaudoises par Matthias Walter.
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/025499/2005-08-23/
http://fondationbretzheritier.ch/sonores/
https://www.pullypatrimoine.ch/cloches-de-pully
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/025499/2005-08-23/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Maritz
http://www.limonest-patrimoine.net/fr/index.php?page=lp_clo_fr

Cloches – Mézières (CH-VD) temple réformé

La grande cloche se trouvait jadis à Payerne

Cloche 1, note ré#3 -2/16, poids 1’400 kg, coulée en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel
Cloche 2, note fa#3 +7/16, coulée en 1811 par Jean-Baptiste Pitton de Carouge
Cloche 3, note la#3 -3/16, coulée en 1518

Bienvenue dans le Jorat ! Ce coin de pays jadis tant redouté en raison de ses voleurs de grand chemin (les fameux Brigands du Jorat) recense de nos jours un nombre croissant d’habitants en raison de sa proximité avec la région du Léman et tout spécialement Lausanne. La commune de Jorat-Mézières est née de la fusion en 2014 de Ferlens, Carrouge et Mézières. Ce Mézières – attention – se trouve en terre vaudoise ! Il n’est pas à confondre avec son homonyme fribourgeois, situé non loin de Romont, et dont les cloches avaient fait l’objet d’une présentation ici-même en 2016. Mézières VD, je vous y emmène aujourd’hui afin de découvrir son temple, qui n’est autre que le lieu de culte principal de la commune fusionnée. Mais avant cela, je m’en vais vous conter une anecdote qui ne devrait pas manquer se susciter l’intérêt des héraldistes… et des amateurs de théâtre.


Les pommes de terre de la colère

Pourquoi des fleurs de pomme de terre ornent-elles le blason communal de Jorat-Mézières,  ? La réponse à cette question est à trouver dans un embryon de révolte en 1790, au temps de l’Ancien Régime, durant les dernières années de la domination bernoise sur le canton de Vaud. Et cette anecdote débute justement… devant le temple de Mézières.

Le pasteur Martin, en place à Mézières de 1779 à 1792, a l’impudence d’affirmer, à la sortie d’un culte, que les pommes de terre étant un légume et non des céréales, la dîme (impôt correspondant à un dixième des récoltes) n’en est pas due. Le Châtelain Reymond s’empresse de rapporter – en les dénaturant –  ces paroles au seigneur de Carrouge, Bernard de Diesbach, qui les transmet immédiatement au Sénat de Berne. Le pauvre pasteur, accusé de haute trahison, est emprisonné pendant quatre longs mois avant de voir son innocence reconnue. Le délateur Reymond est destitué et le pasteur Martin reçoit une indemnité de 100 louis d’or.- Il effectue un retour triomphal à Mézières où il est accueilli en héros.

Le canton de Vaud se libérera du joug bernois en 1798 avant de devenir un canton suisse à part entière en 1803. Pour être complet avec cette anecdote, sachez que l’affaire du pasteur Martin n’explique pas seulement la présence de ces fleurs de pomme de terre sur le blason communal. Ce faits historique a aussi donné naissance à l’un des joyaux du théâtre romand. En effet, pour le centième anniversaire du canton, une pièce de théâtre de René Morax, intitulée « La Dîme », est donnée à Mézières. Inspiré de l’affaire du pasteur Martin, le spectacle rencontre un grand succès. C’est ainsi que naquit l’idée de construire en ces lieux le Théâtre du Jorat, cette célèbre salle de spectacle toute de bois qui propose aujourd’hui encore une programmation culturelle renommée.


Un vrai temple vaudois

Une église paroissiale est mentionnée à Mézières en 1228, elle est affectée au culte réformé à partir de 1536. Le temple que nous connaissons aujourd’hui est bâti au même emplacement en 1706 (le massif clocher ne sera achevé qu’en 1731). Parmi les éléments de mobilier historique, on peut citer la très belle chaire de pierre arborant les armes de la famille Clavel et son abat-voix de bois du plus bel effet. La table de communion date – elle aussi – du XVIIIe siècle alors que les vitraux du chevet ont été dessinés par le peintre Louis Rivier en 1923. Un chevet à trois pans que l’on retrouve dans un très grand nombre de temples vaudois de la même époque. Signalons encore l’orgue Mingot de 1985, il remplace un instrument réalisé par Kuhn en 1892.


Auguste Thybaud, encore lui !

Pourquoi la grande cloche du temple de Mézières porte-t-elle les noms de notables de la commune… de Payerne ? Nous sommes dans le canton de Vaud et les fidèles lecteurs de cette page internet devinent que je vais une nouvelle fois leur sortir le nom d’Auguste Thybaud. Le fameux accordeur de cloches vaudois a sévi ici en 1895 avec deux de ses tactiques habituelles : l’accordage et l’échange de cloches.

La grande cloche du temple de Mézières (photos ci-dessus) a donc été coulée en 1708 par Gédéon Guillebert de Neuchâtel pour le clocher de l’église paroissiale de Payerne. Il s’agit de la refonte d’une cloche de 1602, vraisemblablement coulée par Pierre Guillet de Romont, qui signa un an plus tard le bourdon de l’abbatiale de cette même ville de Payerne. Dépeinte comme lugubre dans les études de l’époque, la cloche Guillebert est remplacée en 1895 par une  cloche en provenance d’Aubonne (le temple d’Aubonne vient alors de recevoir trois cloches neuves). Rachetée par la commune de Mézières qui ne possédait jusque là que deux cloches, la cloche de Guillebert est acheminée aux Ateliers Mécaniques de Vevey pour y être accordée par alésage. Elle en ressort après avoir perdu 70 kg de bronze, sa note est désormais le mi bémol 3 pour un poids de 1’400 kg. Un accordage ultérieur semble avoir effectué en sus, compte tenu de la teinte du bronze au point de frappe.

Seule la cloche no2 (photos ci-dessus) coulée par Jean-Baptiste Pitton en 1811 nous est parvenue « dans son jus ». La petite cloche gothique – elle aussi – a été burinée pour que l’ensemble se retrouve harmonisé selon les critères de Thybaud. Sachant que cette vénérable cloche date de… 1518, on peut comprendre qu’au XIXe siècle déjà, des défenseurs du patrimoine, comme l’archéologue cantonal vaudois Albert Naef, s’insurgeaient contre les pratiques d’Auguste Thybaud.

Il n’empêche que cette tactique de recyclage a sans doute permis d’éviter la refonte pure et simple d’un certain nombre de cloches historiques, comme ce fut trop souvent le cas en Suisse alémanique. Et comme dans la quasi-totalité des communes qui ont fait appel aux services d’Auguste Thybaud, on constate que la satisfaction était de mise, comme vous pouvez le lire dans cette archive.

Tiré de « L’Echo de la Broye » du 7 décembre 1895

La décision de motoriser les cloches du temple de Mézières remonte à 1947. On pouvait lire dans la Feuille d’Avis de Lausanne du 21 février ces quelques lignes un brin nostalgique : Le temple de Mézières va voir ses cloches s’ébranler bientôt au simple commandement du fluide électrique. Signe du temps : la fée venue des Alpes a tué le tireur de cordes. Pourvu que par ses caprices, l’électricité n’oblige pas les cloches à rester silencieuses !


Des fondeurs emblématiques

Les artisans qui ont réalisé les cloches du temple de Mézières ne sont de loin par des inconnus ! Commençons par le fondeur de la grande cloche, Gédéon Guillebert. La famille Guillebert – comme nombre de fondeurs de cloches réputés – est originaire du Bassigny, dans l’ancienne province française de Champagne (aujourd’hui région Grand-Est). Les Guillebert semblent s’être établis à Neuchâtel vers 1680. Gédéon est reçu dans la compagnie des Favres, Maçons et Chappuis en 1686.  Dans le cahier du Musée Neuchâtelois de 1915, on peut lire que Gédéon offrit en 1709, année de sa réception comme bourgeois de Neuchâtel, une cloche pour sonner le tocsin, mais il fut éconduit. C’est l’un des fils de Gédéon, Jean-Henry, qui coula en 1724 la cloche de la chapelle de Carrouge, toujours sur le territoire communal de Jorat-Mézières.

Signature Guillebert bien visible sur la petite cloche datée de 1734 de la maison de commune de Cugy (VD)

Mais la plus importante réalisation de la famille Guillebert se trouve à Lausanne : la grande cloche de l’église Saint-François, coulée par Jean-Henry et son frère Jean-Jacques en collaboration avec un autre Neuchâtelois : Pierre-Isaac Meuron de Saint-Sulpice. Cette cloche a été coulée à l’origine pour la cathédrale (elle a été déplacée en 1898 par Auguste Thybaud – toujours lui – dans le cadre du chantier d’harmonisation des cloches de la ville de Lausanne). On peut en déduire que les Guillebert devaient jouir d’une certaine aura ou disposer de solides références.

Si le nom de Jean-Baptiste Pitton (le fondeur de la cloche no2) est passé à la postérité, c’est essentiellement en raison de son disciple le plus célèbre. Quant Pitton est appelé à Quintal (F-74) en 1796 pour y repeupler le clocher vidé par les Révolutionnaires, il embauche comme assistant un certain Antoine Paccard, qui choisit alors d’embrasser la carrière de fondeur. Les descendants d’Antoine suivent la même voie, et aujourd’hui encore, la fonderie Paccard réalise avec succès des cloches dans son atelier de Sévrier sur les bords du lac d’Annecy. Cette entreprise familiale se définit comme le leader mondial du carillon.


Peu d’images saintes, mais des noms à profusion

Antérieure à la Réforme, la cloche no3 (photos ci-dessous) du temple de Mézières est la seule a arborer des effigies saintes. On peut notamment y admirer un très beau saint Pierre et un magnifique Christ en Croix réalisés avec le plus grand soin. On peut aussi y lire Louez Dieu avec des cymbales (Psaume 150).

Ce verset figure également sur la cloche no1, qui comme expliqué plus haut, a été coulée à l’origine pour l’église paroissiale de Payerne. On ne s’étonnera donc pas d’y trouver les noms et les armoiries de notables tels que David de Treytorrens, banderet de Payerne et de David Gachet, avoyer de Payerne.

La cloche no2 se distingue par le grand nombre de notables dont elle arbore les noms, du col à la faussure : Louis-Daniel Morel, pasteur ; Jean-Daniel Rod, gouverneur ; Jean-Daniel Pythod, juge de paix ; Jean-Louis Nicola, syndic de Carrouge ; Daniel Pasche, adjoint de Servion ; Pierre Pouli, syndic de Collaies (ajd Les Cullayes) ; Jean-Grégoire Rod, syndic de Ropraz ; Michel Jordan, syndic de Mézières ; Jean-Michel Chenevard, greffier de Mézières ; Pierre-Daniel Cavin, syndic de Corcelles ; Jean-Pierre Libot, greffier de Valliens (aujourd’hui Vulliens) ; Louis Nicolas, juge de district.


Une horloge à la retraite

C’est une horloge-mère récente de marque Perconta, installée par la maison MHM, qui gère aujourd’hui le temps dans le clocher du temple de Mézières. Les heures et les quarts sont tintés par des frappes lâchées activées par un système de cames. Bien que désaffectée, l’horloge mécanique est encore en place sous la chambre des cloches. Ce mouvement à trois corps de rouages, conçu par Paul Odobey fils à Morez, a été installé en décembre 1905, comme l’indique la notice apposée dans le bâti. Y figure même la signature manuscrite de l’horloger-installateur, apparemment Charles Cavin. La notice explique dans les détails la manière dont le mouvement horloger devait être graissé et nettoyé… attention, c’est très technique : tous les 15 jours, mettre quelques gouttes d’huile sur les chevilles de la roue d’échappement et aux frottements des dents en acier qui servent à faire lever le marteau (…) Tous les 3 ans, il faut enlever l’huile qui découle des parties graissées et la poussière sur les pièces et les rouages de l’horloge (…) Les dentures des roues et pignons seront frottées et nettoyées avec un chiffon gras ou une petite brosse. 

Il est aussi expliqué comment ajuster la précision de l’horloge en tournant l’écrou sous la lentille du balancier. La mise à l’heure, elle, s’effectue en desserrant l’écrou à ailes placé sur l’avant du mouvement. Cette mise en garde, enfin : pour éviter la rupture des cordes (des poids, ndlr) il est essentiel d’éviter les butées au remontage. Ces butées ont pour effet de rompre les fils et de décâbler les cordes. Mise en garde ô combien utile quand on sait que durant les dernières années de son fonctionnement, l’horloge était remontée au moyen d’un moteur électrique positionné sur des rails et que le préposé venait brancher sur l’axe dédié à la manivelle.


Conclusion

C’est un temple et son ensemble campanaire typiquement vaudois que je viens de vous présenter ici, à cent lieues des immenses églises néogothiques et des bourdons du canton de Fribourg pourtant tout proche. Je pourrais même dire que le clocher et les cloches de Mézières sont étonnamment gros pour un village vaudois de cette importance. Les communes voisines ne disposent en effet chacun que d’une ou deux petites cloches dans des édifices nettement plus modestes. Typiques sont aussi ces ensembles hétérogènes de cloches de différentes époques, du Moyen-Age au XIXe siècle. C’est enfin sans surprise que notre chemin a croisé ici encore celui d’Auguste Thybaud. Nul doute que le nom de ce personnage à la fois controversé et fascinant réapparaîtra tout bientôt sur ces pages.


Quasimodo remercie
-La commune de Jorat-Mézières : Philippe Bach, responsable du service de la voire; Valérie Ethenoz et Valérie Pasteris, du bureau du Greffe municipal.
-Mes amis qui m’ont accompagné lors de ma visite et qui ont chacun contribué à la réalisation de ce reportage : Antoine Cordoba, carillonneur de l’Abbaye de Saint-Maurice https://cloches74.com/ ; Dominique Fatton, responsable du temple de Buttes ; Luc Ramoni, pasteur à l’Eglise évangélique réformée de Bienne https://www.ref-bienne.ch/accueil/contact/pasteures/

Sources (autres que mentionnées)
https://www.jorat-mezieres.ch/
Affichage public
Fonds privés

Cloches – Baulmes (CH-VD) hôtel de ville

Une cloche civile sonnée à la corde et régulièrement sollicitée.

Cloche (seule et unique) note do4 -4/16, coulée en 1900 par Paintandre frères à Vitry-le-François (F-51).
Sonneur : Antoine Cordoba, carillonneur de l’Abbaye de Saint-Maurice.

Après son temple à la sonnerie monumentale, après sa tour de l’horloge, il est temps pour vous, amis des cloches, de découvrir le dernier des trois édifices publics de Baulmes à disposer d’une cloche : l’hôtel de ville. Même si la petite dernière est la plus légère et la moins ancienne du territoire communal, vous constaterez que son histoire n’est pas dénuée d’intérêt. Aujourd’hui encore, elle est actionnée à la corde, et contrairement à de nombreuses cloches civiles, elle donne régulièrement de la voix, au tintement comme à la volée. Il est important de mentionner que la cloche de l’hôtel de ville de Baulmes est la dernière pièce d’une partie de puzzle entamée en 1891 par trois protagonistes : un accordeur de cloches vaudois, une fonderie champenoise et un village du Nord-Vaudois en pleine mue industrielle.

Le village de Baulmes vu des contreforts du Jura. Crédit photo : www.richesses-patrimoniales.ch


Baulmes, entre sylviculture, agriculture et industrie

Avant de développer le chapitre consacré à la cloche, j’avais envie de vous parler un peu de ce beau village de Baulmes. Il se situe dans le Nord-Vaudois, sur les contreforts du Jura, à une altitude de 640 mètres, plus précisément sur le cône de déjection de la Baumine, rivière aujourd’hui en partie souterraine. La fondation de Baulmes semble remonter au VIe siècle de notre ère, avec la construction d’un monastère, longtemps rattaché à celui de Payerne dépendant lui-même de Cluny. Voilà pourquoi Baulmes et son église sont aujourd’hui intégrés au réseau des sites clunisiens répartis dans toute l’Europe. Malgré la présence d’une importante industrie de tissage dès le XVe siècle, la vocation de la commune a longtemps été agricole et forestière. L’inauguration en 1893 de la ligne de chemin de fer Yverdon – Sainte-Croix permet à Baulmes de connaître un important essor industriel. On pense notamment à la Société des chaux et ciments, active entre la toute fin du XIXe du siècle et les années 1960. Ses bâtiments ont aujourd’hui disparu, mais les 17 kilomètres de galerie creusés sous le Jura existent toujours et demeurent les témoins de ce passé industriel florissant.

Baulmes en 1950. On aperçoit à droite les bâtiments de la Société des Chaux et Ciments. Crédit photo : Alphonse Kammacher @ L’Omnibus du 18 septembre 2020


Un hôtel de ville édifié avec le plus grand soin

Intéressons-nous maintenant à l’hôtel de ville de Baulmes. C’est en 1894 déjà qu’est émise l’idée de remplacer l’ancien édifice. La décision officielle est prise le 27 juin 1898. Un appel d’offre est lancé aux architectes par voie de presse en janvier 1899. Ce ne sont pas moins de 24 projets qui sont adressés au jury composé des architectes Melley de Lausanne, Fuchslin à Zurich et Brémont à Genève. Après délibération les 9 et 10 mai, le premier prix, doté de 450fr, est attribué au Neuchâtelois Jean Béguin pour son projet devisé à 180’000 fr. La première pierre est posée le 18 juin 1899 et l’hôtel de ville est officiellement inauguré le 14 décembre 1901. Les travaux de maçonnerie sont réalisés par Charles Mério, l’entrepreneur yverdonnois qui vient tout juste de réaliser les bâtiments de la Société des chaux et ciments. Outre les locaux de l’administration communale, l’hôtel de ville est doté d’un logement de fonction, de salles de classe et même d’une salle de théâtre.

Résultat du concours d’architecture de l’hôtel de ville de Baulmes dans le « Nouvelliste Vaudois » du 13 mai 1899

Le Nouvelliste vaudois du 27 décembre 1901 nous donne d’intéressantes informations au sujet du précédent hôtel de ville de Baulmes daté du XVIe siècle.

En 1593, Pierre Jaccaud fonda par testament l’hôpital de Baulmes qui, en 1676, y fut installé. Il obtint, en 1788, droit d’auberge. Les dernières réparations y ont été faites en 1830. Avant cette date, les autorités communales se réunissaient dans la maison appartenant maintenant à M. Collet, serrurier.

Quel bel édifice que ce nouvel hôtel de ville de Baulmes ! On y accède par une double rangée d’escaliers bordés de rampes en fer forgé arborant les armoiries communales. La porte principale est surmontée d’un avant-toit soutenu par deux colonnes toscanes d’inspiration néoclassique. Au-dessus se trouve une double baie surlignée de bandeaux dans le style néo-roman. Outre son majestueux clocher orné d’un grand cadran d’horloge en façade, l’élévation de la bâtisse est harmonieusement soulignée par une demi-douzaine de hautes cheminées dont les chapiteaux représentent chacun une maisonnette. Ici, c’est le style renaissance qui est domine. Ces éléments historicisants, associés à une façade en pierre de taille brute et à une toiture à plusieurs pans, nous renvoient irrésistiblement vers le heimatstil. L’hôtel de ville de Baulmes est donc un exemple – fort bien réussi, d’ailleurs – de l’éclectisme architectural souvent rencontré à la Belle-Epoque.


Un architecte de renom

Cette belle réalisation, nous la devons donc à Jean Béguin (1866-1918) un architecte neuchâtelois relativement peu documenté si on songe à l’importance de son œuvre. Celui qui a étudié à Stuttgart et à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris a notamment dessiné les plans des hôtels des postes de Neuchâtel (avec Alfred Rychner et Louis-Ernest Prince) et de Coire (avec Theodor Guhl). On lui doit aussi la gare de La Chaux-de-Fonds (avec Louis-Ernest Prince) et surtout un édifice au rayonnement national : le Tribunal fédéral de Lausanne (avec Louis-Ernest Prince et Alphonse Laverrière) dont la façade néoclassique sévère tranche avec certaines de ses réalisations plus enjolivées. Est-ce le fait d’avoir toujours travaillé de consort avec d’autres architectes qui a empêché le nom de Jean Béguin de passer véritablement à la postérité ? L’architecte mérite pourtant largement qu’on lui offre un peu de visibilité, ne serait-ce pour sa réalisation la plus attachante : la cité Martini à Marin (CH-NE).

La Cité Martini à Marin. Crédit photo : Numaweb @ Wikipedia

A cente lieues de maisons familiales de luxe comme la villa Thommen édifiée par Jean Béguin à Môtiers, ce remarquable ensemble d’une trentaine de maisonnettes a été édifié en 1905-1906 pour accueillir les ouvriers de la fabrique d’automobiles Martini, active de 1897 à 1934. Entourés d’un jardinet, ces logements familiaux sur deux niveaux complétés d’une cave offrent – au rez-de-chaussée – un hall d’entrée, deux pièces d’habitation, une cuisine et un cabinet de toilette. Deux chambres et un réduit occupent l’étage. Bref, le summum du confort pour une famille ouvrière d’alors. Cette étonnante modernité a permis à la cité Martini de traverser les époques et d’être aujourd’hui encore plébiscitée par ses habitants. L’ensemble est d’ailleurs classé monument historique depuis 2002.

A gauche, la villa Thommen à Môtiers, sur des plans de Jean Béguin


Cloche religieuse ou civile ?

Il est maintenant grand temps de quitter le canton de Neuchâtel, patrie de l’architecte Jean Béguin, pour revenir à notre point de départ : l’hôtel de ville de Baulmes ! et c’est son clocher que je vous emmène visiter sans plus tarder. Un clocher-porche entièrement occupé par l’imposante cage d’escalier de l’édifice. On profite de la montée pour admirer de très beaux vitraux arborant les armoiries de la commune et du canton. Arrivés aux dernier étage de la partie maçonnée de l’hôtel de ville, nous quittons le majestueux escalier de pierre pour emprunter une échelle de meunier en fer conduisant aux combles. Pas besoin de s’arc-bouter pour soulever la trappe d’accès : le mécanisme est soigneusement lubrifié, preuve qu’il y a souvent du passage ici. La cloche est en effet régulièrement actionnée (à la main) pour les assemblées communales et les votations. Elle est aussi tintée toutes heures et demi-heures par une horloge mécanique signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez (F-39). Pour accéder à la cloche, il faut encore monter de quelques mètres, en empruntant cette fois une échelle – non plus de meunier – mais une vraie échelle d’acrobate, bien verticale ! Tout là-haut, accrochée à un petit beffroi de bois indépendant de la structure soutenant la flèche du clocher, nous attend la cloche de l’hôtel de ville.

Les vitraux ornant la cage d’escalier de l’hôtel de ville

Il n’est pas toujours aisé de distinguer une cloche religieuse d’une cloche civile dans le canton de Vaud. Prenons l’exemple du bourdon du temple de Baulmes : cette grande cloche de 3 tonnes arbore les armoiries de la commune, du canton et de la Confédération ainsi qu’un verset biblique. Même décoration pour la petite cloche de l’hôtel de ville ! Sur le vase se trouvent les trois blasons. Celui de la commune est surmonté de l’inscription Baulmes 1900. Le col arbore cette dédicace : Au nom du Dieu Tout-Puissant, ma voix, écho de la liberté, invoque la justice & l’ordre. Je sonne pour la concorde des citoyens, le bien public & la grandeur de la patrie. Sur la faussure – enfin – figure la signature : Paintandre frères, fondeurs à Vitry-le-François, Marne.


Le fondeur champenois doit beaucoup à son représentant vaudois

Paintandre ! N’avons-nous pas déjà croisé ces fondeurs dans un autre clocher de Baulmes… celui du temple ? C’est même avec l’imposant bourdon en sib2, réalisé en 1891, que la fonderie champenoise s’est vu ouvrir bien grand les portes du canton de Vaud pour de nombreuses autres cloches : L’Abergement, Aubonne, Ballaigues, Bercher, Bioley-Magnoux, Concise, Cuarnens, Cugy, Dommartin, Dompierre, Echandens, Goumens-la-Ville, Juriens, Mont-la-Ville, Lausanne, Saint-Prex… Et si les frères Paintandre ont pu vendre tant de cloches en terre vaudoise, ce n’est pas seulement grâce à la qualité de leur travail. Les fondeurs de Vitry-le-François ont bénéficié dans le canton des services d’un représentant à l’efficacité redoutable : Auguste Thybaud. Le fameux accordeur de cloches vaudois a commencé ses activités en collaborant avec Gustave Treboux de Vevey. Le redoutable homme d’affaires s’est très vite rendu compte qu’il réaliserait de meilleurs bénéfices en traitant avec des fonderies étrangères. Ce procédé n’a pas manqué de susciter l’ire de la presse vaudoise en 1893 quand la commune de Bioley-Magnoux a confié au tandem Thybaud-Paintandre la fourniture d’une nouvelle cloche

Trois extraits du journal vaudois « La Revue » parus durant l’année 1893

Ces protestations n’ont évidemment pas empêché Auguste Thybaud de continuer à faire appel à des fondeurs français (surtout Paintandre, mais aussi par moments Robert) pour remplir les clochers vaudois. Cette anecdote nous montre qu’au XIXe siècle déjà, les Suisses avaient pris l’habitude d’aller faire leurs emplettes en France pour soulager leur porte-monnaie.


Une famille de fondeurs entre Corrèze et Marne

Cette présentation de la cloche de l’hôtel de ville de Baulmes ne serait pas complète sans quelques mots au sujet de la fonderie Paintandre. Je me permets de vous remettre ici les quelques lignes que j’avais rédigées pour ma présentation de la sonnerie du temple de Concise (CH-VD).

Fils d’un cultivateur de Breuvannes-en-Bassigny (52), Jean-Baptiste (1793-1865), Sébastien (1798-1874) et Antoine Paintandre (1802-1886) embrassent tous trois la profession de fondeur de cloches. Jean-Baptiste, qui a appris le métier auprès d’Augustin Martin, est le maître de ses frères. J-B. fonde sa maison à Turenne en Corrèze, il s’en occupe avec son fils Hippolyte. Les deux autres frères – et c’est la lignée qui nous intéresse ici – choisissent d’installer leur atelier à Vitry-le-François dans la Marne. Ils peuvent compter dès 1860 sur la collaboration de Paul et Victor, les fils d’Antoine. En 1886, la fonderie de Vitry-le-François prend le vocable de « Paintandre Frères ». Paul est en charge du département commercial, Victor s’occupe de la partie industrielle. La coulée de deux belles cloches pour le temple de Baulmes en 1891 marque le début d’une collaboration fructueuse entre Auguste Thybaud et les frères Paintandre pour la réalisation de nombreuses cloches dans le canton de Vaud.

L’hôtel de ville de Baulmes. On peut regretter que le plan de quartier n’ait pas prévu un meilleur dégagement en façade pour pleinement apprécier les belles perspectives de l’édifice

Quasimodo remercie
-M. Jacques-Yves Deriaz, Municipal en charge des bâtiments de la commune de Baulmes lors de notre visite en 2017
-Antoine Cordoba, carillonneur à l’Abbaye de Saint-Maurice pour son talent de sonneur et pour l’aide logistique. Visitez son site internet consacré aux cloches de Savoie https://cloches74.com/

Sources (autres que mentionnées)
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/029102/2022-02-03/
https://doc.rero.ch/record/12463/files/BPUN_OU100_2006.pdf
https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=bts-002%3A1902%3A28%3A%3A106
https://fr.wikipedia.org/wiki/Baulmes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cit%C3%A9_Martini
http://www.clocherobecourt.com/Robecourt/FondeursBelg.php

Cloches – Carrouge (CH-VD) chapelle réformée

La chapelle, sa cloche et son horloge sont du XVIIIe siècle

Cloche unique, note fa4 + 7/16, coulée en 1724 par Jean-Henry Guillebert de Neuchâtel

Carrouge ! Notez bien l’orthographe de ce village – avec 2 R – afin d’éviter toute confusion avec son grand homophone de la banlieue genevoise. Nous sommes ici en pleine campagne vaudoise, à mi-chemin entre Vevey et Moudon. Cette situation géographique idéale a transformé, en à peine quatre décennies, une commune essentiellement agricole en village résidentiel à forte poussée démographique. La naissance de plusieurs quartiers de villas a été accompagnée par la création d’une nouvelle zone commerciale début des années 2000. En 2008, les citoyens de Carrouge  acceptent par les urnes de rejoindre leurs voisins de Mézières et de Ferlens au sein de la commune fusionnée de Jorat-Mérières.

Au Moyen-Age, Carrogium fait partie de la seigneurie de Vulliens, tout comme sa voisine Ropraz. Un siècle après la conquête du Pays de Vaud par les Bernois, ce sont les Graffenried qui deviennent propriétaires de la seigneurie de Carrouge. C’est cette riche famille patricienne d’ascendance germanique, bernoise et bâloise qui fera construire la  modeste mais ravissante chapelle en 1709.

Avec son plafond de bois et son chevet à trois pans, la chapelle de Carrouge rappelle nombre d’autres lieux de culte du voisinage : Vulliens, Montpreveyres, Vucherens, Ropraz, Syens… Nous sommes toutefois ici en présence d’un édifice de dimensions nettement plus modestes. Le maître d’ouvrage est un certain Samuel Nicolas. Ce bourgeois de Carrouge, charpentier de son état, a laissé ses initiales sur la chaire où apparaît aussi cette inscription «au nom de Dieu, sois mon commencement», 1709.

La chapelle subit deux importantes restaurations au XXe siècle.  En 1927, on la dote d’un vitrail de René Martin, peintre vaudois décédé  aux Etats-Unis en 1986. En 1972, on s’efforce de lui redonner son cachet historique. On choisit notamment de reconstruire à l’identique le petit clocher de 1709 qui menace de tomber. Si elle se retrouve désormais motorisée, la cloche est demeurée la même. Offerte par le gouverneur Michel Jordan, elle porte la date de 1724 et l’inscription latine « Colatur Deus fiat justitia floreat pagus » (Que Dieu soit adoré, la justice pratiquée et le village prospère). Cette jolie petite cloche est signée Jean-Henry Guillebert, bourgeois de la ville de Neuchâtel.

Les Guillebert sont des fondeurs suffisamment intéressants pour qu’on leur consacre quelques lignes. Il faut déjà savoir que cette famille – comme nombre de fondeurs de cloches de la même époque – est originaire du Bassigny, dans l’ancienne province française de Champagne (aujourd’hui région Grand-Est). Les Guillebert semblent s’être établis à Neuchâtel vers 1680. L’un de ses membres, Gédéon, fut reçu dans la compagnie des Favres, Maçons et Chappuis en 1686.  Dans le cahier du Musée Neuchâtelois de 1915, on peut lire que « Gédéon offrit en 1709, année de sa réception comme bourgeois de Neuchâtel, une cloche pour sonner le tocsin, mais il fut éconduit ».

Ce sont surtout les fils de Gédéon qui se sont illustrés par leur rayon d’action. On trouve effectivement la signature de Jean-Jacques et de Jean-Henry Guillebert par deux fois dans le canton de Fribourg:  à La Joux (cloche de l’Agonie, 1729) et sur la petite cloche du Châtelard (1734). Mais la plus importante réalisation des frères Guillebert se trouve à Lausanne : la grande cloche de l’église Saint-François, coulée avec en collaboration avec un autre Neuchâtelois : Pierre-Isaac Meuron. Cette cloche ayant été réalisée à l’origine pour la cathédrale (elle a été déplacée en 1898) on peut en déduire que ces fondeurs devaient jouir d’une certaine aura ou disposer de solides références.

Les combles de la chapelle de Carrouge abritent un véritable trésor : une horloge à cage du XVIII siècle ! Cette belle mécanique, apparemment complète et en bon état, porte la signature de Samuel Chappuis de Carrouge et la date de 1795. Elle dispose encore de son balancier et de ses poids de pierre. Ces derniers sont d’ailleurs visible de tous, puisqu’ils pendent au bout de leurs cordes dans l’entrée de la chapelle. Cette belle horloge est hélas hors service. Les aiguilles de l’unique cadran en façade sont mues par une minuterie électrique. Le marteau de tintement, de type frappe lâchée, est actionné par dispositif électrique à came.

Mon modeste avis : nous avons ici une jolie chapelle du XVIIIe siècle avec sa cloche et son horloge d’époque. C’est savoureux ! On pourrait souhaiter un meilleur équipement de la cloche : son battant l’a méchamment creusée et la volée n’est pas régulière. Pour ce qui est de l’horloge, on pourrait envisager une remise en service après une bonne révision, ou alors une mise en valeur dans la chapelle ou dans tout autre lieu public à définir.

Sources (autres que mentionnées)
«La contrée d’Oron» éditions Cabédita
http://www.jorat-mezieres.ch/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Carrouge
https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_von_Graffenried

Cloches – Bottens (CH-VD) église Saint-Etienne

Un village, trois clochers

-Cloche 1, dédiée à la Vierge Marie, note mi3, diamètre 126 cm, poids 1’350 kg, coulée en 1889 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 2, dédiée à saint Etienne, note sol3, diamètre 102 cm, poids 720 kg, coulée en 1846 par Samuel Treboux à Corsier-sur-Vevey.
-Cloche 3, dédiée à saint Claude, note si3, diamètre 80 cm, poids 350 kg, coulée en 1889 par Gustave Treboux à Vevey.
-Cloche 4, dédiée à saint Joseph, note mi4, diamètre 60 cm, poids 140 kg, coulée en 1846 par Samuel Treboux à Corsier-sur-Vevey.


Les trois clochers de Bottens

La Maison de Commune est – à mon avis – le bâtiment le plus pittoresque du village. Cette construction ramassée, qui arbore la date de 1793, est surmontée d’un clocher de bois haut et étroit, dont le but était clairement de dominer les constructions avoisinantes. Il est vrai que jadis, les seuls repères temporels des villageois étaient l’horloge et la cloche publiques. La première cloche communale mentionnée à Bottens datait de 1794. Vraisemblablement fêlée, cette cloche a été refaite en 1890 par Charles Arnoux d’Estavayer-le-Lac. En 1921 fut installée l’horloge actuelle. La feuille d’information communale nous apprenait dans son numéro d’octobre 2010 que la vénérable mécanique nécessitait alors encore un remontage hebdomadaire. Cette noble mission incombait depuis 20 ans à M. Paulet Nicod, digne successeur du premier préposé mentionné dans un PV de 1822 : il a été convenu avec Joseph Longchamp pour gouverner (remonter et entretenir, ndlr) l’horloge une année. Il fournira l’huile nécessaire pour la dite horloge de même que pour la cloche et cela pour le prix de 6 francs. A la même époque, un certain Claude Dupraz sonnait midi pour un salaire annuel de deux francs et 8 Batz alors que Victorin Longchamp s’acquittait avec diligence de sonner pour le mauvais temps.

Le temple est attesté depuis 1164. Il est reconstruit entre 1711 et 1713 sur la base d’un schéma médiéval. L’édifice a d’abord été église catholique, dédiée successivement à saint Claude puis à saint Etienne. De 1475 à 1798, Bottens fait partie du bailliage commun d’Orbe et d’Echallens. La région est alors administrée en alternance (tous les cinq ans) par les Bernois (réformés) et les Fribourgeois (catholiques). Les habitants du bailliage sont privilégiés : ils disposent d’un choix relatif quant à leur religion. L’église devient alors paritaire, c’est à dire qu’elle est le lieu de culte des deux confessions. La situation demeurera inchangée jusqu’à la consécration – a XIXe siècle – de l’église catholique que nous allons découvrir ensemble.

L’église catholique Saint-Etienne est intéressante à plus d’un titre. Consacrée en 1847 par Mgr Marilley, c’est l’une des premières églises néogothiques du canton de Vaud. Henri Perregaux, qui en a dessiné les plans, est considéré comme un des architectes vaudois majeurs du XIXe siècle. On lui doit nombre d’édifices religieux comme les temples de La Sarraz et de Mont-sur-Rolle, les églises catholiques de Lausanne (basilique) et d’Assens, mais aussi des bâtiments civils comme le casino de Morges. Perregaux est avant tout considéré comme le chantre du néoclassicisme, ce qui ne l’a pas empêché de toucher avec bonheur à d’autres styles, comme ici à Bottens où l’église Saint-Etienne dresse son élégante silhouette néogothique depuis 1843.

Un mobilier liturgique expurgé – Si l’extérieur de l’église est demeuré inchangé, l’intérieur a subi de profondes modifications à partir de 1979 : suppression du grand retable et des autels latéraux, amputation de la plupart des ornements des stalles et de la chaire. Un nouveau mobilier liturgique a été réalisé dans les années 1980 par Madeline Diener, cette artiste suisse profondément pieuse à qui on doit la porte de bronze et le baptistère de l’abbaye de Saint-Maurice. Les vitraux du chœur sont  du maître-verrier fribourgeois Gaston Thévoz. Quant au tryptique de l’incarnation, il est l’œuvre du peintre biennois Louis Rivier.

Un clocher foudroyé – Le 16 juillet 1985, vers 1h du matin, la foudre frappe le clocher de l’église Saint-Etienne de Bottens. La flèche s’enflamme. En raison de la hauteur du sinistre – le coq sommital culmine à 44 mètres – le feu ne peut être éteint que le lendemain par un pompier accroché à un hélicoptère. La flèche est remplacée le 18 mars 1986 par l’entreprise Pollien de Cheseaux-sur-Lausanne au moyen d’une grue de 96 tonnes. Cette délicate opération se déroule en présence d’une foule nombreuse accourue pour l’occasion. La présence de rosaces au-dessus des baies de la chambre des cloches peut surprendre. Des cadrans d’horloge étaient-ils prévus sur les plans initiaux ? Ce n’est pas impossible. Quoi qu’il soit, à Bottens, c’est le pouvoir civil qui détient le privilège d’indiquer l’heure à la collectivité ! Seule la Maison de Commune, dont nous parlions un plus haut, possède en effet une horloge et une cloche tintée.

Deux générations de cloches veveysannes – L’incendie de 1985 n’a heureusement pas endommagé les quatre cloches de l’église Saint-Etienne de Bottens. Coulées au XIXe siècle, elles arborent toutes le patronyme de Treboux. Mais si les cloches nos 2 et 4 ont été coulées en 1846 par Samuel , les cloches nos 1 et 3 – fêlées – durent être refaites par Gustave Treboux en 1889. Les décors néoclassiques à la française des cloches de 1846 ont été remplacés par des ornementations néogothique de style germanique, alors les inscriptions pieuses sont restées les mêmes que sur les cloches originales, exception faite des noms des digitaires religieux. C’est ainsi que sur la grande cloche de 1889, Léon XIII remplace Pie IX qui était pape en 1846. Même changement pour ce qui est de l’évêque : Mgr Etienne Marilley a dû céder la place à Mgr Gaspard Mermillod.

Quelques extraits des inscriptions des quatre cloches

-Cloche 1 : Ecce crux Christi, fugite partes adversae ; Christus vincit, Christus  regnat, Christus  imperat
Christus ab omni malo plebem defendat ; Parochia catholica in Bottens
(Voici la croix du Christ ! Fuyez, vous qui êtes ses adversaires ! Christ est vainqueur, Christ règne, Christ commande, Christ préserve le peuple de tout mal. Paroisse catholique de Bottens)

-Cloche 2 : Jesu, qui, pro nobis, cruci affixus es, inimici a nobis protestatem expelle
(Jésus, qui as été cloué sur la croix pour nous, chasse loin de nous la puissance de l’Ennemi)

-Cloche 3 : Hinc flunt torrentis instar, gratiarum flumina ; Hic salus oegris paratur, flentibus solatium ; Hic laborans sublevatur ; Hic beatur indigus
(D’ici coulent comme à torrents les flots des grâces [divines] ; ici le salut se prépare pour les malades, la consolation pour ceux qui pleurent ; ici celui qui travaille est soulagé ; ici l’indigent retrouve le bonheur)

-Cloche 4 : Constituit eum Dominum domus suo et principem omnis possessionis suo
(Elle [la paroisse] l’a établi Seigneur sur sa maison et maître de tout son bien

La sonnerie a subi un accordage postérieur à sa coulée. Les cloches nos 1 et 3 ont subi un alésage. On constate aussi que les pinces des cloches 1, 3 et 4 ont été retouchées. Auguste Thybaud, le fameux accordeur de cloches vaudois, est mentionné dans la presse en 1891 pour son passage à Bottens.

Une visite des combles, accessibles par le clocher, nous a permis de constater que les anciens battants et – plus rare – les anciens paliers des cloches ont été conservés ! Ces paliers sont particulièrement intéressants : dans un encart publicitaire du 7 octobre 1882 paru dans le Courrier du Léman, Gustave Treboux vantait allègrement les mérites de son nouveau système de suspension pour la mise en branle des cloches.

Anecdote : un noctambule complètement sonné
-La Tribune de Lausanne du 19 avril 1975 relate un curieux fait divers. Une nuit, vers 2h du matin, les cloches du temple de Bottens se mettent soudainement en branle. On découvre vite que le boîtier de commande est fermé et que la clé a disparu. On force le boîtier, on arrête les cloches… mais voilà t’y pas que trois quarts d’heure plus tard, les cloches se remettent à sonner ! Un riverain note l’immatriculation d’une voiture qui roule curieusement tous feux éteints. On appréhende le plaisantin chez lui. On se rend compte qu’il est le fils d’un célèbre professeur en neurochirurgie de Lausanne . Le jeune homme reconnaît ses torts, l’affaire est classée. L’article – c’est intéressant – nous apprend que le garçon n’en est pas à sa première incivilité : quelques temps plus tôt, il a été condamné à six mois de travaux agricoles au pénitencier de Bochuz pour avoir défoncé la porte d’un garage en voulant jouer avec le klaxon de la voiture de ses rêves…

Sources (autres que mentionnées)
Archives de la maison Treboux dans « Voix de nos clochers » par le pasteur Alfred Cérésole, extrait de « Voix et souvenirs », éditions Payot, 1901 (merci aux archives de la ville de Vevey)
https://www.bottens.ch/vie-culturelle/histoire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bottens
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/002357/2004-05-04/
https://notrehistoire.ch/entries/VJ78r034YEl
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bailliage_d%27Orbe-%C3%89challens
https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Perregaux

Quasimodo remercie
Alain Panchaud, président de paroisse
Daniel Thomas, organiste et carillonneur
Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice
Allan Picelli, sacristain à Maîche
Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Cloches – Treytorrens (CH-VD) église réformée

Les cloches ont 500 ans en 2020 !

-Cloche 1, note do#5 +8/100, diamètre 49 cm, poids 69 kg, coulée vraisemblablement en 1520.
-Cloche 2, note ré#5 +38/100, diamètre 45 cm, poids 52 kg, porte la date de 1520.

Un village entre traditions et modernité – Le 23 mars 2019, je me rendais avec quelques amis dans le charmant petit village vaudois de Treytorrens, à quelques encâblures du canton de Fribourg. Nous y étions chaleureusement accueillis par une sympathique délégation composée d’un Municipal, d’une historienne et du sonneur officiel. Nos savoureux échanges se sont poursuivis bien au-delà de la visite de l’église, puisque nous nous sommes retrouvés ensuite à deviser autour d’un apéro improvisé (eh oui, nous sommes dans le canton de Vaud!) chez un de nos hôtes dans un magnifique cadre de verdure avec vue sur les Alpes. Troterens (en 1194), évolue au fil des siècles en Troiterens, Trouotereins et Tretorens. L’étymologie serait burgonde et signifierait le clan des guerriers fatigués. Les seigneurs de Treytorrens sont d’abord les vassaux de l’évêque de Lausanne avant de reconnaître la suzeraineté de Pierre II de Savoie au XIIIe siècle. La seigneurie est possédée par Pierre Morel de Fribourg en 1543, puis par les Molin d’Estavayer et les DuGué, réfugiés huguenots. De 1536 à 1798 (époque bernoise) Treytorrens fait partie du bailliage de Moudon. Après la Révolution vaudoise, la commune appartient au district de Payerne, avant de rejoindre le district de la Broye-Vully en 2008. Aujourd’hui, Treytorrens compte une centaine habitants (ce nombre fluctue depuis quelques années) contre plus de 200 lors du recensement de 1860. La population, longtemps tournée vers l’agriculture et l’élevage, compte aujourd’hui un nombre croissant de travailleurs dans les villes aux alentours, sans pour autant effacer le cachet du lieu. C’est avec un immense plaisir que nous avons pu savourer toutes les richesses de Treytorrens : son patrimoine bâti (église, château…) mais aussi l’accueil à la fois simple et chaleureux de ses habitants.

Un joyau de l’art gothique – Qui peut bien avoir construit cette magnifique petite église ? Est-ce  Jean de Treytorrens, mécène et homme de goût, dont le château se dresse à deux pas ? Edifiée au XVe siècle, l’église de Treytorrens – dédiée tour à tour à saint Nicolas, puis à saint Jean-L’Evangéliste, avant de devenir temple réformé en 1536 – est remarquable à plus d’un titre. Il faut rappeler pour commencer que le style gothique est plutôt absent de nos campagnes. De plus, le soin avec lequel cet édifice a été réalisé en fait un véritable petit bijou dans son écrin rural. Ce n’est pas pour rien qu’Albert Naef, restaurateur du château de Chillon à la Belle-Epoque, s’est penché avec attention sur l’église de Treytorrens lors de son recensement de 1898. Le célèbre architecte cantonal a tenu à en diriger lui-même les travaux de rénovation qui se sont étalés sur une dizaine d’années. Particulièrement remarquable est le portail de style gothique flamboyant, dont la construction – vers 1520 – pourrait avoir été liée à la fondation d’un autel des Dix Mille Martyrs. De cette époque datent également les deux cloches toujours en place. A noter aussi les très belles chapelles à baldaquin qui occupent les angles de la nef à proximité du chœur. De tels aménagements n’ont été observés ailleurs dans la région qu’à Granges-près-Marnand (chapelle de Loys) et Payerne (église paroissiale). Le clocher-mur, qui rappelle certaines églises du sud-ouest de la France, n’est pas rare dans cette région de la Broye, à cheval sur les cantons de Vaud et Fribourg. De telles réalisations, toutes historiques, existent en effet à Chavannes-le-Chêne, Curtilles, Donatyre, Sévaz, Treytorrens et Villarzel. Le plafond cintré lambrissé a été reconstitué en 1907 sur la base de vestiges conservés. Lors de la Réforme de 1536, des statuettes représentant le Christ et les douze apôtres furent cédées à la commune fribourgeoise de Franex, ce qui permit de les sauver. Outre la restauration d’envergure menée par Naef au tout début du XXe siècle, signalons le rafraîchissement des peintures intérieures en 1985. L’histoire de l’orgue est à la fois insolite et touchante. L’instrument est né d’une volonté commune de Jean Stoos, pasteur et organiste virtuose, et de Pierre Golaz, enseignant et bricoleur de génie. Soucieux de doter d’un orgue digne d’elle la jolie petite église de Treytorrens, les deux amis comprennent vite qu’ils ne disposeront jamais des fonds nécessaires pour passer une commande auprès d’un professionnel. Peu importe : leur orgue, ils le construiront eux-mêmes ! MM. Stoos et Golaz vont bénéficier  de l’aide de quelques villageois enthousiastes ainsi que des conseils avisés d’Emile et Jean-Marc Dumas, facteurs d’orgue à Romont. L’instrument est terminé en 1960, il a droit à son relevage en 2004.

La grande cloche porte ces mots latins mentem sanctam, spontaneam, honorem Deo et patriae liberationem. Cette inscription, courante sur les cloches médiévales, peut se traduire par donne à notre âme la sainteté, à Dieu la gloire, à la Patrie la liberté. La connotation est autant religieuse que politique. Un théologien vous expliquera que la cloche fait référence à sainte Agathe. Une tablette apposée près de la dépouille de cette  jeune vierge ayant vécu à Catane en Sicile vers 250 portait en effet ces quelques mots, comme expliqué dans l’étude menée par les Monuments Historiques vaudois en 2014. Un historien vous dira que ces mots peuvent faire allusion à la suprématie du duc de Savoie.

La petite cloche porte la date de 1520 et une inscription en l’honneur de saint Agace (ou Acace ou Achatius…). Ce centurion romain converti au christianisme fut crucifié vers l’an 140 avec ses 10’000 compagnons sur le Mont Ararat en Arménie. La vénération des Dix Mille Martyrs s’est développée au XVe siècle et au début du XVIe siècle. Dans nos régions, elle faisait écho au culte de saint Maurice et sa légion thébaine, ou encore à la vénération de sainte Ursule et ses onze mille vierges.

Je ne saurais trop vous conseiller de faire un crochet par Treytorrens lors de votre prochain passage par le Nord-Vaudois ou la Broye. Nul doute que vous serez vous aussi en état de grâce devant cette petite église toute de beauté et de simplicité. Sans doute lèverez-vous la tête quand du haut du clocher-mur seront égrenées les heures. Vous aurez alors une pensée pour ces cloches ancestrales qui – paradoxe – nous donnent le repère du temps, alors que le temps n’a aucune prise sur elles.

Quasimodo remercie chaleureusement
-La commune de Treytorrens : Daniel Miauton, Municipal ; Madeleine Stanescu, Municipale et historienne ; Christian Bütikofer, sonneur depuis un quart de siècle
Mecatal campaniste, Jean-Paul Schoderet et Christelle Ruffieux
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice, Allan Picelli sacristain à Maîche et Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers

Sources (autres que mentionnées)
http://www.treytorrens.ch/commune.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Treytorrens_(Payerne)
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_de_Treytorrens
https://wp.unil.ch/monumentsvaudois/2017/09/gilles-brodard-la-restauration-de-leglise-de-treytorrens-par-albert-naef-1898-1907/
https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/000816/2017-04-06/
https://www.nervo.ch/wp-content/uploads/2017/03/4_Eglises_et_oeuvres_d_art.pdf
L’Orgue, revue indépendante, no3 (septembre 2011)

Cloches – Vers-l’Eglise (CH-VD) temple et ancienne église Saint-Théodule

Rencontre de fondeurs bernois et franc-comtois dans les Préalpes vaudoises

-Cloche no1, note MI3 – 51/100, diamètre 127 cm, coulée en 1564, attribuée à Franz Sermund de Berne.
-Cloche no2, note SOL3 – 52/100, diamètre 108 cm, coulée en 1736 par Abraham Gerber de Berne.
-Cloche no3, note DO4 – 3/100, diamètre 76 cm, coulée en 1760 par Jean-Claude Livremont de Pontarlier.

Un emplacement choisi avec soin – Il y a un peu moins de trois ans, je vous invitais à une première escapade dans la vallée des Ormonts à l’occasion d’une présentation du temple de Cergnat. Vous y découvriez avec émerveillement un ensemble historique de trois cloches gothiques dans leur fier clocher à la flèche de pierre. Vous vous extasiiez aussi devant le paysage des Préalpes vaudoises, ces montagnes à la fois imposantes et rassurantes, au pied desquelles des villages bucoliques semblent chercher protection. C’est justement dans un but protecteur que le temple de Vers-l’Eglise a été édifié à cet endroit précis. La légende raconte en effet qu’avant la mauvaise saison, de sages paysans auraient planté en terre trois piquets. Deux dans des endroits exposés aux soleil, le troisième dans ce coin plutôt ombragé. Seul le dernier de ces trois piquets ayant résisté à l’hiver, il fut choisi de construire l’église là où elle serait épargnée des avalanches et des éboulements. La première mention d’un lieu de culte à Vers-l’Eglise remonte à 1396. Il ne s’agit toutefois que d’une chapelle, et les habitants du lieu sont contraints de se rendre à l’église-mère de Cergnat, distante d’une dizaine de kilomètres. Vers 1480, quelques paroissiens de Vers-l’Eglise mettent en avant les difficultés pour eux de se déplacer, surtout à la mauvaise saison, dans cette région accidentée. Ils demandent à disposer de leur propre église paroissiale et à pouvoir enterrer leurs morts dans leur cimetière. Ces exigences seront partiellement remplies en 1482 moyennant finance. Mais ce n’est qu’en 1536, avec l’arrivée de de la Réforme au Pays de Vaud, que le village de Vers-l’Eglise se voit enfin érigé en paroisse.

Le temple de Vers-l’Eglise semble avoir été construit en 1456, donc 80 ans avant la Réforme. Ce qui était encore un lieu de culte catholique a été béni par l’évêque de Sion Henri Asperlin. De la fin du Moyen-Age nous sont parvenus le chœur avec sa voûte à cinq nervures et son abside à trois pans, la nef unique et le massif clocher-porche. Parmi les travaux qui ont peu à peu donné à l’édifice l’aspect que nous lui connaissons, citons les trois galeries ouest, sud et nord construites respectivement en 1581, 1709 et 1830 afin de gagner de la place. Le magnifique plafond en berceau lambrissé, la chaire, le banc du gouverneur et le tronc datent du XVIIIe siècle. Ces transformations font souvent  appel à des artisans étrangers au village et dont la renommée dépasse de loin les limites de la vallée des Ormonts. On peut citer les Guignard père et fils, menuisiers, dont les activités ont été recensées jusque dans la Vallée de Joux. Au milieu du XIXe siècle, l’état de  délabrement avancé du temple nécessite d’urgents travaux de maçonnerie et de terrassement. La rénovation de 1960 permet de mettre au jour les fonts baptismaux qui avaient été enterrés, de même que deux fenêtres en arc brisé dans le chœur qui avaient été murées. 2015 voit la pose par un artisan de la région de nouveaux tavillons  dont le bois provient entièrement de la vallée des Ormonts.

Une cloche attribuée à l’un des meilleurs fondeurs de sa génération – C’est une sonnerie historique de grande valeur qui se cache derrière les baies gothiques du massif clocher-porche. La grande cloche, datée de 1564, porte porte l’inscription suivante : Peuple, venez écouter la parole du Seigneur, entendez grâce à vos oreilles la loi de votre Dieu. Il s’agit là de la traduction française d’une inscription latine figurant sur le col de la cloche. Cela peut paraître curieux pour une cloche réformée, mais il faut savoir que l’usage de la langue latine a perduré durant de longues années pour les inscriptions religieuses (exemple sur le bourdon de Vevey daté de 1603) et pour des textes officiels. La cloche arbore des visages grimaçants sur ses anses et des empreintes de feuilles de sauge sur sa robe, ornements qui seront ensuite repris sur de nombreuses cloches baroques. La qualité visuelle et sonore de cette cloche de la Renaissance, sa technique de fonte novatrice pour l’époque, tout ceci indique que nous avons affaire à un fondeur en pleine possession de son art. Matthias Walter, expert campanologue à Berne, attribue cette beauté de bronze à Franz Sermund, ce fondeur originaire de Bormio (I) reçu bourgeois de Berne en 1567. Pour rappel, Sermund, en tant que fondeur officiel de Leurs Excellences de Berne, a coulé des cloches remarquables dans tout le canton de Vaud, dont le magnifique bourdon de la cathédrale de Lausanne (1583) l’une de ses plus importantes réalisations.

La cloche no2 est intéressante par ses enseignements historiques. Elle symbolise pour commencer l’écrasant pouvoir de Berne sur le Pays de Vaud : la signature d’un artisan bernois, mais aussi et surtout le grand écusson représentant l’ours bernois. Les armoiries communales apparaissent toutes petites sur la face opposée de la cloche ! On remarque également la place prépondérante du pouvoir civil dans les inscriptions et les motifs apparaissant sur les cloches réformées de cette époque. Cette tendance connaîtra son apogée au XIXe siècle sous le gouvernement radical vaudois avant de décroitre. Sur la cloche de Vers l’Eglise, on découvre tout de même cette inscription à caractère religieux PAR MON SON MELODIEUX IAPPELLE DANS CE SAINT LIEU LES HUMAINS POUR LETERNEL SERVIR DUN VOEU SOLENNEL. L’inscription FONDEV A BERNE PAR ABRAM GERBER LE 26 MAI 1736 souligne les armoiries du fondeur représentant une cloche et un canon. Ce blason confirme que les successeurs de Franz Sermund et d’Abraham Zender – comme nombre de leurs contemporains – coulaient également des pièces d’artillerie. Pour être complet avec le descriptif de cette cloche délicatement ornée, il faut signaler encore les armoiries de la famille Wurstemberger représentée par Johann Rudolf commandant d’artillerie et directeur de la fonderie, et François seigneur gouverneur.

La cloche no3 est la seule à ne pas être l’œuvre d’un fondeur bernois. On peut lire sur son col les noms de quelques notables de la commune : le châtelain Jean Favre, l’ancien châtelain Moyse Nicollier, les syndics Jean Favre et Moyse Culand ainsi que l’égrège Jean Favre. On trouve encore ces quelques lignes en latin et en français VOX CLAMANTIS / IINDIQVE LE TEMS ET LE LIEV OV VOVS DEVEZ ADORER DIEV. Coulée en 1760, cette petite cloche porte la signature de JC Livremont fondeur de Thonon.

De nombreux fondeurs dans la famille – Cette présentation de la sonnerie de Vers-l’Eglise est une occasion rêvée de vous toucher quelques mots des Livremont (variantes : Lievremont, Livremond) cette famille originaire de Franche-Comté recensant dans ses rangs un grand nombre de fondeurs. Tous ont laissé de beaux exemples de leur savoir-faire aux XVIIe et XVIIIe siècles, que ce soit en Suisse, en Savoie ou en Franche-Comté. Le degré de parenté exact entre les différents membres de cette dynastie qui portent parfois le même prénom n’est pas toujours clair. Pascal Krafft, expert campanologue à Ferrette (F-68) a attiré mon attention sur les travaux de Louis Boiteux. Dans son étude réalisée vers 1920 au sujet des  cloches historiques du Doubs, le chanoine Boiteux mentionne au XVIIe siècle Guillaume fondeur à Pontarlier et son frère Jean-Baptiste actif à Dole. Ce même Jean-Baptiste est également cité par A. Cahorn (Les cloches du canton de Genève, 1925) dans des travaux de réparation à l’une des cloches de la cathédrale Saint-Pierre de Genève en 1668. La Revue Savoisienne de 1896 nous apprend que Guillaume et Antoine originaires de Pontarlier et qualifiés de bourgeois d’Evian ont coulé en 1687 deux cloches pour Evian et une pour l’ancienne paroisse voisine de La Thouvière. La grande cloche de la Chapelle d’Abondance (F-74) datée de 1687 porte la signature de Guillaume, Claude et Antoine bourgeois d’Evian, de Pontarlier et citoyens de Besançon. Les frères Livremont semblent avoir ensuite repris la direction de la Franche-Comté non sans avoir fait halte dans le Nord-Vaudois, comme l’indique la griffe apposée sur le bourdon d’Orbe (CH-VD) GUILLAVME ET ANTOINE LIVREMOND FRERES BOVRGEOIS DE PONTARLIER ET CITOYENS DE BESANCON MONT FONDVE ET REMISE EN L’ESTAT OV JE SVIS LE 16 OCBRE 1688. Au XVIIIe siècle, Antoine le jeune – fils, petit-fils ou neveu d’Antoine l’Ancien, la filiation n’est pas claire – a coulé un grand nombre de cloches pour les cantons de Fribourg et de Neuchâtel. Il semble avoir eu au moins deux fils, eux aussi fondeurs. Le patrimoine campanaire fribourgeois mentionne le prénom de Jean pour une cloche à Morteau et le prénom de Claude pour des cloches à Onnens (1786) et aux Sciernes d’Albeuve (1780). Le musée neuchâtelois évoque un certain Joseph pour deux cloches à Buttes en 1772. Claude et Joseph pourraient n’avoir été qu’une seule et même personne : Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, signale que la cloche no2 de la collégiale de Neuchâtel coulée en 1786 est signée C I LIVREMON. Les archives de la commune d’Amagney (F-25) nous apprennent qu’il a été passé commande en 1775 d’une cloche à un fondeur du nom de Claude-Joseph Lièvremont. Ce Claude-Joseph pourrait avoir été un frère ou un cousin d’Antoine le jeune. Toujours au XVIIIe siècle, les prénoms de Jean-François puis de Jean-Claude apparaissent dans certains clochers de la région du Léman. Une cloche à Saint-Jean-d’Aulps (F-74) datée de 1747 porte la signature de ces deux frères, tout en mentionnant leur bourgeoisie de Pontarlier. Selon la Revue Savoisienne de 1896, Jean-François natif de Pontarlier fut appelé pour remplacer les cloches de Pers (F-74) en 1754. Il serait décédé à Annecy le 27 mai 1764 à l’âge de 52 ans laissant plusieurs enfants dont aucun ne paraît avoir exercé l’industrie paternelle. Sur la petite cloche de Vers-l’Eglise coulée en 1760, Jean-Claude – vraisemblablement le plus jeune de la fratrie – apparaît seul et Thonon remplace alors Pontarlier comme lieu de résidence du fondeur.

Pas de beffroi – Sous la chambre des cloches du temple de Vers-l’Eglise se trouve une horloge mécanique datée de 1899 et signée Louis Crot à Granges VD. Cette horloge a été profondément modifiée : remplacement du mécanisme horaire par un moteur électrique relié à une horloge-mère, remontage électrique des poids. La sonnerie a été motorisée en 1966. De cette époque date certainement l’équipement actuel : battants piriformes, jougs en acier et rails métalliques scellés dans le mur en lieu et place d’un beffroi. Lors de l’enregistrement audio-vidéo de la sonnerie, mes camarades et moi-même avons remarqué que les vibrations induites par la volée des trois cloches se transmettaient aux murs pourtant épais du vénérable clocher gothique. Les trépieds de nos caméras placées sur le plancher et dans l’embrasure des baies sont entrés en résonance avec la sonnerie ! Je ne saurais trop recommander – sinon d’opter pour un vrai beffroi en bois – de placer au moins des plaques isolantes sous les paliers des cloches afin d’atténuer ces vibrations qui pourraient à long terme fragiliser la maçonnerie.

Sources (autres que mentionnées)
Ormont-Dessous, Ormont-Dessus, divers auteurs sous la direction d’Henri-Louis Guignard.
https://www.villars-diablerets.ch/fr/P5493/le-temple-de-vers-l-eglise
https://www.ormont-dessus.ch/
https://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/temple-versl-eglise-soffre-coup-jeune/story/18234871
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ormont-Dessus
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amagney
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vall%C3%A9e_des_Ormonts
https://cloches74.com/2014/07/08/saint-jean-daulps-eglise-saint-jean-baptiste-plan-davoz/

Quasimodo remercie chaleureusement
-La commune d’Ormont-Dessus, le musée des Ormonts et sa convervatrice Mary-Claude Busset,  la paroisse des Ormonts-Leysin et son pasteur Frédéric Keller.
-Mes amis Antoine Cordoba carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et Allan Picelli, sacristain à Maîche (F-25).

Cloches – Vevey (CH-VD) église réformée Saint-Martin

Un clocher semblable à un donjon et son bourdon de 1603

-Cloche 1, note si bémol 2 -3/100, coulé en 1603 par Abraham Zender de Berne.
-Cloche 2, note ré bémol 3 +31/100, coulée en 1887 par Hermann Ruetschi d’Aarau.
-Cloche 3, note fa 3 -24/100, coulée en 1888 par Hermann Ruetschi d’Aarau.
-Cloche 4, note si bémol 3 +58/100, coulée en 1888 par Hermann Ruetschi d’Aarau.
(la 3 = 435 Hz)

Du roman au gothique – Edifiée sur les fondations d’un édifice roman du XIe siècle flanqué de deux absidioles, l’église Saint-Martin est une œuvre majeure de l’architecture gothique tardive en Pays de Vaud. Elle est attribuée au culte réformé depuis 1536. Des fouilles archéologiques ont mis au jour des tombes du VIIe siècle, voire même antérieures. Le chœur de style gothique rayonnant est la partie la plus ancienne de l’édifice qui nous soit parvenue. La nef à trois vaisseaux et chapelles latérales a été reconstruite de 1522-1533 par le maçon architecte François de Curtine. Elle est considérée comme l’une des œuvres majeures du gothique flamboyant dans la région. Le porche néogothique sud et la sacristie nord, tous deux de style néogothique, ont été ajoutés en 1896-1897. Parmi le riche mobilier, on peut citer la chaire monumentale datée de 1787, œuvre de l’ébéniste David Schade d’après un projet de l’artiste peintre Michel-Vincent Brandouin ; les remarquables vitraux art nouveau dessinées par Ernest Biéler et réalisées en 1900 par le peintre verrier Edouard Hosch ; le magnifique buffet d’orgue Samson Scherrer et son instrument reconstruit par Kuhn en 1954.

Le clocher de l’église Saint-Martin domine la ville de Vevey et le lac Léman de sa fière silhouette aux quatre clochetons d’angle. Semblable à un donjon médiéval, il fut élevé en deux étapes entre 1497 et 1511 par les maîtres maçons Jean Vaulet-Dunoyer et Antoine Dupuis. On retrouve ce style d’architecture paramilitaire dans d’autres clochers vaudois tels que Cossonay ou Saint-François de Lausanne. La flèche édifiée au XVIe ayant été emportée par le vent, il fut décidé de ne pas la reconstruire.

Une sonnerie profondément métamorphosée vers 1880 – Une seule cloche véritablement historique est encore présente dans le clocher de l’église Saint-Martin : le bourdon en si bémol coulé en 1603 par Abraham Zender. Le fondeur bernois est avant tout réputé pour le bourdon de la cathédrale-collégiale de Berne, la plus grosse cloche de Suisse, d’un poids de près de 10 tonnes. Une plongée dans les archives de la ville de Vevey nous apprend que la plus petite cloche, décrite comme contemporaine du clocher, fêla le 14 juillet 1885. La refonte d’une cloche d’environ 350kg fut alors confiée au fondeur local Gustave Treboux. Les inscriptions étaient les suivantes : QUE TOUT CE QUI RESPIRE LOUE LE SEIGNEUR // JE SUIS LE CHANT DE LA SOUFFRANCE – DANS NOS REGRETS ET NOUS SOUVENIRS – JE SUIS LE CHANT DE L’ESPERANCE – POUR ESSUYER VOS YEUX EN PLEURS // REFONDUE PAR GUSTAVE TREBOUX 1886. Le 7 avril 1887, la cloche no2 (cloche de midi) coulée en 1602 par Pierre Guillet de Romont, fêla à son tour, après avoir été tournée d’un quart de tour par Treboux. Sa refonte fut confiée – non pas à Treboux – mais à Ruetschi d’Aarau, suite vraisemblablement à un devis plus avantageux. L’arrivée de cette cloche en ré bémol le 2 septembre 1887 remit en question l’harmonie de l’ensemble tout entier. C’est ainsi qu’il fut décidé de refaire à Aarau – sur une base de si bémol mineur – la cloche pourtant neuve de 1886 et d’ajouter une quatrième cloche en fa. Ces deux nouvelles cloches arrivèrent le 24 février 1888. A noter que la petite cloche a repris le joug en chêne Treboux de sa prédécesseure de 1886, et qu’elle ne possède pas d’anses en étoile, contrairement aux deux autres cloches argoviennes. Les trois plus grandes cloches sont accrochées à des jougs en fonte typiques de la Belle-Epoque chez Ruetschi.

Un vibrant hommage à une cloche disparue – Dans son ouvrage intitulé « Voix et souvenirs » paru en 1901, le pasteur et poète Alfred Cérésole rendait hommage à la vénérable cloche de midi (coulée en 1602, fêlée en 1887) en ces termes : Pauvre cloche fêlée ! Chère cloche de midi ! Nous aimions ta voix ! Que tu avais un beau son, quand, par un gai soleil, tu sonnais l’heure de la délivrance, l’heure du revoir au logis ! Comme tes sons planaient plus haut que nos horizons mesquins ! Comme ta voix libératrice était saluée avec joie par l’écolier dans sa classe, par l’ouvrier dans son atelier, par le commis dans son bureau ! Quel branle-bas joyeux tu savais mettre dans nos rues silencieuses ou aux portes de nos fabriques ! Et puis, avec quel bonheur tu savais unir ta voix de basse aux harmonieuses volées de tes compagnes, alors que tu saluais l’aube de nos dimanches ou que tu annonçais – beau clairon pacifique – la bonne fête et nos souvenirs sacrés ! Et maintenant, chère cloche au battant silencieux, ta carrière est finie. Bientôt de ton haut clocher, des mains robustes vont te faire descendre. Le marteau du fondeur va te mettre en pièces. Tu seras jetée dans la fournaise c’est vrai, mais pour en ressortir plus belle et plus sonore que jadis. Ne crains pas ! Si le Vendredi-Saint a entendu tes derniers accents, tu verras ton jour de Pâques. Replacée à-haut, tu nous parleras à ta manière de résurrection et de vie éternelle. En attendant, fidèle amie, respect à ta mémoire et merci pour tes services !

Inscriptions des quatre cloches
-Cloche 1 : SIT DOMINI UNIUS BENEDICTUM IN SECULA NOMEN VIVIACUM ET TURRIS PELIA VIVAT AMEN  // MANUS DOMINI MANET IN ETERNUM // 1603 ZVO GOTTES EHR HAT MICH GOSSEN ABRAHAM ZENDER VON BERN VNVERDROSSEN (béni sois-tu Seigneur aux siècles des siècles, que vive le nom de Vevey et de la Tour-de-Peilz, ainsi soit-il // La main de Dieu demeure pour toujours // l’infatigable Abraham Zender de Berne m’a coulée à la gloire de Dieu en 1603)
-Cloche 2 : LA CLOCHE QUE J’AI REMPLACEE AVAIT ETE FONDUE PAR PIERRE GUILLET DE ROMONT EN L’AN 1602 ET A ETE MISE HORS D’USAGE LE 7 AVRIL 1887 // AU SEIN DE L’ETHER BALANCEE TU DOIS HABITANTE DES CIEUX EN HAUT ELEVER LA PENSEE DES MORTELS AU COEUR OUBLIEUX.
-Cloche 3 : VOLEZ NOBLE ACCORD D’UNE SAINTE HARMONIE POUR PROCLAMER AU LOIN LA GLOIRE DU SEIGNEUR CELEBREZ HAUTEMENT SA BONTE INFINIE ET PORTEZ VERS LES CIEUX UN HYMNE A SON HONNEUR.
-Cloche 4 : HEUREUX LE PEUPLE DONT L’ETERNEL EST LE DIEU // QUE TOUS CEUX QUI RESPIRENT LOUENT LE SEIGNEUR // JE SUIS LE CHANT DE LA SOUFFRANCE DANS NOS REGRETS ET NOS DOULEURS JE SUIS LE CHANT DE L’ESPERANCE POUR ESSUYER VOS YEUX EN PLEURS (reprise – dans un ordre sensiblement différent – des inscriptions de la cloche de 1886)

Un moule à cloches – Une visite des soubassements de l’église Saint-Martin nous offre l’occasion d’apercevoir les fondations de l’ancienne église romane, mais aussi un moule à cloches, témoin du travail des saintiers de jadis

Sources (autres que mentionnées)
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_r%C3%A9form%C3%A9e_Saint-Martin_de_Vevey#cite_note-GAS-2
https://www.montreuxriviera.com/fr/P28188/eglise-reformee-de-saint-martin
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1952-11-6-1/

Quasimodo remercie
-La ville de Vevey : Marie Neumann, cheffe du service de la culture ; Marjolaine Guisan, archiviste ; Georges Cardis, préposé aux temples.
-Mes amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice et Allan Picelli, sacristain à Maîche. Merci pour votre aide indispendable et les savoureux échanges !

Cloches – Le Pont (CH-VD) temple réformé

On y sonne encore les trois cloches à la corde !

-Cloche 1, « Espérance », note si3 -30/100, coulée en 1900, signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez
-Cloche 2, « Charité », note ré4 -41/100, coulée en 1900, signée Louis-Delphin Odobey cadet à Morez
-Cloche 3, note ré5 -44/100, coulée en 1733 par Samuel Steimer de Berne

Il y a peu, en compagnie de quelques amis, je vous faisais découvrir la somptueuse abbatiale romane de Romainmôtier et sa sonnerie à l’histoire si particulière. A quelques encâblures de la vallée du Nozon avec son site clunisien se trouve la Vallée de Joux. Si la région est aujourd’hui avant tout réputée pour ses attraits touristiques – on se baigne dans le lac de Joux durant la belle saison, on y patine l’hiver – on n’en oublie pas pour autant son riche passé industriel et horloger. Une première halte dans la Vallée m’avait déjà permis de vous faire découvrir les quatre cloches du Brassus en 2015. Je vous invite aujourd’hui dans le clocher du Pont, qui héberge une sonnerie certes de taille modeste, mais intéressante à plus d’un titre. Ce qui a tout d’abord attiré notre équipe multi-générationnelle de passionnés, c’est le fait que les trois cloches se manœuvrent aujourd’hui encore à la corde. Vous n’allez pas non plus tarder à vous rendre compte que l’histoire de ces demoiselles de bronze est captivante à plus d’un titre.

L’ancienne église du Pont, démolie en 1920 (source http://www.histoirevalleedejoux.ch/)

Un premier temple fut construit au Pont au début du XVIIIe siècle. Ce lieu de culte maintes fois transformé reçut en 1733 une cloche toujours existante. Cette cloche, réalisée par le Bernois Samuel Steimer (recensé souvent aujourd’hui en tant que Steiner) fut commandée à Romainmôtier, chef-lieu du baillage. La cloche livrée ne comportait pas que le nom de son fondeur. Elle était aussi ornée d’un sceau comportant la lettre R (peut-être le sceau du capitaine Rochat, mentionné dans les archives au sujet de la construction du temple). La cloche était surtout frappée des noms de quelques notables de la région. La manœuvre, considérée comme anti-démocratique, suscita le courroux des citoyens du Pont, qui se plaignirent auprès de LLEE de Berne. C’est ainsi que les noms litigieux furent limés. La cloche arbore donc aujourd’hui cette inscription incomplète : (…) du Pont, en la Vallée du Lac de Joux, 1733. Le sceau, lui, n’a pas été ôté. La signature du fondeur se trouve sur le cerveau de la cloche : SAMUEL STEIMER GOSS MICH. On retrouve ce nom sur la cloche dite Armsünderglocke (do#3, 1734) de la collégiale Saint-Vincent de Berne.

Avec le développement industriel et horloger de la vallée de Joux, le temple du Pont devint trop petit à la fin du XIXe siècle. Francis Isoz (1856-1910) fut dans un premier temps approché pour un agrandissement de l’édifice. L’architecte lausannois fut finalement mandaté pour construire un nouveau temple au lieu dit Crêt du Sablon. La géologie du terrain donna des cheveux blancs aux bâtisseurs, mais il est vrai que la situation dominante est majestueuse ! Le nouveau temple à la silhouette néogothique fut inauguré le 28 octobre 1900.

La nouvelle église du Pont. Les vitraux de 1960 sont l’oeuvre du peintre verrier jurassien Bodjol

 

 

Trois artisans firent une offre pour la fourniture de l’horloge et des cloches. Voici leurs noms et les prix demandés :
-Maillefer à Ballaigues, horloge 1’600 frs, prix du kg de cloche, 4.60 frs.
-Odobey à Morez, horloge 1’932.10 frs, prix du kg de cloche, 4.75 frs.
-Crot à Granges, horloge, 1’710 frs, prix du kg cloche, 5.55 frs.
Francis Isoz, appelé à donner son avis, fit parvenir le message suivant à l’administration communale le 25 janvier 1900 :
1) Pour les mêmes tons (do et mi), le poids des cloches offertes par Odobey est de 95 kg plus faible que celui de son concurrent Crot.
2) Malgré cette différence, l’alliage en cuivre et étain est à peu de chose près le même.
3) Le soumissionnaire Odobey est le seul qui fournisse un devis très détaillé et très complet et s’engage à rendre posées l’horloge et les cloches.
4) Le prix de 4.60 frs par kg de cloche fait par le soumissionnaire Maillefer paraît être faible pour un prix de seconde main et M. Maillefer est plutôt mécanicien qu’horloger.
L’architecte conclut en ces termes :
Aussi, d’après ce qui précède, étant donné que la maison Odobey est très sérieuse, qu’elle m’a encore fourni l’année dernière une horloge et une cloche qui marchent à la satisfaction de ceux qui les utilisent, je me permets de vous proposer de lui adjuger la fourniture et la pose de l’horloge et de deux cloches donnant le do & le mi pour le prix en bloc et à forfait de 3’619.80 frs
(ndlr : les cloches donnent en fait les notes si et ré)
Les autorités communales, suivant le mot d’ordre de l’architecte, attribuèrent le mandat à la maison Odobey. L’horloge fut installée dans le clocher le 8 septembre 1900. Il est intéressant et même amusant de préciser que Crot et Maillefer n’étaient que des revendeurs. Ils assemblaient et installaient des mouvements dont ils avaient passé commande chez… Odobey justement !

Odobey, on le sait, ne coulait pas ses cloches lui-même. L’horloger de Morez était en affaires avec divers fondeurs de cloches. Les riches archives collectées par Daniel Fonlupt, conservateur de la Maison des Horloges de Charroux, indiquent qu’Odobey se fournissait (entre autres) chez Paccard et chez Burdin. C’est donc uniquement en se basant sur les profils et les décors des cloches qu’on peut tenter de deviner quelle fonderie a réalisé telle ou telle pièce estampillée Odobey. Les cloches du Pont semblent n’avoir été coulées par aucun des fondeurs susnommés. Arthur Bamas, campanophile breton qui suit actuellement une formation de fondeur, les attribue à Farnier. Matthias Walter, expert-campanologue à Berne, n’exclut pas cette hypothèse en précisant qu’il pourrait surtout s’agir de Farnier de Dijon.

Dans le clocher

 

 

Les nouvelles cloches arrivèrent à la gare du Pont le 19 mai 1900. Voici leurs inscriptions, de haut en bas
-Grande cloche : LD ODOBEY CADET MOREZ / ESPERANCE / SI AUJOURD’HUI VOUS ENTENDEZ MA VOIX / N’ENDURCISSEZ PAS VOS COEURS / HEBREUX III.7
-Petite cloche : (signature indentique) CHARITE / ECOUTEZ MA VOIX ET JE SERAI VOTRE DIEU / JEREMIE VII.23
Ces deux cloches sont suspendues côte à côte à leurs jougs en chêne d’origine dans leur beffroi de bois. Est venue les rejoindre en 1959 la cloche de l’ancienne église, remisée jusque là dans le local des pompiers. Cette petite cloche a rempli un temps le rôle d’alarme. Elle n’est aujourd’hui plus utilisée et ne bénéficie d’aucun entretien. Ses ferrures s’étant relâchées au fil des ans, nous ne l’avons sollicitée que très brièvement pour la présentation vidéo.

Quasimodo remercie chaleureusement :
Nordahl Autissier, responsable des bâtiments au sein du Conseil administratif du Pont
Mes amis campanaires Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources :
http://www.histoirevalleedejoux.ch/articles/5_les_eglises_du_pont
http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F29113.php
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bailliage_de_Romainm%C3%B4tier
https://www.bernermuenster.ch/de/berner-muenster/muensterbau/glocken.php

Cloches – Romainmôtier (CH-VD) abbatiale

Des sonorités baroques pour ce chef-d’œuvre de l’art roman

-Cloche 1, note ré bémol 3 +40/100, diamètre 146cm, poids environ 1’900kg, coulée en 1723 par Felix Felix de Feldkirch.
-Cloche 2, note sol bémol 3 +31/100, poids environ 650kg, coulée en 1595 par Abraham Zender de Berne.
-Cloche 3, note si 3 +48/100, poids environ 275kg, coulée en 1810 par Jean-Baptiste Pitton de Carouge.

La plus ancienne église romane de Suisse – Il y a quelques semaines, je vous présentais l’abbatiale de Payerne, la plus grande église romane de Suisse. Aujourd’hui, place au plus ancien édifice de ce style toujours existant dans le pays : l’abbatiale de Romainmôtier. On ne peut être que frappé par la beauté du cadre. Si Romainmôtier fait partie de l’association des plus beaux villages de Suisse, ce n’est de loin pas usurpé. La verte vallée du Nozon est comme un écrin destiné à faire scintiller les murailles et les toitures ancestrales. Si on ne percevait pas de temps à autre le vrombissement d’une voiture, on s’attendrait à voir surgir au détour d’un chemin un moine dans sa charrette tirée par un âne. Le temps semble en effet s’être arrêté à Romainmôtier… une sorte de douce torpeur dans laquelle le visiteur d’un autre âge prend plaisir à se pelotonner un trop bref instant.

L’abbaye de Romainmôtier, ce sont onze siècles d’histoire. Du premier édifice religieux dressé par saint Romain et saint Lupicin au Ve siècle, à la Réforme proclamée par l’envahisseur bernois en 1536, on assiste à la montée en puissance de la communauté qui rejoint l’ordre de Cluny au Xe siècle et bénéficie de la protection des seigneurs bourguignons. En 1049, le pape Léon IX menace même d’excommunier quiconque tentera de porter atteinte à l’abbaye et à ses possessions. L’église est édifiée sur le modèle de la deuxième église de Cluny dans le premier tiers du XIe siècle. Le narthex sur deux étages était doté à l’origine de deux tours. Deux importants incendies à la fin du XIIe siècle obligent à la reconstruction des voûtes de la nef et du cloître. Ce dernier disparaît hélas à la Réforme. L’église nous est par bonheur parvenue, de même qu’une grande partie de l’enceinte monastique avec la maison du prieur. On y célèbre aujourd’hui le culte protestant. Romainmôtier est aussi depuis 2003 un haut lieu de l’œcuménisme romand grâce à la Fraternité Oecuménique de Prière qui reçoit sa mission conjointement du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée et du vicariat épiscopal de l’Eglise catholique. L’église abbatiale possède deux orgues remarquables : le grand orgue placé dans le transept sud a été réalisé par la manufacture de Chézard-Saint-Martin. Le petit orgue de la chapelle au premier étage du narthex a été conçu par Luigi-Ferdinando Tagliavini et construit par Kuhn de Männedorf. Il s’agit d’un don de la fondation Jehan Alain.

La plus grande des trois cloches porte la signature de Felix Felix von Veltkirch. Ce fondeur, originaire du Voralberg en Autriche (la localité s’épelle aujourd’hui Feldkirch) était établi à Berne quand il a travaillé pour Romainmôtier, comme en témoigne la griffe Du feu je suis sortie , Félix de Veltkirch m’a fondue à Berne. L’artisan est également mentionné comme fabricant de pièces d’artillerie pour Lucerne en 1739. Un certain Christian Felix von Feldkirch semble lui avoir succédé. On trouve en effet son nom sur deux cloches coulées en 1765 à Coire pour la paroisse grisonne de Falera (église Saint-Rémi). La cloche de Romanmôtier porte les noms et les fonctions (en allemand) de plusieurs édiles locaux dont Louis de Wattenwyl, maître des sceaux dans les pays Welsches (ndlr : pays romand) ; Michel Augsurger, Banneret (ndlr : porte-drapeau) ; Emmanuel Wurstemberger, Banneret ; Jean Muller, Banneret ; F.-Louis Morlot, Banneret ; Jean Fischer, Sautier (ndlr : huissier) ; Jean-Rodolphe Willading, Bailli (ndlr : gouverneur) ; Jean-Rodolphe Wurstemberger, receveur de l’Ohmgeld (ndlr : percepteur) et directeur de la Monnaie. Sur l’autre côté de la cloche figurent les armoiries de Berne et de quelques grandes familles dans une facture impeccable. On peut encore lire – toujours en allemand – Pieux Chrétien je te rappelle à ton Sauveur Jésus-Christ, car, hors de lui, il n’y a ni salut ni vie. Peut-être une allusion au Major Davel, le patriote vaudois exécuté pour insurrection la même année que la cloche fut coulée. La cloche semble n’avoir été hissée qu’en 1726. En témoigne la date peinte sur l’oculus aménagé spécialement pour l’occasion.

La deuxième cloche est la plus ancienne. Datée de 1595, elle est l’œuvre d’Abraham Zender de Berne. Ce successeur de Franz Sermund coula en 1611 – avec la collaboration du zurichois Peter Füssli – le bourdon de la collégiale de Berne, d’un poids de près de 10 tonnes. On lui doit aussi le bourdon du temple Saint-Martin de Vevey (si bémol, année 1603). On peut lire sur la cloche de Romainmôtier (en latin) La parole du Seigneur est éternelle. Puis en en allemand : O homme ! Chaque fois que par mes sons je t’indique l’heure du jour ou de la nuit, réfléchis sérieusement au but et à la fin de ta vie / Coulée par le feu, Abraham Zender m’a fondue à Berne, 1595. La cloche est ornée de très belles scènes de chasse. Elle porte également les empreintes de véritables feuillages. Des traces d’accordages récentes sont visibles à l’intérieur.

La petite cloche a été coulée pour le temple Saint-François de Lausanne. Après le grand chantier d’accordage des cloches lausannoises mené par Auguste Thybaud à la fin du XIXe siècle, le chef-lieu vaudois se retrouve avec plusieurs cloches inutilisées sur les bras. Ces cloches sont alors revendues d’occasion. L’une d’elles arrive en 1897 à Romainmôtier. Elle porte les inscriptions suivantes : VILLE DE LAUSANNE 1810 POUR LE SERVISSE (sic) DE L’EGLISE DE ST-FRANCOIS / FAITE PAR JEAN-BAPTISTE PITTON MAÎTRE FONDEUR A CAROUGE 1810. L’artisan, originaire de Châtillon-en-Michaille, est surtout connu pour avoir eu comme apprenti un certain Antoine Paccard, premier représentant d’une longue lignée de fondeurs toujours existante. Les ornements de cette petite cloche sont chiches en comparaison de ses grandes voisines. Le haut de la robe porte les habituelles guirlandes néo-classiques du XIXe siècle. Le cartouche, lui aussi d’une grande sobriété, indique le nom du fondeur sur fond de draperie. Cette cloche pourrait remplacer une ancêtre de 1753 que Blavignac mentionnait dans son étude campanaire de 1877. On constate en outre que la même travée porte – face à la petite cloche – les traces de fixation d’une cloche plus grande. L’achat d’une quatrième cloche était-il prévu ?

Une petite cloche déposée se trouve dans l’entrée de la maison du prieur. Datée de 1654, elle est fortement endommagée (éclat de balle, fêlures, grosse ébréchure à la pince).

Quasimodo remercie :
Nicolas Charrière, pasteur à la paroisse réformée de Vaulion-Romainmôtier.
Soeur Madeleine Chevalier.
Olivier Grandjean, campanophile et collectionneur de sonnailles.
… ainsi que mes fidèles amis Antoine Cordoba, carillonneur à l’abbaye de Saint-Maurice ; Allan Picelli, sacristain à Maîche ; Dominique Fatton, responsable technique des clochers de Val-de-Travers.

Sources :
Cloches de l’église de Romainmôtier, documentation rassemblée par Olivier Grandjean en 2004 basée sur les publications suivantes : Histoire de Romainmôtier , édition 1928 ; Sites et villages vaudois, éditions Cabédita ; La Cloche, Etudes sur son histoire et sur ses rapports avec la société aux différents âges, John-Daniel Blavignac, Paris, 1877.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbatiale_de_Romainm%C3%B4tier
https://www.cath.ch/newsf/fraternite-oecumenique-de-romainmotier-loecumenisme-quotidien/
https://query-staatsarchiv.lu.ch/detail.aspx?ID=1469502
http://www.orgues-et-vitraux.ch/default.asp/2-0-1938-11-6-1/